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Mes répliques au cours magistral de M. Moustapha Fall (Par Serigne Chouébou DIONE, doctorant en droit public)

Rédigé par leral.net le Mercredi 18 Avril 2018 à 16:37 | | 0 commentaire(s)|

Mes répliques au cours magistral de M. Moustapha Fall (Par Serigne Chouébou DIONE, doctorant en droit public)
 D’abord, M. Moustapha Fall n’est pas un professeur, il est « chargé d’enseignement » en droit public (Université de Nantes). Ce n'est pas sous-estimer son statut. J'évite simplement la confusion qu’induit le titre et qui pourrait intimider les esprits critiques.

Article dont le lien internet se trouve ci-après : https://www.leral.net/Parrainage-Ce-jeuneprofesseur-de-Droit-dispense-un-cours-magistral-a-l-opposition_a224191.html Je cite entre guillemets Monsieur Fall et je commente ses propos (en précédant mon commentaire du mot "RÉPLIQUE").

M. FALL : « ... l’argument de poids demeure, comme a eu à le rappeler le Conseil constitutionnel français, que « le nombre élevé de candidatures » ne doit pas affecter « la clarté du débat électoral » et « il importe, pour respecter l’esprit même de l’institution de l’élection du président de la République par le suffrage universel, que les candidatures aient une assise véritablement nationale ». Il va s’en dire que la désignation du titulaire du pouvoir exécutif doit obéir à des garanties minimales d’éligibilité et des règles contingentes de présentation des candidatures, en vue d’assurer la sincérité et la crédibilité du scrutin. » 

RÉPLIQUE : il s’agit d’une vérité générale que personne ne réfute et M. Fall cite une décision du Conseil constitutionnel français qui date d’avant l’élection de Monsieur Macky Sall. Donc pourquoi Macky Sall ne s’est pas attaqué au problème dès son accession au pouvoir ? Cette décision, qui concerne la République française, ne nous enseigne d’ailleurs pas quelque chose que l’Etat du Sénégal, juridiquement né depuis 1960, ignorait. Et c’est pourquoi, comme le rappellera plus loin M. Fall, il existait dès 1963, un parrainage mixte (par un nombre de citoyens et de députés).

D’ailleurs, le président de la République, « gardien de la Constitution » dit-on, a oublié cela, lorsque, dans sa démonstration de la pertinence du parrainage, il affirme que ce système a été instauré en 1992 (voir la vidéo en ligne).

M. FALL : « ...Deux clarifications sont apportées pour éviter de nourrir le doute dans les milieux académiques et de semer la confusion dans l’opinion publique. » Son argument n°1 : « Il s’agit de bien retenir que le mode d’élection du Président de la République n’est pas à confondre avec les règles de présentation de candidature (I) »

RÉPLIQUE : On sait que le parrainage est un élément du régime des candidatures à la présidentielle, là n’est pas le problème. Le problème se situe au niveau de la portée du parrainage par rapport à la notion de « mode d’élection...du président de la République ».

M. FALL : « Le mode d’élection du Président de la République au suffrage universel direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés est fixé par la Constitution en son article 26. Cette disposition a été érigée au rang des clauses d’éternité par la révision constitutionnelle du 20 mars 2016 adoptée par référendum. Désormais, le nouvel article 103 verrouille toute velléité de toucher au mode d’élection du Président de la République au suffrage universel au même titre que la forme républicaine de l’Etat, le nombre de mandats consécutifs. »

RÉPLIQUE : L’article 103 ne dit pas cela. Il ne dit, en effet, pas que « l’article 26 » ne peut faire l’objet de révision. Voici le contenu de l’article 103, alinéa 7 : « La forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision. ». 

Si ses rédacteurs tenaient vraiment à cantonner les choses, cet alinéa aurait dû être ainsi libellé : « La forme républicaine de l’Etat, l’article 26 (à la place « de mode d’élection »), etc. ne peuvent faire l’objet de révision ». D’ailleurs le dernier alinéa de l’article 103, par souci de précision, n’a pas cité tous les éléments de l’alinéa 7 qu’il voulait aussi ériger en clause intangible. Il s’est contenté de clairement disposer : « l’alinéa 7 du présent article ne peut faire l’objet d’une révision ». Par ailleurs et surtout, le contenu de l’article 26, ne vise pas « le mode d’élection » mais « le mode de scrutin concernant l’élection du président de la République : « article 26. - Le Président de la République est élu au suffrage universel direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Si on voulait cantonner la clause d’intangibilité à la seule question du « suffrage universel direct à la majorité absolue des suffrages exprimés », il aurait été plus logique et prévenant de dire : « .... l’article 26 » [ou, à la limite, « le mode de scrutin »], etc. ne peuvent faire l’objet de révision ». De cette manière, on saurait, avec précision, ce qui n’est pas inclus dans la clause d’intangibilité. Sauf que le pouvoir de révision a utilisé un terme plus vaste et plus général « mode d’élection ». Il devrait alors souffrir sa propre loi.

M. FALL : « Pour rester sur le terrain éminemment scientifique, on peut comprendre aisément que la définition qui sert comme point de départ à la confusion entre mode d’élection et règles de présentation, ne pas soit pas sourcée. Ainsi que le recommande la clarté méthodologique, la doctrine ou la jurisprudence à l’origine d’une telle définition, demande à être citée au moins en notes de bas de page. Mais, l’optimisme et la tolérance scientifique autorisent à penser qu’il s’agit là de professeurs aguerris à la réflexion juridique au point de forger des postulats constitutionnels. »

RÉPLIQUE : Certes, il faut préciser ses sources quand on en dispose. Mais la jurisprudence ne précède pas toujours le cas à traiter. Les évolutions jurisprudentielles se produisent en présence de cas de figure tout à fait nouveaux. Lorsque le Président de la République se rangeait derrière un avis consultatif en 2016, on était en présence d’une nouveauté que même le conseiller juridique du Président, « sur le terrain éminemment scientifique » (comme le revendique M. Moustapha Fall), avait considéré comme une atteinte à la Constitution. Ismaïla Madior Fall avait, en effet, dit (en 2011): « L’argument selon lequel la procédure est valable parce qu’avalisée par le Conseil Constitutionnel à travers un avis est, à notre sens, irrecevable pour deux raisons au moins : d’abord, il s’agit juste d’un avis (avec tout ce que cela implique en droit) qui ne peut autoriser, interdire ou couvrir une irrégularité ; ensuite, le Conseil Constitutionnel aurait même donné un avis qui dépasse le champ de ses compétences ». Donc, la jurisprudence, qui n’a pas beaucoup de sens pour le gouvernement en place, n’est pas encore établie sur cette question et on voit mal comment cela se fera, tout de suite, si le Conseil constitutionnel refuse de se prononcer sur les « lois » de révision de la Constitution.

M. FALL : Son argument n°2 : « Il s’agit d’une question d’opportunité de stabiliser le système de parrainage dans notre pays (II) ». « Tout système de sélection des prétendants à la fonction présidentielle doit permettre, en plus de la représentation des familles politiques, « d’éviter que la compétition soit parasitée par des candidatures superflues ou carrément indignes » ou « fantaisistes ». « La révision a permis une foultitude de candidats lors de l’élection présidentielle à partir de 2000. Néanmoins, l’évolution des présentations de candidatures montre que la plupart des nouveaux prétendants ne dépassent pas le seuil de 1%. Par exemple, en 2012, sur les 14 candidats, 6 n’ont pas eu plus d’un 1% des suffrages valablement exprimés. Ce qui pose la question de la nécessité de stabiliser le système de présentation des candidatures en améliorant le mécanisme de filtrage ».

RÉPLIQUE : puisqu’en 2012, on avait clairement senti qu’il y avait un problème de prolifération de candidatures non représentatives, pourquoi Macky Sall, qui venait d’être élu, ne s’est pas attaqué au problème dès son accession au pouvoir ? Il a modifié la Constitution en 2012, puis en 2016, mais rien sur les candidatures et sur les partis politiques en général ! On peut même jurer qu’en 2017, il a financé des listes parmi les 47 (cela sent alors le « pompier pyromane »).

M. FALL : « Le filtrage des candidatures à la participation de l’élection présidentielle a toujours fait l’objet de débats à forte tournure juridique et politique. »

RÉPLIQUE : Si vous admettez cela, alors reconnaissez qu'il est irresponsable de la part d’un gouvernement d’agiter cet élément à moins d’un an de l’élection présidentielle.

M. FALL : Son argument n°3 : « le projet de loi ne viole aucune disposition de la Constitution sur le plan strictement juridique à notre sens ». « Ce projet de réforme ne pose pas de question de contrariété avec la Constitution que d’aucuns qualifient de violation du mode d’élection. Que les juristes comprennent qu’il n’y a PAS DE PROJET DE LOI QUI PUISSE ETRE INCONSTITUTIONNEL. IL FAUT AU MOINS ATTENDRE LA NAISSANCE DE LA LOI pour pouvoir prétendre sa non-conformité à la Constitution. Et donc, pas de précipitation sur le devenir de la loi. Le parrainage ne serait qu’un simple « mécanisme juridique de filtrage des candidatures » profitable à notre système électoral et pour les citoyens soucieux de la clarté et de la lisibilité du débat électoral » 

RÉPLIQUE : J’ai déjà réagi sur la question touchant au « mode d’élection ». M. Fall ajoute cependant ceci : « Que les juristes comprennent qu’il n’y a pas de projet de loi qui puisse être inconstitutionnel ». Je pose alors à M. Fall cette question : où étiez-vous quand Macky Sall, sur le fondement d’un avis du Conseil constitution SUR UN PROJET, disait que le PROJET de réduire son mandat de 7 à 5 ans EST INCONSTITUTIONNEL ? Si vous êtes seulement intéressé par la « science du droit », vous deviez vous indigner contre l’attitude du président. Ensuite, le juriste sait distinguer contrôle de constitutionnalité ou de conformité à la Constitution d’une « loi » (de révision de Constitution, ordinaire, ou organique) et contrôle d’un « texte encore en projet ou en proposition » par rapport à l’esprit général de la Constitution (l’avis du Conseil constitutionnel en février 2016, c’était cette dernière hypothèse). Mais le juriste sait aussi que, conformément à sa jurisprudence classique, LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE SE PRONONCE PAS SUR UNE LOI DE REVISION DE LA CONSTITUTION. S'IL FAUT AGIR, C'EST MAINTENANT. Donc, si un juriste dit à ses pairs : « pas de précipitation sur le devenir de la loi », c’est à se demander s’il respecte l’intelligence de ses homologues

M. FALL : « Avec le parrainage, il serait intéressant d’assister à des débats entre candidats ayant un ancrage territorial de représentativité lors de l’élection présidentielle de 2019. Soyons clair ! Pas de fantasmes juridiques ! Le parrainage ne viole pas la Constitution mais améliore le dispositif de filtrage des candidatures en renforçant le régime de présélection des candidats afin de garantir « la clarté et la sincérité du scrutin voire sa dignité »

RÉPLIQUE : M. Moustapha Fall répète que le parrainage ne viole pas la Constitution, sans même, dans toute sa démonstration, interroger la mise en œuvre qui est prévue (chaque électeur ne parraine qu'une seule candidature). Or, ce qu’il appelle « régime de présélection des candidats », tel qu'il est prévu, entre en conflit avec la notion constitutionnelle et fondamentale de « droit de vote » (qui passe avant la notion de présélection). Si chaque électeur ne peut parrainer qu’une seule candidature, pourquoi celui qui exhibe les nécessités de « clarté », de « sincérité », et de « dignité » du scrutin, passe-t-il sous silence l’exigence constitutionnelle du « secret du scrutin » ? M. Fall n’a même pas jugé nécessaire d’expliquer comment le parrainage qu’il défend pourrait être mis en œuvre pour ne pas heurter le droit de vote (ce qu’un autre Monsieur Fall a essayé, au moins, d’expliquer sur le site le courrier du soir ; j’y reviendrai).

POUR FINIR : Vous disiez au tout début de votre article (et après un long rappel de l’importance de la fonction présidentielle) : « La solennité et le caractère hautement symbolique de la mission du Chef de l’Etat justifient l’essentiel des pouvoirs que le peuple lui confie, en l’autorisant à accéder à la magistrature suprême. Ce qui EXPLIQUE AUSSI TOUTE LA PASSION ET LA DÉRAISON que fait naître l’élection présidentielle dans la vie politique et institutionnelle. ».

Je voudrais vous répondre que l’agitation devant l’élection présidentielle ne résulte pas seulement et nécessairement ,de « la passion et la déraison » des Sénégalaises et Sénégalais. On s’agite aussi pour des motifs touchant au bon sens, à la logique, à la théorie juridique, à la citoyenneté, à la tactique politique, etc., autant de choses légitimes en démocratie. Les personnes qui s'agitent, ne sont donc pas que des passionnées et des « déraisonnables ».

Serigne Chouébou DIONE, doctorant en droit public à l’Université de Strasbourg et de l’UCAD de Dakar.
https://www.leral.net/Parrainage-Ce-jeune-professeur-de-Droit-dispense-un-cours-magistral-a-l-opposition_a224191.html