Après avoir consolidé son pouvoir à l’intérieur de l’Égypte en mettant l’armée au pas, Mohamed Morsi cherche désormais à imprimer sa marque sur la politique étrangère de son pays. Après Pékin, et avant Washington en septembre, le président égyptien, élu en juin et issu des rangs des Frères musulmans, se rendra à Téhéran pour participer au sommet des pays non-alignés prévu les 30 et 31 août.
Une visite hautement symbolique qui pourrait marquer la restauration des relations diplomatiques entre les deux nations. Celles-ci avaient été rompues par la République islamique iranienne en 1980, notamment pour protester contre les accords de paix israélo-égyptiens de Camp David, conclus en 1979.
Téhéran s’enthousiasme, Le Caire calme le jeu
Téhéran s’est empressé de présenter la visite du nouveau président égyptien comme une victoire politique, à l’image de l’enthousiasme affiché par les médias et les officiels iraniens. "La révolution a ouvert un nouveau chapitre dans les relations de l'Égypte avec le monde extérieur […], le rétablissement de nos relations ne dépend plus que de mesures protocolaires", avait assuré le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, dans un entretien accordé la semaine dernière au quotidien égyptien Al-Ahram.
Du côté égyptien, toutefois, le ton est à la prudence. La présidence a multiplié les sorties médiatiques pour minimiser l’importance de la visite iranienne de Mohamed Morsi, qui ne restera à Téhéran que quatre petites heures, le temps de remettre la direction du Mouvement des non-alignés à la République islamique. Cette visite sera "protocolaire" et "il n'est pas question pour le moment de rétablir les relations diplomatiques", a répliqué dans la presse égyptienne le porte-parole de la présidence, Yasser Ali.
"L’Iran a intérêt à communiquer sur cette visite pour démontrer qu’il n’est pas isolé sur la scène internationale malgré la pression des Occidentaux et au moment où les menaces d'attaques israéliennes se multiplient. A contrario, du côté égyptien, on a plus intérêt à dédramatiser la visite de Morsi et à limiter son impact afin de ne pas froisser Washington et Riyad", explique à FRANCE 24 Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'Iran. Et de poursuivre : "le cadre consensuel du sommet du Mouvement des non-alignés est justement propice pour renouer le contact, et beaucoup moins polémique qu’une visite d’État".
Réchauffement progressif ?
Néanmoins, malgré la retenue affichée par les Égyptiens, un réchauffement progressif des relations entre Le Caire et Téhéran n’est pas à exclure, le président Morsi ayant opté pour un rééquilibrage des relations diplomatiques de son pays. "Mis à l’écart depuis Camp David, l’Égypte cherche à retrouver sa place sur l’échiquier régional, en profitant des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite et la crise en Syrie, pour y jouer un rôle d’intermédiaire, capable de dialoguer avec toutes les parties", décrypte Bernard Hourcade.
Celui dont l’élection avait été saluée par le ministère iranien des Affaires étrangères comme une "vision splendide de la démocratie, marquant la phase finale du réveil islamique", n’a-t-il pas proposé, à la mi-août, la formation d'un comité regroupant l'Égypte, l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie pour tenter de régler la crise syrienne ? Un pas que n’aurait jamais franchi le président Hosni Moubarak, adepte, avec l’Arabie saoudite, d’une ligne dure à l’égard de l’Iran, qu’il considérait comme un pays hostile à l’Égypte et comme un élément déstabilisateur du Moyen-Orient.
L'Iran, "un pays trop important pour être ignoré"
"Les Frères musulmans ont toujours été partisans d’un rapprochement avec l’Iran, un pays qu’ils considèrent comme trop important pour être ignoré, mais aussi d’un dialogue entre sunnites et chiites, refusant la logique d’affrontements entre musulmans prônée par les Saoudiens et par l'ancien régime de Moubarak", explique à FRANCE 24 Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France et historien spécialiste de l’Égypte.
"Malgré les tensions entre chiites et sunnites dans la région, l’Égypte et l’Iran ont en commun le nationalisme et sentent la nécessité d’établir des relations et de développer des partenariats d’État islamique à État islamique", renchérit Bernard Hourcade, pour qui la visite de Morsi peut être vu comme le prélude d’un futur rapprochement à moyen ou à long terme et d’une redistribution des cartes dans la région où la Syrie des Assad est sur le point de disparaître.
Ménager le grand argentier saoudien
Soucieux de maintenir la pression sur les mollahs, en raison du programme nucléaire controversé de l’Iran, Riyad, Washington et Tel-Aviv redoutent justement la réalisation d’un tel scénario. "L'annonce de la participation du président Morsi au sommet du Mouvement des non-alignés a offusqué Israël et l'Occident, s’est félicité le Tehran Times dans un éditorial publié le 20 août. Il est difficile pour Israël et l'Occident de digérer le fait que le dirigeant égyptien puisse faire ce voyage historique à Téhéran…"
Mais selon les experts, c’est surtout l’Arabie saoudite, partenaire vital de l’économie égyptienne, qui risque d’élever la voix. "L’Égypte de 2012, dirigée par les Frères musulmans, ressemble à s’y méprendre à l’Iran de 1979, et à l’arrivée au pouvoir des mollahs, les puissances régionales se méfient d’eux et les surveillent avec attention, surtout les Saoudiens", analyse Bernard Hourcade.
Manne saoudienne
Pour Tewfik Aclimandos, l’Arabie saoudite, qui a perdu son plus fidèle allié arabe en la personne de Hosni Moubarak, "ne veut pas entendre parler d’un rapprochement égypto-iranien". Selon lui, le président Morsi "ne peut se permettre, vu l’état actuel de l’économie du pays de froisser Riyad, à moins qu’il ne considère les Saoudiens comme d'ores et déjà perdus, étant donnée leur hostilité historique aux Frères musulmans, ou qu’il ne soit mandaté par les États-Unis pour discuter avec les Iraniens".
Selon la revue américaine Foreign Policy, les Saoudiens ont injecté 1,5 milliard de dollars dans l'économie égyptienne en juin dernier, en plus d’un crédit de 750 millions de dollars accordé au pays pour les importations de pétrole saoudien. Enfin, le royaume wahhabite maintient, toujours selon le magazine, des investissements en Égypte dont la valeur se situerait entre 12 et 27 milliards de dollars. Une manne dont ne peut se passer l’Égypte post-Moubarak, également liée par des intérêts financiers et militaires aux États-Unis.
"Si l’ambition à moyen terme de Mohamed Morsi est d’ériger l’Égypte en intermédiaire indispensable sur l’échiquier moyen-oriental, son rapprochement avec l’Iran est à hauts risques car il n’a pas encore les moyens de cette politique vu l’état actuel des finances du pays", conclut Tewfik Aclimandos.
Source:France24
Une visite hautement symbolique qui pourrait marquer la restauration des relations diplomatiques entre les deux nations. Celles-ci avaient été rompues par la République islamique iranienne en 1980, notamment pour protester contre les accords de paix israélo-égyptiens de Camp David, conclus en 1979.
Téhéran s’enthousiasme, Le Caire calme le jeu
Téhéran s’est empressé de présenter la visite du nouveau président égyptien comme une victoire politique, à l’image de l’enthousiasme affiché par les médias et les officiels iraniens. "La révolution a ouvert un nouveau chapitre dans les relations de l'Égypte avec le monde extérieur […], le rétablissement de nos relations ne dépend plus que de mesures protocolaires", avait assuré le ministre iranien des Affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, dans un entretien accordé la semaine dernière au quotidien égyptien Al-Ahram.
Du côté égyptien, toutefois, le ton est à la prudence. La présidence a multiplié les sorties médiatiques pour minimiser l’importance de la visite iranienne de Mohamed Morsi, qui ne restera à Téhéran que quatre petites heures, le temps de remettre la direction du Mouvement des non-alignés à la République islamique. Cette visite sera "protocolaire" et "il n'est pas question pour le moment de rétablir les relations diplomatiques", a répliqué dans la presse égyptienne le porte-parole de la présidence, Yasser Ali.
"L’Iran a intérêt à communiquer sur cette visite pour démontrer qu’il n’est pas isolé sur la scène internationale malgré la pression des Occidentaux et au moment où les menaces d'attaques israéliennes se multiplient. A contrario, du côté égyptien, on a plus intérêt à dédramatiser la visite de Morsi et à limiter son impact afin de ne pas froisser Washington et Riyad", explique à FRANCE 24 Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'Iran. Et de poursuivre : "le cadre consensuel du sommet du Mouvement des non-alignés est justement propice pour renouer le contact, et beaucoup moins polémique qu’une visite d’État".
Réchauffement progressif ?
Néanmoins, malgré la retenue affichée par les Égyptiens, un réchauffement progressif des relations entre Le Caire et Téhéran n’est pas à exclure, le président Morsi ayant opté pour un rééquilibrage des relations diplomatiques de son pays. "Mis à l’écart depuis Camp David, l’Égypte cherche à retrouver sa place sur l’échiquier régional, en profitant des tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite et la crise en Syrie, pour y jouer un rôle d’intermédiaire, capable de dialoguer avec toutes les parties", décrypte Bernard Hourcade.
Celui dont l’élection avait été saluée par le ministère iranien des Affaires étrangères comme une "vision splendide de la démocratie, marquant la phase finale du réveil islamique", n’a-t-il pas proposé, à la mi-août, la formation d'un comité regroupant l'Égypte, l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie pour tenter de régler la crise syrienne ? Un pas que n’aurait jamais franchi le président Hosni Moubarak, adepte, avec l’Arabie saoudite, d’une ligne dure à l’égard de l’Iran, qu’il considérait comme un pays hostile à l’Égypte et comme un élément déstabilisateur du Moyen-Orient.
L'Iran, "un pays trop important pour être ignoré"
"Les Frères musulmans ont toujours été partisans d’un rapprochement avec l’Iran, un pays qu’ils considèrent comme trop important pour être ignoré, mais aussi d’un dialogue entre sunnites et chiites, refusant la logique d’affrontements entre musulmans prônée par les Saoudiens et par l'ancien régime de Moubarak", explique à FRANCE 24 Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France et historien spécialiste de l’Égypte.
"Malgré les tensions entre chiites et sunnites dans la région, l’Égypte et l’Iran ont en commun le nationalisme et sentent la nécessité d’établir des relations et de développer des partenariats d’État islamique à État islamique", renchérit Bernard Hourcade, pour qui la visite de Morsi peut être vu comme le prélude d’un futur rapprochement à moyen ou à long terme et d’une redistribution des cartes dans la région où la Syrie des Assad est sur le point de disparaître.
Ménager le grand argentier saoudien
Soucieux de maintenir la pression sur les mollahs, en raison du programme nucléaire controversé de l’Iran, Riyad, Washington et Tel-Aviv redoutent justement la réalisation d’un tel scénario. "L'annonce de la participation du président Morsi au sommet du Mouvement des non-alignés a offusqué Israël et l'Occident, s’est félicité le Tehran Times dans un éditorial publié le 20 août. Il est difficile pour Israël et l'Occident de digérer le fait que le dirigeant égyptien puisse faire ce voyage historique à Téhéran…"
Mais selon les experts, c’est surtout l’Arabie saoudite, partenaire vital de l’économie égyptienne, qui risque d’élever la voix. "L’Égypte de 2012, dirigée par les Frères musulmans, ressemble à s’y méprendre à l’Iran de 1979, et à l’arrivée au pouvoir des mollahs, les puissances régionales se méfient d’eux et les surveillent avec attention, surtout les Saoudiens", analyse Bernard Hourcade.
Manne saoudienne
Pour Tewfik Aclimandos, l’Arabie saoudite, qui a perdu son plus fidèle allié arabe en la personne de Hosni Moubarak, "ne veut pas entendre parler d’un rapprochement égypto-iranien". Selon lui, le président Morsi "ne peut se permettre, vu l’état actuel de l’économie du pays de froisser Riyad, à moins qu’il ne considère les Saoudiens comme d'ores et déjà perdus, étant donnée leur hostilité historique aux Frères musulmans, ou qu’il ne soit mandaté par les États-Unis pour discuter avec les Iraniens".
Selon la revue américaine Foreign Policy, les Saoudiens ont injecté 1,5 milliard de dollars dans l'économie égyptienne en juin dernier, en plus d’un crédit de 750 millions de dollars accordé au pays pour les importations de pétrole saoudien. Enfin, le royaume wahhabite maintient, toujours selon le magazine, des investissements en Égypte dont la valeur se situerait entre 12 et 27 milliards de dollars. Une manne dont ne peut se passer l’Égypte post-Moubarak, également liée par des intérêts financiers et militaires aux États-Unis.
"Si l’ambition à moyen terme de Mohamed Morsi est d’ériger l’Égypte en intermédiaire indispensable sur l’échiquier moyen-oriental, son rapprochement avec l’Iran est à hauts risques car il n’a pas encore les moyens de cette politique vu l’état actuel des finances du pays", conclut Tewfik Aclimandos.
Source:France24