Loin de polémiquer avec lui, je tiens à dénoncer dans cette contribution la simplicité de son argumentation, son usage facile de certains mots, son souci d’attirer l’attention du public occidental sur des questions qui n’ont de substance que dans son esprit. Le musicien, c’est de lui qu’il s’agit, n’est nullement préoccupé par le sens des mots et de leur impact. Son mérite, pour ceux qui sont intéressés par sa musique, est de sortir des albums et de rayonner sur la scène internationale et non en apprenti sorcier de chercheur ou de philosophe à débiter des énormités
1- L’artiste affirme avec certitude dans une interview qu’il existe un lien fort à travers sa croyance soufie entre l’Afrique et la Jamaïque. Ainsi, pour donner plus de poids ou de crédibilité à son propos, il précise que Cheikh Ibrahima Fall « premier élève de Cheikh Ahmadou Bamba, était un rasta ».
Cheikh Ibra n’a pas été à aucun moment de son cheminement avec Serigne Touba son élève. Il était plutôt venu rejoindre dans la tradition mouride le Cheikh pour son accomplissement spirituel. Le musicien n’arrive pas à faire la distinction entre l’élève et le disciple. Un élève, il l’a été dans son cursus scolaire et non le disciple de son instituteur. De prime abord, un élève c’est quelqu’un qui est dépourvu de savoirs (savoir être, savoir faire, savoir dire), bref un ignorant. Un enseignant est chargé de lui apprendre tout ou presque tout. La socialisation d’un élève passe par l’école et par la cellule familiale. S’il s’agit d’un « talibé », ce processus se déroule au sein de l’école coranique ou du daara. Lors de sa rencontre avec Serigne Touba, Cheikh Ibra que je sache, avait une certaine connaissance des pratiques religieuses et spirituelles. D’aucuns disent même que c’était un érudit. Son ambition a été de trouver un guide, un maître, de se confier à lui en toutes circonstances, en l’occurrence le Cheikh. Il a toujours existé entre Serigne Touba et cheikh Ibra un caractère sacré.
En quoi Cheikh Ibra peut être considéré comme un rasta ? Par simplicité, on peut répondre avec Youssou Ndour qu’il l’était parce qu’il « portait des dreadlocks ». Mais, c’est vite aller en besogne. En vérité, les rasta, pour expliquer leur mode de vie, se réfèrent souvent au vœu de Nizarite, comme présenté dans la Bible (Nombres6 :1-21). Parmi certaines de ces règles, on peut citer :
- Ne pas se couper, ni se coiffer les cheveux, ce qui entraîne l’apparition de dreadlocks.
- Ne pas manger de viande etc...
Le vœu de Nizarite était d’autant plus temporaire et ne pouvait pas dépasser sept ans.
Au plus, de manière générale, la mort est un tabou pour les rastas. Dans leurs chansons, on fredonne souvent « rasta don’t go to no funeral », soit « le rasta n’assiste à aucune funéraille ».
Entre autres repères caractérisant la culture ou la croyance rasta, il demeure un fait la consommation de ganja ou yamba.
Au vu de ces critères et sans risque de nous tromper, on peut dire à juste titre que le simple fait que Cheikh Ibra à un moment de son existence « portait des dreadlocks », n’en fasse pas pour autant un rasta. Ce dernier, s’il avait une quelconque connaissance de la culture rasta, en éprouverait du dégoût.
Dans sa tentative de rapprochement de sa croyance soufie et la Jamaïque, le musicien très inspiré ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il soutient sans coup férir que « les Baye fall, successeurs de Cheikh ibra sont quasiment des jamaïcains. La musique, la danse et le chant ont une place importante ».
Les Baye Fall, quoi qu’on puisse penser d’eux et de leurs pratiques non orthodoxes de la religion musulmane : la non célébration de la prière par exemple, ne sont intéressés que par leur attachement au mouridisme. Leur cas ne relève que de mon Seigneur, le Maître du jour de la Rétribution. Ils sont occupés pour l’essentiel par le travail, la culture des champs, la récitation des khassaides du Cheikh, l’organisation lors du magal, à acheminer et à distribuer les festins aux fidèles. Vouloir les assimiler à des jamaïcains, c’est de l’imposture monsieur le musicien. Dans leurs pratiques cultuelles, les jamaïcains sont partagés entre le christianisme, l’anglicanisme et le mouvement rastafari. Certains d’entre eux à Kingston et autres faubourgs de Jamaïque vivent dans l’oisiveté, le désœuvrement, fument des joints à longueur de journée. Ils sont dans l’amusement, la perte des valeurs et des priorités de l’existence tandis que les Baye Fall sont dans le dénuement total et au service des autres.
Youssou Ndour aurait certainement raison de faire ce rapprochement en évoquant le cas des « Baye Faux » qui arpentent les marchés des villes du Sénégal en faisant la manche et qui sont aux antipodes des valeurs des autres vrais Baye Fall. Non et encore une fois non au musicien, rien ne s’apparente à la musique, à la danse et au chant dans le comportement quotidien des Baye Fall de Touba et alentours.
2-Pour en finir avec les méconnaissances de l’artiste, on ne peut pas passer sous silence cette sentence : « Marley était un personnage clé dans la formation de l’identité africaine ».
Evoquer le nom de Bob Marley dans la formation de l’identité africaine est une idée saugrenue. Par ailleurs, on peut difficile parler d’une identité africaine puisque le continent africain n’est pas un bloc homogène et est traversé par plusieurs aires culturelles. Au-delà de l’espace linguistique qui regroupe plusieurs entités du fait de la colonisation, les peuples n’ont parfois ni la même histoire, ni la même culture et la même langue. Il serait plus prudent de parler d’une identité plurielle de l’Afrique. Rien qu’au Sénégal, on retrouve différentes identités ou cultures même si plusieurs similitudes peuvent exister entre elles : Wolof, Peulh, Diola, Mandingue, Sérère etc...
L’identité d’un peuple se construit au fil des siècles par des générations d’hommes et de femmes. Elle n’est pas statique et peut évoluer au gré des rencontres avec d’autres univers socioculturels.
Le musicien Bob Marley et d’autres artistes noirs à travers le monde ont dans une certaine mesure contribué à la sensibilisation de la situation de l’homme noir en abordant des thématiques sur la fierté, la liberté etc... D’autres aussi comme l’écrivain afro-américain Richard Wright, auteur de « Black boy » et de « Native Son » se sont penchés sur la question de la dignité de l’homme noir et de sa place dans le monde contemporain. Toutefois malgré le rayonnement de leurs œuvres, ils n’ont jamais évoqué ni réclamé leur part d’héritage dans la formation de l’identité africaine. Cette dernière est le fruit du combat de milliers d’africains, qui de par leurs parcours de vie, leurs œuvres intellectuelles, religieuses ou artistiques et dans leurs pays respectifs, se sont interrogés sur les fondements de leurs sociétés et ont réussi à façonner l’image et à donner un sens à l’existence de leurs compatriotes.
Nul n’a le droit de falsifier même à bon compte l’histoire d’un peuple, d’une croyance ou autres et à fortiori lorsqu’on a la chance de pouvoir s’adresser à des millions de personnes à travers le monde. C’est comme si, moi qui critique dans ce texte le chanteur Youssou Ndour, par flagornerie et par cupidité, je décide d’un coup de faire du voyageur infatigable que le Sénégal n’ait jamais connu une sommité dans la formation de l’identité arabe ou de la religion musulmane. On me dira avec raison: “thipri adouna dia rouko nit day wakh lou ko woor”
« man dé lire Métro ma ci bolé » et sans rancune youssou Ndour, le musicien.
Moussa Kane SYLLA
Moussa.skane@gmail.com
Bruxelles.
1- L’artiste affirme avec certitude dans une interview qu’il existe un lien fort à travers sa croyance soufie entre l’Afrique et la Jamaïque. Ainsi, pour donner plus de poids ou de crédibilité à son propos, il précise que Cheikh Ibrahima Fall « premier élève de Cheikh Ahmadou Bamba, était un rasta ».
Cheikh Ibra n’a pas été à aucun moment de son cheminement avec Serigne Touba son élève. Il était plutôt venu rejoindre dans la tradition mouride le Cheikh pour son accomplissement spirituel. Le musicien n’arrive pas à faire la distinction entre l’élève et le disciple. Un élève, il l’a été dans son cursus scolaire et non le disciple de son instituteur. De prime abord, un élève c’est quelqu’un qui est dépourvu de savoirs (savoir être, savoir faire, savoir dire), bref un ignorant. Un enseignant est chargé de lui apprendre tout ou presque tout. La socialisation d’un élève passe par l’école et par la cellule familiale. S’il s’agit d’un « talibé », ce processus se déroule au sein de l’école coranique ou du daara. Lors de sa rencontre avec Serigne Touba, Cheikh Ibra que je sache, avait une certaine connaissance des pratiques religieuses et spirituelles. D’aucuns disent même que c’était un érudit. Son ambition a été de trouver un guide, un maître, de se confier à lui en toutes circonstances, en l’occurrence le Cheikh. Il a toujours existé entre Serigne Touba et cheikh Ibra un caractère sacré.
En quoi Cheikh Ibra peut être considéré comme un rasta ? Par simplicité, on peut répondre avec Youssou Ndour qu’il l’était parce qu’il « portait des dreadlocks ». Mais, c’est vite aller en besogne. En vérité, les rasta, pour expliquer leur mode de vie, se réfèrent souvent au vœu de Nizarite, comme présenté dans la Bible (Nombres6 :1-21). Parmi certaines de ces règles, on peut citer :
- Ne pas se couper, ni se coiffer les cheveux, ce qui entraîne l’apparition de dreadlocks.
- Ne pas manger de viande etc...
Le vœu de Nizarite était d’autant plus temporaire et ne pouvait pas dépasser sept ans.
Au plus, de manière générale, la mort est un tabou pour les rastas. Dans leurs chansons, on fredonne souvent « rasta don’t go to no funeral », soit « le rasta n’assiste à aucune funéraille ».
Entre autres repères caractérisant la culture ou la croyance rasta, il demeure un fait la consommation de ganja ou yamba.
Au vu de ces critères et sans risque de nous tromper, on peut dire à juste titre que le simple fait que Cheikh Ibra à un moment de son existence « portait des dreadlocks », n’en fasse pas pour autant un rasta. Ce dernier, s’il avait une quelconque connaissance de la culture rasta, en éprouverait du dégoût.
Dans sa tentative de rapprochement de sa croyance soufie et la Jamaïque, le musicien très inspiré ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il soutient sans coup férir que « les Baye fall, successeurs de Cheikh ibra sont quasiment des jamaïcains. La musique, la danse et le chant ont une place importante ».
Les Baye Fall, quoi qu’on puisse penser d’eux et de leurs pratiques non orthodoxes de la religion musulmane : la non célébration de la prière par exemple, ne sont intéressés que par leur attachement au mouridisme. Leur cas ne relève que de mon Seigneur, le Maître du jour de la Rétribution. Ils sont occupés pour l’essentiel par le travail, la culture des champs, la récitation des khassaides du Cheikh, l’organisation lors du magal, à acheminer et à distribuer les festins aux fidèles. Vouloir les assimiler à des jamaïcains, c’est de l’imposture monsieur le musicien. Dans leurs pratiques cultuelles, les jamaïcains sont partagés entre le christianisme, l’anglicanisme et le mouvement rastafari. Certains d’entre eux à Kingston et autres faubourgs de Jamaïque vivent dans l’oisiveté, le désœuvrement, fument des joints à longueur de journée. Ils sont dans l’amusement, la perte des valeurs et des priorités de l’existence tandis que les Baye Fall sont dans le dénuement total et au service des autres.
Youssou Ndour aurait certainement raison de faire ce rapprochement en évoquant le cas des « Baye Faux » qui arpentent les marchés des villes du Sénégal en faisant la manche et qui sont aux antipodes des valeurs des autres vrais Baye Fall. Non et encore une fois non au musicien, rien ne s’apparente à la musique, à la danse et au chant dans le comportement quotidien des Baye Fall de Touba et alentours.
2-Pour en finir avec les méconnaissances de l’artiste, on ne peut pas passer sous silence cette sentence : « Marley était un personnage clé dans la formation de l’identité africaine ».
Evoquer le nom de Bob Marley dans la formation de l’identité africaine est une idée saugrenue. Par ailleurs, on peut difficile parler d’une identité africaine puisque le continent africain n’est pas un bloc homogène et est traversé par plusieurs aires culturelles. Au-delà de l’espace linguistique qui regroupe plusieurs entités du fait de la colonisation, les peuples n’ont parfois ni la même histoire, ni la même culture et la même langue. Il serait plus prudent de parler d’une identité plurielle de l’Afrique. Rien qu’au Sénégal, on retrouve différentes identités ou cultures même si plusieurs similitudes peuvent exister entre elles : Wolof, Peulh, Diola, Mandingue, Sérère etc...
L’identité d’un peuple se construit au fil des siècles par des générations d’hommes et de femmes. Elle n’est pas statique et peut évoluer au gré des rencontres avec d’autres univers socioculturels.
Le musicien Bob Marley et d’autres artistes noirs à travers le monde ont dans une certaine mesure contribué à la sensibilisation de la situation de l’homme noir en abordant des thématiques sur la fierté, la liberté etc... D’autres aussi comme l’écrivain afro-américain Richard Wright, auteur de « Black boy » et de « Native Son » se sont penchés sur la question de la dignité de l’homme noir et de sa place dans le monde contemporain. Toutefois malgré le rayonnement de leurs œuvres, ils n’ont jamais évoqué ni réclamé leur part d’héritage dans la formation de l’identité africaine. Cette dernière est le fruit du combat de milliers d’africains, qui de par leurs parcours de vie, leurs œuvres intellectuelles, religieuses ou artistiques et dans leurs pays respectifs, se sont interrogés sur les fondements de leurs sociétés et ont réussi à façonner l’image et à donner un sens à l’existence de leurs compatriotes.
Nul n’a le droit de falsifier même à bon compte l’histoire d’un peuple, d’une croyance ou autres et à fortiori lorsqu’on a la chance de pouvoir s’adresser à des millions de personnes à travers le monde. C’est comme si, moi qui critique dans ce texte le chanteur Youssou Ndour, par flagornerie et par cupidité, je décide d’un coup de faire du voyageur infatigable que le Sénégal n’ait jamais connu une sommité dans la formation de l’identité arabe ou de la religion musulmane. On me dira avec raison: “thipri adouna dia rouko nit day wakh lou ko woor”
« man dé lire Métro ma ci bolé » et sans rancune youssou Ndour, le musicien.
Moussa Kane SYLLA
Moussa.skane@gmail.com
Bruxelles.