(SenePlus) - Pour le président Bassirou Diomaye Faye, résoudre le conflit foncier de Ndingler représente aujourd'hui un délicat test politique. Lui qui, avant son élection, défendait ardemment les droits des villageois face à l'industriel Babacar Ngom, se retrouve désormais en position d'arbitre. Cette affaire emblématique, qui s'éternise depuis plus de dix ans, oppose des agriculteurs locaux au fondateur de Sedima, première entreprise avicole du pays.
"Rendre les 80 hectares aux paysans en laissant 150 hectares à une seule personne dont la survie n'en dépend même pas, c'est la seule solution juste qui tienne. Toute autre solution serait promotrice d'un capitalisme assassin", déclarait Diomaye en 2021, alors qu'il n'était qu'un inspecteur des impôts engagé aux côtés de l'opposant Ousmane Sonko. Aujourd'hui président, il doit concilier ses engagements passés avec son rôle de chef d'État représentant tous les Sénégalais.
À Ndingler, petit village situé dans le département de Mbour à plus de 100 kilomètres de Dakar, le conflit a débuté en 2014, lorsque Babacar Ngom est venu présenter son projet agro-industriel, comme le rapporte Jeune Afrique. "On lui avait tout de suite opposé une fin de non-recevoir, car nous n'avons que ces terres pour cultiver", explique Mbaye Diouf, coordonnateur du Collectif de défense des terres de Ndingler, cité par le magazine panafricain.
Pourtant, cinq ans plus tard, l'industriel revient avec un titre foncier en main. La commune voisine de Sindia lui a attribué 300 hectares, dont 224 hectares ont été immatriculés à son nom, incluant 75 hectares revendiqués par les villageois. Dans ce village sans eau courante ni électricité, ces terres sont vitales : elles permettent de cultiver "mil, arachide, niébé et maïs, en fonction des saisons" pour nourrir "plus de 100 personnes", précise Mbaye Diouf.
L'engagement de Bassirou Diomaye Faye dans cette affaire n'est pas anodin. Ndingler se trouve à seulement 10 kilomètres de sa commune natale de Ndiaganiao. "Lorsque nous l'avons interpellé, il a constaté l'injustice que nous vivions. Mais à présent, il est le président de tous les Sénégalais, et il doit tous les traiter de la même manière", reconnaît Mbaye Diouf auprès de JA.
Selon Seydi Gassama, directeur d'Amnesty International Sénégal qui soutient les villageois, le président "reste sensible à la cause" mais cherche à ne pas politiser le dossier. Une rencontre récente entre le Premier ministre Ousmane Sonko et Babacar Ngom a d'ailleurs ravivé les espoirs d'une résolution prochaine.
Cette affaire illustre les contradictions du système foncier sénégalais. La loi sur le domaine national de 1964, en nationalisant l'ensemble des terres du pays, "a favorisé l'accaparement des parcelles rurales par les élites urbaines", explique Jeune Afrique. Le problème est particulièrement aigu dans le "triangle de prospérité" entre Dakar, Mbour et Thiès.
"On parle de communautés qui ne sont pas scolarisées. Pour elles, ce sont les terres de leurs ancêtres, qu'elles vont cultiver et laisser à leur fils", explique le juriste foncier Mamadou Mballo. Si Babacar Ngom a acquis ces terres légalement, "que vaut cette légalité devant des gens qui ont occupé cette terre depuis des siècles ? Ils ne lui en reconnaîtront jamais sa propriété."
Quatre ans après l'éclatement médiatique du conflit, la situation reste figée. Les terres contestées sont en jachère, inaccessibles aux agriculteurs depuis un arrêté préfectoral pris après des affrontements. "Chacune des deux parties campe sur sa position : le premier brandissant ses titres fonciers, acquis légalement, les seconds demandant qu'on leur rende leurs terres ancestrales", résume Jeune Afrique.
Babacar Ngom défend un projet "d'utilité publique" qui offrirait des emplois aux villageois. Un argument rejeté par ces derniers : "Tu as ton champ, quelqu'un s'en empare, et tu dois devenir son employé. Est-ce que c'est logique ?", s'interroge Mbaye Diouf.
Seydi Gassama espère que l'État proposera d'autres terres à l'industriel, tandis que Mamadou Mballo salue le lancement d'un projet étatique de sécurisation foncière qui devrait aider les communautés rurales à faire reconnaître leurs droits.
Pour l'heure, les villageois restent dans l'expectative, comme le rapporte le magazine : "Avec le nouveau gouvernement, les choses changeront peut-être", confie Mbaye Diouf. "Nous, tout ce que nous voulons, c'est qu'on nous rende nos terres."

Source : https://www.seneplus.com/societe/ndingler-le-test-...