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NOTE OUVERTE SUR LES PÊCHES ET LES MIGRATIONS

Rédigé par leral.net le Jeudi 23 Janvier 2025 à 21:50 | | 0 commentaire(s)|

La mer comme horizon politique du Sénégal : tel est le fil conducteur du nouvel essai d'Abdoul Aziz Diop. S'inspirant de Machiavel, l'auteur livre une analyse novatrice des enjeux de pêche et de migration qui attendent Bassirou Diomaye Faye

Vingt-deux ans après son recueil "Nous avons choisi la République...", Abdoul Aziz Diop revient avec un essai politique ambitieux. Mêlant philosophie machiavélienne et enjeux contemporains, il propose une lecture nouvelle des défis maritimes du Sénégal. Son livre « Migrer comme le poisson… » (L’Harmattan Sénégal, janvier 2025), adressé au président Faye, dessine les contours d'un patriotisme ancré dans la mer. Une réflexion profonde sur l'avenir d'un pays dont le destin est intimement lié à ses espaces maritimes. Ci-après la préface :

Ce livre - au lieu d’une longue lettre ouverte - est une note ouverte bénévole adressée d’abord au président du Sénégal élu le 24 mars 2024 dès le premier tour de scrutin avec 54,28 % des suffrages valablement exprimés. Notre conviction est que le sens de notre démarche sera mieux compris à la suite du rappel de quelques préceptes clés tirés du Le Prince de Nicolas Machiavel (1469-1527). Avec lesdits préceptes doit commencer tout dialogue à distance ou en tête-à-tête avec, en tout temps et en tout lieu, le héros universel du philosophe italien. Bref, les lectrices et les lecteurs comprendront enfin pourquoi conseiller Diomaye sans qu’il l’ait demandé - c’est le cas dans cette note - sur les pêches et les migrations avec lesquelles elles peuvent être positivement corrélées.

Né en 1469 à Florence (Italie), Machiavel rédige, à partir de 1513, Le Prince, qui assure au nom du philosophe sa célébrité universelle. « Le livre, [qui ne fut imprimé qu’en 1532, cinq ans après la mort de Nicolas Machiavel], a été admiré par Napoléon, Lénine, de Gaulle, mais aussi Mussolini. » Le romancier et essayiste Jean Anglade - agrégé d’italien -, soutient que « le scandale a été que ce petit livre ait osé étudier, étaler au grand jour, noir sur blanc, une façon d’être toujours soigneusement enveloppée jusque-là de voiles hypocrites ».

Oscar Morgenstern, cité par Raymond Aron dans une préface au Prince, « déplore que les spécialistes modernes de la science politique n’aient pas soumis les préceptes de Machiavel à une analyse rigoureuse afin de dégager ceux qui, [aujourd’hui encore], gardent (...) une valeur opérationnelle ».

Le trait commun aux princes « machiavéliques » est plutôt le manque de vertu machiavélienne. Celle-ci recouvre « les divers talents physiques et spirituels, que la nature peut donner à un homme ». Elle « correspond alternativement ou tout ensemble à l’intelligence, l’habileté, l’énergie, l’héroïsme ». C’est sans doute cette vertu-là qui détermine, plus que toute autre chose, la manière dont un prince « doit se comporter pour acquérir de l’estime ». Premièrement, un prince vertueux doit « accomplir de grandes entreprises et donner de soi des exemples rares et mémorables ». Deuxièmement, il doit « donner d’insignes exemples de savoir-faire dans les problèmes intérieurs ». Troisièmement, le prince vertueux doit avoir « soin (...) de préserver la majesté de son rang, qui en aucune occasion ne doit être ternie ». Quatrièmement, enfin, il « doit (...) montrer qu’il apprécie les divers talents accordant travail et honneurs à ceux qui s’illustrent le plus en tel ou tel art ».

« (…) On peut juger de la cervelle d’un seigneur rien qu’à voir les gens dont il s’entoure », écrit Nicolas Machiavel. « Quand [les ministres du prince], écrit-il, sont compétents et fidèles, on peut croire à sa sagesse (...) mais s’ils sont le contraire, on peut douter de ce qu’il vaut lui-même (...) » D’aucuns disent qu’un président en exercice est moins fidèle en amitié que l’opposant qu’il fut. C’est que « (...) celui qui cause l’ascension d’un autre se ruine lui-même ; il a pu pour ce faire employer l’habileté ou la force ; mais l’un et l’autre seront ensuite insupportables à celui qui a gagné en puissance ». « Si les hommes qui paraissaient suspects au début du règne d’un prince ont besoin pour se maintenir de l’appui du prince, il pourra très facilement les gagner à sa cause. Ils le serviront alors avec d’autant plus de zèle qu’ils se sentiront plus en devoir d’effacer la mauvaise opinion qu’il avait d’eux en son début. » Ce dernier précepte explique peut-être mieux la façon dont on s’accommode de la transhumance - recrutement d’anciens adversaires -, pour massifier un parti. Mais les transhumants - les nouvelles recrues - se garderaient d’entretenir le président d’autre chose que du pays si ce dernier savait « fuir les flatteurs » qu’ils sont tous devenus. Machiavel exhorte le « prince avisé [à choisir] dans le pays un certain nombre d’hommes sages à qui (...) il permettra de s’exprimer librement, (...) sur les matières de son choix ». « Le prince qui agit autrement est perdu par les flatteurs, on change souvent d’avis, selon le dernier qui a parlé, ce qui ne peut guère lui valoir d’estime. » « Un prince qui manque de sagesse ne sera jamais sagement conseillé », soutient Machiavel. « Les bons conseils, d’où qu’ils viennent, procèdent toujours de la sagesse du prince, et non la sagesse du prince de ces bons conseils », écrit l’auteur de l’« opuscule sur les gouvernements », titre originel du Prince. « Un prince, écrit Machiavel, doit (...) se soucier peu qu’on le traite de ladre, pour n’être point porté à piller ses sujets, pour pouvoir se défendre, pour éviter la pauvreté et le mépris, pour n’être point réduit aux stratagèmes. »

« Une République défendue par ses propres citoyens tombe plus difficilement sous la tyrannie d’un des siens (...) » Pour ne l’avoir pas compris, l’aile radicale du Sopi - changement en ouolof -, déliquescent aurait fait entrer des mercenaires dans le pays sous l’ancien président Abdoulaye Wade. Mais, « les mercenaires, avertit Machiavel, (...) sont inutiles et dangereux, car si [le prince] fonde [son] État sur l’appui de troupes mercenaires, [son] trône restera toujours branlant ». Hier comme aujourd’hui, les mercenaires « acceptent d’appartenir au prince tant que dure la paix, mais sitôt que vient la guerre, ils ne songent qu’à jouer des jambes ».

« Le nombre des "machiavéliques" qui n’ont pas lu un traître mot de Nicolas Machiavel dépasse assurément (...) celui des "marxistes" qui n’ont point lu Karl Marx », commente Jean Anglade. Pour avoir lu Machiavel, l’essayiste camerounais Blaise Alfred Ngando publie l’ouvrage Le Prince Mandela : Essai d’introduction politique à la Renaissance africaine (Maisonneuve & Larose, 2005) « Pour Ngando, le "Prince Mandela" et le "Prince" de Machiavel seraient mus par la même "valeur essentielle" : le patriotisme. » Mais pas n’importe quel patriotisme ! Celui de Ngando ne se résume pas en un « projet » que l’on dit « systémique », « holistique » ou que sais-je encore. Le patriotisme dont il est question ici trouve dans nos 198 000 km² d’espaces maritimes, la continuité territoriale des 196 720 km² sur lesquels sont tracées les voies, encore insuffisantes, voire même insignifiantes, de notre plein épanouissement collectif, le seul susceptible de nous affranchir définitivement de notre déshumanisante dépendance de l’autre à la fois si lointain et si méprisant. Le patriotisme dont il est enfin question ici trouve dans l’incoercible appel de la mer nos raisons objectives de nous accommoder de la belligérance de l’autre dans le débat gagnable du monde avec l’irrépressible opinion - la nôtre -, constitutive de notre double identité sénégalaise et africaine.

Comme le montre son sous-titre, cet opuscule est la note perpétuelle destinée au président en exercice de tous les Sénégalais. Le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye est le premier à l’avoir entre les mains pour en tirer le parti que l’auteur bénévole est en droit d’en attendre. Perpétuelle est la note dès lors que la mer s’invitera jusqu’à la fin des temps dans le débat sénégalo-sénégalais, nécessitant du coup les mises à jour irrévocables à chaque alternance démocratique.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/politique/note-ouverte-su...