Pour Yoro donc, notre démocratie est suffisamment solide pour se passer du délit d’offense au Chef de l’Etat. Il en est si convaincu d’ailleurs qu’il mettrait volontiers dans le broyeur « l’article 80 qui est un attentat juridique contre la liberté d’expression ». Il se conforte dans sa conviction en citant le grand écrivain français Voltaire connu notamment pour cette célèbre déclaration : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » La démocratie, selon Yoro, repose sur ce principe « voltarien » et « va de pair avec le droit de quolibet ». Dans l’affaire dite Sidy Lamine Niasse, poursuit-il, « le pouvoir s’est encore enfermé dans un pari perdant ». Yoro Dia exprime ensuite son total accord avec le Doyen des juges qui a libéré M. Niasse et a sauvé notre pays du ridicule qu’aurait constitué sa condamnation « pour un délit d’opinion qui nous ramènerait au niveau de la Gambie ou de la Corée du Nord ». Bravo Monsieur le Doyen, et merci de nous avoir épargné cette honte !
Voilà donc rapidement résumé « Good Riddance Day 2014 », le premier Bloc-notes de l’année de notre très compétent chroniqueur. J’ai des réserves par rapport à certains points de vue qui y sont développés. En particulier, le cri du cœur de Voltaire n’est pas forcément une vérité absolue. Peut-être même que ça ne l’était pas dans l’entendement du célèbre écrivain français. Peut-être, voulait-il simplement exprimer le grand intérêt qu’il attachait à la liberté d’expression ! Yoro le sait d’ailleurs et n’ignore pas, non plus, le contexte dans lequel vivait Voltaire et les difficultés qu’il rencontrait.
Comme Voltaire, comme Yoro Dia, j’attache un grand prix à la liberté d’expression, un des piliers de la démocratie. Je suis prêt à me battre pour sa protection, puisque j’ai souffert plusieurs fois de sa privation. Dans une démocratie, le droit doit être reconnu aux citoyens d’exprimer librement leurs opinions. Voltaire a raison : nous devons nous battre pour qu’ils aient le droit de les exprimer, même si nous ne sommes pas d’accord avec eux. Cependant, dans cette expression, ils doivent savoir raison garder. Le droit à l’expression ne leur donne pas celui de dire n’importe quoi sur les autres, qui ont eux aussi, le droit au respect de leur honneur, de leur dignité, de leur réputation, de leur vie privée. Je ne me battrai point, pour permettre à un citoyen de porter gratuitement atteinte à ces valeurs individuelles presque sacrées. Ce n’est pas là ma compréhension de la démocratie, de la liberté d’expression. Dans n’importe quelle démocratie, des garde-fous doivent être érigés autour de cette grande conquête pour protéger l’autre. En d’autres termes, la liberté d’expression doit être encadrée.
Pour notre ami Yoro Dia, la démocratie « va de pair avec le droit de quolibet ». Sans doute. Cependant, nous devons nous entendre sur le mot quolibet. Le Petit Larousse illustré le définit ainsi : « Plaisanterie ironique ou injurieuse lancée à quelqu’un, raillerie, sarcasme ». Quolibet, c’est tout cela à la fois. A-t-il la même valeur, la même signification à Washington, à Paris, à Londres, à Dakar ? En France, les Guignols de L’Info se permettent toutes les libertés, y compris celles de tourner en dérision le Christ ou le Pape. Quelle est la télévision ou la radio qui va permettre, au Sénégal, qu’on lance des quolibets à nos saints et/ ou, à plus forte raison, au Prophète Mouhammad (PSL) ou au Christ ? Ce n’est même pas seulement envisageable.
Le chroniqueur de « Nouvel Horizon » trouve en tout cas notre démocratie suffisamment solide pour que nous n’ayons plus besoin de nous encombrer du délit d’offense au Chef de l’Etat et de ce fameux article 80 qu’il jetterait volontiers à la poubelle, plus exactement dans le broyeur. Il est aussi certainement de ceux qui poussent à ce que les peines privatives de libertés soient épargnées aux journalistes dans l’exercice de leur métier. Je ne crois vraiment pas que notre démocratie soit à ce point solide que nous pouvons nous permettre de lâcher ainsi et sans restriction la bride à la liberté d’expression. Il faut mener de pair la promotion de la liberté d’expression et la protection de l’honneur, de la dignité et de la vie privée des paisibles citoyens.
La démocratie est incontestablement devenue une réalité chez nous. Elle est bien là, mais elle n’est pas encore, loin s’en faut, à la hauteur des grandes démocraties de l’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon. Elle traîne encore quelques lacunes, quelques insuffisances. Pour les plus pessimistes d’entre nous, c’est encore une démocratie tropicale. Peut-être pas. Elle a besoin en tout cas, sûrement, d’être consolidée. Elle ne doit pas seulement se mesurer à la liberté d’expression, même si elle en est un pilier solide. Elle s’étend sur un champ beaucoup plus large encore. Nous pouvons en donner quelques illustrations, en interrogeant les événements qui se déroulent sous nos yeux.
Tous les ans, à pareille époque, les Ministres de l’Intérieur, de la Santé et de l’Action sociale, de l’Hydraulique et de l’Assainissement, de l’Energie, le Délégué général à la Solidarité nationale, les chefs de services nationaux, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets et leurs services sont sur le qui-vive. Pour faire plaisir, ils vont jusqu’à prendre des engagements qu’ils sont sûrs de ne pas pouvoir respecter. Ce chemin de croix continue jusqu’au jour J : le Magal et le Gamou. Malgré tous les efforts et les moyens titanesques déployés, les pauvres n’ont pas toujours droit à la reconnaissance, aux remerciements auxquels ils devraient s’attendre. En maints endroits, ils sont au contraire publiquement rabroués, leurs efforts matériels (denrées alimentaires diverses en particulier) et financiers sous-estimés ou carrément boudés. Des délégations sont parfois rejetées sans ménagement, sous prétexte qu’elles ne seraient pas suffisamment étoffées et représentatives. Des personnalités sont déclarées ça et là persona non grata et les médias publics parfois interdits de couverture sur l’ensemble d’un territoire. Dans de nombreux foyers dits religieux, on a entendu des porte-parole, parfois le chef lui-même, dénoncer vigoureusement le fait de n’être pas convenablement traité. « Macky Sall doit mettre les familles religieuses sur un même pied d’égalité », a pesté publiquement l’un d’entre eux.
En recevant une délégation du Pds, un autre chef religieux, et non des moindres, a révélé « (avoir demandé) à Macky Sall de pardonner à Karim Wade, Thierno Ousmane Sy, Aïda Ndiongue, Aziz Diop, Aïdara Sylla… ». Il a ajouté que lorsqu’il a demandé au président Macky Sall de pardonner à ceux qui sont en prison, ce dernier lui a demandé de « lui laisser le temps de chercher quelque chose ». Devant le président Macky Sall, il a réitéré la même demande de libérer Karim et Cie. A la place du président Sall, je lui aurais répondu ceci : « Seriñ bi maa ngi jègglu, waaye du man maay tëj, du man maay tijji. Loolu liggèeyu yoon la, te yoona ngi ci. »
Ces faits qui viennent d’être relatés sont-ils compatibles avec une grande démocratie, avec une démocratie suffisamment solide pour se passer de certains délits ? Les ministres, les directeurs de services nationaux, les gouverneurs et de nombreux autres incarnent quand même les institutions de la République qui ont droit au respect ! Il est vrai que, comme le dit l’adage, wuude, na mu la jise rek la lay ëwële. Notre démocratie dite majeure, solide, ne devrait surtout pas s’accommoder de cette curieuse demande adressée au président de la République de « libérer Karim Wade et Cie » ni, par ailleurs, de la réponse du président qui aurait demandé qu’on « lui laisse le temps de chercher quelque chose ». Ce chef religieux connaît-il le dossier de ceux dont il demande la libération ? S’il le connaît, cela pose problème car on se demanderait comment il a fait pour y accéder. S’il ne le connaît pas, c’est encore problématique : comment peut-on demander la libération de quelqu’un dont on ne sait rien du dossier ?
Cette demande du chef religieux est donc manifestement irrespectueuse vis-à-vis à la fois du président de la République et de l’Institution qu’il incarne, de la Justice, de la démocratie et des pauvres citoyens surtout qui ont été délestés de centaines, voire de milliers de milliards de francs Cfa dont ils ont pourtant tant besoin ! Comment peut-on se permettre de demander la libération pure et simple de gens comme Ndeye Khady Guèye, Aïda Ndiongue et Cie, Baïla Wane, Karim Wade et les autres ? Le vol, la corruption, la concussion, la fraude et autres délits de faux et usage de faux trouvent-ils désormais grâce dans l’Islam ? Demander la libération de tels individus et fermer les yeux et les oreilles sur les pauvres voleurs de poules, de chèvres et de portables qui croupissent depuis de longues années en prison, cela pose vraiment problème ! Cette demande est, finalement, inacceptable en démocratie, surtout dans une démocratie qui se veut aussi solide que la nôtre. Une telle demande ne sortira de la bouche d’aucun évêque, d’aucun archevêque d’un pays de grande démocratie.
S’y ajoute l’injonction surprenante du Secrétaire de la Raddho qu’ « on juge Karim ou qu’on le libère » ! A quel titre s’adresse-t-il ainsi à la Justice ? Pourquoi ne fait-il pas la même injonction en faveur des centaines d’autres détenus qui attendent d’être jugés depuis de nombreuses années ? Le droit des « grands » hommes est-il en train de prendre le pas sur celui des « petits » hommes ?
Pour aller un peu plus loin, je rappelle à notre ami Yoro Dia que notre pays regorge de jeunes talents de toutes catégories, compétents, expérimentés, entreprenants, de bonne moralité. Ces seuls atouts ne leur permettent pourtant pas d’accéder à certaines fonctions stratégiques. Alors que de nombreux autres compatriotes, bien moins compétents, y accèdent allègrement s’ils sont membres du parti gouvernemental, de la majorité présidentielle, de l’entourage immédiat du président de la République ou parrainés par un grand chef religieux. Une démocratie majeure, solide s’accommode-t-elle d’une telle discrimination ?
J’ai écouté intégralement, sûrement Yoro Dia aussi, la conférence de presse du président Hollande du 14 janvier 2014. Le président de la République et les journalistes connaissaient parfaitement leurs dossiers. L’atmosphère était propice à un travail de réflexion de ce genre : pas de présences massives et encombrantes de militants criant à tue-tête, pas d’applaudissements à tout rompre, pas de questions qui se soucient de plaire. La première question a été posée par le président de l’Association des journalistes accrédités à l’Elysée. Elle a porté sur cette affaire très gênante pour le président de la République révélée par le Magazine Closer. Cette liberté est inimaginable au Sénégal, avec les journalistes qui gravitent autour de la présidence de la République. Ce jour-là, à l’Elysée, il n’y avait pas des Mohamed Gassama et des Papa Birame Bigué Ndiaye.
J’aurais pu prendre, pour illustrer les lacunes, les insuffisances de notre démocratie, de nombreux autres exemples dans le fonctionnement de nos institutions, notamment de l’Assemblée nationale comme des médias de service public. Une démocratie, c’est quelque chose de très sérieux. Si j’étais président de la République du Sénégal – ce qui n’arrivera sûrement jamais –, je mettrais immédiatement fin à certaines traditions. Chez nous, quand le président de la République se rend en Gambie, au Mali, en Guinée Conakry ou en Mauritanie qui sont à nos portes, la République, toute la République se déplace pour aller le saluer à l’Aéroport, et pour revenir le saluer à son retour, parfois dans la même journée. C’est quoi même ça ?
J’éviterais aussi de me faire recevoir, en grande pompe par de fortes colonies sénégalaises, chaque fois que je me déplace en Afrique ou ailleurs, surtout s’il faut les faire venir à grands frais dans des cars, des trains, voire des avions. Ces accueils souvent folkloriques et politiciens ne laissent pas une impression de sérieux. Je considère que toutes ces traditions, qui sont anciennes dans notre pays mais qui se sont amplifiées depuis avril 2000, ne sont pas le signe d’une démocratie majeure.
Je vois d’ores et déjà pointer à l’horizon de vives critiques, dont celle que j’aurais le complexe des blancs. Ce sentiment ne m’habite jamais. Je suis régulièrement, à travers les médias, et à de hauts niveaux, des prestations de nos cousins français. Il m’arrive alors, souvent d’être fier, parce que je n’ai vraiment rien à leur envier. Sinon qu’ils travaillent mieux et plus que nous. Je n’ai aucune honte à reconnaître que je les admire quand ils mobilisent 1300 TGV, le temps d’un week-end pendant que, 53 ans après l’indépendance, nous n’avons que notre petit train bleu. Il m’est arrivé, dans ce texte, de louer les grandes démocraties occidentales. Le faisant, je souhaite, dans mon for intérieur, que nous nous hissions à leur hauteur. Nous pouvons bien y arriver, puisque nous en avons les moyens. Ce qui nous manque, c’est la volonté, peut-être l’organisation et la méthode. Ce qui n’est quand même pas rien !
Dakar, le 15 janvier 2014
Mody Niang
mail : modyniang@arc.sn
Voilà donc rapidement résumé « Good Riddance Day 2014 », le premier Bloc-notes de l’année de notre très compétent chroniqueur. J’ai des réserves par rapport à certains points de vue qui y sont développés. En particulier, le cri du cœur de Voltaire n’est pas forcément une vérité absolue. Peut-être même que ça ne l’était pas dans l’entendement du célèbre écrivain français. Peut-être, voulait-il simplement exprimer le grand intérêt qu’il attachait à la liberté d’expression ! Yoro le sait d’ailleurs et n’ignore pas, non plus, le contexte dans lequel vivait Voltaire et les difficultés qu’il rencontrait.
Comme Voltaire, comme Yoro Dia, j’attache un grand prix à la liberté d’expression, un des piliers de la démocratie. Je suis prêt à me battre pour sa protection, puisque j’ai souffert plusieurs fois de sa privation. Dans une démocratie, le droit doit être reconnu aux citoyens d’exprimer librement leurs opinions. Voltaire a raison : nous devons nous battre pour qu’ils aient le droit de les exprimer, même si nous ne sommes pas d’accord avec eux. Cependant, dans cette expression, ils doivent savoir raison garder. Le droit à l’expression ne leur donne pas celui de dire n’importe quoi sur les autres, qui ont eux aussi, le droit au respect de leur honneur, de leur dignité, de leur réputation, de leur vie privée. Je ne me battrai point, pour permettre à un citoyen de porter gratuitement atteinte à ces valeurs individuelles presque sacrées. Ce n’est pas là ma compréhension de la démocratie, de la liberté d’expression. Dans n’importe quelle démocratie, des garde-fous doivent être érigés autour de cette grande conquête pour protéger l’autre. En d’autres termes, la liberté d’expression doit être encadrée.
Pour notre ami Yoro Dia, la démocratie « va de pair avec le droit de quolibet ». Sans doute. Cependant, nous devons nous entendre sur le mot quolibet. Le Petit Larousse illustré le définit ainsi : « Plaisanterie ironique ou injurieuse lancée à quelqu’un, raillerie, sarcasme ». Quolibet, c’est tout cela à la fois. A-t-il la même valeur, la même signification à Washington, à Paris, à Londres, à Dakar ? En France, les Guignols de L’Info se permettent toutes les libertés, y compris celles de tourner en dérision le Christ ou le Pape. Quelle est la télévision ou la radio qui va permettre, au Sénégal, qu’on lance des quolibets à nos saints et/ ou, à plus forte raison, au Prophète Mouhammad (PSL) ou au Christ ? Ce n’est même pas seulement envisageable.
Le chroniqueur de « Nouvel Horizon » trouve en tout cas notre démocratie suffisamment solide pour que nous n’ayons plus besoin de nous encombrer du délit d’offense au Chef de l’Etat et de ce fameux article 80 qu’il jetterait volontiers à la poubelle, plus exactement dans le broyeur. Il est aussi certainement de ceux qui poussent à ce que les peines privatives de libertés soient épargnées aux journalistes dans l’exercice de leur métier. Je ne crois vraiment pas que notre démocratie soit à ce point solide que nous pouvons nous permettre de lâcher ainsi et sans restriction la bride à la liberté d’expression. Il faut mener de pair la promotion de la liberté d’expression et la protection de l’honneur, de la dignité et de la vie privée des paisibles citoyens.
La démocratie est incontestablement devenue une réalité chez nous. Elle est bien là, mais elle n’est pas encore, loin s’en faut, à la hauteur des grandes démocraties de l’Amérique du Nord, d’Europe et du Japon. Elle traîne encore quelques lacunes, quelques insuffisances. Pour les plus pessimistes d’entre nous, c’est encore une démocratie tropicale. Peut-être pas. Elle a besoin en tout cas, sûrement, d’être consolidée. Elle ne doit pas seulement se mesurer à la liberté d’expression, même si elle en est un pilier solide. Elle s’étend sur un champ beaucoup plus large encore. Nous pouvons en donner quelques illustrations, en interrogeant les événements qui se déroulent sous nos yeux.
Tous les ans, à pareille époque, les Ministres de l’Intérieur, de la Santé et de l’Action sociale, de l’Hydraulique et de l’Assainissement, de l’Energie, le Délégué général à la Solidarité nationale, les chefs de services nationaux, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets et leurs services sont sur le qui-vive. Pour faire plaisir, ils vont jusqu’à prendre des engagements qu’ils sont sûrs de ne pas pouvoir respecter. Ce chemin de croix continue jusqu’au jour J : le Magal et le Gamou. Malgré tous les efforts et les moyens titanesques déployés, les pauvres n’ont pas toujours droit à la reconnaissance, aux remerciements auxquels ils devraient s’attendre. En maints endroits, ils sont au contraire publiquement rabroués, leurs efforts matériels (denrées alimentaires diverses en particulier) et financiers sous-estimés ou carrément boudés. Des délégations sont parfois rejetées sans ménagement, sous prétexte qu’elles ne seraient pas suffisamment étoffées et représentatives. Des personnalités sont déclarées ça et là persona non grata et les médias publics parfois interdits de couverture sur l’ensemble d’un territoire. Dans de nombreux foyers dits religieux, on a entendu des porte-parole, parfois le chef lui-même, dénoncer vigoureusement le fait de n’être pas convenablement traité. « Macky Sall doit mettre les familles religieuses sur un même pied d’égalité », a pesté publiquement l’un d’entre eux.
En recevant une délégation du Pds, un autre chef religieux, et non des moindres, a révélé « (avoir demandé) à Macky Sall de pardonner à Karim Wade, Thierno Ousmane Sy, Aïda Ndiongue, Aziz Diop, Aïdara Sylla… ». Il a ajouté que lorsqu’il a demandé au président Macky Sall de pardonner à ceux qui sont en prison, ce dernier lui a demandé de « lui laisser le temps de chercher quelque chose ». Devant le président Macky Sall, il a réitéré la même demande de libérer Karim et Cie. A la place du président Sall, je lui aurais répondu ceci : « Seriñ bi maa ngi jègglu, waaye du man maay tëj, du man maay tijji. Loolu liggèeyu yoon la, te yoona ngi ci. »
Ces faits qui viennent d’être relatés sont-ils compatibles avec une grande démocratie, avec une démocratie suffisamment solide pour se passer de certains délits ? Les ministres, les directeurs de services nationaux, les gouverneurs et de nombreux autres incarnent quand même les institutions de la République qui ont droit au respect ! Il est vrai que, comme le dit l’adage, wuude, na mu la jise rek la lay ëwële. Notre démocratie dite majeure, solide, ne devrait surtout pas s’accommoder de cette curieuse demande adressée au président de la République de « libérer Karim Wade et Cie » ni, par ailleurs, de la réponse du président qui aurait demandé qu’on « lui laisse le temps de chercher quelque chose ». Ce chef religieux connaît-il le dossier de ceux dont il demande la libération ? S’il le connaît, cela pose problème car on se demanderait comment il a fait pour y accéder. S’il ne le connaît pas, c’est encore problématique : comment peut-on demander la libération de quelqu’un dont on ne sait rien du dossier ?
Cette demande du chef religieux est donc manifestement irrespectueuse vis-à-vis à la fois du président de la République et de l’Institution qu’il incarne, de la Justice, de la démocratie et des pauvres citoyens surtout qui ont été délestés de centaines, voire de milliers de milliards de francs Cfa dont ils ont pourtant tant besoin ! Comment peut-on se permettre de demander la libération pure et simple de gens comme Ndeye Khady Guèye, Aïda Ndiongue et Cie, Baïla Wane, Karim Wade et les autres ? Le vol, la corruption, la concussion, la fraude et autres délits de faux et usage de faux trouvent-ils désormais grâce dans l’Islam ? Demander la libération de tels individus et fermer les yeux et les oreilles sur les pauvres voleurs de poules, de chèvres et de portables qui croupissent depuis de longues années en prison, cela pose vraiment problème ! Cette demande est, finalement, inacceptable en démocratie, surtout dans une démocratie qui se veut aussi solide que la nôtre. Une telle demande ne sortira de la bouche d’aucun évêque, d’aucun archevêque d’un pays de grande démocratie.
S’y ajoute l’injonction surprenante du Secrétaire de la Raddho qu’ « on juge Karim ou qu’on le libère » ! A quel titre s’adresse-t-il ainsi à la Justice ? Pourquoi ne fait-il pas la même injonction en faveur des centaines d’autres détenus qui attendent d’être jugés depuis de nombreuses années ? Le droit des « grands » hommes est-il en train de prendre le pas sur celui des « petits » hommes ?
Pour aller un peu plus loin, je rappelle à notre ami Yoro Dia que notre pays regorge de jeunes talents de toutes catégories, compétents, expérimentés, entreprenants, de bonne moralité. Ces seuls atouts ne leur permettent pourtant pas d’accéder à certaines fonctions stratégiques. Alors que de nombreux autres compatriotes, bien moins compétents, y accèdent allègrement s’ils sont membres du parti gouvernemental, de la majorité présidentielle, de l’entourage immédiat du président de la République ou parrainés par un grand chef religieux. Une démocratie majeure, solide s’accommode-t-elle d’une telle discrimination ?
J’ai écouté intégralement, sûrement Yoro Dia aussi, la conférence de presse du président Hollande du 14 janvier 2014. Le président de la République et les journalistes connaissaient parfaitement leurs dossiers. L’atmosphère était propice à un travail de réflexion de ce genre : pas de présences massives et encombrantes de militants criant à tue-tête, pas d’applaudissements à tout rompre, pas de questions qui se soucient de plaire. La première question a été posée par le président de l’Association des journalistes accrédités à l’Elysée. Elle a porté sur cette affaire très gênante pour le président de la République révélée par le Magazine Closer. Cette liberté est inimaginable au Sénégal, avec les journalistes qui gravitent autour de la présidence de la République. Ce jour-là, à l’Elysée, il n’y avait pas des Mohamed Gassama et des Papa Birame Bigué Ndiaye.
J’aurais pu prendre, pour illustrer les lacunes, les insuffisances de notre démocratie, de nombreux autres exemples dans le fonctionnement de nos institutions, notamment de l’Assemblée nationale comme des médias de service public. Une démocratie, c’est quelque chose de très sérieux. Si j’étais président de la République du Sénégal – ce qui n’arrivera sûrement jamais –, je mettrais immédiatement fin à certaines traditions. Chez nous, quand le président de la République se rend en Gambie, au Mali, en Guinée Conakry ou en Mauritanie qui sont à nos portes, la République, toute la République se déplace pour aller le saluer à l’Aéroport, et pour revenir le saluer à son retour, parfois dans la même journée. C’est quoi même ça ?
J’éviterais aussi de me faire recevoir, en grande pompe par de fortes colonies sénégalaises, chaque fois que je me déplace en Afrique ou ailleurs, surtout s’il faut les faire venir à grands frais dans des cars, des trains, voire des avions. Ces accueils souvent folkloriques et politiciens ne laissent pas une impression de sérieux. Je considère que toutes ces traditions, qui sont anciennes dans notre pays mais qui se sont amplifiées depuis avril 2000, ne sont pas le signe d’une démocratie majeure.
Je vois d’ores et déjà pointer à l’horizon de vives critiques, dont celle que j’aurais le complexe des blancs. Ce sentiment ne m’habite jamais. Je suis régulièrement, à travers les médias, et à de hauts niveaux, des prestations de nos cousins français. Il m’arrive alors, souvent d’être fier, parce que je n’ai vraiment rien à leur envier. Sinon qu’ils travaillent mieux et plus que nous. Je n’ai aucune honte à reconnaître que je les admire quand ils mobilisent 1300 TGV, le temps d’un week-end pendant que, 53 ans après l’indépendance, nous n’avons que notre petit train bleu. Il m’est arrivé, dans ce texte, de louer les grandes démocraties occidentales. Le faisant, je souhaite, dans mon for intérieur, que nous nous hissions à leur hauteur. Nous pouvons bien y arriver, puisque nous en avons les moyens. Ce qui nous manque, c’est la volonté, peut-être l’organisation et la méthode. Ce qui n’est quand même pas rien !
Dakar, le 15 janvier 2014
Mody Niang
mail : modyniang@arc.sn