L'invalidation de l'Assemblée égyptienne constitue-t-elle l'acte fondateur, soixante ans tout juste après l'arrivée au pouvoir des «officiers libres», d'un nouveau coup d'État militaire? Ou bien plutôt le dernier épisode en date du bras de fer qui oppose depuis plusieurs mois le Conseil suprême des forces armées (CSFA), en charge de la transition, aux Frères musulmans, principale force politique de l'Égypte post-Moubarak?
Quoi qu'il advienne dans les prochains jours, l'armée martèlera sans doute qu'elle n'a eu de cesse, depuis le soulèvement de la place Tahrir et le renversement du raïs, le 11 février 2011, de protéger la révolution et d'organiser la transition vers un régime démocratique. Elle rappellera que sa «feuille de route» prévoyant un calendrier électoral et la mise en place d'un comité chargé de rédiger la Constitution, a été largement validée par le peuple le 19 mars 2011. Elle soulignera enfin que les partis politiques, mal organisés et englués dans leurs querelles pour le pouvoir, ne se sont pas toujours montrés à la hauteur de l'enjeu.
Des «amendements supraconstitutionnels»
Confronté à la pression croissante des révolutionnaires laïcs ainsi qu'à l'opposition de plus en plus explicite des Frères musulmans, le CSFA n'en est d'ailleurs pas à sa première tentative de «coup de force» institutionnel. Les généraux, qui prévoyaient initialement de remettre leur pouvoir aux civils au bout de six mois, ont déjà repoussé à plusieurs reprises la date de leur retour dans les casernes.
Au printemps 2011, ils ont également tenté de faire adopter des «amendements supraconstitutionnels» sanctuarisant certaines de leurs prérogatives - avant de renoncer sous la pression de la rue. Plus récemment, ils ont adressé une menace à peine voilée aux Frères musulmans en les invitant à «ne pas oublier les leçons du passé». Une référence évidente à la brutale répression dont l'organisation a été la cible après la tentative d'assassinat manquée contre Gamal Abdel Nasser, en 1954.
Confrontation de plus en plus directe
Malgré ces signaux inquiétants, la plupart des observateurs excluaient encore récemment un coup de force de l'armée, jugeant les chefs du CSFA mal à l'aise avec la gestion quotidienne du pays et impatients de transférer leurs pouvoirs aux civils. Mais il n'est pas impossible qu'ils aient fini par changer d'avis, irrités par une confrontation de plus en plus directe et conflictuelle avec les Frères musulmans.
Mercredi, alors que l'Égypte attendait le verdict de la Cour constitutionnelle, le gouvernement a peut-être discrètement ouvert la voie à une reprise en main par le CSFA. Le ministre de la Justice a en effet publié un décret autorisant les officiers du renseignement militaire et de la police militaire à interpeller des civils qui troubleraient l'ordre public ou porteraient atteinte au droit du travail.
Cette décision, qui intervient quelques semaines seulement après la levée de la loi martiale en vigueur depuis trente ans, a scandalisé la plupart des révolutionnaires. «C'est une façon de ressusciter l'état d'urgence sous un autre nom», s'est indigné le député libéral Amr Hamzawi. À moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle péripétie de l'épreuve de force entre les militaires et les islamistes.
Par Cyrille Louis
Quoi qu'il advienne dans les prochains jours, l'armée martèlera sans doute qu'elle n'a eu de cesse, depuis le soulèvement de la place Tahrir et le renversement du raïs, le 11 février 2011, de protéger la révolution et d'organiser la transition vers un régime démocratique. Elle rappellera que sa «feuille de route» prévoyant un calendrier électoral et la mise en place d'un comité chargé de rédiger la Constitution, a été largement validée par le peuple le 19 mars 2011. Elle soulignera enfin que les partis politiques, mal organisés et englués dans leurs querelles pour le pouvoir, ne se sont pas toujours montrés à la hauteur de l'enjeu.
Des «amendements supraconstitutionnels»
Confronté à la pression croissante des révolutionnaires laïcs ainsi qu'à l'opposition de plus en plus explicite des Frères musulmans, le CSFA n'en est d'ailleurs pas à sa première tentative de «coup de force» institutionnel. Les généraux, qui prévoyaient initialement de remettre leur pouvoir aux civils au bout de six mois, ont déjà repoussé à plusieurs reprises la date de leur retour dans les casernes.
Au printemps 2011, ils ont également tenté de faire adopter des «amendements supraconstitutionnels» sanctuarisant certaines de leurs prérogatives - avant de renoncer sous la pression de la rue. Plus récemment, ils ont adressé une menace à peine voilée aux Frères musulmans en les invitant à «ne pas oublier les leçons du passé». Une référence évidente à la brutale répression dont l'organisation a été la cible après la tentative d'assassinat manquée contre Gamal Abdel Nasser, en 1954.
Confrontation de plus en plus directe
Malgré ces signaux inquiétants, la plupart des observateurs excluaient encore récemment un coup de force de l'armée, jugeant les chefs du CSFA mal à l'aise avec la gestion quotidienne du pays et impatients de transférer leurs pouvoirs aux civils. Mais il n'est pas impossible qu'ils aient fini par changer d'avis, irrités par une confrontation de plus en plus directe et conflictuelle avec les Frères musulmans.
Mercredi, alors que l'Égypte attendait le verdict de la Cour constitutionnelle, le gouvernement a peut-être discrètement ouvert la voie à une reprise en main par le CSFA. Le ministre de la Justice a en effet publié un décret autorisant les officiers du renseignement militaire et de la police militaire à interpeller des civils qui troubleraient l'ordre public ou porteraient atteinte au droit du travail.
Cette décision, qui intervient quelques semaines seulement après la levée de la loi martiale en vigueur depuis trente ans, a scandalisé la plupart des révolutionnaires. «C'est une façon de ressusciter l'état d'urgence sous un autre nom», s'est indigné le député libéral Amr Hamzawi. À moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle péripétie de l'épreuve de force entre les militaires et les islamistes.
Par Cyrille Louis