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PROPOSITION POUR LA FORMALISATION DES CONDUCTEURS DE MOTOS JAKARTA

Rédigé par leral.net le Mercredi 22 Janvier 2025 à 01:22 | | 0 commentaire(s)|

EXCLUSIF SENEPLUS - Le statut d'entreprenant, pierre angulaire de cette stratégie, permettrait aux conducteurs d'accéder à la formalité sans frais initiaux tout en bénéficiant d'une reconnaissance légale de leur activité

Un secteur informel en pleine expansion

La formalisation des conducteurs de motos taxis et livreurs, communément appelés "Jakarta", est devenue un enjeu crucial et urgent au Sénégal. Les récentes décisions étatiques exigeant une mise en conformité ont exacerbé les tensions dans un secteur qui, bien qu’informel, joue un rôle vital dans l’économie. Ce problème n’est pas nouveau. Déjà sous un précédent régime, des tentatives de régulation avaient provoqué une forte opposition malgré les efforts pour simplifier les démarches et alléger les coûts. Cette situation a permis au phénomène des motos Jakarta de prospérer de manière incontrôlée et les risques de sécurité publique deviennent plus importants.

Ces tensions soulignent l'importance de solutions inclusives et durables pour intégrer ces acteurs dans le cadre légal et économique formel et de traiter cette question structurelles en dehors de toutes considerations politiciennes partisanes. Ce défi s'inscrit dans une dynamique plus large visant à moderniser l'économie et à répondre à la problématique de l'emploi des jeunes, particulièrement marquée par une forte dépendance au secteur informel. En 2016, 97 % des unités économiques étaient informelles, contribuant à 54 % du PIB national, mais affichant une faible productivité et une couverture sociale quasi inexistant

Le succès de ce mode de transport repose sur une forte demande de mobilité rapide, des trajets courts et à bas coût et sur des besoins croissants en livraison, notamment grâce à l’essor du e-commerce. En parallèle, l’offre est alimentée par une main-d’œuvre abondante composée de jeunes sans emploi qui arrivent de plus en plans nombreux sur le marché, d’étudiants et d’autres individus cherchant à accumuler des revenus pour divers objectifs, pour un métier peu exigeant en qualification et avec presque pas de barrières d’entrée. On estime qu’entre 300 000 et 400 000 personnes travaillent dans ce secteur et ce chiffre risque de croitre d’avantage et plus rapidement que prévu.

Défis et enjeux de la formalisation des motos jakarta

Bien que tout le monde s'accorde sur l'importance de réguler l'activité, notamment par l'obtention de documents administratifs et l'immatriculation des motos, plusieurs obstacles majeurs continuent de constituer de fortes barrières si l’on se réfère aux déclarations des acteurs.

Le premier obstacle réside dans le coût élevé des procédures et les contraintes financières qu'elles imposent. Les frais administratifs sont jugés prohibitifs, d'autant plus qu'ils doivent être réglés en une seule fois, ce qui constitue un défi pour des acteurs dont les revenus, souvent modestes et instables, dépendent d'une activité quotidienne.

Ensuite, la complexité des démarches représente un frein significatif. Les étapes à suivre, souvent longues et exigeantes en termes de temps et de ressources, découragent de nombreux individus qui peinent déjà à répondre aux besoins immédiats de leur quotidien.

Enfin, l'achat informel des motos constitue un autre obstacle de taille. Beaucoup de ces véhicules, acquis sans documents officiels, rendent difficile la présentation de preuves de propriété, (avec des soupçons que certains ont fait l’objet de vols), ce qui complique davantage leur intégration dans un cadre formel.

Ces défis appellent des réponses structurelles, intelligentes et pérennes. Des solutions ponctuelles ou conjoncturelles ne suffiront pas à surmonter ces obstacles profondément enracinés. Une approche globale et adaptée est nécessaire pour favoriser une régulation effective et inclusive de ce secteur dans un climat de sérénité.

Une approche structurelle via le statut d’entreprenant

Conceptuellement, les conducteurs de motos Jakarta sont des autoentrepreneurs. Ils travaillent pour leur propre compte, génèrent leurs revenus directement à partir de leur activité et, dans la majorité des cas, possèdent leur outil de travail. Même lorsqu’ils ne sont pas propriétaires, ils ne sont pas des salariés au sens classique, mais partagent les recettes avec les propriétaires des motos. Cette situation les positionne naturellement dans la catégorie des autoentrepreneurs, tels que définis par la loi d’orientation sur les PME et le cadre OHADA.

Le statut d’Entreprenant, introduit par l’Acte Uniforme de l’OHADA et renforcé par le cadre légal national (loi d’orientation n°2020-02 sur les PME et le décret n°2022-1190 du 03 juin 2022 portant statut de l’entreprenant), constitue une opportunité pour formaliser les conducteurs de motos Jakarta. Ce statut, destiné aux entrepreneurs individuels travaillant pour leurs propres comptes, offre une procédure simple et accessible

Caractéristiques du statut d’entreprenant

Le statut d'entreprenant se distingue par sa simplicité et son accessibilité. Toute personne physique majeure peut y prétendre par une simple déclaration, sans frais, à condition de présenter une pièce d’identité et des informations de base sur son activité. Ce statut offre des plafonds de chiffre d’affaires annuels adaptés, variant entre 30 et 60 millions de FCFA selon le type d’activité exercée. Une carte d’Entreprenant est alors délivrée, valable pour une durée de trois ans et renouvelable.

Ce statut garantit également la reconnaissance formelle de l’activité, permettant à ses bénéficiaires de sortir de l’informalité. En parallèle, il ouvre l’accès à des mesures d’accompagnement, incluant des incitations spécifiques, dont la définition est encore en cours.

Cependant, ce statut implique certaines obligations. Les bénéficiaires doivent tenir une comptabilité simplifiée et se conformer aux réglementations sectorielles, notamment en matière de licences pour des activités spécifiques comme le transport. Ces exigences visent à assurer la viabilité et la conformité des activités déclarées tout en favorisant leur développement.

Propositions de mesures opérationnelles

Pour lever les blocages actuels et encourager la formalisation des conducteurs de motos, les mesures suivantes sont préconisées :

Encourager l’enregistrement des conducteurs de motos Jakarta au statut d’entreprenant :

Pour encourager les conducteurs de motos à adhérer au statut d’Entreprenant, plusieurs mesures stratégiques peuvent être mises en œuvre :

D’abord, il est essentiel de faciliter la procédure de déclaration. En collaboration avec les greffes du ministère de la Justice, des guichets uniques mobiles pourraient être déployés pour faciliter les inscriptions directement sur le terrain. Cette approche rapprocherait le service des bénéficiaires et réduirait les obstacles logistiques et administratifs.

Ensuite, une campagne de sensibilisation ciblée devrait être menée pour mettre en avant les avantages du statut notamment l’accès au crédit, la protection sociale et des opportunités d’accompagnement entrepreneurial. Ce travail de sensibilisation, réalisé en partenariat avec les associations de conducteurs de motos, permettrait de mieux informer ces derniers sur les bénéfices concrets de la formalisation.

Enfin, la mise en place d’un dispositif spécifique au sein de la Direction de l’Encadrement et de la Transformation des Entreprises Informelles, relevant du Ministère du Tourisme et de l’Artisanat, serait cruciale. Ce dispositif en intelligence avec le ministère en charge du transport, serait chargé de soutenir et d’encadrer les associations de conducteurs. Il pourrait également faciliter la mise en place d’équipes d’assistance dédiées, aidant les membres à accomplir les démarches nécessaires pour accéder au statut d’Entreprenant. Une telle initiative renforcerait la proximité et l’efficacité des services proposés.

Mise en place de financements adaptés

Pour soutenir les conducteurs de motos dans leur transition vers la formalisation, des actions concertées avec le ministère en charge de l'Économie Sociale et Solidaire (ESS) pourraient être mises en place. Une première initiative consisterait à mobiliser les institutions de microfinance (IMF) pour leur accorder des crédits dédiés, inspirés des nanocrédits de la DER-FJ. Ces financements permettraient de couvrir les frais liés à l’immatriculation, les plaques, les licences, les assurances, et autres démarches administratives nécessaires.

Pour rendre ces crédits accessibles et adaptés aux réalités économiques des bénéficiaires, des modalités de remboursement flexibles seraient proposées. Cela inclurait des échéanciers souples, avec des paiements journaliers ou hebdomadaires, étalés sur une période de 6 à 12 mois. Ces conditions tiendraient compte des habitudes de cotisation déjà pratiquées par les conducteurs dans leurs garages, facilitant ainsi une intégration progressive au processus de formalisation sans alourdir leurs charges financières immédiates. Cette approche inclusive renforcerait leur capacité à s’organiser et à évoluer dans un cadre économique plus stable, plus serein et plus structuré.

Perspectives de développement post-formalisation

La formalisation des conducteurs de motos ouvre la voie à de nouvelles opportunités de développement économique et social, tout en renforçant leur inclusion dans un cadre structuré et sécurisé. Au-delà des étapes initiales d’enregistrement et de mise en conformité, il est crucial d’explorer des mécanismes qui permettent de maximiser les bénéfices de cette transition. C’est le meilleur moyen d’avoir leur adhésion

Les perspectives préconisées visent non seulement à améliorer les conditions de travail des conducteurs, mais aussi à stimuler leur contribution à l’économie locale et à renforcer leur résilience face aux aléas sociaux et économiques.

Pour promouvoir l’inclusion financière et le développement durable des conducteurs de motos, plusieurs mesures stratégiques peuvent être mises en œuvre. D’abord, l’ouverture de comptes bancaires serait encouragée pour une gestion transparente des revenus et une tenue simplifiée de la comptabilité. Cette initiative renforcerait la capacité des conducteurs à gérer efficacement leurs finances tout en facilitant leur accès à des services financiers formels.

En parallèle, des opportunités d’accès au crédit seraient offertes pour financer des investissements essentiels. Ces crédits pourraient couvrir le renouvellement ou l’acquisition de motos, notamment en soutenant la transition vers des modèles électriques, ainsi que l’achat d’équipements divers et la consommation de base. La protection sociale serait également intégrée de manière progressive en liant le paiement des cotisations sociales aux crédits octroyés. Ce mécanisme assurerait une meilleure couverture sociale, incluant l’assurance maladie, pour les conducteurs et leurs familles. Enfin, un appui spécifique serait apporté aux conducteurs pour les aider à créer et à structurer des sociétés coopératives. Ces coopératives seraient en mesure de mettre en place des centrales d’achat pour réduire les coûts liés aux équipements, ainsi que des unités de production de plaques d’immatriculation. Cette perspective renforcerait leur pouvoir économique et leur autonomie.

Gouvernance et suivi pour une formalisation durable

Pour garantir le succès de la formalisation des conducteurs de motos, il est essentiel de mettre en place des mécanismes de gouvernance solides et inclusifs, ainsi que des outils de suivi et d’évaluation performants pour coordonner les efforts entre les différents acteurs impliqués et de mesurer l’impact économique et social des initiatives engagées.

Une première mesure clé consiste à créer un comité national chargé de la mise en œuvre sur le terrain des mesures préconisées. Ce comité, composé des ministères concernés (en charge de l’Économie Sociale et Solidaire, de la formalisation, des PME et du transport, entre autres), des associations de conducteurs, des collectivités territoriales aurait pour mission de piloter les actions stratégiques, d'assurer leur cohérence et d’évaluer leur pertinence. 

Par ailleurs, il est crucial de renforcer le comité existant de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre du statut de l’Entreprenant pour superviser cette initiative et l’inscrire dans sa feuille de route. En collaboration étroite avec les partenaires techniques et financiers, ce comité pourrait intégrer des indicateurs de performance spécifiques et favoriser des retours réguliers sur l’évolution du processus. Cela permettrait d’adapter les stratégies en temps réel et de garantir que les objectifs initiaux, tels que l’inclusion financière, la protection sociale et le développement entrepreneurial, soient effectivement atteints.

Transformer une crise en opportunité

La situation des conducteurs de motos Jakarta ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte, une crise, une menace à la paix sociale et la sécurité par les gouvernants, un risque par les travailleurs mais comme une opportunité stratégique. Ce secteur constitue une illustration concrète des mutations de l’emploi au Sénégal et des opportunités qu’offre la transition vers une économie plus inclusive et structurée.

​La formalisation des conducteurs de motos Jakarta représente donc une opportunité stratégique pour transformer un secteur informel dynamique mais vulnérable en un moteur de développement économique durable. En intégrant ces travailleurs au cadre du statut d’entreprenant, le Sénégal peut non seulement améliorer la régulation du secteur du transport et la sécurité, mais aussi promouvoir l'inclusion financière, sociale, et économique d’une couche importante de la population. Cette démarche s'inscrit dans une stratégie nationale visant à moderniser l'économie informelle, renforcer la protection sociale et créer des emplois décents pour les jeunes.

Cette démarche peut également servir de modèle pour d’autres initiatives visant à intégrer les travailleurs informels dans le secteur formel, tout en promouvant un cadre favorable au développement de l’entrepreneuriat individuel.

La mise en œuvre de cette proposition ambitieuse nécessite un engagement fort des parties prenantes, une coordination efficace et une volonté de transformer les défis actuels en opportunités durable.

Ibrahima Dia est Sociologue-Environnementaliste, expert en politiques de protection sociale, de développement des PME, et de développement rural.

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POUR LA FORMALISATION DES JAKARTA
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EXCLUSIF SENEPLUS - Le statut d'entreprenant, pierre angulaire de cette stratégie, permettrait aux conducteurs d'accéder à la formalité sans frais initiaux tout en bénéficiant d'une reconnaissance légale de leur activité - PAR IBRAHIMA DIA
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