Du néant à une position privilégiée. Tel est le résumé de la vie de Karim Wade, fils de son père, Abdoulaye, président de la République du Sénégal. Cette découverte du président de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci) est faite par le politologue, Abdoul Aziz Diop, dans un livre à paraître bientôt : «Une succession en démocratie - les Sénégalais face à l’inattendu.» En effet, l’auteur, à travers des faits et des constats, reconstitue «la vraie histoire de Karim Wade» essentiellement «fabriquée sur fond d’enrichissement illicite, de corruption à grande échelle, de criminalisation de la politique, de report frauduleux des élections et de sabordage du Pds au profit d’un machin -la Génération du Concret- conçu et parrainé au bénéfice exclusif du fils pressenti pour le sommet».
La fabrication
La création d’une nouvelle histoire pour Karim Wade se présente comme une nécessité pour réussir le plan de succession monarchique en ce sens que, «faute de pouvoir voler de ses propres ailes, Karim reste toujours pendu aux basques de son père». Ainsi, Abdoul Aziz Diop rapporte un conseil donné à Me Wade dans ce sens : «Monsieur le Président, si vous voulez que Karim vous succède à la tête du Sénégal, fabriquez-lui une histoire meilleure que celle des jeunes prétendants légitimes de votre parti qui pourraient lui faire de l’ombre, à commencer par vos anciens Premiers ministres, Idrissa Seck et Macky Sall.» Le suivi de ce conseil suffit, en effet, pour comprendre les opérations de «déseckisation» et de «démackysation» qui ont suivi les plans de liquidation de Idy et de Macky. Malgré l’élimination des éventuels empêcheurs de succéder en rond, M. Diop écrit que Abdoulaye Wade n’est pas sûr de réussir. «Karim, lui, se sent pousser des ailes au fur et à mesure que s’accumulent les privilèges indus et qu’un nouveau mode de dévolution du pouvoir suprême se prépare», écrit-il.
Incompétence, incapacité
Toutefois, en dépit de toutes possibilités qui lui sont offertes, l’entreprise familiale, dont l’unique but est de fabriquer une histoire présidentielle à Wade-fils, connaît des limites. Son passage de «conseiller financier passablement discret au patron de la l’Anoci, Karim Wade», se désole le politologue, «défraya souvent la chronique dans de sulfureuses affaires auxquelles est mêlé le trafiquant de devises, l’ouvreur de portes, l’apporteur d’affaires cupide etc.». En effet, l’auteur du livre fait un constat : «Le bambin transforma tout ce qu’il toucha en objet sans valeur.» D’une part, son implication dans la «banqueroute» des Industries chimiques du Sénégal (Ics) est proclamée en public le vendredi 10 mars 2006 par les populations de Darou Khoudoss, localité où se trouve la plus grosse unité de production des Ics. A ce moment, Abdoul Aziz Diop rappelle que «un peu moins de 100 mille personnes dépendant des revenus des employés des Ics. En tête de cortège, les femmes des employés accusèrent nommément le Président Abdoulaye Wade, son fils Karim, l’ex-ministre d’Etat, Landing Savané et l’ancien Directeur général de la société d’avoir provoqué, par leurs agissements, la faillite de la première industrie de leur pays». Ces accusations sont ainsi démontrées par l’auteur de l’ouvrage à travers l’établissement de nombre de liens et de connexions entre l’homme d’affaires Jérôme Godart et son ami, Karim Wade.
Une relation névrotique avec l’argent
Mieux, le politologue examine la responsabilité de ce dernier dans la crise des Ics et «l’immunité dont il jouit». En effet, le livre fait noter la signature d’une clause de la convention entre le gouvernement sénégalais et le groupe Indian farmer fertiliser cooperative limited (Iffco), pour le contrôle des Ics et, par ce dernier, «protège les fossoyeurs de la société». (…) «Pour avoir repris ses droits d’Iffco, l’Etat indien menacerait de porter plainte du fait des agissements de Karim Wade, qui se trouverait, malgré tout, derrière une société française du nom de Rouiller pour le contrôle des Ics.» D’autre part, l’ouvrage évoque le cas du marché des ordures pour convaincre du penchant de Wade-fils pour les affaires financières, même si sa compétence et ses prérogatives ne sont pas convoquées. M. Diop, après un rappel sur le marché de concession finalement cassé qui liait l’Etat du Sénégal au groupe suisse Alcyon Sa entré en partenariat avec Ama Sa, entre autres sociétés, s’étonne de l’implication de Karim Wade dans l’octroi du marché des ordures à Véolia. En dépit des bizarreries notées dans la pertinence du choix et du coût de ce marché, Abdou Aziz Diop convoque la signature du contrat qui a été faite par le maire de Dakar, Pape Diop et Wade-fils en sa qualité de président de l’Anoci, au moment où «le ministre de l’Environnement d’alors a été mis à l’écart». Encore une «histoire de gros sous !», s’exclame l’écrivain.
Le flop
Impossible de parler de l’histoire du fils de Wade sans évoquer le Sommet de l’Oci, dont la préparation et l’organisation ont été confiées à une structure spécialement mise en place, l’Anoci présidée par Karim Wade. Ainsi, Abdoul Aziz Diop ouvre une large fenêtre sur le Sommet qu’il considère comme un «flop». Il fonde son propos sur le triste constat selon lequel «en route pour le sommet, Karim Wade n’aura pas réussi, ni même l’accueil des délégations dans les suites des hôtels prévus à cet effet». En effet, M. Diop part d’un constat pour tirer sa conclusion : «Pour avoir fait de la réalisation d’infrastructures son mandat, l’Anoci rata sa vraie mission de rapprocher les musulmans du Sénégal à ceux du reste du monde.» L’ouvrage en déduit que «le manager Karim n’en est pas un». Comme en atteste l’éclairage alors fait par l’expert en management, Abdoul Aziz Tall qui a, par ailleurs, préfacé le livre. Les recherches de M. Diop n’ont pas épargné les effets financiers de ce sommet controversé. La structure gérée par Karim Wade a coûté en dépenses la somme de 376 milliards de francs Cfa, dont une bonne partie provient des emprunts. Lesquels emprunts «posent un sérieux problème de gestion», d’après l’auteur du livre. «Comment l’argent des banques avait-il été prélevé et géré par les responsables de l’Anoci (Abdoulaye Baldé et Karim Wade) ?» Une question que l’auteur du livre se pose au même titre que les Sénégalais. En résumé, Abdou Aziz Diop reste convaincu, dans son livre, que «la Conférence islamique n’a pas servi de rampe de lancement à la Génération du concret».
Le gouvernement invisible de Karim Wade
D’ailleurs, il établit un lien entre ce mouvement politique et «une société secrète» en partant du choix pris par les animateurs d’opter «pour un mode (occulte) de massification et des pratiques». Ce type de société demande que ses membres gardent une partie de ses activités et de ses motivations loin des regards de personnes qui lui sont étrangères, des médias et de l’Etat». Il en veut pour preuve, «les propos évasifs d’Abdoulaye Baldé qui en disent long sur le culte du secret ou peut-être simplement sur la vacuité intellectuelle de la société secrète des «Concrétistes». M. Diop va plus loin en révélant que «la Génération du concret profite de son principe de discrétion pour développer des activités criminelles et politiques». L’auteur part d’une citation de Théodore Roosevelt, pour expliquer sa position : «Derrière le gouvernement visible, siège un gouvernement invisible qui ne doit pas fidélité au peuple et ne se reconnaît aucune responsabilité.» Un lien suffisant pour prévenir que «l’influence programmée, mais illégitime, du gouvernement invisible dirigé par Karim Wade, augure un coup de force dont Abdoulaye Wade pose les derniers jalons». De quoi pousser l’auteur du livre à sonner l’alerte : «Quand ce que prépare Wade aura définitivement pris forme, les patriotes et les démocrates sénégalais auront beaucoup de mal à démêler les vilaines choses.»
Article Par NDIAGA NDIAYE , L'Obs