Le calvaire a commencé à Dakar, avec les départs plusieurs fois repoussés, les incertitudes et les sueurs froides qui ont entouré le premier vol. J’ai eu à voyager plusieurs fois dans ma vie. J’ai eu cependant la chair de poule quand j’ai mis les pieds dans ce fameux Boeing que les autorités sénégalaises ont osé affréter pour convoyer des milliers de leurs compatriotes à la Mecque. Des sièges étroits et sûrement depuis longtemps hors d’usage y ont été aménagés. Nous étions serrés comme des sardines et sommes arrivés à Médine tout ankylosés. Des trois toilettes de l’avion-Ndiaga NDiaye, seules celles de derrière fonctionnaient, et sans eau. Des membres de l’équipage nous expliqueront que c’était pour éviter que l’eau coule et mouille le « sol » de l’avion. Un peu avant l’escale de Tripoli, un petit « déjeuner », qui frappait par sa frugalité, nous fut servi. Il comprenait tout juste un demi-verre d’eau, un quart de jus de fruit, et du pain-thon. Oui, du pain-thon, comme on en vend devant les établissements scolaires. Point de café, point de thé. On nous expliqua que les machines qui devaient servir à bouillir l’eau étaient en panne. Ce fut presque la catastrophe pour de nombreux pèlerins dont le verre de café ou de thé matinal est presque une drogue. Des têtes allaient éclater et certains n’ont pas pu s’empêcher de vomir. Entre Tripoli et Médine, un déjeuner réduit à sa plus simple expression, et composé pour l’essentiel d’un riz à la viande qui ne doit pas être préparé par un cordon bleu, nous a été servi.
Nous arrivons à Médine la sainte le mercredi 26 novembre 2008, aux environs de 20 heures (heure locale). On nous hébergea par quatre dans des chambres normalement prévues pour une personne, avec une seule toilette. L’immeuble, particulièrement étroit par rapport à celui où j’étais logé en 2002, n’offrait que deux petits ascenseurs que nos femmes (nos hommes aussi) ont tôt fait de détraquer à force de se les disputer avec véhémence. A peine trois jours passés dans la ville du Prophète (Psl), cap sur la Mecque, au grand dam de nombre de pèlerins qui auraient souhaité y séjourner un peu plus longtemps. Nos conditions d’existence n’y sont guère meilleures : nous sommes logés par six dans des chambres à deux, avec une seule toilette. Nous n’avions même pas de place pour poser nos bagages. Nous y sommes restés pendant plus de trois semaines, avec les mêmes draps. L’immeuble, jamais nettoyé, dégageait parfois, avec les chambres, de bien mauvaises odeurs. Nous étions obligés, avec des personnes du troisième âge parmi nous, de nous transformer en femmes de ménage. Je passerai sous silence l’inexistence de certaines commodités comme le frigidaire ou la cuisinière, dont nous étions pourtant bien dotés en 2002. On n’avait finalement comme l’impression que les autorités de la Commission étaient plutôt préoccupées de limiter au strict minimum les dépenses. A quelle fin ? La question mérite d’être posée car le Commissaire général a révélé à Arafat que le président de la République avait fait passer le budget de 450 millions en 2007, à un milliard en 2008. Le nombre de pèlerins étant passé de 10000 à environ 6500, leurs conditions d’existence ne devaient-elles pas s’améliorer notablement ? Ce ne fut guère le cas et des pèlerins ne manqueront certainement pas de se poser de nombreuses questions à propos de ce budget passé du simple au double mais sans impact sur l’amélioration de leurs conditions d’existence aux Lieux Saints2.
Le séjour à Muna fut aussi un calvaire. Nous étions confinés dans la zone réservée aux « pèlerins africains non arabes ». C’était déjà un véritable ghetto qui rappelle Soweto des années 70 et certains autres quartiers déshérités de villes du monde sous-développé. Et nous y étions les plus mal lotis. Nombre de pèlerins sénégalais ne trouvaient pas de tentes et allaient squatter celles déjà occupées par des Ghanéens et des Nigérians. C’était une gageure que d’y accéder aux toilettes.
Les carences de la Commission éclateront surtout au grand jour avec la préparation du retour des pèlerins au Sénégal. C’est à partir de ce moment vraiment que ceux qui doutaient encore de l’incompétence notoire du Commissaire général et de ses collaborateurs immédiats en ont eu le cœur net. Ce fut la débandade, la confusion générale, surtout après le départ des cinq vols privés3. Ces vols ont été programmés pour la période qui va du samedi 20 décembre au samedi 27 décembre 2008. Le premier vol de la mission nationale quitta Djeddah avec une pléiade de chefs religieux, de membres du Pds et d’autres notables de la mouvance présidentielle. Il en restait encore et il fut agité l’idée d’un vol spécial qui souleva un tollé général. On parla de vol 2 bis pour tempérer les ardeurs. Le vol 3 connut les déboires que l’on sait : le pire a été frôlé et un crash a été de justesse évité.
La tension était à son comble et, entre-temps, le Commissaire général a été copieusement hué par des pèlerins survoltés. Le mercredi 24 décembre 2008, il réveilla les pèlerins des différents immeubles pour leur annoncer une excellente nouvelle, plutôt un mensonge : le président Wade a trouvé deux avions et a donné des instructions fermes pour que tous les pèlerins rentrent à Dakar avant le 31 décembre. L’espoir qui renaît est de courte durée. En réalité, Me Wade n’avait que promis de trouver rapidement deux avions et on sait ce que deviennent en général les promesses de cet homme. En fait, le gouvernement n’était qu’en négociation avec Air Sénégal International qui exigeait d’être payé cash avant de déployer ses avions4. L’Etat sénégalais fut incapable, semble-t-il, de trouver le milliard qu’il fallait. Quelle honte ! Il fallut la caution du Roi Mouhamed 6 pour que Air Sénégal International se résolût à mettre en place des avions, plusieurs jours après l’annonce tonitruante de la « bonne nouvelle ». Le premier avion de la compagnie ne décolla de Djeddah que le samedi 3 janvier 2009. Ah ! Si on avait commencé par là ! Que de déboires auraient été évités ! Le gouvernement ne l’a pas fait et s’est lancé de façon incompréhensible dans une aventure qui pouvait nous coûter un second Joola.
Me Wade et son gouvernement sont doublement responsables de l’odyssée des pèlerins sénégalais de 2008. Deux très mauvaises décisions, mauvaises et irresponsables, auront été à la base du chaos et de la faillite qui ont été de bout en bout les traits caractéristiques du pèlerinage 2008 : le limogeage de Moustapha Guèye et son remplacement, trois mois environ avant le début du pèlerinage 2008, par son adjoint immédiat, le nommé Thierno Diakhaté, et l’incompréhensible signature de ce contrat scandaleux avec l’obscure agence de voyage Zam-Zam. Dès le lendemain de leur nomination, M. Diakhaté et son adjoint, tous deux arabisants, ont été présentés par une bonne partie de la presse privée, comme des hommes de Tivaouane et de Touba. Voilà le début du mal qui a gangrené le pèlerinage 2008. Il ne suffit pas d’être arabisants, encore moins hommes de Touba, de Tivaouane ou de toute autre cité dite religieuse, pour faire un bon commissaire au pèlerinage. Il faut que nous essayions de nous départir de cette mentalité archaïque qui fait toujours la part belle aux « poulains » de ces cités-là. Le pèlerinage est trop sérieux pour être confié à n’importe qui. Il s’agit de gérer, de manager des hommes, des milliers d’hommes et de femmes. Le Commissaire général et son adjoint n’ont manifestement pas le profil de l’emploi : ils ont été très vite dépassés par les événements. Leur nomination, à trois mois du pèlerinage, a été une erreur monumentale. S’y est ajoutée une autre erreur, plus catastrophique et plus incompréhensible encore celle-là : la signature d’un contrat avec ce Zam-Zam.
Le Commissaire général communiquait mal, communiquait d’ailleurs très rarement, chaque fois qu’il se rendait compte qu’il ne pouvait pas faire autrement. Les rares fois qu’il communiquait se terminaient en catastrophe : il ne supporte pas, apparemment, qu’on lui pose certaines questions. Il était d’ailleurs presque toujours retranché dans ses appartements. Les rares communiqués qu’il faisait publier étaient placardés partout, jusque sur les miroirs des ascenseurs ; ce qui est bien sénégalais. Ces communiqués ne concernaient pas d’ailleurs la principale préoccupation des pèlerins. Ils étaient plutôt relatifs aux compagnies aériennes et maritimes qui étaient agréées pour affréter les surplus de bagages des pèlerins. Ce travail était si consciencieusement fait par les collaborateurs du Commissaire, qu’on avait le sentiment qu’il y avait bien un intérêt.
Le contrat avec Zam-Zam, quant à lui, révélera tôt ou tard ses secrets. Quelle logique a-t-elle poussé nos autorités à s’engager dans l’aventure avec une anonyme agence de voyage qui allait louer un véritable avion Ndiaga Ndiaye ? On serait tenté de comprendre un peu si le coût du pèlerinage sénégalais était abordable. Ce n’était point le cas : au contraire, nous avons payé bien plus cher que les Guinéens, les Maliens, Gambiens, etc. Qu’est-ce qui a donc poussé nos autorités à mettre en péril des milliers de vies de leurs compatriotes ? On se rappelle que Me Wade a mis une trentaine de milliards pour transformer l’avion de commandement en palais volant. Il a fallu qu’un des hublots de l’avion se fissure pour qu’il ne l’emprunte plus. Comment peut-il alors risquer la vie de nombre de ses compatriotes dans un avion qui est à mille lieues de la Pointe de Sangomar, du point de vue de la sécurité ? Je croirais difficilement que ce soit pour des pots-de-vin.
Le Ministre des Infrastructures et des Transports (Habib Sy), ainsi que le Directeur de l’Aviation civile nous ont aussi publiquement menti en nous donnant l’assurance que le fameux DC 10 affrété par Zam-Zam réunissait toutes les conditions de sécurité. Quelle était leur véritable motivation ? Nous avons besoin de savoir l’exacte vérité. Ce contrat avec Zam-Zam sent bien le roussi et ne devrait pas être rangé au placard, à l’instar de tous les gros scandales qui jalonnent la gouvernance libérale. Nous serions peut-être moins indignés – il faut le répéter sans cesse – si nous n’avions pas payé si cher : 2300000 francs Cfa, presque le double du coût du pèlerinage dans les pays environnants préférés par certains de nos compatriotes pour se rendre aux Lieux Saints. Les Wade, le Ministre des Transports, celui des Affaires étrangères et tous ceux qui ont eu à jouer quelque rôle que ce soit dans la signature de ce scandaleux contrat avec Zam-Zam nous doivent des explications. Ce serait en tout cas rapidement fait si nous étions dans un pays démocratique, avec des dirigeants vertueux : le contrat serait rapidement passé au crible et livrerait tous ses secrets. Un jour, après le départ du pouvoir des Wade, nous en aurons sûrement le cœur net. En attendant, pour en terminer avec les graves lacunes du pèlerinage 2008, nous évoquerons rapidement un autre scandale : les centaines de « missionnaires » envoyés à la Mecque aux frais du contribuable (billets gratuits et pécules de 800000 à 1000000 de francs Cfa). Nombre d’entre eux sont des « lambargaïne » qui ne se souviennent même pas de leur dîner de la veille. Analphabètes partiels ou totaux, ils n’ont jamais quitté pour l’essentiel Dakar. D’autres ont été convoyés directement de l’intérieur du pays. Quel encadrement de tels « missionnaires » peuvent-ils apporter aux pèlerins en difficulté ? Leurs préoccupations est ailleurs : militants du Pds ou protégés de chefs religieux ou d’autres notables de la mouvance présidentielle, ils infiltraient les pèlerins dans les ascenseurs, dans les restaurants, dans les mosquées, etc. Produits de différents quotas (de la présidence de la République, du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat, de la Génération du Concret, etc), on les reconnaissait facilement dans les arguments insipides et maladroits qu’ils déployaient pour défendre l’indéfendable. Les milliards dépensés pour entretenir ces parasites pourraient l’être bien plus utilement ailleurs. Pour prendre par exemple en location des avions qui assureraient rapidement le retour de tous les pèlerins sénégalais et dans les délais.
Nombre d’autres maux expliquent la faillite du pèlerinage 2008. Il serait trop long de les passer tous en revue ici. Peut-être, y reviendrons-nous pour rendre compte aussi du comportement du pèlerin sénégalais dans les Lieux Saints. Ce comportement écorne terriblement l’image de notre pays. Le pèlerinage sénégalais pose en tout cas réellement problème et son organisation a besoin d’être profondément repensée. En particulier, les nominations d’essence politicienne, religieuse, confrérique, ethnique ou régionale expliquent pour l’essentiel les graves lacunes qui l’entachent tous les ans. Elles devraient rapidement céder la place à d’autres critères plus objectifs, plus républicains. Ce vœu restera malheureusement un vœu pieux, tant que les Wade seront au pouvoir au Sénégal car, ils sont incapables de se libérer de la politique politicienne.
Mody Niang, e-mail : modyniang@arc.sn
Nous arrivons à Médine la sainte le mercredi 26 novembre 2008, aux environs de 20 heures (heure locale). On nous hébergea par quatre dans des chambres normalement prévues pour une personne, avec une seule toilette. L’immeuble, particulièrement étroit par rapport à celui où j’étais logé en 2002, n’offrait que deux petits ascenseurs que nos femmes (nos hommes aussi) ont tôt fait de détraquer à force de se les disputer avec véhémence. A peine trois jours passés dans la ville du Prophète (Psl), cap sur la Mecque, au grand dam de nombre de pèlerins qui auraient souhaité y séjourner un peu plus longtemps. Nos conditions d’existence n’y sont guère meilleures : nous sommes logés par six dans des chambres à deux, avec une seule toilette. Nous n’avions même pas de place pour poser nos bagages. Nous y sommes restés pendant plus de trois semaines, avec les mêmes draps. L’immeuble, jamais nettoyé, dégageait parfois, avec les chambres, de bien mauvaises odeurs. Nous étions obligés, avec des personnes du troisième âge parmi nous, de nous transformer en femmes de ménage. Je passerai sous silence l’inexistence de certaines commodités comme le frigidaire ou la cuisinière, dont nous étions pourtant bien dotés en 2002. On n’avait finalement comme l’impression que les autorités de la Commission étaient plutôt préoccupées de limiter au strict minimum les dépenses. A quelle fin ? La question mérite d’être posée car le Commissaire général a révélé à Arafat que le président de la République avait fait passer le budget de 450 millions en 2007, à un milliard en 2008. Le nombre de pèlerins étant passé de 10000 à environ 6500, leurs conditions d’existence ne devaient-elles pas s’améliorer notablement ? Ce ne fut guère le cas et des pèlerins ne manqueront certainement pas de se poser de nombreuses questions à propos de ce budget passé du simple au double mais sans impact sur l’amélioration de leurs conditions d’existence aux Lieux Saints2.
Le séjour à Muna fut aussi un calvaire. Nous étions confinés dans la zone réservée aux « pèlerins africains non arabes ». C’était déjà un véritable ghetto qui rappelle Soweto des années 70 et certains autres quartiers déshérités de villes du monde sous-développé. Et nous y étions les plus mal lotis. Nombre de pèlerins sénégalais ne trouvaient pas de tentes et allaient squatter celles déjà occupées par des Ghanéens et des Nigérians. C’était une gageure que d’y accéder aux toilettes.
Les carences de la Commission éclateront surtout au grand jour avec la préparation du retour des pèlerins au Sénégal. C’est à partir de ce moment vraiment que ceux qui doutaient encore de l’incompétence notoire du Commissaire général et de ses collaborateurs immédiats en ont eu le cœur net. Ce fut la débandade, la confusion générale, surtout après le départ des cinq vols privés3. Ces vols ont été programmés pour la période qui va du samedi 20 décembre au samedi 27 décembre 2008. Le premier vol de la mission nationale quitta Djeddah avec une pléiade de chefs religieux, de membres du Pds et d’autres notables de la mouvance présidentielle. Il en restait encore et il fut agité l’idée d’un vol spécial qui souleva un tollé général. On parla de vol 2 bis pour tempérer les ardeurs. Le vol 3 connut les déboires que l’on sait : le pire a été frôlé et un crash a été de justesse évité.
La tension était à son comble et, entre-temps, le Commissaire général a été copieusement hué par des pèlerins survoltés. Le mercredi 24 décembre 2008, il réveilla les pèlerins des différents immeubles pour leur annoncer une excellente nouvelle, plutôt un mensonge : le président Wade a trouvé deux avions et a donné des instructions fermes pour que tous les pèlerins rentrent à Dakar avant le 31 décembre. L’espoir qui renaît est de courte durée. En réalité, Me Wade n’avait que promis de trouver rapidement deux avions et on sait ce que deviennent en général les promesses de cet homme. En fait, le gouvernement n’était qu’en négociation avec Air Sénégal International qui exigeait d’être payé cash avant de déployer ses avions4. L’Etat sénégalais fut incapable, semble-t-il, de trouver le milliard qu’il fallait. Quelle honte ! Il fallut la caution du Roi Mouhamed 6 pour que Air Sénégal International se résolût à mettre en place des avions, plusieurs jours après l’annonce tonitruante de la « bonne nouvelle ». Le premier avion de la compagnie ne décolla de Djeddah que le samedi 3 janvier 2009. Ah ! Si on avait commencé par là ! Que de déboires auraient été évités ! Le gouvernement ne l’a pas fait et s’est lancé de façon incompréhensible dans une aventure qui pouvait nous coûter un second Joola.
Me Wade et son gouvernement sont doublement responsables de l’odyssée des pèlerins sénégalais de 2008. Deux très mauvaises décisions, mauvaises et irresponsables, auront été à la base du chaos et de la faillite qui ont été de bout en bout les traits caractéristiques du pèlerinage 2008 : le limogeage de Moustapha Guèye et son remplacement, trois mois environ avant le début du pèlerinage 2008, par son adjoint immédiat, le nommé Thierno Diakhaté, et l’incompréhensible signature de ce contrat scandaleux avec l’obscure agence de voyage Zam-Zam. Dès le lendemain de leur nomination, M. Diakhaté et son adjoint, tous deux arabisants, ont été présentés par une bonne partie de la presse privée, comme des hommes de Tivaouane et de Touba. Voilà le début du mal qui a gangrené le pèlerinage 2008. Il ne suffit pas d’être arabisants, encore moins hommes de Touba, de Tivaouane ou de toute autre cité dite religieuse, pour faire un bon commissaire au pèlerinage. Il faut que nous essayions de nous départir de cette mentalité archaïque qui fait toujours la part belle aux « poulains » de ces cités-là. Le pèlerinage est trop sérieux pour être confié à n’importe qui. Il s’agit de gérer, de manager des hommes, des milliers d’hommes et de femmes. Le Commissaire général et son adjoint n’ont manifestement pas le profil de l’emploi : ils ont été très vite dépassés par les événements. Leur nomination, à trois mois du pèlerinage, a été une erreur monumentale. S’y est ajoutée une autre erreur, plus catastrophique et plus incompréhensible encore celle-là : la signature d’un contrat avec ce Zam-Zam.
Le Commissaire général communiquait mal, communiquait d’ailleurs très rarement, chaque fois qu’il se rendait compte qu’il ne pouvait pas faire autrement. Les rares fois qu’il communiquait se terminaient en catastrophe : il ne supporte pas, apparemment, qu’on lui pose certaines questions. Il était d’ailleurs presque toujours retranché dans ses appartements. Les rares communiqués qu’il faisait publier étaient placardés partout, jusque sur les miroirs des ascenseurs ; ce qui est bien sénégalais. Ces communiqués ne concernaient pas d’ailleurs la principale préoccupation des pèlerins. Ils étaient plutôt relatifs aux compagnies aériennes et maritimes qui étaient agréées pour affréter les surplus de bagages des pèlerins. Ce travail était si consciencieusement fait par les collaborateurs du Commissaire, qu’on avait le sentiment qu’il y avait bien un intérêt.
Le contrat avec Zam-Zam, quant à lui, révélera tôt ou tard ses secrets. Quelle logique a-t-elle poussé nos autorités à s’engager dans l’aventure avec une anonyme agence de voyage qui allait louer un véritable avion Ndiaga Ndiaye ? On serait tenté de comprendre un peu si le coût du pèlerinage sénégalais était abordable. Ce n’était point le cas : au contraire, nous avons payé bien plus cher que les Guinéens, les Maliens, Gambiens, etc. Qu’est-ce qui a donc poussé nos autorités à mettre en péril des milliers de vies de leurs compatriotes ? On se rappelle que Me Wade a mis une trentaine de milliards pour transformer l’avion de commandement en palais volant. Il a fallu qu’un des hublots de l’avion se fissure pour qu’il ne l’emprunte plus. Comment peut-il alors risquer la vie de nombre de ses compatriotes dans un avion qui est à mille lieues de la Pointe de Sangomar, du point de vue de la sécurité ? Je croirais difficilement que ce soit pour des pots-de-vin.
Le Ministre des Infrastructures et des Transports (Habib Sy), ainsi que le Directeur de l’Aviation civile nous ont aussi publiquement menti en nous donnant l’assurance que le fameux DC 10 affrété par Zam-Zam réunissait toutes les conditions de sécurité. Quelle était leur véritable motivation ? Nous avons besoin de savoir l’exacte vérité. Ce contrat avec Zam-Zam sent bien le roussi et ne devrait pas être rangé au placard, à l’instar de tous les gros scandales qui jalonnent la gouvernance libérale. Nous serions peut-être moins indignés – il faut le répéter sans cesse – si nous n’avions pas payé si cher : 2300000 francs Cfa, presque le double du coût du pèlerinage dans les pays environnants préférés par certains de nos compatriotes pour se rendre aux Lieux Saints. Les Wade, le Ministre des Transports, celui des Affaires étrangères et tous ceux qui ont eu à jouer quelque rôle que ce soit dans la signature de ce scandaleux contrat avec Zam-Zam nous doivent des explications. Ce serait en tout cas rapidement fait si nous étions dans un pays démocratique, avec des dirigeants vertueux : le contrat serait rapidement passé au crible et livrerait tous ses secrets. Un jour, après le départ du pouvoir des Wade, nous en aurons sûrement le cœur net. En attendant, pour en terminer avec les graves lacunes du pèlerinage 2008, nous évoquerons rapidement un autre scandale : les centaines de « missionnaires » envoyés à la Mecque aux frais du contribuable (billets gratuits et pécules de 800000 à 1000000 de francs Cfa). Nombre d’entre eux sont des « lambargaïne » qui ne se souviennent même pas de leur dîner de la veille. Analphabètes partiels ou totaux, ils n’ont jamais quitté pour l’essentiel Dakar. D’autres ont été convoyés directement de l’intérieur du pays. Quel encadrement de tels « missionnaires » peuvent-ils apporter aux pèlerins en difficulté ? Leurs préoccupations est ailleurs : militants du Pds ou protégés de chefs religieux ou d’autres notables de la mouvance présidentielle, ils infiltraient les pèlerins dans les ascenseurs, dans les restaurants, dans les mosquées, etc. Produits de différents quotas (de la présidence de la République, du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat, de la Génération du Concret, etc), on les reconnaissait facilement dans les arguments insipides et maladroits qu’ils déployaient pour défendre l’indéfendable. Les milliards dépensés pour entretenir ces parasites pourraient l’être bien plus utilement ailleurs. Pour prendre par exemple en location des avions qui assureraient rapidement le retour de tous les pèlerins sénégalais et dans les délais.
Nombre d’autres maux expliquent la faillite du pèlerinage 2008. Il serait trop long de les passer tous en revue ici. Peut-être, y reviendrons-nous pour rendre compte aussi du comportement du pèlerin sénégalais dans les Lieux Saints. Ce comportement écorne terriblement l’image de notre pays. Le pèlerinage sénégalais pose en tout cas réellement problème et son organisation a besoin d’être profondément repensée. En particulier, les nominations d’essence politicienne, religieuse, confrérique, ethnique ou régionale expliquent pour l’essentiel les graves lacunes qui l’entachent tous les ans. Elles devraient rapidement céder la place à d’autres critères plus objectifs, plus républicains. Ce vœu restera malheureusement un vœu pieux, tant que les Wade seront au pouvoir au Sénégal car, ils sont incapables de se libérer de la politique politicienne.
Mody Niang, e-mail : modyniang@arc.sn