De quoi s’agit-il dans l’affaire opposant la famille de Serigne Saliou Mbacké (RTA) à l’industriel Aliko Dangote?
Le Président Abdoulaye Wade avait attribué par Décret N°2006-1335 du 27 novembre 2006, 9000 hectares de terres situées dans la communauté rurale de Keur Moussa, à Serigne Saliou Mbacké, Khalife Général des Mourides, pour y mener des activités agricoles, après avoir déclassé partiellement la forêt de Pout. Contre toute logique de vision prospective et de politique cohérente de développement de la filière Habitat et de production de matériaux de construction, l’autorisation fut donnée à la société Dangote d’implanter une industrie du ciment dans cette zone à vocation traditionnellement agricole (Ranch Filfili, vergers, maraîchage), sans prendre la précaution de délimiter et de borner le terrain de l’industriel.
Après le rappel à Dieu de Serigne Saliou (RTA), le 28 décembre 2007, les choses commencèrent à se compliquer, parce que Dangote bénéficiaire du même Abdoulaye Wade de 700 hectares (selon la presse) avait manifestement empiété sur les terres du guide religieux et l’a d’ailleurs ouvertement reconnu par lettre ; ce qui ne l’a pas cependant empêché d’y commencer des travaux de constructions de son usine au vu et au su des autorités. Les héritiers de Serigne Saliou répliquèrent alors par une procédure judiciaire d’expulsion de Dangote pour occupation de terrain d’autrui sans droit ni titre. A ce niveau, il ne me semble pas utile d’épiloguer sur la dimension de la surface occupée par Dangote. En première instance, le tribunal régional de Thiès rejeta cette demande, mais en seconde instance, la Cour d’appel de Dakar rendit un arrêt qui vint infirmer la décision de première instance et rétablir les héritiers de Serigne Saliou dans leur droit. Dangote décida alors de se pourvoir en cassation et la Cour suprême finit par infirmer l’arrêt de la Cour d’appel tout en ordonnant un second jugement par une Cour d’Appel autrement composée, c'est-à-dire avec d’autres juges que ceux ayant connu le fond du dossier.
Toute cette procédure judiciaire est classique et normale. Ce qui n’est pas normal par contre, c’est le fait que les autorités administratives aient laissé Aliko Dangote continuer les travaux sur le site, parfois nuitamment (selon la presse), pour mettre les gens devant un fait accompli.
Quelle attitude aurait du avoir l’Etat du Sénégal devant cette affaire gravissime, Serigne Saliou Mbacké n’étant pas n’importe qui ? Est-ce que du vivant de Serigne Saliou, on aurait cautionné l’occupation de ses terres par Dangote ?
Nous allons essayer d’analyser le problème objectivement sous trois angles, en l’occurrence : 1) sur le plan de la légalité de la position des héritiers, 2) de la prépondérance de l’agriculture que le Président Macky Sall met en avant dans son programme Yoonu Yokkute et 3) finalement de l’incohérence de l’Etat à autoriser la construction d’une cimenterie à Pout, que rien ne justifie sur les plans technique, urbanistique comme de la politique de production de matériaux de construction pour notre économie nationale.
Au plan de la procédure judiciaire :
Les terres en question objet du contentieux, ont été attribuées à Serigne Saliou Mbacké (RTA) en bonne et due forme, sous forme de bail dans une zone de terroir. Les héritiers du Saint Homme ont donc non seulement un droit d’usus sur ces terres, mais également un droit d’héritage. En effet, dans les terres en zone de terroir, la loi N°64-46 du 17 juin 1964 sur le Domaine National et son Décret d’application N°72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du Domaine National comprises dans les communautés rurales, modifié par les décrets N°80-1051 du 14 octobre 1980 et 86-445 du 10 avril 1986, sont tout à fait explicites et limpides. Il est vrai qu’en son article 5, le décret d’application susvisé stipule que « l’affectation prend fin, de plein droit, au décès de la personne physique ou à la dissolution de l’association ou de la coopérative ». Mais dans l’article 6 qui suit immédiatement, le décret précise de manière sans équivoque ce qui suit « En cas de décès de l’affectataire, ses héritiers obtiennent l’affectation à leur profit de tout ou partie des terres affectées au défunt, dans les limites de leur capacité d’exploitation et sous réserve que cette affectation n’aboutisse pas à la constitution de parcelles trop petites pour une exploitation rentable. Dans ce cas, l’affectation peut être prononcée au profit de certains héritiers en fonction de leur capacité d’exploitation ». Donc les héritiers de Serigne Saliou sont bien les actuels affectataires naturels des terres de Pout, d’autant plus qu’il s’agit, non pas d’une délibération du conseil rural, mais d’un bail emphytéotique.
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L’arrêt de la Cour Suprême signifie, que la procédure judiciaire n’est pas encore définitivement bouclée, et qu’il faut encore attendre un autre arrêt de la Cour d’appel et peut être encore un autre arrêt de la Cour Suprême. Pourquoi donc cet empressement du préfet de Thiès d’autoriser la société Aliko Dangote à continuer ses constructions, appuyé en cela par le gouvernement, qui se livre à un équilibrisme périlleux, en évoquant l’article 5 du décret susvisé, mais en faisant table rase sur l’existence de l’article 6 ? Que va-t-il se passer, si la Cour d’Appel donnait une seconde fois raison à la famille du défunt Khalife et que Dangote entre temps aurait investi plusieurs milliards sur le terrain d’autrui ? Tenterait-on alors une médiation hybride pour faire plier les héritiers avec le seul argument que l’on croit fédérateur des énergies dans ce pays, en l’occurrence l’argent ? L’Etat aurait dû, devant une telle situation d’incertitude, bloquer la construction de cette usine pour des raisons de sécurité et de paix sociale, d’autant plus que cette fabrique n’est pas opportune, et nous allons le démontrer plus loin :
Au plan de l’adéquation avec la vision du chef de l’Etat en matière agricole :
Pour booster l’économie nationale et régler le problème de l’autosuffisance alimentaire, le Président de la République Macky Sall, met l’agriculture au devant de tous les autres secteurs de l’économie nationale. A la page 18 du programme Yoonu Jokkute, il est dit ceci, avec des mesures clefs d’accompagnement :
« L’agriculture sera la priorité car elle est porteuse d’externalités positives sur l’ensemble des autres secteurs de l’économie nationale. L’objectif est une agriculture moderne et suffisamment productive pour transformer le Sénégal et atteindre l’autosuffisance alimentaire. Nous adopterons une réforme foncière juste et pérenne fondée sur le principe de la non-financiarisation de la terre et levant les contraintes foncières, financières et techniques pour des exploitations agricoles - au premier rang desquelles les familiales - dynamiques. »
En matière de production agricole pour l’autosuffisance alimentaire comme pour l’exportation, il est démontré que les plus gros producteurs agricoles du Sénégal ont toujours été les grandes familles religieuses. Sans revenir sur l’histoire du chemin de fer, du bassin arachidier et du Cayor, on peut citer quelques exemples récents pour illustrer cette force productrice : En 2010, la famille de Serigne Saliou Mbacké (RTA), puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a réussi la prouesse de récolter en un week-end, 15.000 tonnes de mil. En 2012, cette performance remarquable a atteint un record de 50.000 tonnes de mil. Des résultats similaires ont été réussis avec d’autres spéculations telles que l’arachide, le riz et le maïs à Khelcom. Quel est l’industriel Sénégalais ou l’exploitant agricole qui a pu réussir un tel exploit dans notre histoire agricole ? Jamais un programme de l’Etat du Sénégal n’a pu obtenir de tels résultats depuis l’indépendance. On aurait pu développer le même argumentaire avec les exploitations d’autres chefs religieux, mais je m’en tiens à la seule famille de Serigne Saliou.
Cet exemple illustre s’il en était encore besoin, qu’il y a des forces dans ce pays, qui peuvent motiver les Sénégalais et faire jaillir le meilleur d’eux-mêmes en termes de créativité, d’engagement, d’endurance et de sacrifice, sans tomber dans le fanatisme. Il n’y a que le fait religieux qui peut accomplir ces miracles au Sénégal, mais ce fait religieux est totalement oublié, rejeté ou même combattu par les dirigeants politiques et pourtant ce sont des réalités socioculturelles objectivement incontournables. Ces familles religieuses n’ont d’intérêt pour les hommes politiques qu’en périodes électorales ou pour stabiliser un régime boiteux aux abois.
L’exemple des moines de Keur Moussa, qui offrent des produits agricoles et d’élevage des meilleures qualités est également une parfaite réussite révélatrice de ce fait religieux, capable de soulever des montagnes.
L’avantage de ces producteurs, c’est qu’ils ne sont guidés ni par le profit, ni par l’accumulation de capital ou d’exploitation de la plus-value de la classe ouvrière, si bien théorisés par Karl Marx dans son fameux «Le Capital». Les héritiers de Serigne Saliou peuvent créer plus d’emplois que Aliko Dangote, si on les aide à moderniser leur domaine avec des équipements et des infrastructures idoines. Tout ce qu’ils produisent est réinvesti dans les Daaras, mais aussi dans les populations, gratuitement. Des centaines de milliers de familles vivent de ces exploitations, loin des préoccupations de profit. Ils pourraient rentabiliser et rembourser n’importe quel crédit d’investissement qu’on leur ferait. C’est le Président de la République qui devrait intégrer ce fait religieux dans sa vision prospective.
L’impertinence de construire une usine de ciment à Pout : conflits de production, conflits avec l’aménagement du Territoire et le futur Plan Directeur d’Urbanisme :
Avec l’érection de l’Aéroport International Blaise Diagne d’une part, la construction de l’autoroute Dakar-Thiès, le développement futur de la plateforme de Diamniadio et la nécessité de prévoir un espace vital d’extension de la conurbation dakaroise (relogement des déplacés des inondations, nouvelles villes) d’autre part, il est périlleux d’autoriser la construction d’une usine de ciment dans une zone à vocation aussi fortement agricole que la zone autour de Pout-Sebikotane-Diamniadio. D’abord, il existe deux usines bien trop proches l’une de l’autre, en l’occurrence la Sococim à Bargny/Rufisque et les Ciments du Sahel à Kirène, distante de celle-ci de seulement 35 kilomètres. Une troisième usine à moins de 20 kilomètres de la Sococim est difficilement justifiable aux plans technique et environnemental.
Au plan technique, rien ne justifie la construction d’une usine de ciment à Pout, pas même ailleurs au Sénégal. Pourquoi ? Parce que le Sénégal avec une population d’environ 13 millions d’habitants, est doté de deux usines de ciments dont la capacité de production est de 6,5 millions de tonnes (Sococim (3,5 millions de tonnes par an), Les Ciments du Sahel (3 millions de tonnes par an). Mais ensemble, elles ne produisent que 4,7 millions de tonnes (soit 72%) de ciment par an, bien en deçà de leur capacité, parce que le marché de la construction au Sénégal ne peut pas absorber cette production ! Pire, malgré les grands travaux de ces dernières années du Chef de l’Etat Abdoulaye Wade en matière d’infrastructures consommatrices d’énormes quantités de ciment, les deux sociétés susvisées sont obligées d’exporter annuellement 45% de leur production, à savoir 2,12 millions de tonnes de ciment vers le Mali, la Mauritanie, la Guinée Bissau, Guinée et la Gambie, qui ne produisaient pas encore de ciment. Notre plus grand acheteur de ciment, en l’occurrence le Mali qui importe 77% de l’exportation des deux usines, vient de construire sa première usine en 2012 et va réduire son importation de ciment du Sénégal, parce qu’il en produira 1,0 million de tonne par an.
Si dans de telles conditions la société Dangote construit son usine à Pout, c’est pour exporter son ciment à 100% ; sinon à qui va-t-elle vendre ce ciment au Sénégal ? Certains optimistes pensent que le prix du ciment va baisser la concurrence aidant ; mais que non ! Car la marge de manœuvre des industries est très faible, avec des coûts encore exorbitants de l’énergie. En effet, on dépense en moyenne 100 litres de fioul et 110 Kwh d’énergie pour fabriquer une tonne de ciment au Sénégal, ce qui est prohibitif ! D’autres compatriotes avancent l’argument que Dangote va créer 6000 emplois (voir article de Fatou Sock dans Xalima news du 06 octobre 2013). Parlant de cette usine de Dangote, Mody Niang évoque également dans son article et avec optimisme la possibilité « …qu’elle emploiera une douzaine de milliers de Sénégalaises et de Sénégalais », fin de citation. Ces chiffres sont mirobolants et très accrocheurs, surtout pour les jeunes chômeurs des localités environnantes de Pout ; cependant, il faut les prendre avec des pincettes, car ils manquent de pertinence ! En effet, la Sococim qui est la première et encore plus grande cimenterie de l’Afrique de l’Ouest, n’a pu créer que 500 employés et 1600 prestataires de services. Avec sa «sœur jumelle» Les Ciments du Sahel, elles n’ont créé environ que 4800 emplois y compris les prestataires, ce qui n’est certes pas négligeable dans ce contexte de marasme économique et de chômage endémique, mais largement insuffisant. Comment est-il possible au vu de ces chiffres, qu’Aliko Dangote puisse créer 6000 voire 12000 emplois, alors que sa production ne sera que de 1,5 million de tonne par an, donc à peine la moitié de celle de chacune des deux usines existantes, prise individuellement ?
Une cimenterie ne sert pas à grand-chose dans les conditions objectives actuelles du secteur de l’habitat au Sénégal où tout est importé. Sans la création d’une filière de l’habitat, génératrice quant à elle, de beaucoup d’emplois directs et indirects, et capable de faire décoller l’économie nationale, il est illusoire de penser pouvoir développer une activité qui puisse absorber l’énorme déficit de 300.000 logements que nous avons présentement. Pour qu’une industrie de la construction puisse booster l’économie nationale, selon l’adage « quand le bâtiment va tout va », il faut absolument passer par la fabrication de tout ce qui rentre dans l’habitat et que nos milliers de quincailleries ne font malheureusement encore qu’importer. Avec l’achat et la vente de matériaux de construction, on ne peut pas développer un pays ! Nous ne ferions qu’enrichir des industries étrangères exportatrices. Nous constatons tous à chaque coin de rue de Dakar des chantiers en cours de construction et cela donne à tout architecte ou ingénieur étranger qui débarque dans notre capitale, l’impression de l’existence d’un boom du secteur de la construction, assimilable à un boom économique sous d’autres cieux. Mais l’impression trompe, car il n’existe aucun effet d’entrainement de l’économie par la construction. Nous faisons du sur place, dangereusement !
Avant de penser à construire une 3ème usine de ciment à Pout, la priorité aurait du cibler la création d’une filière solide de l’habitat, c’est à dire la création de PMI et de PME capables de fabriquer des pelles, carreaux, lavabos, receveurs de douche, chaises anglaises et turques, interrupteurs et prises de courant, ampoules, ventilateurs, climatiseurs, tuiles et briques cuites, serrures de portes et fenêtres, , truelles de chantier, niveaux de chantier, tenailles, cisailles, clous, serre-joints, décamètres, outillages métalliques, fils à plomb, brouettes, moules pour hourdis et agglomérés, fils de fer d’attaches de ferraillage, fer à béton, treillis soudés, tubes orange, colle, produits bitumeux d’étanchéité, grilles avaloirs d’assainissement, préfabrication d’ovoïdes et de tuyaux d’assainissement, fileries électriques, porte-serviette, porte-savon, accessoires de salle de bain, dallettes autobloquantes (pour chaussées et trottoirs), tuyaux d’assainissement en fonte, acier, béton, tubes d’échafaudages, crochets d’échafaudages, plateformes d’échafaudages, menuiseries aluminium, piques, monte-charges, faucilles, haches, machettes, équerres métalliques, marteaux, exploitation du marbre à Kédougou/Tambacounda, etc. L’énumération n’est pas exhaustive, mais c’est par là qu’il faut passer, pour créer beaucoup d’emplois et une clientèle solvable capable d’acheter les logements à produire.
Notre dernier argument contre l’implantation d’une cimenterie dans cette zone est d’ordre environnemental et de santé publique. La fabrication du ciment requiert une technologie de forte combustion. Le calcaire et l'argile sont extraits des carrières, puis concassés et homogénéisés. La combustion de la matière première ainsi transformée se fait dans un four rotatif d’environ 60 à 70m, à des températures d'environ 1450°C. Le produit résiduel obtenu après un refroidissement accéléré est appelé « clinker ». Les différents types de ciment sont obtenus par différents mélanges à base de clinker et de minéraux supplémentaires. Cependant, la poussière de ciment est très polluante. Les polluants dans le ciment portent atteinte à la santé humaine, dégradent la qualité de l'air et chargent les sols aux alentours (principalement en métaux lourds), mettent donc en danger la production agricole proche. L’utilisation du charbon et du fioul comme combustibles va concourir davantage à polluer fortement l’atmosphère avec les dégagements des gaz à effet de serre. Concernant l’environnement, les problèmes de santé auxquels les habitants de Rufisque et Bargny, ainsi que les agriculteurs, mareyeurs et sécheuses de poissons à l’air libre sont déjà confrontés, sont inquiétants, à cause de l’existence dans cette zone d’habitation dense, d’une cimenterie. Une troisième cimenterie à Pout, constituerait un triangle Rufisque-Kirène-Pout très dangereux. Dans quelques années, l’usine de Dangote (si elle reste) se trouverait dans une zone fortement urbanisée et constituerait une équation difficile à résoudre.
Pour l’intérêt national, la raison aurait voulu qu’on arrêtât ce projet, qu’on dédommageât Dangote et qu’on livrât cette zone à l’agriculture. Une autre autorité religieuse en l’occurrence Feu Serigne Mansour Borom Daradji, était confrontée au même problème d’accaparement de ses terres par le même Dangote. Je crois que ces contentieux ont été créés par l’Etat, qui n’a pas pris le soin de délimiter et de borner les domaines. Dangote n’a pas encore investi une fortune, l’Etat peut le dédommager. A titre d’illustration, les coûts de construction de la société Les Ciments du Sahel, deux fois plus importante en matière de production, se sont élevés à 9 milliards de FCFA. Donc à l’étape actuelle d’avancement des travaux de construction, l’Etat doit tout faire pour trouver une issue heureuse à cette situation au profit de toutes les parties prenantes. Et c’est possible !
Une autre question qui mérite d’être posée est de savoir si la société Aliko Dangote, qui est aussi une agrobusiness qui occupe une surface qui dépasse de loin ce qui serait nécessaire pour une usine de ciment de 1,5 tonne, ne vise pas l’accaparement des terres à d’autres fins, entre autres agricoles ? Elle avait en effet, en 2010 demandé 10.000 hectares de terres à la communauté rurale de Mbane pour une 2ème usine de sucre à côté de la CSS, mais le conseil rural avait rejeté la requête, d’une part parce que les rejets de pesticides, d’engrais et d’autres déchets toxiques dans le lac de Guiers qui approvisionne Dakar en eau potable, par une industrie sur place, sont déjà insupportables. Une seconde industrie pollueuse installée dans la zone hypothéquerait dangereusement l’équilibre du bassin du lac. Cette situation grave ne semble pas émouvoir les autorités de ce pays. Rejet de la demande d’autre part aussi, parce que le conseil rural redoutait la disparition des zones de pâturage autour du lac de Guiers et l’expulsion des éleveurs vers l’intérieur du Ferlo.
L’accaparement de nos terres par des agrobusiness étrangers (Fanaye, Gnith, Ronkh, Mbane, etc) restera un défi majeur dans ce siècle en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Leur mise en valeur par les marabouts et appuyée efficacement par l’Etat du Sénégal, constitue une sécurité qui me rassure beaucoup plus.
Pr. Aliou Diack
Ancien Professeur de Structures et d’Hydraulique
A l’Ecole Polytechnique de Thiès
Membre de l’Association Internationale des Ponts & Charpentes (AIPC)
Coordonnateur National de BES DU ÑAKK
Le Président Abdoulaye Wade avait attribué par Décret N°2006-1335 du 27 novembre 2006, 9000 hectares de terres situées dans la communauté rurale de Keur Moussa, à Serigne Saliou Mbacké, Khalife Général des Mourides, pour y mener des activités agricoles, après avoir déclassé partiellement la forêt de Pout. Contre toute logique de vision prospective et de politique cohérente de développement de la filière Habitat et de production de matériaux de construction, l’autorisation fut donnée à la société Dangote d’implanter une industrie du ciment dans cette zone à vocation traditionnellement agricole (Ranch Filfili, vergers, maraîchage), sans prendre la précaution de délimiter et de borner le terrain de l’industriel.
Après le rappel à Dieu de Serigne Saliou (RTA), le 28 décembre 2007, les choses commencèrent à se compliquer, parce que Dangote bénéficiaire du même Abdoulaye Wade de 700 hectares (selon la presse) avait manifestement empiété sur les terres du guide religieux et l’a d’ailleurs ouvertement reconnu par lettre ; ce qui ne l’a pas cependant empêché d’y commencer des travaux de constructions de son usine au vu et au su des autorités. Les héritiers de Serigne Saliou répliquèrent alors par une procédure judiciaire d’expulsion de Dangote pour occupation de terrain d’autrui sans droit ni titre. A ce niveau, il ne me semble pas utile d’épiloguer sur la dimension de la surface occupée par Dangote. En première instance, le tribunal régional de Thiès rejeta cette demande, mais en seconde instance, la Cour d’appel de Dakar rendit un arrêt qui vint infirmer la décision de première instance et rétablir les héritiers de Serigne Saliou dans leur droit. Dangote décida alors de se pourvoir en cassation et la Cour suprême finit par infirmer l’arrêt de la Cour d’appel tout en ordonnant un second jugement par une Cour d’Appel autrement composée, c'est-à-dire avec d’autres juges que ceux ayant connu le fond du dossier.
Toute cette procédure judiciaire est classique et normale. Ce qui n’est pas normal par contre, c’est le fait que les autorités administratives aient laissé Aliko Dangote continuer les travaux sur le site, parfois nuitamment (selon la presse), pour mettre les gens devant un fait accompli.
Quelle attitude aurait du avoir l’Etat du Sénégal devant cette affaire gravissime, Serigne Saliou Mbacké n’étant pas n’importe qui ? Est-ce que du vivant de Serigne Saliou, on aurait cautionné l’occupation de ses terres par Dangote ?
Nous allons essayer d’analyser le problème objectivement sous trois angles, en l’occurrence : 1) sur le plan de la légalité de la position des héritiers, 2) de la prépondérance de l’agriculture que le Président Macky Sall met en avant dans son programme Yoonu Yokkute et 3) finalement de l’incohérence de l’Etat à autoriser la construction d’une cimenterie à Pout, que rien ne justifie sur les plans technique, urbanistique comme de la politique de production de matériaux de construction pour notre économie nationale.
Au plan de la procédure judiciaire :
Les terres en question objet du contentieux, ont été attribuées à Serigne Saliou Mbacké (RTA) en bonne et due forme, sous forme de bail dans une zone de terroir. Les héritiers du Saint Homme ont donc non seulement un droit d’usus sur ces terres, mais également un droit d’héritage. En effet, dans les terres en zone de terroir, la loi N°64-46 du 17 juin 1964 sur le Domaine National et son Décret d’application N°72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du Domaine National comprises dans les communautés rurales, modifié par les décrets N°80-1051 du 14 octobre 1980 et 86-445 du 10 avril 1986, sont tout à fait explicites et limpides. Il est vrai qu’en son article 5, le décret d’application susvisé stipule que « l’affectation prend fin, de plein droit, au décès de la personne physique ou à la dissolution de l’association ou de la coopérative ». Mais dans l’article 6 qui suit immédiatement, le décret précise de manière sans équivoque ce qui suit « En cas de décès de l’affectataire, ses héritiers obtiennent l’affectation à leur profit de tout ou partie des terres affectées au défunt, dans les limites de leur capacité d’exploitation et sous réserve que cette affectation n’aboutisse pas à la constitution de parcelles trop petites pour une exploitation rentable. Dans ce cas, l’affectation peut être prononcée au profit de certains héritiers en fonction de leur capacité d’exploitation ». Donc les héritiers de Serigne Saliou sont bien les actuels affectataires naturels des terres de Pout, d’autant plus qu’il s’agit, non pas d’une délibération du conseil rural, mais d’un bail emphytéotique.
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L’arrêt de la Cour Suprême signifie, que la procédure judiciaire n’est pas encore définitivement bouclée, et qu’il faut encore attendre un autre arrêt de la Cour d’appel et peut être encore un autre arrêt de la Cour Suprême. Pourquoi donc cet empressement du préfet de Thiès d’autoriser la société Aliko Dangote à continuer ses constructions, appuyé en cela par le gouvernement, qui se livre à un équilibrisme périlleux, en évoquant l’article 5 du décret susvisé, mais en faisant table rase sur l’existence de l’article 6 ? Que va-t-il se passer, si la Cour d’Appel donnait une seconde fois raison à la famille du défunt Khalife et que Dangote entre temps aurait investi plusieurs milliards sur le terrain d’autrui ? Tenterait-on alors une médiation hybride pour faire plier les héritiers avec le seul argument que l’on croit fédérateur des énergies dans ce pays, en l’occurrence l’argent ? L’Etat aurait dû, devant une telle situation d’incertitude, bloquer la construction de cette usine pour des raisons de sécurité et de paix sociale, d’autant plus que cette fabrique n’est pas opportune, et nous allons le démontrer plus loin :
Au plan de l’adéquation avec la vision du chef de l’Etat en matière agricole :
Pour booster l’économie nationale et régler le problème de l’autosuffisance alimentaire, le Président de la République Macky Sall, met l’agriculture au devant de tous les autres secteurs de l’économie nationale. A la page 18 du programme Yoonu Jokkute, il est dit ceci, avec des mesures clefs d’accompagnement :
« L’agriculture sera la priorité car elle est porteuse d’externalités positives sur l’ensemble des autres secteurs de l’économie nationale. L’objectif est une agriculture moderne et suffisamment productive pour transformer le Sénégal et atteindre l’autosuffisance alimentaire. Nous adopterons une réforme foncière juste et pérenne fondée sur le principe de la non-financiarisation de la terre et levant les contraintes foncières, financières et techniques pour des exploitations agricoles - au premier rang desquelles les familiales - dynamiques. »
En matière de production agricole pour l’autosuffisance alimentaire comme pour l’exportation, il est démontré que les plus gros producteurs agricoles du Sénégal ont toujours été les grandes familles religieuses. Sans revenir sur l’histoire du chemin de fer, du bassin arachidier et du Cayor, on peut citer quelques exemples récents pour illustrer cette force productrice : En 2010, la famille de Serigne Saliou Mbacké (RTA), puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a réussi la prouesse de récolter en un week-end, 15.000 tonnes de mil. En 2012, cette performance remarquable a atteint un record de 50.000 tonnes de mil. Des résultats similaires ont été réussis avec d’autres spéculations telles que l’arachide, le riz et le maïs à Khelcom. Quel est l’industriel Sénégalais ou l’exploitant agricole qui a pu réussir un tel exploit dans notre histoire agricole ? Jamais un programme de l’Etat du Sénégal n’a pu obtenir de tels résultats depuis l’indépendance. On aurait pu développer le même argumentaire avec les exploitations d’autres chefs religieux, mais je m’en tiens à la seule famille de Serigne Saliou.
Cet exemple illustre s’il en était encore besoin, qu’il y a des forces dans ce pays, qui peuvent motiver les Sénégalais et faire jaillir le meilleur d’eux-mêmes en termes de créativité, d’engagement, d’endurance et de sacrifice, sans tomber dans le fanatisme. Il n’y a que le fait religieux qui peut accomplir ces miracles au Sénégal, mais ce fait religieux est totalement oublié, rejeté ou même combattu par les dirigeants politiques et pourtant ce sont des réalités socioculturelles objectivement incontournables. Ces familles religieuses n’ont d’intérêt pour les hommes politiques qu’en périodes électorales ou pour stabiliser un régime boiteux aux abois.
L’exemple des moines de Keur Moussa, qui offrent des produits agricoles et d’élevage des meilleures qualités est également une parfaite réussite révélatrice de ce fait religieux, capable de soulever des montagnes.
L’avantage de ces producteurs, c’est qu’ils ne sont guidés ni par le profit, ni par l’accumulation de capital ou d’exploitation de la plus-value de la classe ouvrière, si bien théorisés par Karl Marx dans son fameux «Le Capital». Les héritiers de Serigne Saliou peuvent créer plus d’emplois que Aliko Dangote, si on les aide à moderniser leur domaine avec des équipements et des infrastructures idoines. Tout ce qu’ils produisent est réinvesti dans les Daaras, mais aussi dans les populations, gratuitement. Des centaines de milliers de familles vivent de ces exploitations, loin des préoccupations de profit. Ils pourraient rentabiliser et rembourser n’importe quel crédit d’investissement qu’on leur ferait. C’est le Président de la République qui devrait intégrer ce fait religieux dans sa vision prospective.
L’impertinence de construire une usine de ciment à Pout : conflits de production, conflits avec l’aménagement du Territoire et le futur Plan Directeur d’Urbanisme :
Avec l’érection de l’Aéroport International Blaise Diagne d’une part, la construction de l’autoroute Dakar-Thiès, le développement futur de la plateforme de Diamniadio et la nécessité de prévoir un espace vital d’extension de la conurbation dakaroise (relogement des déplacés des inondations, nouvelles villes) d’autre part, il est périlleux d’autoriser la construction d’une usine de ciment dans une zone à vocation aussi fortement agricole que la zone autour de Pout-Sebikotane-Diamniadio. D’abord, il existe deux usines bien trop proches l’une de l’autre, en l’occurrence la Sococim à Bargny/Rufisque et les Ciments du Sahel à Kirène, distante de celle-ci de seulement 35 kilomètres. Une troisième usine à moins de 20 kilomètres de la Sococim est difficilement justifiable aux plans technique et environnemental.
Au plan technique, rien ne justifie la construction d’une usine de ciment à Pout, pas même ailleurs au Sénégal. Pourquoi ? Parce que le Sénégal avec une population d’environ 13 millions d’habitants, est doté de deux usines de ciments dont la capacité de production est de 6,5 millions de tonnes (Sococim (3,5 millions de tonnes par an), Les Ciments du Sahel (3 millions de tonnes par an). Mais ensemble, elles ne produisent que 4,7 millions de tonnes (soit 72%) de ciment par an, bien en deçà de leur capacité, parce que le marché de la construction au Sénégal ne peut pas absorber cette production ! Pire, malgré les grands travaux de ces dernières années du Chef de l’Etat Abdoulaye Wade en matière d’infrastructures consommatrices d’énormes quantités de ciment, les deux sociétés susvisées sont obligées d’exporter annuellement 45% de leur production, à savoir 2,12 millions de tonnes de ciment vers le Mali, la Mauritanie, la Guinée Bissau, Guinée et la Gambie, qui ne produisaient pas encore de ciment. Notre plus grand acheteur de ciment, en l’occurrence le Mali qui importe 77% de l’exportation des deux usines, vient de construire sa première usine en 2012 et va réduire son importation de ciment du Sénégal, parce qu’il en produira 1,0 million de tonne par an.
Si dans de telles conditions la société Dangote construit son usine à Pout, c’est pour exporter son ciment à 100% ; sinon à qui va-t-elle vendre ce ciment au Sénégal ? Certains optimistes pensent que le prix du ciment va baisser la concurrence aidant ; mais que non ! Car la marge de manœuvre des industries est très faible, avec des coûts encore exorbitants de l’énergie. En effet, on dépense en moyenne 100 litres de fioul et 110 Kwh d’énergie pour fabriquer une tonne de ciment au Sénégal, ce qui est prohibitif ! D’autres compatriotes avancent l’argument que Dangote va créer 6000 emplois (voir article de Fatou Sock dans Xalima news du 06 octobre 2013). Parlant de cette usine de Dangote, Mody Niang évoque également dans son article et avec optimisme la possibilité « …qu’elle emploiera une douzaine de milliers de Sénégalaises et de Sénégalais », fin de citation. Ces chiffres sont mirobolants et très accrocheurs, surtout pour les jeunes chômeurs des localités environnantes de Pout ; cependant, il faut les prendre avec des pincettes, car ils manquent de pertinence ! En effet, la Sococim qui est la première et encore plus grande cimenterie de l’Afrique de l’Ouest, n’a pu créer que 500 employés et 1600 prestataires de services. Avec sa «sœur jumelle» Les Ciments du Sahel, elles n’ont créé environ que 4800 emplois y compris les prestataires, ce qui n’est certes pas négligeable dans ce contexte de marasme économique et de chômage endémique, mais largement insuffisant. Comment est-il possible au vu de ces chiffres, qu’Aliko Dangote puisse créer 6000 voire 12000 emplois, alors que sa production ne sera que de 1,5 million de tonne par an, donc à peine la moitié de celle de chacune des deux usines existantes, prise individuellement ?
Une cimenterie ne sert pas à grand-chose dans les conditions objectives actuelles du secteur de l’habitat au Sénégal où tout est importé. Sans la création d’une filière de l’habitat, génératrice quant à elle, de beaucoup d’emplois directs et indirects, et capable de faire décoller l’économie nationale, il est illusoire de penser pouvoir développer une activité qui puisse absorber l’énorme déficit de 300.000 logements que nous avons présentement. Pour qu’une industrie de la construction puisse booster l’économie nationale, selon l’adage « quand le bâtiment va tout va », il faut absolument passer par la fabrication de tout ce qui rentre dans l’habitat et que nos milliers de quincailleries ne font malheureusement encore qu’importer. Avec l’achat et la vente de matériaux de construction, on ne peut pas développer un pays ! Nous ne ferions qu’enrichir des industries étrangères exportatrices. Nous constatons tous à chaque coin de rue de Dakar des chantiers en cours de construction et cela donne à tout architecte ou ingénieur étranger qui débarque dans notre capitale, l’impression de l’existence d’un boom du secteur de la construction, assimilable à un boom économique sous d’autres cieux. Mais l’impression trompe, car il n’existe aucun effet d’entrainement de l’économie par la construction. Nous faisons du sur place, dangereusement !
Avant de penser à construire une 3ème usine de ciment à Pout, la priorité aurait du cibler la création d’une filière solide de l’habitat, c’est à dire la création de PMI et de PME capables de fabriquer des pelles, carreaux, lavabos, receveurs de douche, chaises anglaises et turques, interrupteurs et prises de courant, ampoules, ventilateurs, climatiseurs, tuiles et briques cuites, serrures de portes et fenêtres, , truelles de chantier, niveaux de chantier, tenailles, cisailles, clous, serre-joints, décamètres, outillages métalliques, fils à plomb, brouettes, moules pour hourdis et agglomérés, fils de fer d’attaches de ferraillage, fer à béton, treillis soudés, tubes orange, colle, produits bitumeux d’étanchéité, grilles avaloirs d’assainissement, préfabrication d’ovoïdes et de tuyaux d’assainissement, fileries électriques, porte-serviette, porte-savon, accessoires de salle de bain, dallettes autobloquantes (pour chaussées et trottoirs), tuyaux d’assainissement en fonte, acier, béton, tubes d’échafaudages, crochets d’échafaudages, plateformes d’échafaudages, menuiseries aluminium, piques, monte-charges, faucilles, haches, machettes, équerres métalliques, marteaux, exploitation du marbre à Kédougou/Tambacounda, etc. L’énumération n’est pas exhaustive, mais c’est par là qu’il faut passer, pour créer beaucoup d’emplois et une clientèle solvable capable d’acheter les logements à produire.
Notre dernier argument contre l’implantation d’une cimenterie dans cette zone est d’ordre environnemental et de santé publique. La fabrication du ciment requiert une technologie de forte combustion. Le calcaire et l'argile sont extraits des carrières, puis concassés et homogénéisés. La combustion de la matière première ainsi transformée se fait dans un four rotatif d’environ 60 à 70m, à des températures d'environ 1450°C. Le produit résiduel obtenu après un refroidissement accéléré est appelé « clinker ». Les différents types de ciment sont obtenus par différents mélanges à base de clinker et de minéraux supplémentaires. Cependant, la poussière de ciment est très polluante. Les polluants dans le ciment portent atteinte à la santé humaine, dégradent la qualité de l'air et chargent les sols aux alentours (principalement en métaux lourds), mettent donc en danger la production agricole proche. L’utilisation du charbon et du fioul comme combustibles va concourir davantage à polluer fortement l’atmosphère avec les dégagements des gaz à effet de serre. Concernant l’environnement, les problèmes de santé auxquels les habitants de Rufisque et Bargny, ainsi que les agriculteurs, mareyeurs et sécheuses de poissons à l’air libre sont déjà confrontés, sont inquiétants, à cause de l’existence dans cette zone d’habitation dense, d’une cimenterie. Une troisième cimenterie à Pout, constituerait un triangle Rufisque-Kirène-Pout très dangereux. Dans quelques années, l’usine de Dangote (si elle reste) se trouverait dans une zone fortement urbanisée et constituerait une équation difficile à résoudre.
Pour l’intérêt national, la raison aurait voulu qu’on arrêtât ce projet, qu’on dédommageât Dangote et qu’on livrât cette zone à l’agriculture. Une autre autorité religieuse en l’occurrence Feu Serigne Mansour Borom Daradji, était confrontée au même problème d’accaparement de ses terres par le même Dangote. Je crois que ces contentieux ont été créés par l’Etat, qui n’a pas pris le soin de délimiter et de borner les domaines. Dangote n’a pas encore investi une fortune, l’Etat peut le dédommager. A titre d’illustration, les coûts de construction de la société Les Ciments du Sahel, deux fois plus importante en matière de production, se sont élevés à 9 milliards de FCFA. Donc à l’étape actuelle d’avancement des travaux de construction, l’Etat doit tout faire pour trouver une issue heureuse à cette situation au profit de toutes les parties prenantes. Et c’est possible !
Une autre question qui mérite d’être posée est de savoir si la société Aliko Dangote, qui est aussi une agrobusiness qui occupe une surface qui dépasse de loin ce qui serait nécessaire pour une usine de ciment de 1,5 tonne, ne vise pas l’accaparement des terres à d’autres fins, entre autres agricoles ? Elle avait en effet, en 2010 demandé 10.000 hectares de terres à la communauté rurale de Mbane pour une 2ème usine de sucre à côté de la CSS, mais le conseil rural avait rejeté la requête, d’une part parce que les rejets de pesticides, d’engrais et d’autres déchets toxiques dans le lac de Guiers qui approvisionne Dakar en eau potable, par une industrie sur place, sont déjà insupportables. Une seconde industrie pollueuse installée dans la zone hypothéquerait dangereusement l’équilibre du bassin du lac. Cette situation grave ne semble pas émouvoir les autorités de ce pays. Rejet de la demande d’autre part aussi, parce que le conseil rural redoutait la disparition des zones de pâturage autour du lac de Guiers et l’expulsion des éleveurs vers l’intérieur du Ferlo.
L’accaparement de nos terres par des agrobusiness étrangers (Fanaye, Gnith, Ronkh, Mbane, etc) restera un défi majeur dans ce siècle en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Leur mise en valeur par les marabouts et appuyée efficacement par l’Etat du Sénégal, constitue une sécurité qui me rassure beaucoup plus.
Pr. Aliou Diack
Ancien Professeur de Structures et d’Hydraulique
A l’Ecole Polytechnique de Thiès
Membre de l’Association Internationale des Ponts & Charpentes (AIPC)
Coordonnateur National de BES DU ÑAKK