Il est le symbole du parachèvement de la politique de « sénégalisation » du personnel de Dangote Cement Sénégal, aujourd’hui constitué de plus de 99 % de nationaux. Confirmé au poste de Directeur Général dont il assurait l’intérim depuis avril 2022, parallèlement à ses fonctions de Directeur administratif et financier, l’histoire retiendra d’Ousmane Mbaye, 42 ans, qu’il est le premier Dg sénégalais et africain de cette filiale de l’empire du milliardaire nigérian Aliko Dangoté, troisième cimenterie du pays dont les activités opérationnelles ont démarré en 2015.
Par Elhadji Ibrahima THIAM
On ne s’attendait pas à un cadre aussi dépouillé. Une table sur lequel trône une bouteille d’eau entamée, une tasse à café qui vient de servir, un ordinateur portable et deux ou trois documents. Pas plus. En arrière-plan, trois photos accrochées aux cimaises dont l’une affiche le maître des lieux en compagnie du grand magnat du ciment africain, le nigérian Aliko Dangoté, son patron pour qui il est « fier de travailler et demeure une référence pour toute la jeunesse africaine au regard de ce qu’il est en train d’accomplir ». Ce bureau donc est à l’image de son occupant : simple. Tout comme la mise : une veste noire sur une chemise blanche sans l’encombrante cravate. Le strass et les paillettes ne sont pas pour Ousmane Mbaye. Le Directeur général de Dangote Cement Sénégal est du genre pragmatique et humble. Pourtant, il porte sur ses larges épaules le poids d’une entreprise qui pèse des milliards de Fcfa et dont le label est le nom d’un homme dont la fortune se compte en milliards de dollars : Dangote. On en connait qui aurait le melon. Surtout que le natif de Thiaroye à Dakar vient de connaître, au mois de juillet passé, deux consécrations personnelles, coup sur coup. D’abord, confirmé Directeur général de Dangote Cement Sénégal après un an d’intérim. Et pour l’occasion, c’est le grand boss himself, Aliko Dangote, qui a fait le déplacement jusqu’à Dakar et « l’intronisation » fut faite au cours d’une audience avec le Président de la République Macky Sall en présence du nouvel impétrant. Quelques jours plus tard, ce sont ses pairs, acteurs du secteur des mines dans sa perception globale, qui ont décidé de le porter à la tête de la Chambre des mines du Sénégal (Cmds). Il y a de quoi avoir la grosse tête non ? Et pourtant Ousmane Mbaye relativise. Par pudeur, il refuse de tirer la couverture à lui. Par reconnaissance, il préfère partager les lauriers avec ses collaborateurs. « Ce n’est pas une consécration personnelle, mais le fruit du travail d’une équipe dont je ne suis que le chef d’orchestre. C’est moi que les gens voient, mais derrière, il y a toute une équipe qui travaille d’arrache-pied », dit-il de sa voix calme.
Baptême du feu réussi
Pourtant, ce poste de Directeur général par intérim qui lui a été confié en avril 2022 avait tout d’un piège. Sa désignation a coïncidé avec l’arrêt de la production en juillet-août, à la suite des répercussions de la guerre russo-ukrainienne sur les approvisionnements en charbon de Dangote Cement Sénégal. Ce financier de formation, entré dans l’entreprise en 2009 en tant que comptable puis Directeur administratif et financier, fait alors valoir ses grandes capacités de management, avec le soutien de ses collaborateurs. La survie de Dangote Cement étant en jeu, l’apport de tous est crucial pour traverser cette crise. « Nous avons, par exemple, fait preuve de beaucoup de tact et de souplesse lors des négociations avec les partenaires sociaux afin d’éviter au personnel un chômage technique dont les conséquences auraient pu être dramatiques sur le plan social. Dieu merci, nous avons aujourd’hui passé ce cap avec succès et l’entreprise enregistre des performances commerciales record », explique-t-il.
De cette étape de sa vie de quadragénaire, le diplômé de l’Ipg (Bts) et de SupDeco (Master en Finance et Comptabilité) en a tiré cette conviction : le Sénégal dispose d’une jeunesse extrêmement créative, talentueuse et avide de réussite. Mais seuls les persévérants seront récompensés. « Diriger une entreprise ne s’apprend pas dans une école, comme j’aime à le rappeler aux étudiants qui viennent me rendre visite. Il n’y aucune école où l’on délivre un diplôme de Directeur général. Toutes les personnes sortent des écoles avec les mêmes diplômes et ce sont les plus persévérants qui prennent les positions de responsabilité, ceux qui sont les plus engagés dans le travail, les plus motivés et qui croient en eux », martèle ce pur produit de l’école sénégalaise, passé par la maternelle de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar nichée à l’époque derrière le restaurant Self où sa maman était étudiante puis l’école primaire Joseph Gomis de Fann, le Cem Kleber en plein centre-ville de Dakar puis le lycée Khadim Rassoul de Castors où il a décroché un bac L2 en 2001. S’il a vu le jour à Thiaroye en 1981, Ousmane Mbaye a fait son enfance entre la Médina, Dieuppeul et Grand Yoff.
De l’école à la cimenterie
Permettre à Dangote Cement Sénégal de traverser la crise est une chose, pérenniser cette cimenterie en est une autre. Un grand défi pour celui qui a pris la succession de Luke Haeltermann – ancien directeur général qui a lancé les activités opérationnelles en 2014 – et qui, désormais, incarne le visage de la sénégalisation achevée de cette entreprise. Laquelle fait travailler plus d’un millier de collaborateurs directs et indirects et se révèle en modèle en matière de Responsabilité sociétale et environnementale d’entreprise (Rse). Un gros challenge dont Ousmane Mbaye est bien conscient. « Ce n’est pas facile de travailler pour un tel groupe aussi exigeant et pragmatique. La pression est là. Mais cela fait partie du leadership de pouvoir travailler sous pression. Ensuite, Dangote, ce n’est pas qu’une entreprise. C’est aussi une réputation et un nom qu’il faut gérer de la meilleure des manières. Autre défi qui nous attend, faire grandir l’entreprise, l’accompagner pour d’autres investissements au-delà du Sénégal », confie ce grand amateur de football, supporter de l’Ac Monaco et grand fan de Sadio Mané. C’est la même ambition que nourrit Ousmane Mbaye pour la Chambre des Mines du Sénégal (Cmds) qu’il entend redynamiser et rendre plus visible à la hauteur de ce que le secteur des mines représente en termes de poids économique au Sénégal. Dans ce milieu, il a en effet fini de se faire un nom. Comme en atteste sa présence dans certains cénacles : membre du Groupe multipartite de l’Itie comme représentant le secteur privé national ; membre du Conseil d’Administration du Syndicat Professionnel des Industries du Sénégal (Spis) où il occupe le poste de trésorier. Un joli parcours couronné par le Cauris d’Or du Leadership 2023.
Avant d’intégrer Dangote Cement Sénégal et d’en gravir tous les échelons, Ousmane Mbaye a fait ses premiers pas dans le monde professionnel alors même qu’il était encore étudiant à l’Ipg, en Bts. A l’époque, il était le comptable d’une petite école privée dont le propriétaire avait également une entreprise de Btp. Il cumulait les deux postes avec ses cours, avec la bénédiction de son patron. Formation école-entreprise avant l’heure donc avec des revenus qui lui ont permis de suppléer sa maman dans le financement de ses études. Mais surtout d’accumuler, très tôt, beaucoup d’expériences sur le fonctionnement d’une entreprise même si c’est une Pme. Toujours est-il qu’Ousmane Mbaye est convaincu que le passage dans cette école et cette entreprise de Btp a été très déterminant dans la suite de sa carrière. « Aux jeunes sortants des écoles, je dis souvent, commencez par les petites et moyennes entreprises. Parce que dans une Pme, vous êtes le comptable, le directeur des ressources humaines, vous gérez la fiscalité. Or, dans une grande entreprise, vous commencez dans une petite section, vous êtes cloisonné et c’est difficile de grandir. Personnellement, cela m’a servi de commencer par une Pme, ce qui fait que lorsque je suis arrivé à Dangoté, j’avais déjà emmagasiné beaucoup d’expériences dans différentes section d’une entreprise malgré mon jeune âge », avance-t-il.
De comptable d’une école anonyme à Dg de Dangoté, le destin est bien capricieux. S’il avait un plan de carrière, Ousmane Mbaye ne l’aurait pas imaginé aussi rectiligne, même si, avoue-t-il, « je savais où j’allais ».
Source : https://lesoleil.sn/portrait-ousmane-mbaye-directe...