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Pourquoi Faut-il Sauver le Soldat Air Sénégal ? La mise en place d’une stratégie globale pour un retour effectif sur l’économie locale –Par Cherif Samb

« On n’est jamais mieux servi que par soi-même. » Cette maxime résume parfaitement l’importance d’une compagnie nationale pour un pays comme le Sénégal. Nous noterons que, l’histoire du secteur aérien sénégalais est marquée par des erreurs répétitives, des recommencements éternels et une incapacité à valoriser les leçons apprises.


Rédigé par leral.net le Samedi 28 Décembre 2024 à 15:49 | | 0 commentaire(s)|

Les investissements colossaux dans l’Aéroport International Blaise Diagne (AIBD) et les tentatives successives de mise en place ou de relance d’une compagnie nationale, notamment avec Air Sénégal, témoignent d’une volonté de devenir un acteur stratégique en Afrique de l’Ouest.

Pourtant, cette ambition peine à se concrétiser face à des défis structurels majeurs : la difficulté à atteindre une taille critique, la difficulté d’assurer une qualité de service acceptable sur une durée suffisante pour fidéliser les clients, un manque de maîtrise sur la flotte et des coûts de possession ne permettant pas d’être compétitif sur les coûts au siège.

Résultat des courses, une exploitation déficitaire et un déficit qui croit à chaque vol, chaque siège vendu ou perdu dans les errements d’une politique commerciale et produit hasardeuses. Pour rompre ce cycle d’échecs, il est d'une importance capitale d’intégrer ces leçons apprises dans une stratégie claire et durable.

Rétrospective : Les Enseignements de l’Échec de Sénégal Airlines

La faillite de Sénégal Airlines en 2016 et le lancement de Air Sénégal offrent un parallèle riche en enseignements. Sénégal Airlines avait initialement misé sur la consolidation de son réseau domestique et régional avant de lancer une ligne vers Paris, un choix opérationnel qui n’a pas produit les résultats escomptés en raison de l’absence de flux financiers solides pour soutenir cette stratégie. En revanche, Air Sénégal a rapidement concentré ses efforts sur la ligne Paris-Dakar, un axe stratégique qui constitue près de 40 % des revenus de la compagnie, en s’appuyant sur une demande soutenue de la diaspora et des voyageurs d’affaires.

Sur le plan du capitalistique, Sénégal Airlines fruit d’une expérience PPP innovante avec un capital de 16 milliards de nos francs qui n’ont jamais été libérés d’une part, la participation de l’Etat du Sénégal avec les droits de trafics s’est rapidement confronté à un manque criard de liquidités. Cette leçon été était à moitié sue à deux niveaux, le premier s’est sur la mise à l’écart du secteur privé national avec l’Etat seul à bord par l’intermédiaire de la CDC, le deuxième sur une augmentation de la mise de départ qui
passe à 40 milliards de francs, une bonne augmentation qui va s’avérer par la suite insuffisante.

Loués à des conditions drastiques, les avions étaient mal adaptés aux besoins opérationnels, avec des coûts fixes élevés. Au lancement, Sénégal Airlines avait adopté une stratégie de point à point avec des A320 bi-classes de 136 sièges, injectés sur des destinations à faible volume de trafic telles que Banjul, Bissau et Ziguinchor. Cette approche, mal adaptée au potentiel du marché, a conduit à une sous-utilisation des appareils, peinant souvent à atteindre les 10 heures de vol par jour. Pour pallier cette surcapacité, des ATR 72 et 42 ont été loués ponctuellement en ACMI, une solution temporaire mais coûteuse qui s’est prolongée sur plus de deux ans. Ces décisions soulignent l’importance d’aligner la flotte sur une stratégie claire, basée sur des études de marché et une planification adaptée.

Un incident clé s’est produit lorsque le dernier avion affrété par Transair a été retiré, laissant la compagnie sans avion dans sa flotte. Dans ces conditions, Sénégal Airlines a vu ses opérations paralysées, et la compagnie s’est finalement éteinte en 2016, malgré une amélioration notable de ses performances opérationnelles et financières grâce aux initiatives de la direction générale d’alors. Cet événement illustre une leçon fondamentale : pour construire une compagnie fiable et durable, il est impératif d’avoir une maîtrise effective sur les avions. La possession ou le contrôle des appareils, au-delà des contrats temporaires, est une condition sine qua non pour garantir une stabilité opérationnelle et éviter de dépendre des aléas des marchés de location.

Un autre point clé concerne l’intégration. Sénégal Airlines n’était pas suffisamment connectée aux infrastructures aéroportuaires et de handling. Les meilleures positions de banques d’enregistrement étaient réservées aux grandes compagnies comme Air France, Emirates et Delta. Sénégal Airlines n’était pas favorisée à l’aéroport LSS pourtant sa base opérationnelle, ce qui n’a pas manqué de dégrader son produit et son expérience client.

Sur sa dernière année d’exploitation plus de 90% des retards de vol étaient occasionnés par le blocage des sociétés de handling AHS pour les opérations régulières et SHS pour les vols du pèlerinage à la Mecque. Air Sénégal, quant à elle, a appris de cette lacune en s’intégrant stratégiquement dans la société de handling nationale 2AS, ce qui lui garantit un contrôle sur des coûts critiques et une meilleure coordination opérationnelle.

Ces différences, surtout l’inversion de la stratégie réseau (commencer par la ligne Paris et compter sur le trafic de continuation pour renforcer le voisinage et le domestique) sont à saluer. Quels ingrédients a-t-on oubliés pour remplir la promesse faite à la création du nouveau pavillon national

L’expérience de Sénégal Airlines est donc riche et peut servir en parti à la mise en place d’une compagnie solide. Des progrès ont été constatés mais la situation actuelle de la compagnie Air Sénégal montre qu’il reste encore des défis et qu’il est nécessaire d’aller plus en profondeur dans les ruptures et les changements de paradigme. Par répondre assez directement aux défis de leur, je pense qu’on nous appuyer sur quelques points non exhaustifs qui me paraissent importants pour sortir de la zone de turbulence.

Critères Clés pour Amorcer un Plan de Relance

1. Un plan de flotte optimisé
La stratégie de flotte doit être basée sur des projections précises de trafic et des objectifs opérationnels clairs. Le choix de la flotte, en termes de type d’appareils et de capacité, est crucial pour garantir une exploitation optimale et rentable. Au Sénégal, les expériences passées ont souvent montré que les avions étaient choisis en fonction de la disponibilité sur le marché plutôt que d’une véritable stratégie. Par exemple, Sénégal Airlines avait initialement manifesté un intérêt pour les avions Boeing, en raison de l’expérience de son personnel sur ce type d’appareils avec Air Sénégal International (ASI). Cependant, faute d’une vision claire et d’accords stratégiques, elle s’est finalement rabattue sur des Airbus A320, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires en formation et en maintenance. Cette incohérence dans le choix de la flotte a contribué à fragiliser la compagnie. Pour Air Sénégal, il est impératif que la flotte soit le résultat de l’opérationnalisation de sa stratégie : un équilibre entre leasing et propriété, des appareils optimisés pour les lignes ciblées, et une capacité adaptée aux besoins régionaux et internationaux.

Investir dans les Systèmes d'Information pour Relancer et Bâtir une Compagnie Solide
Un système d’information performant est vital pour une compagnie aérienne. Il doit intégrer l’analyse des lignes, optimiser les plannings des vols et assurer une gestion des revenus en temps réel. On ne jette pas un avoir pour voir ce qui se passe. L’ouverture d’une ligne est un véritable projet logistique, financier et opérationnel, et son maintien doit etre challengé continuellement. Tout va très vite dans ce secteur, tout doit se savoir, tous les indicateurs doivent etre surveillés en temps réel. Le remplissage, la ponctualité avec les code de retard, la satisfaction client sur toute la chaine de l’achat du billet en passe par l’enregistrement, pendant le vol, l’accueil, le catering, les couts de maintenance, la gestion des revenus, la gestion des capacités, l’utilisation avion, la durée des roulages, les performances de ligne, la consommation de carburant, le transport de carburant, brefs autant de paramètres vitaux qui doivent etre surveillés comme du lait sur le feu. Comment dans ses conditions se contenter d’un système d’information utilisés par les entreprises classiques. La réalité est bien pire, obtenir des états financiers à bonne date, savoir en permanence à qui on doit quoi relève du luxe. Les compagnies modernes ajustent leurs capacités en quelques heures, remplaçant un appareil en cas de faible remplissage. Cette réactivité est impossible sans des outils technologiques avancés.
Une compagnie au coeur de l’écosystème aéroportuaire

Une compagnie nationale doit s’intégrer à l’ensemble de l’écosystème économique. Air Sénégal peut devenir un catalyseur pour des secteurs connexes comme le tourisme, le catering, le handling ou encore même le transport terrestre dans une perspective intermodale. Le spectre est large. Le succès de compagnies comme Emirates et Air France illustre ce point. Emirates, grâce à des liens étroits avec les structures aéroportuaires de Dubaï, a transformé l’aéroport international en un hub mondial, stimulant le tourisme avec plus de 16 millions de visiteurs par an et générant des retombées économiques directes dans l’hôtellerie et le commerce. De son côté, Air France, bénéficiant d'un partenariat stratégique avec le hub de Paris-Charles-de-Gaulle, joue un rôle central dans les échanges commerciaux et touristiques en Europe, avec des retombées annuelles estimées à plusieurs milliards d’euros. Pour Air Sénégal, une intégration similaire avec l’AIBD permettrait de renforcer la position du pays en tant que hub régional tout en créant un cercle vertueux de croissance dans les secteurs liés.

Pourquoi l’État doit soutenir Air Sénégal

Un Levier de Croissance Économique
Chaque franc investi dans le transport aérien génère un retour économique significatif. Selon une étude d’Arthur D. Little, le soutien public aux compagnies aériennes peut multiplier les retombées économiques, notamment en termes de PIB, d’emplois créés et de développement du tourisme. Par exemple, l’aéroport de Marrakech au Maroc, en facilitant une augmentation du trafic touristique de 11 % sur une période de 5 ans, a généré des revenus supplémentaires dans l’hôtellerie et les services de 2,4 milliards de dollars. En Afrique de l’Ouest, une croissance similaire pourrait multiplier les échanges commerciaux, notamment par le renforcement des chaînes logistiques liées à l’import-export. Les aéroports, en tant que plateformes économiques, génèrent également 1 000 emplois directs par million de passagers et stimulent indirectement des secteurs comme le catering, le transport terrestre et les services de maintenance. Un soutien au transport aérien représente donc un levier pour développer un écosystème économique holistique, englobant tourisme, commerce et infrastructures locales.

Renforcement de la Souveraineté Économique et Géopolitique
Aucune compagnie étrangère ne va développer le hub d'un autre pays, car chaque acteur prêche pour sa propre paroisse. La compagnie aérienne nationale reste donc un outil de souveraineté indispensable et, dans ce cadre, les restrictions imposées par les pays de l'AES (Mali, Burkina Faso et Gabon) à Air France prennent une dimension géopolitique. Ces mesures permettent de protéger leurs marchés tout en favorisant leurs compagnies nationales, montrant ainsi une maîtrise de leur espace aérien pour renforcer leur autonomie économique. Depuis les années post-indépendance, de nombreux États africains ont signé des accords bilatéraux pour affirmer leur souveraineté et contrôler leurs espaces aériens.

Air France, par exemple, structure ses horaires pour maximiser les connexions avec ses hubs d’Orly et de Roissy-Charles-de-Gaulle, où les créneaux horaires sont régis par des contraintes strictes. Cela peut conduire à des choix horaires peu adaptés aux besoins des passagers africains. En revanche, une compagnie nationale est mieux positionnée pour ajuster ses horaires et offrir une flexibilité qui répond aux attentes des citoyens locaux.

Ce contraste met en évidence l’importance stratégique d’une compagnie nationale dans l’articulation des priorités économiques et sociales d’un pays. Ces restrictions aériennes ne sont donc pas uniquement économiques, mais relèvent également d’une stratégie de positionnement sur l’échiquier international. L'aérien, bien plus qu'une simple activité de transport, agit comme un outil de souveraineté permettant d'assurer une cohérence entre les opérations aériennes et les priorités de développement économique et territorial. Par cette stratégie, les pays de l'AES illustrent comment le contrôle des flux aériens peut devenir une arme géopolitique et politique efficace dans les relations internationales.

Une compagnie nationale forte permet de contrôler les flux aériens et de centraliser les opportunités économiques. En l’absence de ce levier, les compagnies étrangères tendent à orienter le trafic vers leurs hubs, renforçant leur économie au détriment de celle du Sénégal.
Ces raisons non exhaustives suffisent à consolider une compagnie nationale, la nature a horreur du vite et c’est encore plus vrai dans le secteur du transport aérien.

Il faudra dans le plan de relance prendre en compte ces deux aspects incontournables. La libéralisation c’est inéluctablement pour bientôt. Je développe dans ma thèse encours de rédaction, la parallèle entre la théorie de Nash, dont l’application la plus célèbre est le dilemme du prisonnier et les freins à l’ouverture du ciel africain malgré les engagements souscrits dans le cadre de Yamoussoukro. La structure capitalististique, le modèle d’acquisition des avions est aussi un facteur sur lequel il faut agir

Une Libéralisation Contrôlée

Bien que la libéralisation offre des opportunités, elle doit être adaptée au contexte local. La Déclaration de Yamoussoukro, adoptée en 1999 pour ouvrir les marchés aériens africains, vise à réduire les coûts et à accroître la fréquence des vols, avec des gains estimés entre 330 et 424 millions de dollars pour les consommateurs africains d’après la Banque mondiale. Cependant, son application reste incomplète, ce qui limite son impact. Par exemple, le Maroc a su bénéficier de l’ouverture de son espace aérien grâce à un partenariat stratégique avec l’Union européenne, qui a entraîné une augmentation significative du trafic aérien (+72 % entre 2005 et 2010) et des retombées économiques substantielles. Cependant, cet accord a également exposé les compagnies locales à une concurrence accrue, ce qui souligne la nécessité de préparer et de protéger les acteurs nationaux. De même, la France a fait preuve de pragmatisme en limitant l’accès d’Emirates sur certaines routes stratégiques, préservant ainsi l’équilibre du marché et stimulant la croissance globale tout en renforçant la compétitivité d’Air France.

Vers un Modèle de Société de Patrimoine

Inspiré du succès du modèle du TER, la création d’une Société de Patrimoine du Transport Aérien (SPTA) offrirait un cadre structurel équilibré. Ce modèle repose sur une structure capitalistique similaire à celle de SENTER et SETER : l’État détient majoritairement la SPTA qui gérerait les actifs stratégiques (flotte, infrastructures), tandis qu’Air Sénégal agirait comme exploitant sous contrat de performance. Dans le cadre du TER, le montage a permis une gestion optimale des actifs et une exploitation coordonnée. De même, une SPTA permettrait de réduire les charges fixes de la compagnie tout en attirant des financements public-privé. Par ailleurs, il est pertinent de rappeler que les investissements dans le TER, estimés à 780 milliards FCFA, auraient permis d’acquérir environ 25 avions A320, chaque appareil étant estimé à environ 35 à 40 millions de dollars selon les commandes groupées, d’après les estimations publiées par Airbus. Ces chiffres illustrent la capacité d’un investissement stratégique à transformer durablement un secteur clé comme l’aviation.

• Une meilleure gestion des actifs, réduisant les coûts fixes pour la compagnie.
• Des opportunités de financement, grâce à la garantie étatique et aux partenariats public-privé.
• Une flexibilité opérationnelle, permettant à Air Sénégal de se concentrer sur son coeur de métier.

Et l’aéroport … Hub Stratégique AIBD

Avec ses 2,18 millions de passagers (+13 % en 2023) et ses 27 600 tonnes de fret (+6 %), l’AIBD est stratégiquement positionné pour devenir un hub régional. Toutefois, pour réaliser ce potentiel, des investissements supplémentaires sont nécessaires dans :
• L’extension des infrastructures : Une deuxième piste et des terminaux adaptés aux flux croissants.
• La connectivité : Renforcer les liaisons intra-africaines et les partenariats stratégiques.

Enfin et pour résumer

L’histoire a démontré des erreurs répétitives, des recommencements inutiles, et un manque de valorisation des leçons apprises. Il est important de mener une réflexion approfondie, loin des a priori et des affirmations simplistes souvent entendues dans ce secteur. Par exemple, il est courant de répéter que « les Africains ne voyagent pas, ils déménagent », ou encore de s’appuyer sur des intuitions personnelles, comme celle de ce commandant de bord expérimenté qui affirmait ne pas avoir besoin d’analyser le trafic parce qu’il « savait qui voyageait ». Ces approches illustrent le besoin de dérouler un raisonnement scientifique basé sur les particularités des courants de trafic régionaux et les besoins spécifiques des passagers, qu’il s’agisse de voyages familiaux ou d’affaires.
En cessant de calquer des modèles étrangers sur des réalités locales, le Sénégal peut éviter de devenir un « cimetière de compagnies aériennes » et bâtir une stratégie alignée sur ses spécificités culturelles et économiques.

Dans ce contexte, Tidiane Ndiaye le nouveau Directeur Général de Air Sénégal, reconnu pour son ouverture et son professionnalisme a su sur un temps assez court améliorer le planning des vols et les revenus. Les incidents sont de moins en moins fréquents et ce n’est que la partie visible du processus de réorganisation qui est en cours. En tant que spécialiste de ce secteur ayant traversé des zones de turbulences similaires avec une compagnie aérienne au Sénégal je milite pour la formation d’une union sacrée des acteurs du secteur derrière lui pour plaider la mise en place des conditions par l’Etat pour réaliser des transformations nécessaires et dérouler sa vision. Ce tournant est décisif et n’est à rater sous aucun prétexte.

Je partagerais d’autre capsules avec vous dans un avenir proche, n’hésitez à ouvrir le débat, le jeu en vaut la chandelle, pour notre Pays

Chérif Samb