Au Sénégal, malgré les efforts de l’État, les filières scientifiques peinent encore à attirer les apprenants. Le constat a été fait par le président de l’Académie nationale des jeunes scientifiques du Sénégal, le Professeur Maguette Ndiaye. Dans cet entretien, l’enseignant-chercheur en Parasitologie-mycologie à la Faculté de médecine de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) plaide pour une bonne sensibilisation non sans appeler l’État à accompagner davantage les jeunes chercheurs dans le domaine des sciences.
Entretien réalisé par Mariama DIÉMÉ et Assane Sow (Photos)
Professeur, pouvez-vous revenir sur la genèse de la création de l’Académie nationale des jeunes scientifiques du Sénégal ?
Depuis très longtemps, on a constaté que le Sénégal regorge de scientifiques de renommée nationale et internationale. Mais, ils n’avaient pas un cadre d’échange. C’est ce constat que l’Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (Ansts) a fait et a pris la décision de convoquer les jeunes scientifiques pour mettre en place cette plateforme, dénommée Académie nationale des jeunes scientifiques du Sénégal (Anjss). Elle a été créée en 2018 et constitue le fer de lance de l’Académie nationale des sciences et techniques. En quelque sorte, nous sommes la cheville ouvrière de cette structure. L’Anjss permet aux scientifiques d’échanger sur des questions liées à la recherche scientifique, mais également en ce qui concerne la valorisation des produits de la recherche et en même temps de participer aux échanges sur les grands sujets scientifiques au niveau national et international.
Qui sont les membres de votre structure ?
C’est une Académie qui regroupe des professionnels et pour l’intégrer, il faudra au moins avoir le Doctorat d’État en sciences, un Phd (Philosophiæ doctor) et des publications dans les revues internationales. C’est-à-dire avoir une reconnaissance scientifique de ses pairs. Il faut avoir aussi un engagement scientifique. C’est en ce moment que le professionnel peut soumettre un dossier qui sera étudié en tenant compte du critère d’âge. Une fois éligible, il devient membre de l’Académie. Les membres proviennent de toutes les universités du Sénégal et des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. C’est une sélection à travers des critères de mérite et de volontariat. Notre travail, c’est la promotion des sciences, de l’excellence scientifique au niveau national et international. Nous participons à plusieurs fora au niveau international pour orienter les organismes internationaux tels que l’Unesco, l’Organisation mondiale de la Santé (Oms) sur des questions scientifiques.
Quel lien entretenez-vous avec l’Ansts ?
C’est notre cordon ombilical. C’est l’Académie nationale des sciences et techniques (Ansts) qui a donné naissance à la structure à travers des recommandations de l’Inter-académie partnership (Iap). Elle a ressenti ce besoin d’avoir des jeunes scientifiques pour faire la recherche, produire des évidences et les accompagner. Nous travaillons en parfaite collaboration avec l’Académie nationale. Nous sommes impliqués dans toutes ses activités. On les invite aussi lors de nos activités sectorielles pour qu’ils puissent nous encadrer, nous conseiller et également nous orienter.
Vous faites, en même temps, la recherche et la promotion des sciences. Vos travaux bénéficient-ils d’une attention de la part des décideurs ?
Je vais relativiser. Par exemple, pour les évidences scientifiques dans le domaine de la parasitologie, avec le traitement du paludisme, les Tests de diagnostic rapide (Tdr) sont des évidences qui sont venues de la recherche scientifique. On a pu démontrer que si on les utilise au niveau rural, on peut détecter le plasmodium et le traiter rapidement. Mais cela ne veut pas dire que tous les résultats scientifiques obtenus sont traduits en politiques. C’est pourquoi cette académie organise des fora pour faire la promotion de la vulgarisation des résultats de la recherche. Ces efforts méritent d’être soutenus à travers un accompagnement par les politiques publiques. Celles-ci doivent nous encadrer et nous accompagner pour une meilleure visibilité de ce que nous faisons. Le goulot d’étranglement reste le financement. En tant qu’académie des jeunes, on n’a pas de financement de l’État. Nous pensons que de jeunes scientifiques, qui se réunissent pour la promotion de la science, mériteraient d’avoir un soutien de la part des autorités. C’est un plaidoyer que je fais. Mais, il faut aller au-delà et augmenter les blocs scientifiques et également former les enseignants dans les séries scientifiques. On s’est rendu compte que, de plus en plus, il y a des séries scientifiques qui deviennent rares du fait d’un désengagement global de la part des enseignants, des élèves, de la communauté de manière globale. Il faudra vraiment susciter cet engouement pour que les séries scientifiques regagnent de la place.
On constate aussi que, malgré les efforts de l’État concernant la promotion des séries scientifiques, les élèves s’engagent moins dans ces filières. Qu’est-ce qui justifie cela ?
C’est vrai qu’il y a une déperdition des séries scientifiques. C’est un constat et il faudra une bonne sensibilisation pour faire aimer la science. La science n’est pas compliquée. Elle est absorbable comme tout autre domaine. Donc, il faut une bonne sensibilisation de la communauté et des élèves. Celle-ci doit passer par certaines stratégies comme donner aux meilleurs élèves des séries scientifiques des bourses, des manuels et même un encadrement. Faciliter l’accès à l’information scientifique et la recherche scientifique.
Que pensez-vous de la place des filles dans les séries scientifiques au Sénégal ?
On s’est rendu compte, nous qui sommes au niveau supérieur, qu’il y a même un sous-effectif du genre féminin dans le domaine scientifique. Cela est dû à plusieurs facteurs. Maintenant, les autorités et même les bailleurs de fonds sont conscients de cela et essaient de voir comment faciliter l’accès des femmes aux études scientifiques. Ils sont en train de voir comment être souples par rapport au genre. C’est-à-dire les encadrer, leur donner des congés de maternité et un accompagnement supplémentaire.
Et quels sont les défis à relever pour le développement des filières scientifiques face notamment à la percée du numérique ?
Les défis sont énormes. Maintenant, on tend vers l’enseignement bimodal. Donc, nous, en tant qu’enseignants, on est obligés d’être formés sur comment enseigner avec le numérique et les apprenants aussi doivent pouvoir l’utiliser. Les métiers du numérique, notamment ceux liés au digital, deviennent incontournables. De plus en plus, il faut que les gens soient formés sur la robotique, la digitalisation, la modélisation. Parce que ce sont des métiers d’avenir. Dans le domaine de la santé, par exemple, la modélisation permet de prédire les maladies qui vont venir et leur prévalence. Avec les outils numériques qu’on a, il faudra que les gens soient suffisamment formés sur la télédétection, le spatial, etc. Les autorités en sont conscientes mais, il faudra mettre les moyens et former les gens pour qu’ils puissent allier apprentissage et pratique.
Source : https://lesoleil.sn/pr-maguette-ndiaye-president-d...