À la mi-mars, Karim Wade a annoncé sa volonté d'en découdre avec Macky Sall lors de l’élection présidentielle de 2019. Mais le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade pourra-t-il seulement passer le cap de la candidature ?
« Si ce projet de loi est voté par les députés, il ne pourra pas se présenter à l’élection présidentielle », estime Babacar Guèye, professeur en droit constitutionnel à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). En cause : l’ajout d’un simple mot dans le code électoral, susceptible d’invalider la candidature de l’opposant, en exil au Qatar depuis bientôt deux ans.
L’ancien « ministre du Ciel et de la Terre » avait été condamné en mars 2015 à six ans de prison pour "enrichissement illicite, avant d’être gracié par le président Macky Sall en juin 2016.
En vertu de l’article L.32 du code électoral, sa peine l’empêche de s’inscrire sur les listes électorales pendant une durée de cinq ans. Mais, paradoxalement, elle n’interdit en rien à Karim Wade de concourir à l’élection présidentielle.
Brèche juridique
Interdit de vote, mais éligible à la magistrature suprême… Cette brèche juridique – qui n’existe pas dans le cas de l’élection des députés – pourrait être colmatée à l’occasion de l’examen d’un projet de loi déposé par le gouvernement au bureau du président de l’Assemblée nationale. Ce texte prévoit de modifier très légèrement, avec l’insertion d’un seul mot, l’article L.57 du code électoral, en disposant que « tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».
En d’autres termes, être candidat nécessiterait désormais, d’être inscrit au préalable sur les listes électorales. Ce que le Conseil constitutionnel pourrait – dans le cas où le projet de loi serait adopté – opposer à Karim Wade au moment de l’examen de sa candidature.
Suivant la même logique, les ambitions présidentielles prêtées à l'opposant et maire de Dakar, Khalifa Sall pourraient également pâtir du vote de ce projet de loi. Le 30 mars, l’édile a été condamné à cinq ans de prison ferme dans l’affaire de la caisse d’avance de la municipalité.
Si Khalifa Sall épuise ses recours avant le dépôt des candidatures auprès du Conseil constitutionnel, il serait alors interdit d’inscription sur les listes électorales et, par conséquent, dans l’impossibilité de concourir à la présidentielle.
« Une volonté d’écarter Karim Wade »
« Il y a clairement une volonté d’écarter Karim Wade de la course, dénonce Me El Hadj Amadou Sall, militant de la première heure du Parti démocratique sénégalais (PDS) et ancien ministre de la Justice de Abdoulaye Wade. Ce n’est pas pour autant que le pouvoir y parviendra. La seule question à se poser, c’est de savoir si les juges seront capables de faire respecter le droit. »
La loi a une portée générale, elle ne s’intéresse pas à des cas particuliers, qu’ils s’appellent Karim Wade ou Khalifa Sall
« La loi a une portée générale, estime pour sa part Aymérou Gningue, le chef de la majorité parlementaire Benno Bokk Yakaar (la coalition au pouvoir au Sénégal). Elle ne s’intéresse pas à des cas particuliers, qu’ils s’appellent Karim Wade ou Khalifa Sall. En l’occurrence, le fait qu’un Sénégalais souhaitant être candidat à la présidentielle doive au moins être inscrit sur les listes électorales, ne me choque pas. »
Loin de se cantonner à un seul article, le projet de loi du gouvernement introduit une autre innovation majeure, en obligeant tous les impétrants à la présidentielle à obtenir le parrainage d’au moins 1 % du corps électoral – qui compte environ 6,5 millions de personnes. Au grand dam du Parti démocratique sénégalais, qui a dénoncé dans un communiqué une disposition imaginée par l’Exécutif « pour contrôler les candidatures à l’élection présidentielle ».
L’inflation des prétendants
Jusqu’à présent, l’obligation du parrainage concernait uniquement les candidats indépendants, qui devaient obtenir au moins 10 000 signatures. Désormais, tous devront recueillir les signatures d’environ 65 000 personnes provenant obligatoirement de sept régions. Même chose pour les législatives, où l’ensemble des candidats devront réunir les signatures d’au moins 0,5 % des électeurs.
On ne peut pas se permettre d’avoir 60 ou 70 listes l’an prochain. Ce serait ingérable
Objectif affiché du gouvernement : limiter l’inflation des prétendants, dont le nombre est allé croissant de scrutin en scrutin. « Lors des élections locales de 2014, les Sénégalais avaient le choix entre plus de 2 960 listes, dénonce El Hadj Hamidou Kassé, ministre conseiller en charge de la Communication du chef de l’État. Pour les législatives de 2017, on a vu s’opposer 47 listes. Or, seulement trois d’entre elles ont dépassé les 5 % [le seuil minimal pour pouvoir être remboursé de la caution électorale, ndlr]. On ne peut pas se permettre d’avoir 60 ou 70 listes l’an prochain. Ce serait ingérable.»
Reste que le parrainage par les citoyens présente plusieurs inconvénients, déjà mis en évidence lors de la présidentielle de 2012. Un scrutin marqué par la décision de la Cour constitutionnelle de rejeter les candidatures indépendantes de Kéba Keinde, Youssou Ndour et Abdourahmane Sarr, en jugeant que ces derniers n’avaient pas recueilli les 10 000 signatures exigées pour participer à la compétition électorale.
Des milliers de signatures invalidées
Chargée de l’examen des signatures, la Direction de l’automatisation des fichiers (DAF) – une instance directement rattachée au ministère de l’Intérieur – avait invalidé plusieurs milliers de signatures des trois candidats indépendants. Une opération réalisée sans le concours de la Commission électorale nationale autonome (Cena), qui a pourtant pour mission de « contrôler et superviser l’ensemble des opérations électorales et référendaires ».
Après avoir consulté des listes partielles d’électeurs, les observateurs de la mission électorale de l’Union européenne avaient calculé qu’au moins 500 signatures rejetées par la DAF, auraient dû être validées.
« Une transparence absolue »
« Il y aura une transparence absolue autour de la procédure de collecte, de vérification et de validation des signatures, promet El Hadj Hamidou Kassé. Pour le reste, il faut savoir raison garder. Ce n’est pas le président Macky Sall qui peut dire si tel ou tel candidat peut se présenter. Cette prérogative appartient aux institutions, qui se basent uniquement sur des textes légaux. »
À mesure que s’approche l’élection présidentielle, l’incertitude sur la présence des deux principaux opposants pèse lourd sur le climat politique.
Dans son communiqué, le PDS « rappelle à Macky Sall que lorsque le gouvernement, les députés et les juges exercent les pouvoirs qui leur sont délégués en violation des droits du peuple, celui-ci se donne le devoir sacré de s’y opposer par tous les moyens prévus par la Constitution de la République ».
Jeune Afrique