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Prince de rang, démocrate en situation

Un prince, un citoyen issu des anciennes couches ou classes dirigeantes, peut-il prétendre à la citoyenneté et à la direction des affaires en République, sans avoir à « abdiquer » du statut que lui confère son ascendance, ni subir la loi d’airain –et du Talion- de la prédiction biblique : « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers » ?


Rédigé par leral.net le Mardi 29 Juillet 2008 à 10:00 | | 0 commentaire(s)|

Prince de rang, démocrate en situation
Dès l’abord, il nous faut faire justice d’une idée reçue, qui, bien que recoupant une réalité certaine dans bien de situations et de « survenances » historiques, n’en relève pas moins, à grands traits de préjugés et de clichés, que la conquête impériale –impérialiste- a vite fait d’imprimer dans la conscience collective des indigènes « évolués » ou en quête de reconnaissance des tenants d’une modernité pseudo civilisatrice.

Les monarchies des vieilles nations européennes représentées par des familles régnantes issues de dynasties médiévales, remettent-elles en question la qualité des systèmes politiques des pays concernés ? La Reine d’Angleterre règne sur un Royaume où le « soleil ne se couche jamais », allant de la Grande Bretagne au Canada en passant par l’Australie, dont les systèmes politiques sont considérés par tous les démocrates et républicains de la planète, comme étant parmi les plus démocratiques. Que dire de l’Espagne, de la Belgique ou, plus près de nous, du Lesotho ? Si on exclut les monarchies arabes qui rivalisent, pour l’essentiel avec certaines dictatures « républicaines », on se rend compte que l’évolution constitutionnelle des Etats et des peuples, aboutit la plupart du temps, à des régimes et des systèmes politiques et institutionnels tributaires de processus qui en déterminent la nature, le contenu et la qualité.

L’entreprise de conquête coloniale - Bible en main et la diplomatie de la canonnière qui lui a ouvert la voie- a été souvent l’œuvre de monarques et de souverains, dont le premier mouvement fut paradoxalement, la négation-destruction des systèmes politiques, des modes d’organisation sociale, des valeurs et référents culturels, des croyances et coutumes structurant l’espace et la vie des anciens et des nouveaux barbares. Africains notamment.

C’est ce débat souvent ramené au binôme réducteur d’un conflit entre tradition –toute notre Histoire se résumerait à cette acception folklorique et ethnoprimitiviste – et modernisme, d’inspiration et d’essence occidentalo-mondialiste, judéo-chrétienne et universaliste, que pose l’itinérance de Mansour Bouna Ndiaye. Comme à son corps défendant, et en filigrane, il se livre et livre à la discussion, les termes d’une quête qui n’en n’est pas moins revendication.

L’aîné de Bouna Alboury, l’héritier du dernier Buurba Jolof et frère de Sidy Alboury, voit tout son parcours fatalement imprégné par cette problématique. Il porte haut et fièrement, avec allure et allant, le manteau princier qui achève d’affiner son profil d’aristocrate. Il prouve dans le mouvement du récit, et à suffisance, que l’on peut être prince et démocrate, car les deux ne sont pas irréductiblement antinomiques.

Son combat politique, ses convictions, sa vaste culture à la fois historique et contemporaine, achèvent de profiler un homme de son temps, un citoyen du monde, un aristocrate des Lumières un preux et intrépide chevalier des temps modernes. Un prince en République, doublé d’un démocrate en situation. Mansour Bouna Ndiaye est sans aucun doute, tout cela à la fois !

Témoin et acteur des évènements de son temps et du temps qui passe, dépositaire de la geste et des occurrences de l’histoire de cette partie du continent et de son interaction avec la métropole et le reste du monde, l’auteur allie les talents envoûtants du conteur-narrateur à une plume rafraichissante et généreuse.

Succulence, truculences et turbulences, sont les principales caractéristiques de ce carnet de bord autobiographique d’un homme qui pratiquement a tout essayé, s’est essayé à tout, avec comme arme, une conscience aigüe de sa destinée et sa foi, harnachées par un père rigoureux et prévenant, authentique et visionnaire.

Il a su, par la praxis, démontrer avec justesse et esprit de suite, que les descendants des bâtisseurs des grands empires, peuvent bien s’intégrer dans des processus démocratiques, voire révolutionnaires. Les tribulations de l’auteur, participent des appétences d’une quête existentielle en perpétuelle ébullition.

L’historiographie coloniale avec ses tentatives d’occultation et de négationnisme a voulu faire table rase de tout élément endogène pouvant remettre en question l’ordre impérialiste et hégémoniste des nouveaux maîtres et des élites locales cooptées des indépendances octroyées, dont les plus dociles et les plus zélées ont été recrutées parmi les éléments « d’extraction populaire », avec la promesse d’une hypothétique revanche sociale sur les anciens maîtres du pays. Il faut être clair. L’histoire de nos pays ne peut échapper aux dynamiques et aux logiques de même nature que celles qui ont structuré l’humanité de l’Antiquité à nos jours.

La lutte des classes sur fond de compétition pour l’appropriation des moyens de production et d’échanges au sein de formations sociales hiérarchisées a gouverné les rapports entre les hommes sur le continent, bien que les mécanismes ne fussent pas toujours appréhendés par l’outillage théorique et conceptuel de l’analyse classique.

Des rois sanguinaires, il y en a eu, en Afrique et ailleurs, comme il y a aujourd’hui encore des présidents génocidaires, coupables des pires crimes contre l’humanité. Il n’empêche que la Constitution du Royaume du Jolof -tout comme la Charte du Mandé- n’avait rien à envier, du point de vue de son mode de dévolution de pouvoir, aux constitutions d’essence monarchique et/ou républicaine, d’hier et d’aujourd’hui.

L’Histoire, la grande, retiendra, que déjà au 13ème siècle, le Jolof faisait désigner son souverain par sept Sages, siégeant au sein d’un Grand Conseil dont aucun ne portait le patronyme de Ndiaye, celui des membres de la dynastie régnante. Les critères retenus tenaient compte du « bon caractère, de la générosité, du courage au combat et surtout de l’influence prouvée par le grand nombre de partisans ». Il est vrai que cela ne suffit pas à la qualité d’un système politique ou de gouvernement –cependant, on retrouve un régime proche de celui des grands électeurs ou du suffrage censitaire. Même si le mode de sélection tenait plus par le rang princier et le lien de sang, au Jolof, le fils n’était ni naturellement, ni automatiquement, le successeur désigné du Roi.

Au total, cette nouvelle production de Mansour Bouna Ndiaye, Prince de sang et de rang -et de son temps- est une grande fresque, où anecdotes, portraits, récits politiques, satyre sociale et évocation de grandes figures et de pans significatifs de l’histoire politique contemporaine, constitue une source inépuisable d’inspiration et un viatique pour demain. C’est-à-dire aujourd’hui.

Niang Pape Alé