De même, en écho à ses recommandations, le Patronat du secteur formel à mis sur la table ses préoccupations sur cette problématique.
Le mouvement syndical Sénégalais, ainsi interpellé, trouve aujourd’hui l’occasion de donner son point de vue sur ces questions vitales qui sont au cœur de sa lutte pour défendre le monde du travail.
II) Comment les partenaires du monde du travail abordent ils
cette problématique ?
Les bailleurs de fonds et notre Patronat tentent, depuis longtemps, de persuader les travailleurs et l’opinion publique, que c’est la création des richesses, donc la productivité du travail, qui est la source de la croissance du PIB, qui détermine la capacité d’un pays et de ses entreprises à créer des emplois.
Or, ils prétendent qu’il ya incompatibilité entre productivité du travail et le système actuel de protection du travail (Code du travail) et de protection sociale des travailleurs (vieillesse et Santé des travailleurs salariés) dans le secteur formel.
Donc, selon leurs perceptions, notre système de protection du travail et de protection sociale dans le secteur formel, est responsable de l’incapacité de notre pays à créer des emplois à la hauteur des besoins de la population active.
C’est ainsi que la Banque mondiale dans son Etude intitulée « Sénégal à la recherche de l’emploi : le chemin de la prospérité » Septembre 2007, dans sa recommandation no 6 propose :
« de faciliter l’accès à un travail et le passage à la formalité, et non pas la protection de ceux qui ont un emploi formel : ( il faut) favoriser le travail à durée déterminée et temporaire et simplifier l’usage des heures supplémentaires ».
« de garantir une sécurité et l’hygiène du travail : (régler) l’ insuffisance de prise en charge à cause du manque d’Inspecteurs du travail ( qui sont) au nombre de 21.
« de flexibiliser l’accès aux systèmes de protection sociale trop coûteux, par l’introduction d’un système de capitalisation et par l’élargissement de l’accès suivant l’exemple du projet pilote d’assurance sociale pour les routiers.
La Banque mondiale recommande donc le « partage du travail permanent » pour lutter contre le chômage, et la « privatisation » de notre système de sécurité sociale pour réduire son coût et ses prestations, comme moyen de son extension au plus grand nombre.
Ce partage devrait donc se faire, non pas par la réduction du temps du travail, comme le préconisaient les Socialistes Français avec les 35 heures, mais bien, par la baisse du niveau de protection du travail et de la sécurité sociale des travailleurs salariés du secteur formel.
Au Sénégal, suite à la dévaluation de 1994 comme politique d’ajustement structurel externe, les travailleurs avaient accepté une plus grande flexibilité du travail par la révision de l’Article 47 du Code du travail sur les licenciements pour motif économique, après avoir concédé au paravent , durant les années d’ajustement structurel interne, la levée des contraintes sur les contrats à durée déterminée au nom de la création des emplois.
Ainsi, la réduction des coûts salariaux, par la précarisation des emplois et par la baisse des cotisations sociales des employeurs, est présentée comme la voie royale pour élever la productivité du travail et la capacité des entreprises à créer des emplois !
Mais pour éviter que les travailleurs et leurs syndicats ne se mobilisent contre cette agression manifeste, la privatisation de la sécurité sociale, par l’avènement de la retraite par capitalisation et la privatisation de l’assurance maladie, leur sont présentées comme les seuls moyens modernes, à l’époque du règne des placements boursiers, pour assurer l’amélioration continue de la santé des travailleurs et de leurs conditions de vie à la retraite.
Cependant, cette attaque en règle contre les conquêtes du monde du travail Sénégalais, repose plutôt sur des préoccupations idéologiques de la Banque mondiale, que sur des faits objectifs observés.
En effet, dans le cadre de la mondialisation libérale, il ya d’abord peu d’évidences qui montrent un lien positif étroit entre la croissance et la création d’emplois.
Cela a été attesté par le Rapport BIT/ 2009 sur les « Relations entre croissance et création d’emplois ».
C’est ainsi que dans ce rapport, il est clairement écrit que « les estimations démontrent qu’ avec un point de pourcentage (1 %) de croissance du PIB, l’emploi global ne progresse que de 0,3 % entre 1999 et 2003, soit une baisse de 0,38 point par rapport à la période 1995 et 1999 ».
Donc, l’augmentation de la croissance a coïncidé avec une baisse relative des emplois !
La Banque mondiale ne pouvait, d’aucune manière, ignorer les conclusions de ce rapport du BIT, mais, pour des raisons idéologiques, elle a préféré fermer les yeux sur celles-ci qui démontrent sans équivoque que, sous le règne du capital financier dans le cadre de la mondialisation libérale, la croissance du PIB a été obtenue au détriment de la création d’emplois.
Tous les sacrifices consentis par les travailleurs par « fatalisme », ou à la demande de leurs syndicats, pour une plus grande flexibilité du travail et pour la privatisation de leur système de sécurité sociale, ont servi à la croissance au profit des détenteurs du capital financier, et au détriment de la création d’emplois, au nom de laquelle ils ont consenti ces sacrifices.
Mais cette conviction doctrinaire est, aujourd’hui, ébranlée, selon les données de la Banque mondiale elle-même, dans sa fameuse étude citée plus haut, « Sénégal à la recherche de l‘emploi : le chemin de la prospérité ».
IL a été noté dans cette étude, que :
« dans un échantillon de plus de trois milles (3000) entreprises, il apparaît d’une part, qu’il ya 12800 emplois créés chaque année par les entreprises, soit 12 % des effectifs, dont 2,4 %résultant de nouvelles créations d’entreprises. Et d’autre part, les entreprises de l’échantillon ont détruit 9500 emplois par an, soit 9,1 % des effectifs ».
En d’autres termes, les entreprises anciennes ont créé 9,6 % d’emplois, qui sont la différence entre les 12 % et les 2,4 %., et ont détruit 9,1 % des emplois !
Il est donc ainsi établi que la flexibilité de l’emploi n’a pas été facteur de création d’emplois, mais de destruction de l’emploi permanent existant, pour le remplacer par l’emploi précaire, qui signifie au Sénégal une baisse des salaires et une perte de sécurité sociale.
Malgré cette évidence qui ressort de son étude, la Banque mondiale persiste et signe en soutenant que les entreprises moins soumises aux contraintes des codes du travail et de la sécurité sociale, créent plus d‘emplois qu’elles n’en détruisent.
Encore une fois, les propres chiffres de cette étude la Banque mondiale disent le contraire.
En effet, tout le monde sait, qu’au Sénégal, que les grandes entreprises de plus de cent (100) emplois, respectent mieux les dispositions des codes du travail et de la sécurité sociale que les petites entreprisses de 11 à 50 emplois.
Leur situation de rente, ou de quasi monopôle, et les exonérations diverses dont elles bénéficient, leur permettent de mieux se conformer à la réglementation du travail.
De même, si l’on compare leurs performances en matière de création et destruction d’emplois avec celles des petites entreprises, l’on obtient ce qui suit :
- 7,6 % de création d’emplois contre une destruction de 3,4 %, soit un taux de destruction de 44,7 % pour les grandes entreprises.
- 11,6 % de créations d’emplois contre une destruction de 5,4 %, soit un taux de destruction de 46,5 % pour les petites entreprises.
Même la comparaison avec les entreprises moyennes, (51 à 100 emplois), montre bien que le taux de destruction des emplois de 56%, traduit leur incapacité à créer des emplois, malgré la flexibilité du travail qu’elles ont arraché à leurs travailleurs.
Donc, les grandes entreprises affichent un meilleur bilan de création nette d’emplois que les petites et les moyennes qui ont, pourtant, moins de contraintes pour recruter et pour licencier.
Ce qui est donc en cause dans les problèmes de création d’emplois décents au Sénégal, c’est le système économique du Sénégal, et non les contraintes qui pèsent sur le recrutement et le licenciement.
Ce système économique, marqué par la libéralisation et la privatisation, est la pâle copie de la mondialisation libérale qui a prouvé son incapacité à créer des emplois, tel que cela ressort du rapport du BIT cité plus haut.
III) Les DSRP ont-ils réduit la pauvreté ?
La conception des DSRP résulte des conclussions que les Institutions de Bretton Woods ont tiré de l’expérience des politiques d’ajustement des années 90 et des réponses des Chefs d’Etat des grandes puissances à la puissante revendication du mouvement Tiers -mondiste pour l’annulation de la dette des pays pauvres.
En effet, dans les pays comme le Sénégal, le rétablissement des équilibres macro économiques et la croissance économique, n’ont pu être obtenus qu’après la dévaluation du Franc CFA en Janvier 1994, après plus d’une décennie d’ajustement interne.
En effet, après la dévaluation en 1994, le taux de croissance moyen du PIB entre 1995 et 1998 a été supérieur à 5 %, le taux d’inflation avait atteint un niveau inférieur au plafond de 3%, et le déficit budgétaire s’était transformé en excédent budgétaire dés 1998.
Cependant, les tenants des politiques d’ajustement avaient constaté que cette embellie était accompagnée d’un accroissement spectaculaire de la pauvreté et de l’endettement extérieur du Sénégal.
C’est ainsi qu’en 1994-95, le taux de pauvreté des ménages avait atteint 57% contre 33 % en 1990-91, et le service de la dette était passé de 4,5 % des exportations et de 11 % des recettes fiscales en 1994, à respectivement 12 % et 21,3 % en 1999.
Les DSRP devaient donc convertir la dette en financement des programmes destinés à réduire la pauvreté, sans porter préjudice aux acquis des politiques d’ajustement en terme d’équilibre macroéconomique , de libéralisation de l’économie nationale , de privatisation des secteurs marchands, et de désengagement de l’Etat, pour en finir avec les subventions, et laisser ainsi le marché répartir de façon optimale les ressources.
Les bailleurs de fonds ont cru que les DSRP pouvaient prendre en charge les distorsions dans la répartition des ressources, que le marché, provisoirement, n’a pas pu régler, afin de permettre de porter la croissance du PIB de 7 à 8 %, qui sont les niveaux estimés nécessaires pour réduire le taux de pauvreté de moitié en 2015.
Au résultat, avec le DSRP I, le taux de croissance moyen du PIB a été de 6% entre 2003 et 2005, mais, cette embellie de la croissance était accompagnée d’une tendance à la baisse du revenu par habitant, qui était passé de 4,1 % en 2003 à 3,6 % en 2004 et 2,3 % en 2005.
Mais, curieusement, cette baisse des revenus par habitant n’a pas empêché le pouvoir de déclarer que le taux de pauvreté avait baissé de 57,1 % à 50,6 % entre 2001- 2002 et 2004-2005 !.
Dans le cadre du DSRP II, (2006-2010), le taux de croissance du PIB dégringole, en se situant dans une moyenne de 3,7 % entre 2005 et 2008, donc très en dessous des performances de 5 % avant les DSRP.
Cela aussi n’a pas empêché le pouvoir de soutenir, à nouveau, que le taux de pauvreté en 2007 est de 48,4 % !!
En d’autres termes, la pauvreté au Sénégal baisse au fur et à mesure que baisse le taux de revenu par habitant, ou le taux de croissance du PIB !!!!
Et cela, même lorsqu’il est évident que les inégalités dans la répartition des revenus chez les ruraux ont augmenté dans la période, avec un coefficient de GINI qui est passé de 17,2 % en 2005-2006 à 17,4 % en 2006-2007.
Ils ne sont pas ébranlés dans leur conviction, même par le fait que, depuis 2002, les salaires du secteur privé sont bloqués, et que les augmentations de salaires obtenues par les agents de l’Etat, et de pensions pour les retraités, ont été laminés par un taux d’inflation de 5,8 %.
Donc, malgré la libéralisation de l’économie, les privatisations, et la reconversion de la dette pour financer des DSRP, leur politique économique n’a pas pu créer des conditions de croissance compatible avec les nécessités de réduction de la pauvreté.
Au contraire, la pauvreté s’est élargie aux couches moyennes.
IV) Conclusion
Dans le contexte de la crise financière internationale qui sévit dans le monde, et à la vue des programmes et orientations de sortie de crise mis en œuvre par les grandes puissances dans leurs propres pays, il est temps de se convaincre :
- a) que la destruction des revenus des travailleurs par la flexibilisation du travail et la privatisation des entreprises publiques du secteur marchand, et des systèmes de sécurité sociales, a été, aux USA, la cause de leur insolvabilité, qui, à son tour, a entrainé la faillite des entreprises d’assurances, puis des banques, et ensuite, des entreprises industrielles entrées pleinement dans la récession actuelle au plan mondial.
- b) qu’il est illusoire de penser promouvoir la création d’emplois nouveaux au détriment d’emplois existants.
- c) que la privatisation des systèmes de sécurité sociale a contribué à la création de puissants fonds de pension, qui ont donné naissance aux fonds spéculatifs ( Hedge funds).
Cela a entraîné la destruction massive des emplois, la crise financière internationale actuelle, qui accentue cette destruction, et la perte de pension de retraite pour des centaines de millions de travailleurs qui ont cru aux bienfaits de cette politique.
- d) que les pays occidentaux qui ont le mieux résisté à cette crise, sont ceux qui n’ont pas pu privatiser leur système de sécurité sociale, comme c’est le cas de la France.
- e) que la promotion d’un système de sécurité sociale par répartition fait partie des solutions de sortie de crise, comme aux Etats-Unis sous OBAMA.
- f) que l’amélioration du revenu des travailleurs par la réduction des impôts sur leur salaires, la création d’emplois publics par de grands travaux d’intérêt public, le soutien public des entreprises en difficulté pour préserver les emplois, et la protection des entreprises locales contre la concurrence étrangère, malgré les protestations des uns et les engagements des autres, font partie intégrante des solutions de sortie de crise.
- g) que la promotion d’emplois décents, telle que recommandée par le BIT, à la place d’emplois précaires sous rémunérés et sans sécurité sociale, fait partie des solutions de sortie de crise chez les grandes puissances, et de moyen de lutte contre la pauvreté dans nos pays.
- h) que la lutte contre la pauvreté ne saurait prospérer dans des politiques qui élargissent la pauvreté aux travailleurs existant et aux couches moyennes, encore moins dans la paupérisation du monde rural.
- i) que la réduction de la pauvreté rurale passe par le soutien à la production des exploitations agricoles familiales, et non pas par la promotion de l’agrobusiness à leur place.
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL
Le mouvement syndical Sénégalais, ainsi interpellé, trouve aujourd’hui l’occasion de donner son point de vue sur ces questions vitales qui sont au cœur de sa lutte pour défendre le monde du travail.
II) Comment les partenaires du monde du travail abordent ils
cette problématique ?
Les bailleurs de fonds et notre Patronat tentent, depuis longtemps, de persuader les travailleurs et l’opinion publique, que c’est la création des richesses, donc la productivité du travail, qui est la source de la croissance du PIB, qui détermine la capacité d’un pays et de ses entreprises à créer des emplois.
Or, ils prétendent qu’il ya incompatibilité entre productivité du travail et le système actuel de protection du travail (Code du travail) et de protection sociale des travailleurs (vieillesse et Santé des travailleurs salariés) dans le secteur formel.
Donc, selon leurs perceptions, notre système de protection du travail et de protection sociale dans le secteur formel, est responsable de l’incapacité de notre pays à créer des emplois à la hauteur des besoins de la population active.
C’est ainsi que la Banque mondiale dans son Etude intitulée « Sénégal à la recherche de l’emploi : le chemin de la prospérité » Septembre 2007, dans sa recommandation no 6 propose :
« de faciliter l’accès à un travail et le passage à la formalité, et non pas la protection de ceux qui ont un emploi formel : ( il faut) favoriser le travail à durée déterminée et temporaire et simplifier l’usage des heures supplémentaires ».
« de garantir une sécurité et l’hygiène du travail : (régler) l’ insuffisance de prise en charge à cause du manque d’Inspecteurs du travail ( qui sont) au nombre de 21.
« de flexibiliser l’accès aux systèmes de protection sociale trop coûteux, par l’introduction d’un système de capitalisation et par l’élargissement de l’accès suivant l’exemple du projet pilote d’assurance sociale pour les routiers.
La Banque mondiale recommande donc le « partage du travail permanent » pour lutter contre le chômage, et la « privatisation » de notre système de sécurité sociale pour réduire son coût et ses prestations, comme moyen de son extension au plus grand nombre.
Ce partage devrait donc se faire, non pas par la réduction du temps du travail, comme le préconisaient les Socialistes Français avec les 35 heures, mais bien, par la baisse du niveau de protection du travail et de la sécurité sociale des travailleurs salariés du secteur formel.
Au Sénégal, suite à la dévaluation de 1994 comme politique d’ajustement structurel externe, les travailleurs avaient accepté une plus grande flexibilité du travail par la révision de l’Article 47 du Code du travail sur les licenciements pour motif économique, après avoir concédé au paravent , durant les années d’ajustement structurel interne, la levée des contraintes sur les contrats à durée déterminée au nom de la création des emplois.
Ainsi, la réduction des coûts salariaux, par la précarisation des emplois et par la baisse des cotisations sociales des employeurs, est présentée comme la voie royale pour élever la productivité du travail et la capacité des entreprises à créer des emplois !
Mais pour éviter que les travailleurs et leurs syndicats ne se mobilisent contre cette agression manifeste, la privatisation de la sécurité sociale, par l’avènement de la retraite par capitalisation et la privatisation de l’assurance maladie, leur sont présentées comme les seuls moyens modernes, à l’époque du règne des placements boursiers, pour assurer l’amélioration continue de la santé des travailleurs et de leurs conditions de vie à la retraite.
Cependant, cette attaque en règle contre les conquêtes du monde du travail Sénégalais, repose plutôt sur des préoccupations idéologiques de la Banque mondiale, que sur des faits objectifs observés.
En effet, dans le cadre de la mondialisation libérale, il ya d’abord peu d’évidences qui montrent un lien positif étroit entre la croissance et la création d’emplois.
Cela a été attesté par le Rapport BIT/ 2009 sur les « Relations entre croissance et création d’emplois ».
C’est ainsi que dans ce rapport, il est clairement écrit que « les estimations démontrent qu’ avec un point de pourcentage (1 %) de croissance du PIB, l’emploi global ne progresse que de 0,3 % entre 1999 et 2003, soit une baisse de 0,38 point par rapport à la période 1995 et 1999 ».
Donc, l’augmentation de la croissance a coïncidé avec une baisse relative des emplois !
La Banque mondiale ne pouvait, d’aucune manière, ignorer les conclusions de ce rapport du BIT, mais, pour des raisons idéologiques, elle a préféré fermer les yeux sur celles-ci qui démontrent sans équivoque que, sous le règne du capital financier dans le cadre de la mondialisation libérale, la croissance du PIB a été obtenue au détriment de la création d’emplois.
Tous les sacrifices consentis par les travailleurs par « fatalisme », ou à la demande de leurs syndicats, pour une plus grande flexibilité du travail et pour la privatisation de leur système de sécurité sociale, ont servi à la croissance au profit des détenteurs du capital financier, et au détriment de la création d’emplois, au nom de laquelle ils ont consenti ces sacrifices.
Mais cette conviction doctrinaire est, aujourd’hui, ébranlée, selon les données de la Banque mondiale elle-même, dans sa fameuse étude citée plus haut, « Sénégal à la recherche de l‘emploi : le chemin de la prospérité ».
IL a été noté dans cette étude, que :
« dans un échantillon de plus de trois milles (3000) entreprises, il apparaît d’une part, qu’il ya 12800 emplois créés chaque année par les entreprises, soit 12 % des effectifs, dont 2,4 %résultant de nouvelles créations d’entreprises. Et d’autre part, les entreprises de l’échantillon ont détruit 9500 emplois par an, soit 9,1 % des effectifs ».
En d’autres termes, les entreprises anciennes ont créé 9,6 % d’emplois, qui sont la différence entre les 12 % et les 2,4 %., et ont détruit 9,1 % des emplois !
Il est donc ainsi établi que la flexibilité de l’emploi n’a pas été facteur de création d’emplois, mais de destruction de l’emploi permanent existant, pour le remplacer par l’emploi précaire, qui signifie au Sénégal une baisse des salaires et une perte de sécurité sociale.
Malgré cette évidence qui ressort de son étude, la Banque mondiale persiste et signe en soutenant que les entreprises moins soumises aux contraintes des codes du travail et de la sécurité sociale, créent plus d‘emplois qu’elles n’en détruisent.
Encore une fois, les propres chiffres de cette étude la Banque mondiale disent le contraire.
En effet, tout le monde sait, qu’au Sénégal, que les grandes entreprises de plus de cent (100) emplois, respectent mieux les dispositions des codes du travail et de la sécurité sociale que les petites entreprisses de 11 à 50 emplois.
Leur situation de rente, ou de quasi monopôle, et les exonérations diverses dont elles bénéficient, leur permettent de mieux se conformer à la réglementation du travail.
De même, si l’on compare leurs performances en matière de création et destruction d’emplois avec celles des petites entreprises, l’on obtient ce qui suit :
- 7,6 % de création d’emplois contre une destruction de 3,4 %, soit un taux de destruction de 44,7 % pour les grandes entreprises.
- 11,6 % de créations d’emplois contre une destruction de 5,4 %, soit un taux de destruction de 46,5 % pour les petites entreprises.
Même la comparaison avec les entreprises moyennes, (51 à 100 emplois), montre bien que le taux de destruction des emplois de 56%, traduit leur incapacité à créer des emplois, malgré la flexibilité du travail qu’elles ont arraché à leurs travailleurs.
Donc, les grandes entreprises affichent un meilleur bilan de création nette d’emplois que les petites et les moyennes qui ont, pourtant, moins de contraintes pour recruter et pour licencier.
Ce qui est donc en cause dans les problèmes de création d’emplois décents au Sénégal, c’est le système économique du Sénégal, et non les contraintes qui pèsent sur le recrutement et le licenciement.
Ce système économique, marqué par la libéralisation et la privatisation, est la pâle copie de la mondialisation libérale qui a prouvé son incapacité à créer des emplois, tel que cela ressort du rapport du BIT cité plus haut.
III) Les DSRP ont-ils réduit la pauvreté ?
La conception des DSRP résulte des conclussions que les Institutions de Bretton Woods ont tiré de l’expérience des politiques d’ajustement des années 90 et des réponses des Chefs d’Etat des grandes puissances à la puissante revendication du mouvement Tiers -mondiste pour l’annulation de la dette des pays pauvres.
En effet, dans les pays comme le Sénégal, le rétablissement des équilibres macro économiques et la croissance économique, n’ont pu être obtenus qu’après la dévaluation du Franc CFA en Janvier 1994, après plus d’une décennie d’ajustement interne.
En effet, après la dévaluation en 1994, le taux de croissance moyen du PIB entre 1995 et 1998 a été supérieur à 5 %, le taux d’inflation avait atteint un niveau inférieur au plafond de 3%, et le déficit budgétaire s’était transformé en excédent budgétaire dés 1998.
Cependant, les tenants des politiques d’ajustement avaient constaté que cette embellie était accompagnée d’un accroissement spectaculaire de la pauvreté et de l’endettement extérieur du Sénégal.
C’est ainsi qu’en 1994-95, le taux de pauvreté des ménages avait atteint 57% contre 33 % en 1990-91, et le service de la dette était passé de 4,5 % des exportations et de 11 % des recettes fiscales en 1994, à respectivement 12 % et 21,3 % en 1999.
Les DSRP devaient donc convertir la dette en financement des programmes destinés à réduire la pauvreté, sans porter préjudice aux acquis des politiques d’ajustement en terme d’équilibre macroéconomique , de libéralisation de l’économie nationale , de privatisation des secteurs marchands, et de désengagement de l’Etat, pour en finir avec les subventions, et laisser ainsi le marché répartir de façon optimale les ressources.
Les bailleurs de fonds ont cru que les DSRP pouvaient prendre en charge les distorsions dans la répartition des ressources, que le marché, provisoirement, n’a pas pu régler, afin de permettre de porter la croissance du PIB de 7 à 8 %, qui sont les niveaux estimés nécessaires pour réduire le taux de pauvreté de moitié en 2015.
Au résultat, avec le DSRP I, le taux de croissance moyen du PIB a été de 6% entre 2003 et 2005, mais, cette embellie de la croissance était accompagnée d’une tendance à la baisse du revenu par habitant, qui était passé de 4,1 % en 2003 à 3,6 % en 2004 et 2,3 % en 2005.
Mais, curieusement, cette baisse des revenus par habitant n’a pas empêché le pouvoir de déclarer que le taux de pauvreté avait baissé de 57,1 % à 50,6 % entre 2001- 2002 et 2004-2005 !.
Dans le cadre du DSRP II, (2006-2010), le taux de croissance du PIB dégringole, en se situant dans une moyenne de 3,7 % entre 2005 et 2008, donc très en dessous des performances de 5 % avant les DSRP.
Cela aussi n’a pas empêché le pouvoir de soutenir, à nouveau, que le taux de pauvreté en 2007 est de 48,4 % !!
En d’autres termes, la pauvreté au Sénégal baisse au fur et à mesure que baisse le taux de revenu par habitant, ou le taux de croissance du PIB !!!!
Et cela, même lorsqu’il est évident que les inégalités dans la répartition des revenus chez les ruraux ont augmenté dans la période, avec un coefficient de GINI qui est passé de 17,2 % en 2005-2006 à 17,4 % en 2006-2007.
Ils ne sont pas ébranlés dans leur conviction, même par le fait que, depuis 2002, les salaires du secteur privé sont bloqués, et que les augmentations de salaires obtenues par les agents de l’Etat, et de pensions pour les retraités, ont été laminés par un taux d’inflation de 5,8 %.
Donc, malgré la libéralisation de l’économie, les privatisations, et la reconversion de la dette pour financer des DSRP, leur politique économique n’a pas pu créer des conditions de croissance compatible avec les nécessités de réduction de la pauvreté.
Au contraire, la pauvreté s’est élargie aux couches moyennes.
IV) Conclusion
Dans le contexte de la crise financière internationale qui sévit dans le monde, et à la vue des programmes et orientations de sortie de crise mis en œuvre par les grandes puissances dans leurs propres pays, il est temps de se convaincre :
- a) que la destruction des revenus des travailleurs par la flexibilisation du travail et la privatisation des entreprises publiques du secteur marchand, et des systèmes de sécurité sociales, a été, aux USA, la cause de leur insolvabilité, qui, à son tour, a entrainé la faillite des entreprises d’assurances, puis des banques, et ensuite, des entreprises industrielles entrées pleinement dans la récession actuelle au plan mondial.
- b) qu’il est illusoire de penser promouvoir la création d’emplois nouveaux au détriment d’emplois existants.
- c) que la privatisation des systèmes de sécurité sociale a contribué à la création de puissants fonds de pension, qui ont donné naissance aux fonds spéculatifs ( Hedge funds).
Cela a entraîné la destruction massive des emplois, la crise financière internationale actuelle, qui accentue cette destruction, et la perte de pension de retraite pour des centaines de millions de travailleurs qui ont cru aux bienfaits de cette politique.
- d) que les pays occidentaux qui ont le mieux résisté à cette crise, sont ceux qui n’ont pas pu privatiser leur système de sécurité sociale, comme c’est le cas de la France.
- e) que la promotion d’un système de sécurité sociale par répartition fait partie des solutions de sortie de crise, comme aux Etats-Unis sous OBAMA.
- f) que l’amélioration du revenu des travailleurs par la réduction des impôts sur leur salaires, la création d’emplois publics par de grands travaux d’intérêt public, le soutien public des entreprises en difficulté pour préserver les emplois, et la protection des entreprises locales contre la concurrence étrangère, malgré les protestations des uns et les engagements des autres, font partie intégrante des solutions de sortie de crise.
- g) que la promotion d’emplois décents, telle que recommandée par le BIT, à la place d’emplois précaires sous rémunérés et sans sécurité sociale, fait partie des solutions de sortie de crise chez les grandes puissances, et de moyen de lutte contre la pauvreté dans nos pays.
- h) que la lutte contre la pauvreté ne saurait prospérer dans des politiques qui élargissent la pauvreté aux travailleurs existant et aux couches moyennes, encore moins dans la paupérisation du monde rural.
- i) que la réduction de la pauvreté rurale passe par le soutien à la production des exploitations agricoles familiales, et non pas par la promotion de l’agrobusiness à leur place.
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL