Macky Sall dans la forêt de Kédougou!
L’économie sénégalaise ne va pas bien. Elle a même mal, très mal en tous ses fondamentaux. Un mal endémique, structurel, diront les observateurs les plus pessimistes. Un état fragile de convalescence, en voie d’amélioration, rétorqueront les plus optimistes. De toutes façons, il est tout à fait convenable de dire que la santé économique d’un pays se mesure d’abord à l’aune du moral de ses citoyens. Et si ce baromètre devait servir d’instrument de mesure, il y aurait fort à craindre pour les Sénégalais que les vocables pauvreté, crise, paupérisation, mal-vivre, problèmes, survie etc. soient les plus connus de leur champ lexical. Moral à la cheville, mal-être en bandoulière, il est assurément difficile de leur opposer les clignotants verdoyants des agrégats économiques que brandit à satiété le ministre des Finances, M. Amadou KANE, pour leur redonner un espoir dans la capacité de leurs nouveaux dirigeants à relancer une économie en berne, sous perfusion et soumise aux arrêts de rigueur. Ils n’y verraient que du feu.
Paupérisation rampante
A son corps défendant, le gouvernement issu de l’alternance démocratique du 25 mars ne peut pas être pris pour responsable de cette crise socio-économique aiguë dans un contexte d’effondrement institutionnel aggravé que traverse le pays. Douze années de mal gouvernance sont passées par là. Plus d’une décennie d’errements stratégiques, de choix économiques hasardeux, de tâtonnements financiers, de politiques publiques incontinentes handicapées voire gangrénées par la corruption, en somme de miss-management, ont plongé le Sénégal dans la crise économique et sociale. Une crise durement ressentie par plus de 60 % de la population vivant en deçà du seuil de pauvreté, disposant de moins 1000 fcfa par pour jour et par personne.
Les grandiloquentes infrastructures routières et ouvrages de circulation concentrés à Dakar et les réalisations, somme toute, conséquentes, en travaux publics et bâtiments dans les secteurs socio-éducatifs cachent mal le sentiment de marginalisation des centres suburbains et ruraux. Le secteur rural victime de campagnes agricoles ratées, le secteur industriel en déliquescence, la pêche pillée et piratée, le tourisme à l’abandon, l’éducation et la recherche en destruction avancée, l’essentiel des fondamentaux de notre économie a montré ces dernières années un visage bien abîmé. Ce marasme économique a précipité les franges populaires les plus pauvres dans la misère, et plongé les classes moyennes dans la précarité. Dans un contexte de rareté des ressources exogènes nécessaires à l’investissement, les commandes publiques qui dans un pays en développement constituent un important levier d’essor des TPE, PME et PMI, n’ont pas eu l’incidence économique attendue sur la relance économique, la consommation des ménages, la redistribution des chances, la lutte contre le chômage, encore moins l’exportation et la création de chaînes de valeur. Le plus souvent, elles ont servi, ces dernières années, à créer de nouveaux fortunés par une accumulation indécente de richesses financières, mobilières et immobilières, des dépenses somptuaires improductives.
Quelques indicateurs économiques suffisent à prouver l’étendue des difficultés : la dette publique de 3041 milliards, dont 2384 milliards de dette extérieure et 717 d’encours intérieurs. Le déficit de la balance commerciale dépasse 1400 milliards et celui des dépenses publiques culmine à plus de 45O milliards. Le chômage inappréciable en valeur absolue serait de l’ordre de 25 % en valeur relative, sans réellement traduire la dure réalité des bataillons de jeunes diplômés sans espoir de travail.
Après l’euphorie
Passée la période d’euphorie politique populaire, l’avènement du Président Macky Sall, dans une telle situation sonnait comme une délivrance salutaire. Mais la réalité socioéconomique était d’une tout autre ampleur. Les comptes de la Nation avaient subi de tels dommages qu’on pouvait imaginer que le Sénégal serait en faillite. Le nouveau Gouvernement, qui n’a pas respecté en totalité sa cure d’amaigrissement, tente de remettre à flots les agrégats économiques mais reste confronté à une complexité socio-économique sans précédent.
Coincé entre les impératifs d’urgences sociales et humanitaires (inondations et paupérisation notamment) et l’impérieux besoin d’investissements structurants à long terme, il navigue en eaux troubles. Le programme de « Yoonu Yokuté », qui semble sous-tendre sa vision politique, trouve difficilement un terrain d’application trop dilué, voire empêtré dans les ténébreuses préconisations des Assises nationales. Le Président est pour ainsi dire encadré, pour ne pas dire plombé, par une coalition hirsute, sans âme et sans état d’état d’âme pour se partager l’usufruit de la victoire. Mais au banquet des vainqueurs, il y a aussi joie et contrition. Il faut dire que le Premier ministre du président Macky Sall, M. Abdoul Mbaye, ne brille pas par sa créativité débordante, entenaillé dans la même logique politicienne que le chef de l’Etat.
Sa déclaration de politique générale en septembre ne fut rien d’autre qu’un amoncellement de projets en apparence cohérents, mais sans originalité particulière et sans base comptable et financière. Et, surtout, sans justification d’existence de ressources capables de les soutenir financièrement. Il a fallu attendre la récente tenue du Conseil présidentiel sur l’investissement pour avoir une idée de l’enveloppe globale que le gouvernement entend consacrer au financement du développement au cours des cinq prochaines années : une bagatelle de 5100 milliards de francs autour des secteurs-clés comme l’agriculture, la pêche, l’énergie et, à une plus basse échelle, la santé, l’éducation et le tourisme. L’industrie n’est pas occultée mais, dans le tableau de présentation, elle n’est pas, loin s’en faut, la priorité. Et pourtant, il ne suffit pas d’être économiste pour comprendre que si l’agriculture est une mamelle importante pour le développement d’un pays, l’industrie l’est tout autant.
Pôles de compétitivité
La querelle d’école sur la primauté de l’une sur l’autre est surannée et est passée de mode. Bien au contraire, la chaîne de valeur qui s’établit entre ces deux secteurs, grâce à la prévalence des impératifs de filière, est à la mesure de l’importance capitale que constituent de nos jours ce qu’il est convenu d’appeler les pôles de compétitivité. Essentiellement extractif à la faveur de nos richesses en phosphates et autres minerais (or, basalte, fer etc.), notre tissu industriel est aussi de transformation alimentaire de produits finis et semi finis en congruence avec notre productivité agricole.
Il n’apparaît pas clairement une réelle volonté à doper le secteur industriel sénégalais à travers des filières aussi fertiles que le lait, la viande à travers l’élevage, les fruits et légumes, le maraîchage et les cultures de saison. Comment le gouvernement du président Macky Sall peut-il, sur ce point, manquer autant de vision, d’inventivité, d’audaces ? On peut en dire autant de l’économie numérique à qui est dédié un ministre chargé de la Communication. Riche d’un potentiel de croissance énorme avec des marges de progression incommensurables, ce secteur demeure une activité essentiellement libérale. Le gouvernement aurait donc tort de se contenter des maigres recettes fiscales et autres impôts sur les bénéfices de l’ordre 100 milliards, seulement… Il gagnerait à se montrer plus imaginatif sur la manière d’y créer un service public et parapublic conséquent en mettant en valeur le savoir-faire extraordinaire des ingénieurs sénégalais qui monnayent leur talent un peu partout dans le monde.
Il ne s’agit pas de recourir aux vieilles recettes éculées de la nationalisation, comme l’avaient du reste réclamé certaines organisations syndicales du secteur des télécommunications. Mais il est surtout question de mettre en place un dispositif de Partenariat Public Privé (PPP) efficace propre à garantir au service public une place de choix et des gains conséquents profitables à la nation. Comment pourrait-il se passer de cette inestimable niche de valeurs qu’est l’économie numérique ? Sans parler des nombreuses perspectives qu’elle ouvre dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la santé et du développement durable.
Absence de vision
Ce manque de vision prospective est aussi constaté dans le domaine crucial de la recherche et de l’enseignement abandonné et paupérisé dans des conditions détestables d’indigence. Il est important que le Programme Triennal d’investissement Prioritaire, qui accorde sa priorité à l’agriculture avec une dotation potentielle de plus 700 milliards, se penche également sur les autres secteurs d’investissement structurants, qualifiés de non immédiatement rentables. Ils revêtent un caractère éminemment stratégique pour notre développement, l’éducation et la recherche en l’occurrence. Par ailleurs, il est heureux que la santé, à travers la Caisse de Protection Sociale Universelle, dotée de 10 milliards – c’est même insuffisant — soit en pôle position aux regards de son impact socioéconomique. Les prévisions d’investissements dans les infrastructures de production rurale sont également dignes d’intérêt, même s’il y a lieu de faire plus et mieux pour harmoniser les programmes de développement sur toute l’étendue du territoire national.
Quid du secteur énergétique, qui « pompe » d’importantes ressources de l’Etat (subvention annuelle 105 milliards ramenée à 80 milliards en 2013) pour rendre son coût soutenable aux usagers ? La réalisation d’une production de 375 KW pourra-t-elle suffire pour endiguer l’effroyable supplice que subissent les Sénégalais à cause des coupures intempestives du courant et leur impact négatif sur la croissance ? De 2005 à nos jours, le Sénégal perd chaque année un à deux points de croissance du fait de l’insuffisance de la fourniture en énergie, sans parler des conséquences incalculables sur l’attractivité en termes d’investissements et de tourisme. Concernant l’emploi, l’année 2013 pourrait peut-être lever un coin du voile sur les réelles intentions du programme du Président, qui promettait entre 100 000 et 500 000 postes de travail supplémentaires aux demandeurs d’emplois. Mais dans quels secteurs ? Cet énorme espoir soulevé chez les jeunes, qui ont en grande partie voté pour le candidat de Benno Bokk Yaakar, pourrait retomber comme un soufflet si le gouvernement n’indiquait pas clairement les directions qu’il entend prendre, pour les réaliser. Or, rien dans la politique industrielle ni dans le redéploiement dans les secteurs pastoraux, agricoles, touristiques, virtuels, ne permet de croire en la possibilité d’un tel exploit.
Pressions fiscales sur les entreprises
Il en est ainsi de la lutte contre les inondations, dont le programme décennal estimé à 700 milliards est au stade des vœux pieux. Sur cette somme faramineuse, seule une allocation annuelle de 13 milliards est inscrite au budget 2013. Un budget qui connaît une progression de plus de 8 %, 186 milliards s’ajoutant au 2344,786 milliards, pour un montant de plus de 2500 milliards.
Mais ce n’est pas tant l’aspect quantitatif ou l’évolution notable des prévisions qui importe, que l’utilisation et la pertinence des choix de dépenses. L’année 2013 va révéler au grand jour les capacités managériales du gouvernement, qui aura son « budget » et ne se contentera plus de terminer l’année budgétaire du régime précédent. Cependant, les espérances fiscales sont ambitieuses avec près de 1500 milliards. Mais la pression fiscale, de l’ordre de près de 20 %, est encore très forte. L’Etat, qui a donné coup de pouce aux ménages en se délestant de près de 30 milliards de nos francs, entend se rabattre sur les entreprises qui perdront une importante niche fiscale sur leurs revenus. C’est ainsi que le taux de l’impôt sur les sociétés revient à 30 % contre 25 % concédés par le gouvernement précédent.
Cette libéralité accordée aux ménages vient à point nommé pour les soulager d’un poids pesant. Mais d’un autre côté, la pression sur les entreprises pourrait, sans mesures d’accompagnement, avoir une conséquence néfaste sur la compétitivité et la croissance des entreprises. On comprend difficilement du reste que le patronat n’ait réagi que mollement alors que la dette due aux entreprises reste abyssale, que l’Etat ramène à 90 jours le délai de paiement des créances. Il s’y ajoute que le code des passations des marchés, malgré son impératif de transparence et de bonne gouvernance, demeure un facteur de blocage de l’activité, à cause de ses procédures bureaucratiques et sa porosité à la corruption.
Mauvais présage
En somme, il s’avère bien à l’analyse que le gouvernement du président Macky Sall a hérité d’une situation économique et sociale des plus carabinées. Les réponses qu’il apporte pour l’heure semblent bien timides face à l’amplitude des enjeux et l’ampleur des défis à relever. En 2013, il est de notoriété pour l’économie mondiale que les prévisions de croissance économiques ne seront pas extensibles. En Europe comme aux Etats-Unis. Ce contexte de stagnation économique devrait davantage profiter aux pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La crise financière mondiale, qui s’est mue en crise économique profonde, a jusqu’ici relativement épargné l’Afrique subsaharienne dont le taux de croissance vacille entre 6 et 8 %. Notre continent devient un pôle de croissance potentiellement intéressant. L’ambition du président de la République est de porter notre croissance à 7 %, et non à deux chiffres comme l’avait prédit outrageusement Wade. Avec un taux de croissance de 4 %, le Sénégal est encore loin du compte. Et le programme Yoonu Yokuté, prévu sur cinq années, risque d’être un mauvais présage pour les ambitions de notre jeune président…
ALY SAMBA NDIAYE
« Le Témoin » N° 1108 –Hebdomadaire Sénégalais ( DECEMBRE 2012)
Paupérisation rampante
A son corps défendant, le gouvernement issu de l’alternance démocratique du 25 mars ne peut pas être pris pour responsable de cette crise socio-économique aiguë dans un contexte d’effondrement institutionnel aggravé que traverse le pays. Douze années de mal gouvernance sont passées par là. Plus d’une décennie d’errements stratégiques, de choix économiques hasardeux, de tâtonnements financiers, de politiques publiques incontinentes handicapées voire gangrénées par la corruption, en somme de miss-management, ont plongé le Sénégal dans la crise économique et sociale. Une crise durement ressentie par plus de 60 % de la population vivant en deçà du seuil de pauvreté, disposant de moins 1000 fcfa par pour jour et par personne.
Les grandiloquentes infrastructures routières et ouvrages de circulation concentrés à Dakar et les réalisations, somme toute, conséquentes, en travaux publics et bâtiments dans les secteurs socio-éducatifs cachent mal le sentiment de marginalisation des centres suburbains et ruraux. Le secteur rural victime de campagnes agricoles ratées, le secteur industriel en déliquescence, la pêche pillée et piratée, le tourisme à l’abandon, l’éducation et la recherche en destruction avancée, l’essentiel des fondamentaux de notre économie a montré ces dernières années un visage bien abîmé. Ce marasme économique a précipité les franges populaires les plus pauvres dans la misère, et plongé les classes moyennes dans la précarité. Dans un contexte de rareté des ressources exogènes nécessaires à l’investissement, les commandes publiques qui dans un pays en développement constituent un important levier d’essor des TPE, PME et PMI, n’ont pas eu l’incidence économique attendue sur la relance économique, la consommation des ménages, la redistribution des chances, la lutte contre le chômage, encore moins l’exportation et la création de chaînes de valeur. Le plus souvent, elles ont servi, ces dernières années, à créer de nouveaux fortunés par une accumulation indécente de richesses financières, mobilières et immobilières, des dépenses somptuaires improductives.
Quelques indicateurs économiques suffisent à prouver l’étendue des difficultés : la dette publique de 3041 milliards, dont 2384 milliards de dette extérieure et 717 d’encours intérieurs. Le déficit de la balance commerciale dépasse 1400 milliards et celui des dépenses publiques culmine à plus de 45O milliards. Le chômage inappréciable en valeur absolue serait de l’ordre de 25 % en valeur relative, sans réellement traduire la dure réalité des bataillons de jeunes diplômés sans espoir de travail.
Après l’euphorie
Passée la période d’euphorie politique populaire, l’avènement du Président Macky Sall, dans une telle situation sonnait comme une délivrance salutaire. Mais la réalité socioéconomique était d’une tout autre ampleur. Les comptes de la Nation avaient subi de tels dommages qu’on pouvait imaginer que le Sénégal serait en faillite. Le nouveau Gouvernement, qui n’a pas respecté en totalité sa cure d’amaigrissement, tente de remettre à flots les agrégats économiques mais reste confronté à une complexité socio-économique sans précédent.
Coincé entre les impératifs d’urgences sociales et humanitaires (inondations et paupérisation notamment) et l’impérieux besoin d’investissements structurants à long terme, il navigue en eaux troubles. Le programme de « Yoonu Yokuté », qui semble sous-tendre sa vision politique, trouve difficilement un terrain d’application trop dilué, voire empêtré dans les ténébreuses préconisations des Assises nationales. Le Président est pour ainsi dire encadré, pour ne pas dire plombé, par une coalition hirsute, sans âme et sans état d’état d’âme pour se partager l’usufruit de la victoire. Mais au banquet des vainqueurs, il y a aussi joie et contrition. Il faut dire que le Premier ministre du président Macky Sall, M. Abdoul Mbaye, ne brille pas par sa créativité débordante, entenaillé dans la même logique politicienne que le chef de l’Etat.
Sa déclaration de politique générale en septembre ne fut rien d’autre qu’un amoncellement de projets en apparence cohérents, mais sans originalité particulière et sans base comptable et financière. Et, surtout, sans justification d’existence de ressources capables de les soutenir financièrement. Il a fallu attendre la récente tenue du Conseil présidentiel sur l’investissement pour avoir une idée de l’enveloppe globale que le gouvernement entend consacrer au financement du développement au cours des cinq prochaines années : une bagatelle de 5100 milliards de francs autour des secteurs-clés comme l’agriculture, la pêche, l’énergie et, à une plus basse échelle, la santé, l’éducation et le tourisme. L’industrie n’est pas occultée mais, dans le tableau de présentation, elle n’est pas, loin s’en faut, la priorité. Et pourtant, il ne suffit pas d’être économiste pour comprendre que si l’agriculture est une mamelle importante pour le développement d’un pays, l’industrie l’est tout autant.
Pôles de compétitivité
La querelle d’école sur la primauté de l’une sur l’autre est surannée et est passée de mode. Bien au contraire, la chaîne de valeur qui s’établit entre ces deux secteurs, grâce à la prévalence des impératifs de filière, est à la mesure de l’importance capitale que constituent de nos jours ce qu’il est convenu d’appeler les pôles de compétitivité. Essentiellement extractif à la faveur de nos richesses en phosphates et autres minerais (or, basalte, fer etc.), notre tissu industriel est aussi de transformation alimentaire de produits finis et semi finis en congruence avec notre productivité agricole.
Il n’apparaît pas clairement une réelle volonté à doper le secteur industriel sénégalais à travers des filières aussi fertiles que le lait, la viande à travers l’élevage, les fruits et légumes, le maraîchage et les cultures de saison. Comment le gouvernement du président Macky Sall peut-il, sur ce point, manquer autant de vision, d’inventivité, d’audaces ? On peut en dire autant de l’économie numérique à qui est dédié un ministre chargé de la Communication. Riche d’un potentiel de croissance énorme avec des marges de progression incommensurables, ce secteur demeure une activité essentiellement libérale. Le gouvernement aurait donc tort de se contenter des maigres recettes fiscales et autres impôts sur les bénéfices de l’ordre 100 milliards, seulement… Il gagnerait à se montrer plus imaginatif sur la manière d’y créer un service public et parapublic conséquent en mettant en valeur le savoir-faire extraordinaire des ingénieurs sénégalais qui monnayent leur talent un peu partout dans le monde.
Il ne s’agit pas de recourir aux vieilles recettes éculées de la nationalisation, comme l’avaient du reste réclamé certaines organisations syndicales du secteur des télécommunications. Mais il est surtout question de mettre en place un dispositif de Partenariat Public Privé (PPP) efficace propre à garantir au service public une place de choix et des gains conséquents profitables à la nation. Comment pourrait-il se passer de cette inestimable niche de valeurs qu’est l’économie numérique ? Sans parler des nombreuses perspectives qu’elle ouvre dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la santé et du développement durable.
Absence de vision
Ce manque de vision prospective est aussi constaté dans le domaine crucial de la recherche et de l’enseignement abandonné et paupérisé dans des conditions détestables d’indigence. Il est important que le Programme Triennal d’investissement Prioritaire, qui accorde sa priorité à l’agriculture avec une dotation potentielle de plus 700 milliards, se penche également sur les autres secteurs d’investissement structurants, qualifiés de non immédiatement rentables. Ils revêtent un caractère éminemment stratégique pour notre développement, l’éducation et la recherche en l’occurrence. Par ailleurs, il est heureux que la santé, à travers la Caisse de Protection Sociale Universelle, dotée de 10 milliards – c’est même insuffisant — soit en pôle position aux regards de son impact socioéconomique. Les prévisions d’investissements dans les infrastructures de production rurale sont également dignes d’intérêt, même s’il y a lieu de faire plus et mieux pour harmoniser les programmes de développement sur toute l’étendue du territoire national.
Quid du secteur énergétique, qui « pompe » d’importantes ressources de l’Etat (subvention annuelle 105 milliards ramenée à 80 milliards en 2013) pour rendre son coût soutenable aux usagers ? La réalisation d’une production de 375 KW pourra-t-elle suffire pour endiguer l’effroyable supplice que subissent les Sénégalais à cause des coupures intempestives du courant et leur impact négatif sur la croissance ? De 2005 à nos jours, le Sénégal perd chaque année un à deux points de croissance du fait de l’insuffisance de la fourniture en énergie, sans parler des conséquences incalculables sur l’attractivité en termes d’investissements et de tourisme. Concernant l’emploi, l’année 2013 pourrait peut-être lever un coin du voile sur les réelles intentions du programme du Président, qui promettait entre 100 000 et 500 000 postes de travail supplémentaires aux demandeurs d’emplois. Mais dans quels secteurs ? Cet énorme espoir soulevé chez les jeunes, qui ont en grande partie voté pour le candidat de Benno Bokk Yaakar, pourrait retomber comme un soufflet si le gouvernement n’indiquait pas clairement les directions qu’il entend prendre, pour les réaliser. Or, rien dans la politique industrielle ni dans le redéploiement dans les secteurs pastoraux, agricoles, touristiques, virtuels, ne permet de croire en la possibilité d’un tel exploit.
Pressions fiscales sur les entreprises
Il en est ainsi de la lutte contre les inondations, dont le programme décennal estimé à 700 milliards est au stade des vœux pieux. Sur cette somme faramineuse, seule une allocation annuelle de 13 milliards est inscrite au budget 2013. Un budget qui connaît une progression de plus de 8 %, 186 milliards s’ajoutant au 2344,786 milliards, pour un montant de plus de 2500 milliards.
Mais ce n’est pas tant l’aspect quantitatif ou l’évolution notable des prévisions qui importe, que l’utilisation et la pertinence des choix de dépenses. L’année 2013 va révéler au grand jour les capacités managériales du gouvernement, qui aura son « budget » et ne se contentera plus de terminer l’année budgétaire du régime précédent. Cependant, les espérances fiscales sont ambitieuses avec près de 1500 milliards. Mais la pression fiscale, de l’ordre de près de 20 %, est encore très forte. L’Etat, qui a donné coup de pouce aux ménages en se délestant de près de 30 milliards de nos francs, entend se rabattre sur les entreprises qui perdront une importante niche fiscale sur leurs revenus. C’est ainsi que le taux de l’impôt sur les sociétés revient à 30 % contre 25 % concédés par le gouvernement précédent.
Cette libéralité accordée aux ménages vient à point nommé pour les soulager d’un poids pesant. Mais d’un autre côté, la pression sur les entreprises pourrait, sans mesures d’accompagnement, avoir une conséquence néfaste sur la compétitivité et la croissance des entreprises. On comprend difficilement du reste que le patronat n’ait réagi que mollement alors que la dette due aux entreprises reste abyssale, que l’Etat ramène à 90 jours le délai de paiement des créances. Il s’y ajoute que le code des passations des marchés, malgré son impératif de transparence et de bonne gouvernance, demeure un facteur de blocage de l’activité, à cause de ses procédures bureaucratiques et sa porosité à la corruption.
Mauvais présage
En somme, il s’avère bien à l’analyse que le gouvernement du président Macky Sall a hérité d’une situation économique et sociale des plus carabinées. Les réponses qu’il apporte pour l’heure semblent bien timides face à l’amplitude des enjeux et l’ampleur des défis à relever. En 2013, il est de notoriété pour l’économie mondiale que les prévisions de croissance économiques ne seront pas extensibles. En Europe comme aux Etats-Unis. Ce contexte de stagnation économique devrait davantage profiter aux pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). La crise financière mondiale, qui s’est mue en crise économique profonde, a jusqu’ici relativement épargné l’Afrique subsaharienne dont le taux de croissance vacille entre 6 et 8 %. Notre continent devient un pôle de croissance potentiellement intéressant. L’ambition du président de la République est de porter notre croissance à 7 %, et non à deux chiffres comme l’avait prédit outrageusement Wade. Avec un taux de croissance de 4 %, le Sénégal est encore loin du compte. Et le programme Yoonu Yokuté, prévu sur cinq années, risque d’être un mauvais présage pour les ambitions de notre jeune président…
ALY SAMBA NDIAYE
« Le Témoin » N° 1108 –Hebdomadaire Sénégalais ( DECEMBRE 2012)