« En attendant, je dis que le franc CFA est une bonne monnaie à garder ». Nombreux ont été ceux qui se sont employés à commenter cette phrase du Président Macky Sall, prononcée lors d’une interview. Jusque-là, il n’y a rien de surprenant car, d’une manière générale, la monnaie, et surtout le CFA, est un sujet controversé qui suscite les passions les plus ardentes.
Depuis longtemps, il se pose, on le sait, la lancinante question de savoir si les Etats africains qui partagent cette monnaie doivent-ils continuer à la conserver ou au contraire devraient-ils s’en débarrasser. Or, bien que la majorité des africains, y compris les spécialistes de la question, souscrivent à cette dernière hypothèse, la problématique demeure entière dans la mesure où aucune décision n’est à ce jour adoptée.
Plus étonnant a été le fait de constater sur la toile, l’énorme agitation ainsi que les virulentes critiques qu’a provoquées l’affirmation du chef de l’Etat. Certains se sont même fait le malin plaisir de l’accuser d’être « l’avocat de la continuation du CFA ».
Pourtant, la vérité est que ces reproches ne sont que le fruit d’une lecture trop rapide, voire volontairement tronquée, de la réponse en question. Rappelons que selon les détracteurs, le Président aurait annoncé que « le franc CFA est une bonne monnaie à garder ». Il se trouve que pour parvenir à cette lecture, les contempteurs sont allés trop vite en ôtant délibérément le syntagme « en attendant » du reste de la phrase.
Il s’en est ainsi logiquement suivi une dénaturation totale des propos du chef de l’Etat, puisque chacun conviendra qu’il existe une différence sensible entre « Le CFA est une bonne monnaie à garder » et « En attendant, le CFA est une bonne monnaie à garder ». Dans le premier cas, il y a une volonté ferme et définitive de maintenir le statu quo, alors que celui qui prononce la seconde phrase est dans l’expectative. Ce dernier prend en compte les limites de cette monnaie, mais attend d’avoir une alternative crédible et opérationnelle. C’est en toute évidence cette dernière situation que traduisent les paroles du Président. Il suffit de se rapporter à l’intégralité de sa réponse pour s’en convaincre.
Du reste, le discours du chef de l’Etat est sans aucun doute le marqueur d’un réalisme et d’une lucidité remarquables. Il n’est certes pas douteux que les spécialistes s’accordent en général sur l’impératif d’un abandon du CFA. En revanche, le sujet demeure encore entouré de sérieuses incertitudes qui, faute d’être dissipées, compromettent toute sortie immédiate. Tout d’abord, il n’existe, à notre connaissance, aucune étude scientifique ayant techniquement élaboré une méthode claire pouvant permettre de se départir de manière sécurisée du CFA.
La plupart des travaux portant sur cette monnaie cherchent à prouver son anachronisme. Sinon, rien ne permet par exemple de dire si le CFA-exit devrait être progressif ou instantané ; au cas où il devrait être gradué, nul ne sait qu’elles devraient être sa durée et les différentes étapes à prévoir etc. Pourtant, il est évident que notre détachement du CFA doit être minutieusement pensé et planifié, car au regard des enjeux, un renoncement hasardeux équivaudrait à un suicide économique. Ce faisant, il est impératif que les spécialistes établissent concrètement un « kit » ou un mode d’emploi fiable pour se soustraire de cette organisation.
Plus encore, à la lecture de la doctrine, on s’aperçoit que celle-ci n’a proposé aucun mécanisme pour juguler les éventuelles répercussions de cette sortie sur nos économies. Or, une renonciation au CFA s’apparenterait à un divorce, de sorte que, comme toute désunion, elle engendrera forcément des conséquences.
En termes clairs, se séparer du CFA provoquera inéluctablement, ne serait-ce que temporairement, une perte de repères, un flottement de nos économies. Ces perturbations peuvent même s’avérer dévastatrices car, d’une part cela fait très longtemps que nous utilisons cette monnaie (exactement depuis le 26 décembre 1945 date de sa création), et d’autre part nos économies restent encore, malheureusement, fragiles et balbutiantes. Par voie de raison, il est indispensable que les spécialistes engagent la réflexion afin de concevoir un dispositif crédible destiné à amortir les éventuels chocs.
Enfin, malgré les multiples études, les décideurs politiques ne disposent pas aujourd’hui de suffisamment d’éléments sur l’alternative au CFA. Si beaucoup prônent la création d’une monnaie unique de substitution, les contours de cette future monnaie restent à être déterminés. Ces différentes observations conduisent à conclure que dans la situation actuelle, toutes les conditions ne sont pas réunies pour un délaissement immédiat du CFA. Ainsi, par-delà la démonstration des faiblesses de cette monnaie, les spécialistes doivent passer à une seconde phase qui devra consister à imaginer, sans considérations politiciennes de lutte anticoloniale, les outils nécessaires pour un CFA-exit sécurisé.
Il apparaît, en dernière analyse, que l’affirmation selon laquelle, « en attendant, le CFA est une bonne monnaie à garder » demeure justifiée. Puisque pendant au moins le temps nécessaire pour apporter des éclairages aux interrogations que nous avons soulevées, nos pays n’auront pas d’autres choix que de le conserver. Qu’elle sera cette durée ? Je ne sais pas ; tout comme j’ignore le pourquoi de toute cette polémique et surtout, de ce procès d’intention dont le Président fait l’objet. N’est-ce pas là une injustice intellectuelle ? Tout porte à le croire…
Momath Ndiaye
Coordonnateur de la Section APR d’Aix-en-Provence
Membre de la cellule de communication de la DSE-France
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