Pour la trente-deuxième nuit consécutive, les casseroles, tambours et cornes de brume ont résonné samedi dans les quartiers résidentiels de Montréal, à peine importunés par la pluie battante survenue sans crier gare. Une dizaine de milliers de personnes, battant joyeusement sur leurs ustensiles de cuisine, ont arpenté la capitale économique d'est en ouest, avant de se disperser une nouvelle fois sans violence.
Le bref orage a cédé la place à une brise fraîche, porteuse d'espoir dans le conflit étudiant qui, depuis plus de trois mois, bouleverse la vie quotidienne du Québec. Comme une lueur au bout du tunnel, l'annonce de la reprise des négociations lundi après-midi (20h, heure française) entre la ministre québécoise de l'Éducation, Michelle Courchesne, et les organisations syndicales étudiantes a suscité un discret soulagement général, après 107 jours de manifestations quasi ininterrompues.
Malgré cette embellie saluée par les médias québécois, l'espoir d'une sortie de crise rapide demeure ténu, tant les positions des uns et des autres semblent irréconciliables. Le premier ministre Jean Charest (Parti libéral, conservateur) refuse de remettre en cause le principe d'une hausse des frais d'inscription universitaires. Les trois principaux syndicats étudiants, eux, exigent un moratoire pur et simple sur cette hausse. Même si le porte-parole de l'un d'entre eux, Léo Bureau-Blouin, de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), a laissé entendre qu'il pourrait entériner le principe d'une hausse, à condition que le gouvernement Charest «accepte de bouger» lui aussi dans la bonne direction.
«Au point où on en est, nous devrions enfermer tout ce beau monde dans une église, ironise Vincent Parissal, chroniqueur du quotidien La Presse, et ne les laisser sortir que lorsque la fumée blanche du consensus s'échappera de la cheminée.»
Déjà largement viciée, la situation se complique encore un peu plus du fait de la loi d'exception, dite «loi 78», votée le 18 mai dernier et restreignant temporairement les libertés d'expression et de rassemblement au Québec. Jugée abusive, voire «liberticide», par les étudiants, cette loi a eu pour effet de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes, dont beaucoup ne se reconnaissaient pourtant pas dans les revendications étudiantes. Un sondage révélait le 26 mai que 60 % des personnes interrogées n'approuvaient pas la loi 78, alors qu'une large majorité, même au sein des 18-34 ans, soutenait l'augmentation des frais de scolarité.
Le plus radical des trois syndicats étudiants, la Classe (Coalition large de l'association pour une solidarité syndicale étudiante), a fait de l'abrogation inconditionnelle de la «loi spéciale» son nouveau cheval de bataille. Une abrogation qui conduirait Jean Charest à se renier publiquement, après avoir ouvertement joué d'une poigne de fer pour rétablir l'ordre public. Mais «il y a eu tant d'improvisation que cela confine à l'amateurisme», s'étonne le professeur de philosophie politique Daniel Weinstock, de l'université de Montréal.
«Une guerre des nerfs»
Depuis le vote de la loi 78, la querelle a pris une autre tournure, ressemblant parfois à un plébiscite contre Jean Charest, au pouvoir depuis neuf ans et éclaboussé par des rumeurs de corruption. Une commission d'enquête dirigée par la juge France Charbonneau a entamé des investigations sur l'attribution des contrats publics dans le domaine de la construction. Elle devrait rendre ses conclusions… en octobre 2013. «Il ne s'agit pas seulement de manifestations en faveur de la gratuité de l'enseignement supérieur, explique Catherine Legrand, professeur d'études latines à McGill. L'augmentation des frais de scolarité est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, après une décennie de gouvernement Charest et toutes ces affaires de corruption. Les gens ont l'impression que l'argent existe, mais qu'il disparaît quelque part en route, et certainement pas dans le financement des universités. Alors ils descendent dans la rue pour marquer leur ras-le-bol.»
Derrière le joyeux tintamarre de la «révolution des casseroles», une grande lassitude se fait sentir dans les rues de Montréal. «Je n'ai jamais vu ça, soupire Mélanie Carpentier, une avocate québécoise expatriée de 38 ans, de passage dans sa ville natale pour la Pentecôte. Les familles sont profondément divisées sur la loi 78, sur la grève étudiante. Aucun référendum (sur l'indépendance) n'a fait autant de dégâts. Les gens sont épuisés par une guerre des nerfs qui dure depuis trois mois. Il y a beaucoup d'agressivité dans l'air. Je suis vraiment inquiète pour la suite des événements.»
Par Maurin Picard
Le bref orage a cédé la place à une brise fraîche, porteuse d'espoir dans le conflit étudiant qui, depuis plus de trois mois, bouleverse la vie quotidienne du Québec. Comme une lueur au bout du tunnel, l'annonce de la reprise des négociations lundi après-midi (20h, heure française) entre la ministre québécoise de l'Éducation, Michelle Courchesne, et les organisations syndicales étudiantes a suscité un discret soulagement général, après 107 jours de manifestations quasi ininterrompues.
Malgré cette embellie saluée par les médias québécois, l'espoir d'une sortie de crise rapide demeure ténu, tant les positions des uns et des autres semblent irréconciliables. Le premier ministre Jean Charest (Parti libéral, conservateur) refuse de remettre en cause le principe d'une hausse des frais d'inscription universitaires. Les trois principaux syndicats étudiants, eux, exigent un moratoire pur et simple sur cette hausse. Même si le porte-parole de l'un d'entre eux, Léo Bureau-Blouin, de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), a laissé entendre qu'il pourrait entériner le principe d'une hausse, à condition que le gouvernement Charest «accepte de bouger» lui aussi dans la bonne direction.
«Au point où on en est, nous devrions enfermer tout ce beau monde dans une église, ironise Vincent Parissal, chroniqueur du quotidien La Presse, et ne les laisser sortir que lorsque la fumée blanche du consensus s'échappera de la cheminée.»
Déjà largement viciée, la situation se complique encore un peu plus du fait de la loi d'exception, dite «loi 78», votée le 18 mai dernier et restreignant temporairement les libertés d'expression et de rassemblement au Québec. Jugée abusive, voire «liberticide», par les étudiants, cette loi a eu pour effet de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes, dont beaucoup ne se reconnaissaient pourtant pas dans les revendications étudiantes. Un sondage révélait le 26 mai que 60 % des personnes interrogées n'approuvaient pas la loi 78, alors qu'une large majorité, même au sein des 18-34 ans, soutenait l'augmentation des frais de scolarité.
Le plus radical des trois syndicats étudiants, la Classe (Coalition large de l'association pour une solidarité syndicale étudiante), a fait de l'abrogation inconditionnelle de la «loi spéciale» son nouveau cheval de bataille. Une abrogation qui conduirait Jean Charest à se renier publiquement, après avoir ouvertement joué d'une poigne de fer pour rétablir l'ordre public. Mais «il y a eu tant d'improvisation que cela confine à l'amateurisme», s'étonne le professeur de philosophie politique Daniel Weinstock, de l'université de Montréal.
«Une guerre des nerfs»
Depuis le vote de la loi 78, la querelle a pris une autre tournure, ressemblant parfois à un plébiscite contre Jean Charest, au pouvoir depuis neuf ans et éclaboussé par des rumeurs de corruption. Une commission d'enquête dirigée par la juge France Charbonneau a entamé des investigations sur l'attribution des contrats publics dans le domaine de la construction. Elle devrait rendre ses conclusions… en octobre 2013. «Il ne s'agit pas seulement de manifestations en faveur de la gratuité de l'enseignement supérieur, explique Catherine Legrand, professeur d'études latines à McGill. L'augmentation des frais de scolarité est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, après une décennie de gouvernement Charest et toutes ces affaires de corruption. Les gens ont l'impression que l'argent existe, mais qu'il disparaît quelque part en route, et certainement pas dans le financement des universités. Alors ils descendent dans la rue pour marquer leur ras-le-bol.»
Derrière le joyeux tintamarre de la «révolution des casseroles», une grande lassitude se fait sentir dans les rues de Montréal. «Je n'ai jamais vu ça, soupire Mélanie Carpentier, une avocate québécoise expatriée de 38 ans, de passage dans sa ville natale pour la Pentecôte. Les familles sont profondément divisées sur la loi 78, sur la grève étudiante. Aucun référendum (sur l'indépendance) n'a fait autant de dégâts. Les gens sont épuisés par une guerre des nerfs qui dure depuis trois mois. Il y a beaucoup d'agressivité dans l'air. Je suis vraiment inquiète pour la suite des événements.»
Par Maurin Picard