Impossible, n’est pas «politique»
Ce propos, à la fois dense et d’une rare pertinence, conforte la nécessité d’une candidature unique de transition, conjointe à un programme alternatif tiré des Assises nationales. Sène a eu, surtout, le mérite de démontrer l’absence de rigueur et de profondeur des positionnements massifs et de plus en plus intempestifs : «Il y aura des votes sanction», «c’est impossible, ils ne s’entendront jamais»… A travers l’histoire, combien de scénarii qui paraissaient impossibles, en politique, sont devenus possibles ? Le philosophe Charles Fourier faisait remarquer que l’on «commence par dire : cela est impossible pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu’on ne tente pas». Et, Pierre Bourdieu, parlant des stratégies d’évitement, relevait notre propension à invoquer des raisons extraordinaires pour nous justifier de ne pouvoir rendre possibles des choses, somme toute, ordinaires. A vrai dire, dans cette affaire, ce qui semble impossible, c’est de persuader la portion infime d’irréductibles qui, pour des raisons inavouées, n’a que faire de la dispersion de l’opposition. Cela dit, il ne s’agit pas de répéter ici, qui plus est mal, ce qui a été, par Sène, bien dit. Il s’agit juste de partir de sa réflexion pour poser une question des plus lancinantes : pourquoi, dans notre pays, la publication des sondages politiques, particulièrement des intentions de vote, reste-t-elle censurée ?
Le baromètre politique contre le flou artistique et les élans prophétiques
L’on connaît les dangers que colportent les enquêtes quantitatives en politique avec leur dose de fétichisme de scores, d’erreurs, d’influence des électeurs…, mais dans une démocratie qui ne marche pas sur la tête, elles règlent plus de choses qu’elles n’en «dérèglent». Bien des obstacles soulevés par Sène, en apparence infranchissables, seraient relativement surmontables avec de telles prospections. Les Sénégalais, en âge de voter, sont-ils majoritairement favorables à un schéma multiple ou unique de candidature ? Qui parmi les opposants est l’acteur le mieux placé pour battre Wade au premier ou au second tour ? Quelle personnalité de la société civile, adoubée par l’opposition, serait à même de relever ce challenge, si aucun «politique» n’emportait suffisamment l’adhésion populaire ? De quels scores seraient crédités ceux qui, parmi les opposants, persisteraient à casser la dynamique unitaire ? Quelles attentes, parmi celles formulées par les électeurs, sont prioritaires ? Sur ces dossiers-là, qui est le plus à même de leur octroyer les garanties nécessaires ? Dans quelle mesure l’opposition pourrait contourner des suffrages défavorables issus de votes «communautaires» ? Que représentent objectivement, en termes d’intentions de vote, ses potentiels adversaires ? Indubitablement, des réponses plausibles à ces questions de la part d’instituts de sondage parmi les meilleurs au monde, et qui feraient consensus au sein de l’opposition, devraient arrondir les angles et promouvoir la meilleure option. Pas seulement. Ces enquêtes pourraient favoriser une campagne électorale pacifiée et raisonnable où les candidats tenteraient davantage de convaincre des sections de l’opinion, qu’ils savent indécises ou réfractaires, plutôt que de se livrer à des pseudo-meetings où le tapage, les tours de passe-passe et les passes d’armes l’emportent sur toute autre considération. Ensuite, bien mieux que la méthode antidémocratique de l’augmentation de la caution, la lisibilité de «l’offre et de la demande politique», permise par le baromètre politique, pourrait décourager les candidatures fantaisistes. Enfin, elle prémunirait contre la fraude électorale à grande échelle tant redoutée par Sène. Car on a beau s’appeler Abdoulaye Wade, c’est-à-dire avoir la hardiesse de toutes ses appétences, que l’on ne pourrait tout de même pas, du moins sans coup férir, se déclarer vainqueur, au premier tour, d’une élection présidentielle, après avoir été crédité à la veille du scrutin, à titre indicatif, de seulement 27% des intentions de vote. Comme il serait insensé, dira-ton, et à juste titre, pour un candidat crédité de 5% des suffrages, sans calculs dissonants, et qui obtiendrait un score avoisinant, de soutenir que les élections ont été truquées et d’appeler derechef les populations à l’insurrection.
Quand le règlement est dément
Parce qu’elle rend opaque le rapport de force politique (y compris au sein des partis), parce qu’elle prive les professionnels de la politique (journalistes, universitaires, acteurs…) d’éléments d’appréciation scientifiques, parce qu’au même titre que la libéralisation restreinte des médias audiovisuels, elle réfrène la liberté d’entreprendre et enraye de nombreux emplois (instituts, analystes, enquêteurs…) enfin, parce qu’elle entrave l’affirmation d’une opinion publique consciente de son existence et de sa puissance, la censure qui frappe la publication des sondages politiques devrait être la mère des batailles. Au cas où le pouvoir s’y opposerait, l’opposition ne devrait-elle pas étudier les moyens de contourner l’interdiction ? Les lois absurdes et arbitraires, loin de garantir l’ordre, encouragent la révolte. Cela, Abdoulaye Wade l’a souvent expliqué à la jeunesse de son pays. L’âge et le pouvoir ont pu peut-être le lui faire oublier. Il est peut-être grand temps de le rappeler à son bon souvenir. Reste maintenant à savoir qui a une peur bleue de voir sa cote de popularité jaugée. Le pouvoir, dont le chef a récemment soutenu être capable de gagner les élections, «sans faire campagne» ? L’opposition qui clame urbi et orbi l’inéluctable déclin du Sopi ? La classe politique dans son ensemble ? Allez savoir…
Dr. Mouhamed A. LY / lymou@voila.fr
Ce propos, à la fois dense et d’une rare pertinence, conforte la nécessité d’une candidature unique de transition, conjointe à un programme alternatif tiré des Assises nationales. Sène a eu, surtout, le mérite de démontrer l’absence de rigueur et de profondeur des positionnements massifs et de plus en plus intempestifs : «Il y aura des votes sanction», «c’est impossible, ils ne s’entendront jamais»… A travers l’histoire, combien de scénarii qui paraissaient impossibles, en politique, sont devenus possibles ? Le philosophe Charles Fourier faisait remarquer que l’on «commence par dire : cela est impossible pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu’on ne tente pas». Et, Pierre Bourdieu, parlant des stratégies d’évitement, relevait notre propension à invoquer des raisons extraordinaires pour nous justifier de ne pouvoir rendre possibles des choses, somme toute, ordinaires. A vrai dire, dans cette affaire, ce qui semble impossible, c’est de persuader la portion infime d’irréductibles qui, pour des raisons inavouées, n’a que faire de la dispersion de l’opposition. Cela dit, il ne s’agit pas de répéter ici, qui plus est mal, ce qui a été, par Sène, bien dit. Il s’agit juste de partir de sa réflexion pour poser une question des plus lancinantes : pourquoi, dans notre pays, la publication des sondages politiques, particulièrement des intentions de vote, reste-t-elle censurée ?
Le baromètre politique contre le flou artistique et les élans prophétiques
L’on connaît les dangers que colportent les enquêtes quantitatives en politique avec leur dose de fétichisme de scores, d’erreurs, d’influence des électeurs…, mais dans une démocratie qui ne marche pas sur la tête, elles règlent plus de choses qu’elles n’en «dérèglent». Bien des obstacles soulevés par Sène, en apparence infranchissables, seraient relativement surmontables avec de telles prospections. Les Sénégalais, en âge de voter, sont-ils majoritairement favorables à un schéma multiple ou unique de candidature ? Qui parmi les opposants est l’acteur le mieux placé pour battre Wade au premier ou au second tour ? Quelle personnalité de la société civile, adoubée par l’opposition, serait à même de relever ce challenge, si aucun «politique» n’emportait suffisamment l’adhésion populaire ? De quels scores seraient crédités ceux qui, parmi les opposants, persisteraient à casser la dynamique unitaire ? Quelles attentes, parmi celles formulées par les électeurs, sont prioritaires ? Sur ces dossiers-là, qui est le plus à même de leur octroyer les garanties nécessaires ? Dans quelle mesure l’opposition pourrait contourner des suffrages défavorables issus de votes «communautaires» ? Que représentent objectivement, en termes d’intentions de vote, ses potentiels adversaires ? Indubitablement, des réponses plausibles à ces questions de la part d’instituts de sondage parmi les meilleurs au monde, et qui feraient consensus au sein de l’opposition, devraient arrondir les angles et promouvoir la meilleure option. Pas seulement. Ces enquêtes pourraient favoriser une campagne électorale pacifiée et raisonnable où les candidats tenteraient davantage de convaincre des sections de l’opinion, qu’ils savent indécises ou réfractaires, plutôt que de se livrer à des pseudo-meetings où le tapage, les tours de passe-passe et les passes d’armes l’emportent sur toute autre considération. Ensuite, bien mieux que la méthode antidémocratique de l’augmentation de la caution, la lisibilité de «l’offre et de la demande politique», permise par le baromètre politique, pourrait décourager les candidatures fantaisistes. Enfin, elle prémunirait contre la fraude électorale à grande échelle tant redoutée par Sène. Car on a beau s’appeler Abdoulaye Wade, c’est-à-dire avoir la hardiesse de toutes ses appétences, que l’on ne pourrait tout de même pas, du moins sans coup férir, se déclarer vainqueur, au premier tour, d’une élection présidentielle, après avoir été crédité à la veille du scrutin, à titre indicatif, de seulement 27% des intentions de vote. Comme il serait insensé, dira-ton, et à juste titre, pour un candidat crédité de 5% des suffrages, sans calculs dissonants, et qui obtiendrait un score avoisinant, de soutenir que les élections ont été truquées et d’appeler derechef les populations à l’insurrection.
Quand le règlement est dément
Parce qu’elle rend opaque le rapport de force politique (y compris au sein des partis), parce qu’elle prive les professionnels de la politique (journalistes, universitaires, acteurs…) d’éléments d’appréciation scientifiques, parce qu’au même titre que la libéralisation restreinte des médias audiovisuels, elle réfrène la liberté d’entreprendre et enraye de nombreux emplois (instituts, analystes, enquêteurs…) enfin, parce qu’elle entrave l’affirmation d’une opinion publique consciente de son existence et de sa puissance, la censure qui frappe la publication des sondages politiques devrait être la mère des batailles. Au cas où le pouvoir s’y opposerait, l’opposition ne devrait-elle pas étudier les moyens de contourner l’interdiction ? Les lois absurdes et arbitraires, loin de garantir l’ordre, encouragent la révolte. Cela, Abdoulaye Wade l’a souvent expliqué à la jeunesse de son pays. L’âge et le pouvoir ont pu peut-être le lui faire oublier. Il est peut-être grand temps de le rappeler à son bon souvenir. Reste maintenant à savoir qui a une peur bleue de voir sa cote de popularité jaugée. Le pouvoir, dont le chef a récemment soutenu être capable de gagner les élections, «sans faire campagne» ? L’opposition qui clame urbi et orbi l’inéluctable déclin du Sopi ? La classe politique dans son ensemble ? Allez savoir…
Dr. Mouhamed A. LY / lymou@voila.fr