Les victimes et les familles qui sont rentrées à Mutarule il y a six mois croisent tous les jours, la peur au ventre, leurs bourreaux. Les femmes de Mutarule parlent encore des évènements avec beaucoup d’émotion.
« Nous avons beaucoup souffert ici à Mutarule, on nous a tués, les enfants, les mamans. On a fui, on était juste là, à l’église. J’ai peur de tout ce que j’ai vu. Je vis ici, mais j’ai peur de ceux-là qui nous tuent. On les croise. On a vraiment très peur. Avec ceux-là qui nous ont tués… Qu’est-ce qu’on peut faire ? »
Un rire nerveux. Cette vieille femme n’est pas la seule à vivre dans l’angoisse d’une répétition. A Mutarule, on a vécu trois tueries entre juillet 2013 et juin 2014... Une cinquantaine de victimes. Pour beaucoup d’habitants, seul un procès en bonne et due forme pourrait dissuader de nouvelles violences
« Cette justice, elle peut être importante si elle peut nous aider à nous réconcilier, à faire sortir de nous toute cette rancœur et mettre fin aux tueries. Ça serait important. Mais il y a des gens qui continuent à nous poursuivre, on ne sait pas comment ça va se terminer », s’inquiète une autre habitante.
Si la sécurité a été renforcée à Mutarule depuis, pour les habitants, le gouvernement, comme la Monusco, qui ont failli le 6 juin 2014, ont aussi la responsabilité de faire que ce procès se tienne et au plus vite.
« Nous sommes abandonnés »
Car depuis les évènements et l’ouverture de l’enquête, Etienne Togera, président du Conseil des jeunes de la plaine de la Ruzizi, représentant de la communauté Bafulero, s’inquiète du silence de la justice.
« Il y a eu une enquête, il y a eu un auditeur venu de Kinshasa qui a auditionné les gens, les victimes. Et à partir de cette enquête-là, on attendait quand même des résultats. Mais en fait jusqu’à aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, il n’a pas quelque chose de concret en ce qui concerne le massacre de Mutarule », déplore-t-il.
« Nous avons dénoncé, nous avons parlé, nous avons écrit, mais vraiment, jusqu’à l’heure où je vous parle, rien n’est fait. », insiste-t-il. Selon lui, le gouvernement congolais détient une « grande responsabilité », mais la Monusco aussi, parce qu'elle « n’a pas fait ce qu’elle devait faire. » Et de conclure : « Je peux dire que nous sommes maintenant abandonnés, deux fois ou plusieurs fois, ni lors du massacre, ni jusqu’à aujourd’hui : rien n’est fait ».
Cette situation inquiète notamment les associations de jeunes, qui y voient un risque pour la paix. Le président du Conseil des jeunes d’Uvira, André Byadunia, estime que rendre la justice permettrait d’apaiser la population.
« Nous espérons qu’un procès, maintenant, pourrait aider la population à dire que voilà "nous sommes pris en compte, parce que ceux-là qui ont commis des crimes ont été punis". Et si des gens ont été punis, nous espérons que même ceux-là qui avaient encore les intentions de dire "nous pouvons encore tuer les gens", vont être réticents. Et s’ils sont réticents, la population va cohabiter facilement », analyse-t-il.
RFI