Leral.net - S'informer en temps réel

RDC : que vaut vraiment ce calendrier électoral ?

Rédigé par leral.net le Lundi 6 Novembre 2017 à 19:40 | | 0 commentaire(s)|

ANALYSE. Corneille Nangaa, président de la Ceni, a rendu publique la date des élections en RDC. Ce sera le 23 décembre 2018. Voici pourquoi cette date est à prendre avec des pincettes.


Corneille Nangaa, président de la Ceni, a délivré ce 6 novembre 2017 le calendrier électoral de la RD Congo. © JOHN WESSELS / AFP

C'est la date du 23 décembre 2018 qui a finalement été retenue par la Ceni pour l'organisation des élections générales (présidentielle, législatives, provinciales et locales) en République démocratique du Congo. Corneille Naanga, le président de la Commission électorale nationale indépendante, l'organe officiellement chargé de la conduite du processus électoral, l'a annoncé dimanche soir après une longue attente devant un parterre de journalistes et de diplomates. 

Pourquoi le 23 décembre 2018 ? 

Au final, la Ceni semble avoir voulu couper la poire en deux (ou « faire une moyenne mathématique », selon l'expression d'un diplomate). En effet, Joseph Kabila et ses proches penchaient initialement pour avril 2019 « au plus tôt » ; l'opposition et les mouvements citoyens, appuyés par la communauté internationale, États-Unis en tête, tablaient eux sur mi-2018 « au plus tard » ; quant à l'Union africaine (UA), elle proposait septembre 2018. Pour la Ceni, il s'agissait donc de tenter de satisfaire tout le monde ou plutôt de ne mécontenter personne. En apparence, à tout le moins…
En attendant, pour importante qu'elle soit, l'annonce de la date des élections générales en RDC par la Ceni soulève d'emblée trois questions. 

S'agit-il d'une date ferme ou indicative ? 

Tout d'abord, la date avancée cette fois-ci est-elle ferme ou indicative ? En effet, trois dates ont déjà circulé avant que celle-ci n'intervienne : celle prévue par la Constitution (27 novembre 2016) ; celle convenue dans le cadre des accords de la Cité de l'UA (avril 2018) ; celle, enfin, conclue dans le cadre des accords de la Saint-Sylvestre (fin 2017). S'agissant de cette nouvelle date, il est fort à parier que la majorité présidentielle ne manquera pas d'égrener le chapelet des contraintes d'ordre technique, logistique, climatique, financière ou sécuritaire pour, le moment venu, tenter de repousser encore l'échéance. Histoire d'ôter tout suspense, la Ceni a pris soin d'indiquer que, « comme en 2015 », le calendrier électoral sera assorti de « contraintes » pour sa mise en œuvre. Or, selon les propres termes du rapporteur adjoint de la Ceni, « si ces contraintes persistaient, la mise en œuvre du calendrier pourrait être modifiée ». Des déclarations peu rassurantes, d'autant que Corneille Nangaa a lui-même qualifié d' « hypothèse optimiste » la date du 23 décembre 2018. Il y a peu, il avait déclaré avoir besoin de 504 jours pour boucler le processus électoral. Un délai aujourd'hui ramené à 306 jours. Et si ce nouveau délai lui paraît « optimiste », c'est aussi parce qu'il n'y aura qu' « une seule séquence » pour la présidentielle, les législatives, les provinciales et les locales. Un arbitrage opéré par la Ceni, contre l'avis de l'opposition qui poussait pour l'organisation de la seule présidentielle dans un premier temps afin de ne pas compliquer (et donc de ne pas retarder…) l'organisation des scrutins. Pour ne rien favoriser, la Commission entend également à cette occasion éprouver deux nouveaux dispositifs : le vote des Congolais de l'étranger et le vote électronique (dans un cas comme dans l'autre, ce serait une première). Ici aussi, pas de quoi gagner du temps…

 

DRCONGO-POLITICS-ELECTION ©  JOHN WESSELS / AFP
Corneille Nangaa présidant la Commission électorale nationale indépendante le 5 novembre 2017. © JOHN WESSELS / AFP

 

 

Joseph Kabila se représentera-t-il ou pas ? 

Deuxième question, Joseph Kabila entend-il ou non participer à ce scrutin ? En clair, cherchera-t-il d'ici là à organiser un référendum afin de modifier la Constitution et briguer ainsi un nouveau mandat après bientôt 17 ans passés au pouvoir ? Certains, y compris du côté des plus modérés de la majorité présidentielle, à l'instar du député Palu Patrick Muyaya, voudraient croire le contraire. Mais rien n'est moins sûr. Car l'intéressé ne dit mot et laisse toujours planer le doute… Or, « c'est la question principale. Le reste – la date de l'élection – est accessoire en regard », explique un diplomate en poste à Kinshasa. Pour beaucoup en effet, tant que Joseph Kabila se maintiendra au pouvoir, l'organisation de tout scrutin visant à une transition pacifique du pouvoir sera impossible.

Quelle sera l'attitude de l'opposition et de la communauté internationale ? 

Troisième question, enfin, quelle sera l'attitude de l'opposition et des mouvements citoyens RD congolais à la suite de l'annonce de la Ceni, un organe qu'ils estiment inféodé au pouvoir ? Et quid de la communauté internationale ? Accepteront-ils cette date ? Déjà, avant même l'annonce officielle de la nouvelle date, Félix Tshisekedi avait vivement réagi sur son compte Twitter : « Peu importe la Ceni. Son calendrier sonnera le glas de ce régime malfaisant. Préparez-vous Congolais, l'heure est venue de chasser J. Kabila. » Hier soir, Moïse Katumbi, l'opposant numéro un à Joseph Kabila, s'est montré tout aussi explicite. « Nous n'accepterons pas ce calendrier fantaisiste. Stop. Kabila doit partir », a-t-il écrit sur son compte Twitter. « Nous resterons mobilisés pour le départ de Kabila avant le 31 décembre 2017 », a surenchéri, toujours sur Twitter, son bras droit, Salomon Kalonda. Même tonalité du côté des autres leaders de l'opposition, d'Ève Bazaïba du MLC de Jean-Pierre Bemba à Vital Kamerhe de l'UNC en passant par Martin Fayulu de l'Ecidé. Des divergences subsistent toutefois entre eux sur l'opportunité d'une (courte) transition avec ou sans Kabila. Quoi qu'il en soit, le vif mécontentement manifesté par l'opposition à l'annonce du nouveau calendrier de la Ceni est le signe que celle-ci n'est pas dupe. Sous des apparences consensuelles, ce calendrier, tant dans son principe (il permet à Joseph Kabila de se maintenir au moins encore un an au pouvoir) que dans son contenu (il fixe une date lointaine et sous réserve pour les élections), ne sied en réalité qu'à une seule partie : Joseph Kabila et ses proches.

 

DRCONGO-POLITICS-ELECTION ©  JOHN WESSELS / AFP
La Commission électorale nationale indépendante le 5 novembre 2017 à Kinshasa. © JOHN WESSELS / AFP

 

 

États-Unis, opposition, communauté internationale : main dans la main ? 


Du coup, du côté de la communauté internationale, c'est également la soupe à la grimace. Nikki Haley, l'ambassadrice américaine, lors de sa récente visite en RDC, avait fait savoir à l'actuel chef de l'État que les élections devaient, certes, se tenir en 2018, mais pas fin 2018. Et – précision importante – sans lui. Le calendrier donné hier par la Ceni, s'il ne franchit pas la ligne rouge du 1er janvier 2019, n'est donc pas de nature à satisfaire les États-Unis comme le reste de la communauté internationale. À cela, s'ajoute un autre problème : la perte de crédibilité de la parole du pouvoir actuel, « qui promet beaucoup, mais ne respecte rien. […] C'est la troisième date qui est fixée en moins d'un an. Pourquoi celle-ci serait-elle tenue, contrairement aux autres ? » fait mine de s'interroger un ambassadeur en poste dans un pays voisin. 
Pour tenter de ramener cette date dans des délais plus brefs, l'opposition et les mouvements citoyens RD congolais disposent d'une alternative : compter soit sur la communauté internationale pour intensifier les pressions diplomatiques, soit sur la mobilisation populaire et la désobéissance civile afin d'expurger un pouvoir, enkysté depuis près de deux décennies. Ce matin, dans les rues de Kinshasa, c'est cette seconde option qui semblait avoir les faveurs de la population congolaise. D'ici à la fin de l'année, la tension, déjà vive en RDC, risque de monter d'un cran… 


lepoint.fr