Imposante dans son boubou brodé de couleur blanche qui contraste avec sa noirceur bien entretenue, elle débite ses vérités, dans une expression fluide et assurée. Lesquelles vérités risquent de faire trembler les états-majors politiques du fait de leur crudité. Position par rapport au Pds, ses relations avec Wade, son avenir politique, son analyse de l’horizon incertain de 2012, l’ex-maire de Diourbel n’occulte aucun point. Et quand elle assène ses vérités avec le franc parler qui la caractérise, bonjour les révélations.
Madame Aminata Tall, vous êtes restée trop longtemps silencieuse après votre limogeage du gouvernement en mars 2006. On ne vous a pas sentie sur le front politique. Seriez-vous dégoûtée par la politique telle qu’elle se mène au Parti démocratique Sénégalais ?
La forme de votre question intègre plusieurs choses qui méritent explications et mises au point. Sur la forme, vous parlez de limogeage. Ce mot fait référence à la ville de Limoges en France où furent placés en résidence des officiers de l’Armée française par le Maréchal Joffre en septembre 1914, généraux jugés incapables. Par glissement sémantique, ce mot signifie aujourd’hui mesure de disgrâce : destitué, disgracié ; je ne suis nullement concernée par ce substantif. J’ai démissionné volontairement de mon dernier poste de Ministre d’Etat auprès du Président de la République pour des raisons d’éthique. Les gens disent que je suis dégoûtée de la politique. Vous savez, la politique n’est pas pour moi un concours gastronomique où le dégoût peut nous surprendre. Un grand chef religieux du siècle dernier, Pie XI, disait «que la politique est la plus haute expression de la charité» (…) J’ai donc préféré garder le silence dans la réflexion. Car, l’homme politique, que j’incarne, ne doit pas se permettre de perdre ses repères. L’écoute attentive est une donnée de la communication directe et efficace. La politique n’est pas le jeu médiatique qui consiste à occuper le devant de la scène dans les émissions ad hoc ou dans les «expéditions» devant la caméra ou le micro. Il est vrai que la discrétion est une attitude risquée. On s’interroge, comme vous le faites à juste titre, sur l’homme politique qu’on n’entend pas …Notre pays est traversé, aujourd’hui, avec brutalité, par des changements qui bousculent les repères, l’incertitude est la chose la mieux partagée, le déroulement des événements paraît échapper à tout contrôle. Les valeurs morales semblent être balayées sans ménagement. Ainsi, avec l’approfondissement de la démocratie, les citoyens sont au cœur de la crise. Crise au sens du philosophe italien Antonio Gramsci : «quand le vieux meurt et le neuf hésite à naître» ou pour parler comme Tocqueville, «le passé n’éclairant plus la vie, l’esprit marche devant les ténèbres». Donc, le silence, la réflexion, l’écoute sont des éléments de la politique qu’il faut savoir gérer, pour garder la conviction dans l’idéal qui fonde l’engagement politique. Telle est la signification de mon attitude observée ces derniers temps…
Les vacances présidentielles se sont prolongées au moment où les populations pataugeaient dans les eaux, plongées dans l’obscurité, avec une recrudescence de la violence en Casamance. Pensez-vous que cela est normal en République ?
Il y a trois éléments qui sont soulignés à la fois. Il y a les vacances présidentielles, le problème des inondations et celui de l’électricité. S’agissant des vacances présidentielles, nous sommes là, inscrits dans une tradition installée depuis le Président Senghor, tradition ininterrompue, en Europe pour ne pas dire en France. Une bonne image de l’alternance aurait cependant voulu d’autres formes de repos sur le territoire national ou en Afrique. En tous les cas, une présence immédiate sur le territoire national en cas de catastrophe ou de menaces sur la sécurité et la stabilité du pays (Casamance) s’imposait avec des mesures concrètes.
Il est quand même étonnant, pour quelqu’un qui a toujours dénoncé la léthargie des autorités de l’époque avant l’alternance et leur manque d’initiatives politiques devant les catastrophes naturelles qui ont été les hantises permanentes des populations de Dakar banlieues, St-Louis, Kaolack et autres lieux d’inondations, il est désolant qu’il n’ait pas écourté ses vacances. Et qu’une véritable politique de solutions durables n’ait pas été définie en lieu et place des actions du plan Orsec qui n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des difficultés qui assaillent les populations sinistrées.
Le Président a quand même à son retour de vacances des projets d’envergure qui vont mobiliser près de 270 milliards de francs Cfa provenant du Millenium challenge account (Mca). L’accord devrait d’ailleurs être signé le 16 prochain...
(Elle coupe). J’ai un peu suivi à travers la presse, mais de quoi on nous parle dans ce projet ? Il nous parle de routes vers Kolda, vers le Fouta, etc. On ne parle pas encore d’inondations de Dakar et des autres zones qui sont concernées. C’est un problème pourtant très sérieux.
Concernant l’Energie, l’opposition dénonce un lobbying politico-affairiste qui prendrait le secteur en otage. Qu’en pensez-vous ?
L’énergie d’une manière générale, devenue aujourd’hui un facteur structurant de l’économie sénégalaise mérite une politique cohérente, des décisions concrètes, et une gouvernance transparente. Ce qui est loin du cas aujourd’hui. Il est en effet inadmissible qu’en 2009, Dakar, première grande ville de l’Afrique de l’Ouest, première tête de pont de l’industrie dans cette partie du continent, plonge ses nuits dans l’obscurité par le déficit et la vétusté de ces installations de production énergétique.
La SAR comme la SENELEC doivent être inscrites dans une orientation claire : étatisation ou privatisation, dans tous les cas pour une solution définitive... C’est aujourd’hui une priorité. Par contre, je trouve que le Monument de la renaissance sur les Mamelles n’est pas une priorité.
Vous êtes donc contre l’érection du Monument de la renaissance ?
Bien sûr que je suis contre. Pour moi, ce n’est pas une priorité. En faire une priorité est une non-reconnaissance des préoccupations réelles des Sénégalais et des Sénégalaises.
Il y a pourtant des gens qui pensent que cela participe à redorer l’image de l’homme noire et redynamiser la mémoire de l’Afrique qui a connu des siècles d’oppression de toutes sortes ?
La mémoire de l’Afrique, il y a plusieurs moyens de la restaurer. Je pense que l’homme noir est dans la mémoire de toutes les consciences collectives du monde. Pensez à toutes ces conférences qui se sont tenues ici ou ailleurs, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud. Mais aujourd’hui que nous vivons une situation précise, il faut trouver une solution précise.
Justement parmi les raisons avancées pour justifier votre mutisme, on a cru entendre que vous étiez en attente votre poste de vice-présidente de la République ? La promesse de vous nommer au Conseil économique et social ne tenant plus, comment vivez-vous cette déception ?
Vous venez de me l’apprendre et je ne voudrais pas faire de commentaire sur les promesses du Président de la République. Lui seul pourrait vous dire ce qu’il en est. Je remercie cependant tous ceux qui pensent que je peux assumer pleinement cette fonction. Mais sachez que je ne suis pas demandeur. Mieux, j’ai dit au Président de la République que si j’avais à lui donner un avis avant le vote de loi, je lui aurais déconseillé un tel projet. La mission telle que libellée pouvant largement être assumée par un simple Chargé de mission ou un Ministre d’Etat sans portefeuille ; la priorité du Président de la République devrait être ailleurs c’est-à-dire abréger la souffrance des populations (faim, inondations, délestage etc…)
Vous semblez dévaloriser la fonction ?
La fonction aurait pu avoir de la valeur, mais c’est le texte de loi même qui l’a dévalorisée.
Si vous avez été nommé à la place, vous ne l’aurez sans doute pas dit ?
Sans le cadrage constitutionnel, qu’est ce qu’on aurait pu faire ? C’est vrai que c’est l’homme toujours qui fait la fonction, c’est tellement vrai qu’à plusieurs reprises des postes qui m’ont été donnés, ont été privés de leur substance. Mais chaque fois, on a essayé de leur donné du contenu.
Mais aujourd’hui ne regrettez-vous de voir cette affaire vous échapper ?
Regretter ? Mais il faut d’abord espérer.
Et vous n’avez jamais espéré ?
Pas du tout. Sincèrement.
Le Conseil économique et social, vous y étiez annoncé, mais… ?
Mais moi je vous dis que je n’ai pas de déception avec le président Wade.
Comment avez-vous vécu le fait qu’il ait nommé Ousmane Masseck Ndiaye ?
Je l’ai vécu le plus naturellement au monde, mais comme je vous dis encore une fois, je ne commente pas les promesses de Me Wade. Et je ne me mets en situation que quand les choses sont entre mes mains de manière officielle. Donc je l’ai vécu le plus naturellement du monde. Comme s’il ne s’agissait pas d’une Aminata Tall qui était pressentie au départ.
Il y a aussi le livre de Latif Coulibaly « Compte et Mécompte de l’Anoci », quel commentaire en faites-vous ? Qu’attendez-vous du président de la République après ces révélations sur la gestion de son fils si vous continuez à penser qu’il reste attaché aux idéaux pour lesquels vous l’avez choisi comme leader politique au départ ?
Juste un rappel à ce propos : dans un engagement politique, on affirme toujours qu’il s’agit de servir : « la Cité, les Citoyens, l’Etat et la République ». Aussi Rousseau parle-t-il de citoyen comme participant à l’autorité souveraine et de sujet comme soumis aux lois de l’Etat. Il convient donc de garder en mémoire l’essence du politique pour prévenir la démocratie des dangers les plus corrosifs qui la guettent comme le mensonge politique. On parle ainsi de contre-pouvoir pour éviter les abus de pouvoirs. Intervient alors l’exercice du droit à l’information comme un devoir sacré pour vivifier la démocratie et rendre au citoyen sa dimension d’acteur central. C’est pourquoi dans le cas que vous évoquez, les autorités politiques qui ont reçu mandat de leurs concitoyens pour gérer des deniers : dans les règles de l’art, disposant d’outils de contrôle et de procédure, doivent éclairer l’opinion publique ; et les protagonistes de l’agence répondre de leurs actes en sanction positive ou négative. Personnellement, en tant que responsable politique, je n’aurais pas encouragé ou suscité, toutes les déviances, des procédures de la République, qui ont permis la mise en place de telles monstruosités, source de tant de polémiques et d’invectives aujourd’hui.
Donc vous demandez à l’Anoci de répondre aux accusations de Latif Coulibaly ?
Absolument. Et de la façon la plus claire et la plus courageuse possible.
Restons dans le même chapitre, le nom de Karim est pratiquement sur toutes les lèvres et il est prêté au président l’intention de se faire succéder par son fils, ce scénario vous paraît-il légitime en tant que militante de première du Pds que vous êtes ?
Ecoutez, je ne suis pas dans les confidences du Président de la République. Il ne m’en a jamais parlé même si la presse en a fait des choux gras.
Mais si l’histoire récente du Sénégal, et l’expérience des changements intervenus en 2000 doivent nous apporter une leçon politique, elle serait que : la carte d’électeur du citoyen sénégalais est devenue l’arme fatale, et l’outil incontournable, de toutes formes de succession de pouvoir au Sénégal. L’hérédité est complètement différente de la légitimité politique. Karim a le droit de vouloir diriger le pays mais qu’il fasse ses preuves et commence à la base comme l’a fait son père. Notre pays et sa démocratie ne peuvent plus être manipulés par des lobbyistes, fréquentant les lambris du pouvoir à l’Elysée ou à Matignon, avec de solides relations dans les médias dits africains basés à Paris, faiseurs de présidents. Ces mercenaires de genre nouveaux menacent la démocratie en Afrique. La période de la monarchie est révolue et si nous devions la rétablir, je doute que Maître Wade ou Karim soient les mieux placés.
Pourquoi, ils ne seraient pas les mieux placés ?
Mais regardez autour de notre société, s’il s’agit d’une monarchie, je pense qu’il y a des critères bien définis.
Pour être monarque au Sénégal, quels sont donc les critères, Mme Tall ?
Convoquer l’histoire où allez voir les historiens. (Rires).
Nous avons vu ce qui s’est passé au Gabon où le fils de Bongo a pu accéder au pouvoir grâce à des lobbies très puissants et cela a pourtant marché ?
Mais le Gabon, ce n’est pas le Sénégal. Et si cela a marché au Gabon, vous voyez tout ce qui est en train de se passer. Nous avons une tradition de paix, nous avons aussi notre conservatisme qui est assez intéressant. Même si du point de vue de la modernité, nous sommes en avance.
Faisons maintenant le bilan des dernières élections locales, surtout dans votre localité où vous n’êtes plus le maire ; mais aussi dans beaucoup de localités où le Pds a perdu pied. Selon quelles sont les raisons de cette déroute ?
Retenez d’abord que s’agissant de Diourbel, je n’ai pas été candidate à ma succession. Cela dit, j’aime bien convoquer Mme Tchatcher surnommée « la dame de fer » qui disait avec pertinence que « l’opposition ne gagne pas les élections, c’est le gouvernement qui les perd ». C’est le cas au Sénégal. Les résultats globaux des dernières élections locales donnent encore le camp libéral majoritaire. Mais cette déroute du 22 mars est la conséquence logique de plusieurs facteurs. Je sais que la demande sociale n’est pas totalement prise en compte plutôt dans un contexte de crise particulièrement aigu avec les délestages, la pénurie d’eau dans certains endroits, de gaz, la cherté de la vie, les problèmes des inondations, l’insécurité, avec le gaspillage de nos ressources, les problèmes du monde rural, les grèves répétées des syndicats. En deuxième lieu, je constate que nous avons une mauvaise planification et une mauvaise distribution des ressources. La région de Dakar par exemple n’est pas la seule ville du Sénégal, fût-elle la capitale. Allez à l’intérieur du Sénégal, vous verrez ce que les gens vivent. Des routes cahoteuses, des localités totalement isolées, des infrastructures absentes… Nous avons par ailleurs, en quatrième lieu des promesses aux populations non tenues et vous savez ce que ça vaut à notre tradition. Nous avons également des querelles de chefs, organisées et qui ont engendré des divisions au sein du Pds. Nous avons connu des alliances contre-nature alors que la politique a quand même une éthique. Nous assistons à des bouleversements fondamentaux des canaux de la République. Pour la républicaine que je suis, on en souffre. Nous avons une absence totale d’une autorité centrale. Et tout ceci constitue à mon sens le lit de la victoire de l’opposition dans toutes les localités.
Pour Dakar, est ce que ce n’est pas l’intrusion de Karim Wade qui a fait perdre la capitale aux libéraux ?
Je ne sais pas pour Dakar, j’ai géré Diourbel, ma localité. Je n’ai pas voulu chercher les détails. Mais ces énoncés fondamentaux entre dans le cadre de cette déroute générale.
Le Président, vous en veut avec la déroute de Diourbel ?
Oui, il m’en veut. Mais c’est normal que le leader d’un parti en veuille à ses collaborateurs. C’était une réaction légitime et je n’ai rien à regretter . C’est une réaction légitime parce que la procédure na rien de canonique. Quand vous êtes dans une commune, vous responsabilisez les gens... Je n’étais pas candidat et cela a joué. Mais ce n’est pas parce que je ne suis pas candidate que je me retire de la scène politique, que je fasse preuve de non assistance à personne en danger. Pendant les élections, tout le monde est en danger…
Cela prouve quoi ? Vous pouvez bien battre campagne sans donner des consignes claires de vote en faveur de votre camp.
Je n’avais pas l’obligation de faire campagne. Mais je l’ai faite pour que mon camp gagne. Maintenant, quand au niveau de la direction du parti, des mesures totalement en porte-à-faux avec la réglementation et les textes du parti nous imposent un mandataire pour déposer les listes communales, vous voyez bien ce n’est pas une Aminata Tall qui va l’accepter, encore moins les responsables qui sont avec moi. L’échec, ce n’est pas l’ échec d’Aminata Tall à Diourbel encore une fois, c’est l’échec du président Wade. C’est lui qui nous a fait des promesses qu’il n’a pas tenues.
Vous critiquez beaucoup Wade dans sa façon de gérer le Pds. Si pour vous, il a perdu la main, quelle en est la cause. L’âge, l’usure du pouvoir, le jeu des appétits… ?
Il n’y a pas que l’âge. Je pense qu’il aurait pu continuer à être une grande chance des militants du Pds et, au-delà du parti, des Sénégalais qui ont cru en lui en un moment donné. Un peuple qui a des vertus cardinales a le doit de rêver. Un peuple croit en des utopies et, aujourd’hui, pour rallumer cette flamme, il faut encore du temps. Martin Luther King a eu son «dream» (Ndlr, rêve) et 50 ans après, Obama est devenu Président des Etats-Unis d’Amérique. L’élection présidentielle est une rencontre entre un peuple et un homme ou entre un peuple et une femme, donc il faut que cet homme ou cette femme incarne toutes les vertus, qu’il incarne tous ces rêves, toutes ces utopies.
Comment donc entrevoyez-vous dans le contexte que vous décrivez, votre avenir au sein du Pds ?
Si le Pds existe encore…(Rires)
Ah bon, vous en doutez ?
Bien sûr que j’en doute. Le Pds existe-t-il encore ? Pour que je continue à évoluer dans cette famille, je dirais qu’il y a au moins quatre conditions à remplir. D’abord, c’est la reconversion des mentalités qui appelle l’unité dans la paix des cœurs, l’esprit de générosité et de tolérance. Ensuite, il y a la nécessité, pour le parti, d’avoir une administration forte, des structures légitimes. A cela, s’ajoute une reconnaissance de la part du secrétaire général à l’égard de tous les anciens qui l’ont accompagné au prix de leur vie et qui, aujourd’hui, se retrouvent à la touche ou qui se considèrent comme les citrons pressés de la Fable au profit d’une nouvelle clientèle. Enfin, il faut que le Secrétaire général mette fin à sa politique du «diviser pour mieux régner».
Cela voudrait-il dire que si ces conditions ne sont pas réunies, vous claqueriez alors la porte du Pds ?
Dans ce cas, Aminata Tall se verrait mal continuer à voguer dans un navire sans boussole et qui continue de dévorer tous les autres navigateurs.
Vous êtes en train de prédire une rupture ?
On va vers ces moments-là, car le temps est dynamique.
Quelle alternative dessinez-vous à cette situation ?
On le saura le moment venu. Ce n’est pas encore le temps de le dire.
Peut-on envisager une Aminata Tall, battant campagne pour devenir Président de la République du Sénégal ?
Pourquoi pas ? Je n’ai pas peur, sinon on ne se lancerait pas en politique pour accompagner loyalement quelqu’un et après penser à jouer les mêmes rôles pour assurer la continuité du pouvoir.
Revenons un peu sur votre départ du gouvernement avec le différend qui vous avait opposé au Premier ministre d’alors, Macky Sall, au sujet de la gestion du Pndl. Aujourd’hui, Macky Sall vous rend visite et vous discutez de politique. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette crise d’alors arbitrée par Me Wade en faveur de M. Sall ?
Ne regardons pas dans le rétroviseur. L’heure est à la pro-activité. Aujourd’hui, la situation est tellement grave qu’il faille avancer après un bref coup d’œil sur le rétroviseur. Aujourd’hui, Idrissa Seck et Macky sont mes frères. Le dernier m’a rendu visite parce que nous ne sommes pas des ennemis. C’est dans l’ordre normal des choses, il n’y a rien de surréaliste.
Quel est l’état de vos relations avec Idy. Vous a-t-il contacté dans le cadre de ses manœuvres politiques ?
J’ai de bonnes relations avec Idrissa parce que nous avons de la hauteur, ce qui nous a permis de dépasser des situations. Les militants et le tout le monde sont unanimes à penser que le mal du parti, c’est Abdoulaye Wade. Qu’ils le disent et qu’ils ne le disent pas. D’ailleurs, c’est là que je vois une certaine hypocrisie. Wade déjoue toute forme d’alliance fraternelle au nom d’un seul principe : «diviser pour mieux régner.» J’ai été la première à théoriser les retrouvailles entre Wade et Idy et, à l’époque, j’ai été diabolisée. Aujourd’hui, je suis le jeu, et eux deux seuls sont en mesure de vous dire s’ils vont se retrouver ou pas.
Comment analysez-vous ces retrouvailles justement ?
Ces retrouvailles, j’y crois et, en même temps, je n’y crois pas. De toutes les façons, tout se fera fonction des contextes. C’est fluctuant. Et comme je vous l’ai dit plus haut, je ne veux pas revenir sur de vieilles querelles. Vous avez parlé de ping-pong dans la première question, je voudrais l’aborder sous l’angle de mon parcours qui me rappelle «Les éphémères», ces insectes qui vivent un jour et meurent. C’est à l’image des personnes. Même si la durée de vie des insectes est plus courte, ce sont des êtres vivants. C’est pour dire que le parcours du leader politique n’est pas en ligne droite, toutes ces péripéties sont à inscrire dans cet esprit. Un parti politique étant une organisation citoyenne qui, dans l’exercice du pouvoir conféré, gère des hommes, c’est-à-dire des ambitions et des carrières. Donc, ce n’est pas une simple affaire. Il ne peut pas être la géhenne de ses leaders ; ni avoir le comportement comme l’Hydre de la légende qui bouffe ses enfants. Il nous faut revenir à des fondamentaux, c’est-à-dire rétablir les frères et sœurs dans leur dignité, rétablir le mérite, la compétence ainsi que la représentativité. Nous devons arriver à faire de cela les seuls critères de la promotion. Mais aucune forme d’alliance ou de regroupement ne peut tenir sans ces principes.
Est-ce qu’une alliance entre vous, Idy et Macky hors du Pds, est dans l’ordre du possible ?
C’est bien dans l’ordre du possible. Si nous voulons maintenir la majorité dont bénéficie le camp libéral et en nous appuyant sur les principes que je viens d’évoquer, à l’intérieur ou hors du Pds, rien ne s’oppose à cette alliance. C’est d’ailleurs un socle qui me semble incontournable pour le devenir du camp libéral et celui du Sénégal.
Il y a l’obstacle du leadership qu’il vous faudra franchir…
Il sera surmontable, si l’intérêt de la Nation nous y convie.
On a comme l’impression que vous travaillez activement dans cette perspective-là.
Je vous ai dit dès le début que j’étais en silence, tout en réfléchissant. Et quand on réfléchit, on ne peut pas ne pas trouver des choses.
Justement, qu’avez-vous trouvé ?
On trouve des schémas et je ne peux pas vous le dire. C’est prématuré.
Madame Aminata Tall, vous êtes restée trop longtemps silencieuse après votre limogeage du gouvernement en mars 2006. On ne vous a pas sentie sur le front politique. Seriez-vous dégoûtée par la politique telle qu’elle se mène au Parti démocratique Sénégalais ?
La forme de votre question intègre plusieurs choses qui méritent explications et mises au point. Sur la forme, vous parlez de limogeage. Ce mot fait référence à la ville de Limoges en France où furent placés en résidence des officiers de l’Armée française par le Maréchal Joffre en septembre 1914, généraux jugés incapables. Par glissement sémantique, ce mot signifie aujourd’hui mesure de disgrâce : destitué, disgracié ; je ne suis nullement concernée par ce substantif. J’ai démissionné volontairement de mon dernier poste de Ministre d’Etat auprès du Président de la République pour des raisons d’éthique. Les gens disent que je suis dégoûtée de la politique. Vous savez, la politique n’est pas pour moi un concours gastronomique où le dégoût peut nous surprendre. Un grand chef religieux du siècle dernier, Pie XI, disait «que la politique est la plus haute expression de la charité» (…) J’ai donc préféré garder le silence dans la réflexion. Car, l’homme politique, que j’incarne, ne doit pas se permettre de perdre ses repères. L’écoute attentive est une donnée de la communication directe et efficace. La politique n’est pas le jeu médiatique qui consiste à occuper le devant de la scène dans les émissions ad hoc ou dans les «expéditions» devant la caméra ou le micro. Il est vrai que la discrétion est une attitude risquée. On s’interroge, comme vous le faites à juste titre, sur l’homme politique qu’on n’entend pas …Notre pays est traversé, aujourd’hui, avec brutalité, par des changements qui bousculent les repères, l’incertitude est la chose la mieux partagée, le déroulement des événements paraît échapper à tout contrôle. Les valeurs morales semblent être balayées sans ménagement. Ainsi, avec l’approfondissement de la démocratie, les citoyens sont au cœur de la crise. Crise au sens du philosophe italien Antonio Gramsci : «quand le vieux meurt et le neuf hésite à naître» ou pour parler comme Tocqueville, «le passé n’éclairant plus la vie, l’esprit marche devant les ténèbres». Donc, le silence, la réflexion, l’écoute sont des éléments de la politique qu’il faut savoir gérer, pour garder la conviction dans l’idéal qui fonde l’engagement politique. Telle est la signification de mon attitude observée ces derniers temps…
Les vacances présidentielles se sont prolongées au moment où les populations pataugeaient dans les eaux, plongées dans l’obscurité, avec une recrudescence de la violence en Casamance. Pensez-vous que cela est normal en République ?
Il y a trois éléments qui sont soulignés à la fois. Il y a les vacances présidentielles, le problème des inondations et celui de l’électricité. S’agissant des vacances présidentielles, nous sommes là, inscrits dans une tradition installée depuis le Président Senghor, tradition ininterrompue, en Europe pour ne pas dire en France. Une bonne image de l’alternance aurait cependant voulu d’autres formes de repos sur le territoire national ou en Afrique. En tous les cas, une présence immédiate sur le territoire national en cas de catastrophe ou de menaces sur la sécurité et la stabilité du pays (Casamance) s’imposait avec des mesures concrètes.
Il est quand même étonnant, pour quelqu’un qui a toujours dénoncé la léthargie des autorités de l’époque avant l’alternance et leur manque d’initiatives politiques devant les catastrophes naturelles qui ont été les hantises permanentes des populations de Dakar banlieues, St-Louis, Kaolack et autres lieux d’inondations, il est désolant qu’il n’ait pas écourté ses vacances. Et qu’une véritable politique de solutions durables n’ait pas été définie en lieu et place des actions du plan Orsec qui n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan des difficultés qui assaillent les populations sinistrées.
Le Président a quand même à son retour de vacances des projets d’envergure qui vont mobiliser près de 270 milliards de francs Cfa provenant du Millenium challenge account (Mca). L’accord devrait d’ailleurs être signé le 16 prochain...
(Elle coupe). J’ai un peu suivi à travers la presse, mais de quoi on nous parle dans ce projet ? Il nous parle de routes vers Kolda, vers le Fouta, etc. On ne parle pas encore d’inondations de Dakar et des autres zones qui sont concernées. C’est un problème pourtant très sérieux.
Concernant l’Energie, l’opposition dénonce un lobbying politico-affairiste qui prendrait le secteur en otage. Qu’en pensez-vous ?
L’énergie d’une manière générale, devenue aujourd’hui un facteur structurant de l’économie sénégalaise mérite une politique cohérente, des décisions concrètes, et une gouvernance transparente. Ce qui est loin du cas aujourd’hui. Il est en effet inadmissible qu’en 2009, Dakar, première grande ville de l’Afrique de l’Ouest, première tête de pont de l’industrie dans cette partie du continent, plonge ses nuits dans l’obscurité par le déficit et la vétusté de ces installations de production énergétique.
La SAR comme la SENELEC doivent être inscrites dans une orientation claire : étatisation ou privatisation, dans tous les cas pour une solution définitive... C’est aujourd’hui une priorité. Par contre, je trouve que le Monument de la renaissance sur les Mamelles n’est pas une priorité.
Vous êtes donc contre l’érection du Monument de la renaissance ?
Bien sûr que je suis contre. Pour moi, ce n’est pas une priorité. En faire une priorité est une non-reconnaissance des préoccupations réelles des Sénégalais et des Sénégalaises.
Il y a pourtant des gens qui pensent que cela participe à redorer l’image de l’homme noire et redynamiser la mémoire de l’Afrique qui a connu des siècles d’oppression de toutes sortes ?
La mémoire de l’Afrique, il y a plusieurs moyens de la restaurer. Je pense que l’homme noir est dans la mémoire de toutes les consciences collectives du monde. Pensez à toutes ces conférences qui se sont tenues ici ou ailleurs, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud. Mais aujourd’hui que nous vivons une situation précise, il faut trouver une solution précise.
Justement parmi les raisons avancées pour justifier votre mutisme, on a cru entendre que vous étiez en attente votre poste de vice-présidente de la République ? La promesse de vous nommer au Conseil économique et social ne tenant plus, comment vivez-vous cette déception ?
Vous venez de me l’apprendre et je ne voudrais pas faire de commentaire sur les promesses du Président de la République. Lui seul pourrait vous dire ce qu’il en est. Je remercie cependant tous ceux qui pensent que je peux assumer pleinement cette fonction. Mais sachez que je ne suis pas demandeur. Mieux, j’ai dit au Président de la République que si j’avais à lui donner un avis avant le vote de loi, je lui aurais déconseillé un tel projet. La mission telle que libellée pouvant largement être assumée par un simple Chargé de mission ou un Ministre d’Etat sans portefeuille ; la priorité du Président de la République devrait être ailleurs c’est-à-dire abréger la souffrance des populations (faim, inondations, délestage etc…)
Vous semblez dévaloriser la fonction ?
La fonction aurait pu avoir de la valeur, mais c’est le texte de loi même qui l’a dévalorisée.
Si vous avez été nommé à la place, vous ne l’aurez sans doute pas dit ?
Sans le cadrage constitutionnel, qu’est ce qu’on aurait pu faire ? C’est vrai que c’est l’homme toujours qui fait la fonction, c’est tellement vrai qu’à plusieurs reprises des postes qui m’ont été donnés, ont été privés de leur substance. Mais chaque fois, on a essayé de leur donné du contenu.
Mais aujourd’hui ne regrettez-vous de voir cette affaire vous échapper ?
Regretter ? Mais il faut d’abord espérer.
Et vous n’avez jamais espéré ?
Pas du tout. Sincèrement.
Le Conseil économique et social, vous y étiez annoncé, mais… ?
Mais moi je vous dis que je n’ai pas de déception avec le président Wade.
Comment avez-vous vécu le fait qu’il ait nommé Ousmane Masseck Ndiaye ?
Je l’ai vécu le plus naturellement au monde, mais comme je vous dis encore une fois, je ne commente pas les promesses de Me Wade. Et je ne me mets en situation que quand les choses sont entre mes mains de manière officielle. Donc je l’ai vécu le plus naturellement du monde. Comme s’il ne s’agissait pas d’une Aminata Tall qui était pressentie au départ.
Il y a aussi le livre de Latif Coulibaly « Compte et Mécompte de l’Anoci », quel commentaire en faites-vous ? Qu’attendez-vous du président de la République après ces révélations sur la gestion de son fils si vous continuez à penser qu’il reste attaché aux idéaux pour lesquels vous l’avez choisi comme leader politique au départ ?
Juste un rappel à ce propos : dans un engagement politique, on affirme toujours qu’il s’agit de servir : « la Cité, les Citoyens, l’Etat et la République ». Aussi Rousseau parle-t-il de citoyen comme participant à l’autorité souveraine et de sujet comme soumis aux lois de l’Etat. Il convient donc de garder en mémoire l’essence du politique pour prévenir la démocratie des dangers les plus corrosifs qui la guettent comme le mensonge politique. On parle ainsi de contre-pouvoir pour éviter les abus de pouvoirs. Intervient alors l’exercice du droit à l’information comme un devoir sacré pour vivifier la démocratie et rendre au citoyen sa dimension d’acteur central. C’est pourquoi dans le cas que vous évoquez, les autorités politiques qui ont reçu mandat de leurs concitoyens pour gérer des deniers : dans les règles de l’art, disposant d’outils de contrôle et de procédure, doivent éclairer l’opinion publique ; et les protagonistes de l’agence répondre de leurs actes en sanction positive ou négative. Personnellement, en tant que responsable politique, je n’aurais pas encouragé ou suscité, toutes les déviances, des procédures de la République, qui ont permis la mise en place de telles monstruosités, source de tant de polémiques et d’invectives aujourd’hui.
Donc vous demandez à l’Anoci de répondre aux accusations de Latif Coulibaly ?
Absolument. Et de la façon la plus claire et la plus courageuse possible.
Restons dans le même chapitre, le nom de Karim est pratiquement sur toutes les lèvres et il est prêté au président l’intention de se faire succéder par son fils, ce scénario vous paraît-il légitime en tant que militante de première du Pds que vous êtes ?
Ecoutez, je ne suis pas dans les confidences du Président de la République. Il ne m’en a jamais parlé même si la presse en a fait des choux gras.
Mais si l’histoire récente du Sénégal, et l’expérience des changements intervenus en 2000 doivent nous apporter une leçon politique, elle serait que : la carte d’électeur du citoyen sénégalais est devenue l’arme fatale, et l’outil incontournable, de toutes formes de succession de pouvoir au Sénégal. L’hérédité est complètement différente de la légitimité politique. Karim a le droit de vouloir diriger le pays mais qu’il fasse ses preuves et commence à la base comme l’a fait son père. Notre pays et sa démocratie ne peuvent plus être manipulés par des lobbyistes, fréquentant les lambris du pouvoir à l’Elysée ou à Matignon, avec de solides relations dans les médias dits africains basés à Paris, faiseurs de présidents. Ces mercenaires de genre nouveaux menacent la démocratie en Afrique. La période de la monarchie est révolue et si nous devions la rétablir, je doute que Maître Wade ou Karim soient les mieux placés.
Pourquoi, ils ne seraient pas les mieux placés ?
Mais regardez autour de notre société, s’il s’agit d’une monarchie, je pense qu’il y a des critères bien définis.
Pour être monarque au Sénégal, quels sont donc les critères, Mme Tall ?
Convoquer l’histoire où allez voir les historiens. (Rires).
Nous avons vu ce qui s’est passé au Gabon où le fils de Bongo a pu accéder au pouvoir grâce à des lobbies très puissants et cela a pourtant marché ?
Mais le Gabon, ce n’est pas le Sénégal. Et si cela a marché au Gabon, vous voyez tout ce qui est en train de se passer. Nous avons une tradition de paix, nous avons aussi notre conservatisme qui est assez intéressant. Même si du point de vue de la modernité, nous sommes en avance.
Faisons maintenant le bilan des dernières élections locales, surtout dans votre localité où vous n’êtes plus le maire ; mais aussi dans beaucoup de localités où le Pds a perdu pied. Selon quelles sont les raisons de cette déroute ?
Retenez d’abord que s’agissant de Diourbel, je n’ai pas été candidate à ma succession. Cela dit, j’aime bien convoquer Mme Tchatcher surnommée « la dame de fer » qui disait avec pertinence que « l’opposition ne gagne pas les élections, c’est le gouvernement qui les perd ». C’est le cas au Sénégal. Les résultats globaux des dernières élections locales donnent encore le camp libéral majoritaire. Mais cette déroute du 22 mars est la conséquence logique de plusieurs facteurs. Je sais que la demande sociale n’est pas totalement prise en compte plutôt dans un contexte de crise particulièrement aigu avec les délestages, la pénurie d’eau dans certains endroits, de gaz, la cherté de la vie, les problèmes des inondations, l’insécurité, avec le gaspillage de nos ressources, les problèmes du monde rural, les grèves répétées des syndicats. En deuxième lieu, je constate que nous avons une mauvaise planification et une mauvaise distribution des ressources. La région de Dakar par exemple n’est pas la seule ville du Sénégal, fût-elle la capitale. Allez à l’intérieur du Sénégal, vous verrez ce que les gens vivent. Des routes cahoteuses, des localités totalement isolées, des infrastructures absentes… Nous avons par ailleurs, en quatrième lieu des promesses aux populations non tenues et vous savez ce que ça vaut à notre tradition. Nous avons également des querelles de chefs, organisées et qui ont engendré des divisions au sein du Pds. Nous avons connu des alliances contre-nature alors que la politique a quand même une éthique. Nous assistons à des bouleversements fondamentaux des canaux de la République. Pour la républicaine que je suis, on en souffre. Nous avons une absence totale d’une autorité centrale. Et tout ceci constitue à mon sens le lit de la victoire de l’opposition dans toutes les localités.
Pour Dakar, est ce que ce n’est pas l’intrusion de Karim Wade qui a fait perdre la capitale aux libéraux ?
Je ne sais pas pour Dakar, j’ai géré Diourbel, ma localité. Je n’ai pas voulu chercher les détails. Mais ces énoncés fondamentaux entre dans le cadre de cette déroute générale.
Le Président, vous en veut avec la déroute de Diourbel ?
Oui, il m’en veut. Mais c’est normal que le leader d’un parti en veuille à ses collaborateurs. C’était une réaction légitime et je n’ai rien à regretter . C’est une réaction légitime parce que la procédure na rien de canonique. Quand vous êtes dans une commune, vous responsabilisez les gens... Je n’étais pas candidat et cela a joué. Mais ce n’est pas parce que je ne suis pas candidate que je me retire de la scène politique, que je fasse preuve de non assistance à personne en danger. Pendant les élections, tout le monde est en danger…
Cela prouve quoi ? Vous pouvez bien battre campagne sans donner des consignes claires de vote en faveur de votre camp.
Je n’avais pas l’obligation de faire campagne. Mais je l’ai faite pour que mon camp gagne. Maintenant, quand au niveau de la direction du parti, des mesures totalement en porte-à-faux avec la réglementation et les textes du parti nous imposent un mandataire pour déposer les listes communales, vous voyez bien ce n’est pas une Aminata Tall qui va l’accepter, encore moins les responsables qui sont avec moi. L’échec, ce n’est pas l’ échec d’Aminata Tall à Diourbel encore une fois, c’est l’échec du président Wade. C’est lui qui nous a fait des promesses qu’il n’a pas tenues.
Vous critiquez beaucoup Wade dans sa façon de gérer le Pds. Si pour vous, il a perdu la main, quelle en est la cause. L’âge, l’usure du pouvoir, le jeu des appétits… ?
Il n’y a pas que l’âge. Je pense qu’il aurait pu continuer à être une grande chance des militants du Pds et, au-delà du parti, des Sénégalais qui ont cru en lui en un moment donné. Un peuple qui a des vertus cardinales a le doit de rêver. Un peuple croit en des utopies et, aujourd’hui, pour rallumer cette flamme, il faut encore du temps. Martin Luther King a eu son «dream» (Ndlr, rêve) et 50 ans après, Obama est devenu Président des Etats-Unis d’Amérique. L’élection présidentielle est une rencontre entre un peuple et un homme ou entre un peuple et une femme, donc il faut que cet homme ou cette femme incarne toutes les vertus, qu’il incarne tous ces rêves, toutes ces utopies.
Comment donc entrevoyez-vous dans le contexte que vous décrivez, votre avenir au sein du Pds ?
Si le Pds existe encore…(Rires)
Ah bon, vous en doutez ?
Bien sûr que j’en doute. Le Pds existe-t-il encore ? Pour que je continue à évoluer dans cette famille, je dirais qu’il y a au moins quatre conditions à remplir. D’abord, c’est la reconversion des mentalités qui appelle l’unité dans la paix des cœurs, l’esprit de générosité et de tolérance. Ensuite, il y a la nécessité, pour le parti, d’avoir une administration forte, des structures légitimes. A cela, s’ajoute une reconnaissance de la part du secrétaire général à l’égard de tous les anciens qui l’ont accompagné au prix de leur vie et qui, aujourd’hui, se retrouvent à la touche ou qui se considèrent comme les citrons pressés de la Fable au profit d’une nouvelle clientèle. Enfin, il faut que le Secrétaire général mette fin à sa politique du «diviser pour mieux régner».
Cela voudrait-il dire que si ces conditions ne sont pas réunies, vous claqueriez alors la porte du Pds ?
Dans ce cas, Aminata Tall se verrait mal continuer à voguer dans un navire sans boussole et qui continue de dévorer tous les autres navigateurs.
Vous êtes en train de prédire une rupture ?
On va vers ces moments-là, car le temps est dynamique.
Quelle alternative dessinez-vous à cette situation ?
On le saura le moment venu. Ce n’est pas encore le temps de le dire.
Peut-on envisager une Aminata Tall, battant campagne pour devenir Président de la République du Sénégal ?
Pourquoi pas ? Je n’ai pas peur, sinon on ne se lancerait pas en politique pour accompagner loyalement quelqu’un et après penser à jouer les mêmes rôles pour assurer la continuité du pouvoir.
Revenons un peu sur votre départ du gouvernement avec le différend qui vous avait opposé au Premier ministre d’alors, Macky Sall, au sujet de la gestion du Pndl. Aujourd’hui, Macky Sall vous rend visite et vous discutez de politique. Pouvez-vous revenir sur les raisons de cette crise d’alors arbitrée par Me Wade en faveur de M. Sall ?
Ne regardons pas dans le rétroviseur. L’heure est à la pro-activité. Aujourd’hui, la situation est tellement grave qu’il faille avancer après un bref coup d’œil sur le rétroviseur. Aujourd’hui, Idrissa Seck et Macky sont mes frères. Le dernier m’a rendu visite parce que nous ne sommes pas des ennemis. C’est dans l’ordre normal des choses, il n’y a rien de surréaliste.
Quel est l’état de vos relations avec Idy. Vous a-t-il contacté dans le cadre de ses manœuvres politiques ?
J’ai de bonnes relations avec Idrissa parce que nous avons de la hauteur, ce qui nous a permis de dépasser des situations. Les militants et le tout le monde sont unanimes à penser que le mal du parti, c’est Abdoulaye Wade. Qu’ils le disent et qu’ils ne le disent pas. D’ailleurs, c’est là que je vois une certaine hypocrisie. Wade déjoue toute forme d’alliance fraternelle au nom d’un seul principe : «diviser pour mieux régner.» J’ai été la première à théoriser les retrouvailles entre Wade et Idy et, à l’époque, j’ai été diabolisée. Aujourd’hui, je suis le jeu, et eux deux seuls sont en mesure de vous dire s’ils vont se retrouver ou pas.
Comment analysez-vous ces retrouvailles justement ?
Ces retrouvailles, j’y crois et, en même temps, je n’y crois pas. De toutes les façons, tout se fera fonction des contextes. C’est fluctuant. Et comme je vous l’ai dit plus haut, je ne veux pas revenir sur de vieilles querelles. Vous avez parlé de ping-pong dans la première question, je voudrais l’aborder sous l’angle de mon parcours qui me rappelle «Les éphémères», ces insectes qui vivent un jour et meurent. C’est à l’image des personnes. Même si la durée de vie des insectes est plus courte, ce sont des êtres vivants. C’est pour dire que le parcours du leader politique n’est pas en ligne droite, toutes ces péripéties sont à inscrire dans cet esprit. Un parti politique étant une organisation citoyenne qui, dans l’exercice du pouvoir conféré, gère des hommes, c’est-à-dire des ambitions et des carrières. Donc, ce n’est pas une simple affaire. Il ne peut pas être la géhenne de ses leaders ; ni avoir le comportement comme l’Hydre de la légende qui bouffe ses enfants. Il nous faut revenir à des fondamentaux, c’est-à-dire rétablir les frères et sœurs dans leur dignité, rétablir le mérite, la compétence ainsi que la représentativité. Nous devons arriver à faire de cela les seuls critères de la promotion. Mais aucune forme d’alliance ou de regroupement ne peut tenir sans ces principes.
Est-ce qu’une alliance entre vous, Idy et Macky hors du Pds, est dans l’ordre du possible ?
C’est bien dans l’ordre du possible. Si nous voulons maintenir la majorité dont bénéficie le camp libéral et en nous appuyant sur les principes que je viens d’évoquer, à l’intérieur ou hors du Pds, rien ne s’oppose à cette alliance. C’est d’ailleurs un socle qui me semble incontournable pour le devenir du camp libéral et celui du Sénégal.
Il y a l’obstacle du leadership qu’il vous faudra franchir…
Il sera surmontable, si l’intérêt de la Nation nous y convie.
On a comme l’impression que vous travaillez activement dans cette perspective-là.
Je vous ai dit dès le début que j’étais en silence, tout en réfléchissant. Et quand on réfléchit, on ne peut pas ne pas trouver des choses.
Justement, qu’avez-vous trouvé ?
On trouve des schémas et je ne peux pas vous le dire. C’est prématuré.