Il vous a fallu 25 ans pour faire traduire Hissène Habré devant un tribunal international. Quel a été pour vous l’obstacle le plus difficile à franchir ?
Reed Brody : C’était la volonté politique. On a déposé les premières plaintes en janvier 2000. Hissène Habré a été inculpé par le doyen des juges d’instruction au Sénégal en 2000. Mais, suite aux ingérences politiques au Sénégal, les plaintes ont été abandonnées.
Et ce n’est qu’avec l’élection de Macky Sall [en 2012] et la venue d’Aminata Touré comme ministre de la Justice, que le Sénégal et l’Union africaine ont créé un tribunal spécial pour faire ce jugement. Et donc, tout cela, c’était grâce à la ténacité et l’obstination des victimes qui ont dû mobiliser, remobiliser les opinions jusqu’à ce que le Sénégal accepte de le juger.
Oui, mais, derrière la mauvaise volonté manifeste d’Abdoulaye Wade, est-ce qu’il n’y avait pas le scepticisme de tous les dirigeants politiques africains ?
C’est d’ailleurs Abdoulaye Wade lui–même qui nous a dit une fois : « Vous savez, il y a quelque chose qui s’appelle le syndicat des chefs d’État. Il n’accepterait pas que je juge un des leurs ». Nous avons arpenté les couloirs de l’Union africaine durant 6 à 8 sommets et on mesurait la difficulté pour ces dirigeants d’accepter qu’un des leurs soit jugé.
Est-ce que Paris, Washington ont bloqué ?
C’est vrai que Hissène Habré a été porté au pouvoir par les États-Unis. Il a été soutenu de bout en bout par les États-Unis et presque jusqu’au bout par la France. Les États-Unis ne sont pas complexés. Que ce soit au Guatemala, en Argentine, les États-Unis acceptent de faire juger et de soutenir les jugements des gens qu’ils ont soutenus. Et Barack Obama a même fait le déplacement à Dakar et a ouvertement soutenu le procès et félicité Macky Sall. La France, c’est vrai, a beaucoup plus hésité. C’était Nicolas Sarkozy et Rama Yade qui ont changé la donne avec la France. Et finalement, les deux pays, je dois le dire, ont quand même fini par accepter le projet d’un procès.
À l’ouverture du procès en juillet 2015 à Dakar, Hissène Habré et ses partisans vous ont traité de « juif américain » au service du lobby antimusulman. Vous étiez partout les années qui ont précédé en tant que chef d’équipe, on vous voyait dans toutes les réunions internationales, est-ce que, de fait, il ne s’est pas établi une hiérarchie postcoloniale dans l’équipe qui a traqué le dictateur Hissène Habré ?
Comme on peut voir dans le livre, le comité international pour le jugement de Hissène Habré était dirigé par [l’avocate tchadienne] Jacqueline Moudeina. Moi, j’étais un soutien important, mais je pense qu’en premier lieu, c’étaient les Tchadiens. Et, comme vous dites, ça ne sert à rien que ce soit un soi-disant « chasseur de dictateurs ».
C’est comme ça qu’on vous appelait, en effet…
On m’appelait « chasseur de dictateurs » et, en fait, ce n’est pas grâce à moi qu’on a pu mobiliser les soutiens. D’ailleurs, il faut le dire, moi, en même temps, j’ai écrit quatre rapports sur le traitement des prisonniers par les États-Unis dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, j’ai écrit un livre Faut-il juger George Bush ?. Quand on m’a dit d’aller à Guantanamo, je suis allé à Guantanamo. J’essaie aussi de faire juger les crimes commis par les pays occidentaux.
Le 20 octobre, une grande manifestation de l’opposition tchadienne a été très violemment réprimée par les forces de l’ordre, à Ndjamena et dans plusieurs grandes villes du sud du Tchad. Selon les sources, le bilan des victimes varie de 50 à 150 morts. Vous vous êtes toujours battu pour les droits de l’homme et de la démocratie, quelle est votre réaction ?
Je suis effrayé de voir cela. Le gouvernement tchadien a promis qu’il y aurait une enquête internationale, mais je n’en vois pas la trace. Je ne vois rien qui promet que telle ou telle commission soit mise sur pied. Donc, je déplore farouchement. On ne peut pas tirer sur les manifestants. Je pense que, si le procès de Hissène Habré doit servir à quelque chose, c’est de montrer les limites que les dirigeants ne peuvent pas franchir.
S RFI
Reed Brody : C’était la volonté politique. On a déposé les premières plaintes en janvier 2000. Hissène Habré a été inculpé par le doyen des juges d’instruction au Sénégal en 2000. Mais, suite aux ingérences politiques au Sénégal, les plaintes ont été abandonnées.
Et ce n’est qu’avec l’élection de Macky Sall [en 2012] et la venue d’Aminata Touré comme ministre de la Justice, que le Sénégal et l’Union africaine ont créé un tribunal spécial pour faire ce jugement. Et donc, tout cela, c’était grâce à la ténacité et l’obstination des victimes qui ont dû mobiliser, remobiliser les opinions jusqu’à ce que le Sénégal accepte de le juger.
Oui, mais, derrière la mauvaise volonté manifeste d’Abdoulaye Wade, est-ce qu’il n’y avait pas le scepticisme de tous les dirigeants politiques africains ?
C’est d’ailleurs Abdoulaye Wade lui–même qui nous a dit une fois : « Vous savez, il y a quelque chose qui s’appelle le syndicat des chefs d’État. Il n’accepterait pas que je juge un des leurs ». Nous avons arpenté les couloirs de l’Union africaine durant 6 à 8 sommets et on mesurait la difficulté pour ces dirigeants d’accepter qu’un des leurs soit jugé.
Est-ce que Paris, Washington ont bloqué ?
C’est vrai que Hissène Habré a été porté au pouvoir par les États-Unis. Il a été soutenu de bout en bout par les États-Unis et presque jusqu’au bout par la France. Les États-Unis ne sont pas complexés. Que ce soit au Guatemala, en Argentine, les États-Unis acceptent de faire juger et de soutenir les jugements des gens qu’ils ont soutenus. Et Barack Obama a même fait le déplacement à Dakar et a ouvertement soutenu le procès et félicité Macky Sall. La France, c’est vrai, a beaucoup plus hésité. C’était Nicolas Sarkozy et Rama Yade qui ont changé la donne avec la France. Et finalement, les deux pays, je dois le dire, ont quand même fini par accepter le projet d’un procès.
À l’ouverture du procès en juillet 2015 à Dakar, Hissène Habré et ses partisans vous ont traité de « juif américain » au service du lobby antimusulman. Vous étiez partout les années qui ont précédé en tant que chef d’équipe, on vous voyait dans toutes les réunions internationales, est-ce que, de fait, il ne s’est pas établi une hiérarchie postcoloniale dans l’équipe qui a traqué le dictateur Hissène Habré ?
Comme on peut voir dans le livre, le comité international pour le jugement de Hissène Habré était dirigé par [l’avocate tchadienne] Jacqueline Moudeina. Moi, j’étais un soutien important, mais je pense qu’en premier lieu, c’étaient les Tchadiens. Et, comme vous dites, ça ne sert à rien que ce soit un soi-disant « chasseur de dictateurs ».
C’est comme ça qu’on vous appelait, en effet…
On m’appelait « chasseur de dictateurs » et, en fait, ce n’est pas grâce à moi qu’on a pu mobiliser les soutiens. D’ailleurs, il faut le dire, moi, en même temps, j’ai écrit quatre rapports sur le traitement des prisonniers par les États-Unis dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, j’ai écrit un livre Faut-il juger George Bush ?. Quand on m’a dit d’aller à Guantanamo, je suis allé à Guantanamo. J’essaie aussi de faire juger les crimes commis par les pays occidentaux.
Le 20 octobre, une grande manifestation de l’opposition tchadienne a été très violemment réprimée par les forces de l’ordre, à Ndjamena et dans plusieurs grandes villes du sud du Tchad. Selon les sources, le bilan des victimes varie de 50 à 150 morts. Vous vous êtes toujours battu pour les droits de l’homme et de la démocratie, quelle est votre réaction ?
Je suis effrayé de voir cela. Le gouvernement tchadien a promis qu’il y aurait une enquête internationale, mais je n’en vois pas la trace. Je ne vois rien qui promet que telle ou telle commission soit mise sur pied. Donc, je déplore farouchement. On ne peut pas tirer sur les manifestants. Je pense que, si le procès de Hissène Habré doit servir à quelque chose, c’est de montrer les limites que les dirigeants ne peuvent pas franchir.
S RFI