Confrère, tu permets !
Boisbouvier, méprise suspecte
Christophe Boisbouvier, dans la livraison de Jeune Afrique n°2568 (28 mars 3 avril 2010), considère que la liberté de critique dont jouit au Sénégal le journaliste Abdou Latif Coulibaly, sans être inquiété par Abdoulaye Wade, est la preuve que le Sénégal vit dans une vraie démocratie. Cette prise de position qui semble sublimer la démocratie de Wade, exprime dans son fond une condescendance et un paternalisme sans nom. Elle est surtout la preuve que ce journaliste, en dépit de ses prétentions sur l’Afrique, ignore l’histoire de notre pays.
La liberté de critique des journalistes sénégalais constitue un acquis majeur d’une démocratie qui se construit depuis des années, et bien avant l’avènement au pouvoir du commanditaire du travail de Jeune Afrique. Et c’est cette même histoire, riche et féconde, qui a conduit à l’élection de l’opposant Abdoulaye Wade, généreux et assidu bailleur de l’hebdomadaire panafricain installé à Paris et qui ouvre si généreusement ses colonnes au journaliste de Radio France Internationale (Rfi), Christophe Boisbouvier.
Cher confrère, sachez qu’en Afrique, un opposant est généralement bon pour deux endroits : ou le cimetière ou la prison. Pour l’opposant Abdoulaye Wade, ce ne fut ni l’un ni l’autre. Pourtant, il y a eu suffisamment de faits graves commis sous son instigation qui auraient pu le conduire pour longtemps en prison et le rendre inéligible. La démocratie a su, heureusement, absorber avec bonheur les incohérences de l’homme, ses nombreux coups périlleux pour l’Etat et sa boulimie de pouvoir qui l’avait si souvent amené à commettre de graves actes répréhensibles.
C’est tout cela qui explique, aujourd’hui, la liberté de critique de tous les Sénégalais, y compris Abdou Latif Coulibaly. Nous ne le répéterons jamais assez devant des individus de l’acabit de Boisbouvier : l’histoire politique et les acquis démocratiques protègent les citoyens de ce pays, contre certains actes arbitraires et extravagances frappantes dont se rend souvent coupable, ailleurs en Afrique, l’autorité politique.
Le paternalisme et la condescendance du journaliste l’empêchent de dire une telle vérité qui déplairait au commanditaire de Jeune Afrique. Sachez M. Boisbouvier, que le comportement qui est le vôtre avec les chefs d’Etats africains, que vous pouvez appeler et faire parler au téléphone en direct, sur les antennes d’une radio, fut-elle internationale, ne vous donne pas le droit de mépriser tous les peuples du continent. Ceux-là qui cherchent, partout sur ce continent, à se débarrasser de ces potentats qui apparaissent tous à leurs yeux, comme de vulgaires jouets entre vos mains et entre celles de l’occident.
Il ne vous viendrait jamais à l’esprit de proposer à Nicolas Sarkozy ou à Barack Obama de réaliser avec eux une interview par téléphone. Et pour cause ! Nous sommes des démocrates toujours assoiffés de libertés et nous refusons d’être méprisés pour cela. En 1988, à la suite d’élections catastrophiques, marquées par des fraudes massives, Béchir Ben Yahmed écrivait dans son « Ce que je crois » : « le Sénégal, un arbuste dans le désert, plutôt que le détruire, il faut l’arroser et l’entretenir ».
Pourtant, à propos de ces mêmes élections, vous écrivez aujourd’hui : « Deux fois aux élections de 1988 et 1993, il (Ndlr : Wade) revendique la victoire, sans doute avec raison ». Une façon de nous dire, à l’époque comme aujourd’hui, de nous contenter du peu que nous avions en matière de démocratie et de fermer la gueule. Vingt ans après, vous êtes toujours dans la même logique. Triste !
Nous n’accepterons jamais d’être contents de notre sort, en nous comparant, par exemple, aux Togolais et aux Tchadiens, en matière de vécu démocratique. Pour nous Sénégalais, nous exigeons d’être comparés aux Sud africains, aux Botswanais, aux Mauriciens et aux autres Africains qui avancent sur le chemin de la démocratie et du progrès. Nous sommes comme vous les Français. Vous n’acceptez jamais d’être comparés aux Bulgares, aux Tchèques, aux Slovènes, pour apprécier et évaluer l’état d’avancement de votre société.
En France, vous pensez aux Allemands, aux Hollandais, aux Suédois, pour apprécier votre niveau de vie. Ici, au Sénégal, même vivant dans les affres du sous-développement, nous ne pensons pas que nous devons avoir moins de libertés et de droits qu’un Français ou un Allemand. Pour nous, les droits d’un individu ne sont pas divisibles dans leur application, en fonction de la couleur de la peau ou du pays d’origine.
Wade, le commanditaire de nombreux articles du journal que vous servez, chaque semaine, et dont vous louez la grandeur d’esprit démocratique, l’intelligence politique, a interdit la parution dans son pays de quatorze ouvrages édités en France et qui critiquent tous son régime. Et décide ainsi de ce que doivent lire ou non les citoyens de son pays.
C’est le propre des tyrannies. Je suis moi-même victime de cet arbitraire qui ne dérange guère votre conscience. Voilà, cher confrère, l’un des aspects les plus pervers et le plus hideux, de la conduite du projet démocratique national, sous le règne de votre « champion » de la démocratie. Pourquoi, cher confrère, pensez-vous que vous devez être plus libre d’exprimer vos pensées et vos idées en France, que le journaliste Abdou Latif Coulibaly ne pourrait le faire chez lui au Sénégal ?
Pour vous la réponse est claire : vous devez être plus libre, parce que vous êtes un ressortissant d’un pays « civilisé ». Cette façon de penser et de s’exprimer, au-delà de la condescendance qu’elle charrie, traduit une méprise raciste qui n’honore point son auteur.
Par Abdou Latif Coulibaly
lagazette.sn
PS: titre de xalimasn.com
Boisbouvier, méprise suspecte
Christophe Boisbouvier, dans la livraison de Jeune Afrique n°2568 (28 mars 3 avril 2010), considère que la liberté de critique dont jouit au Sénégal le journaliste Abdou Latif Coulibaly, sans être inquiété par Abdoulaye Wade, est la preuve que le Sénégal vit dans une vraie démocratie. Cette prise de position qui semble sublimer la démocratie de Wade, exprime dans son fond une condescendance et un paternalisme sans nom. Elle est surtout la preuve que ce journaliste, en dépit de ses prétentions sur l’Afrique, ignore l’histoire de notre pays.
La liberté de critique des journalistes sénégalais constitue un acquis majeur d’une démocratie qui se construit depuis des années, et bien avant l’avènement au pouvoir du commanditaire du travail de Jeune Afrique. Et c’est cette même histoire, riche et féconde, qui a conduit à l’élection de l’opposant Abdoulaye Wade, généreux et assidu bailleur de l’hebdomadaire panafricain installé à Paris et qui ouvre si généreusement ses colonnes au journaliste de Radio France Internationale (Rfi), Christophe Boisbouvier.
Cher confrère, sachez qu’en Afrique, un opposant est généralement bon pour deux endroits : ou le cimetière ou la prison. Pour l’opposant Abdoulaye Wade, ce ne fut ni l’un ni l’autre. Pourtant, il y a eu suffisamment de faits graves commis sous son instigation qui auraient pu le conduire pour longtemps en prison et le rendre inéligible. La démocratie a su, heureusement, absorber avec bonheur les incohérences de l’homme, ses nombreux coups périlleux pour l’Etat et sa boulimie de pouvoir qui l’avait si souvent amené à commettre de graves actes répréhensibles.
C’est tout cela qui explique, aujourd’hui, la liberté de critique de tous les Sénégalais, y compris Abdou Latif Coulibaly. Nous ne le répéterons jamais assez devant des individus de l’acabit de Boisbouvier : l’histoire politique et les acquis démocratiques protègent les citoyens de ce pays, contre certains actes arbitraires et extravagances frappantes dont se rend souvent coupable, ailleurs en Afrique, l’autorité politique.
Le paternalisme et la condescendance du journaliste l’empêchent de dire une telle vérité qui déplairait au commanditaire de Jeune Afrique. Sachez M. Boisbouvier, que le comportement qui est le vôtre avec les chefs d’Etats africains, que vous pouvez appeler et faire parler au téléphone en direct, sur les antennes d’une radio, fut-elle internationale, ne vous donne pas le droit de mépriser tous les peuples du continent. Ceux-là qui cherchent, partout sur ce continent, à se débarrasser de ces potentats qui apparaissent tous à leurs yeux, comme de vulgaires jouets entre vos mains et entre celles de l’occident.
Il ne vous viendrait jamais à l’esprit de proposer à Nicolas Sarkozy ou à Barack Obama de réaliser avec eux une interview par téléphone. Et pour cause ! Nous sommes des démocrates toujours assoiffés de libertés et nous refusons d’être méprisés pour cela. En 1988, à la suite d’élections catastrophiques, marquées par des fraudes massives, Béchir Ben Yahmed écrivait dans son « Ce que je crois » : « le Sénégal, un arbuste dans le désert, plutôt que le détruire, il faut l’arroser et l’entretenir ».
Pourtant, à propos de ces mêmes élections, vous écrivez aujourd’hui : « Deux fois aux élections de 1988 et 1993, il (Ndlr : Wade) revendique la victoire, sans doute avec raison ». Une façon de nous dire, à l’époque comme aujourd’hui, de nous contenter du peu que nous avions en matière de démocratie et de fermer la gueule. Vingt ans après, vous êtes toujours dans la même logique. Triste !
Nous n’accepterons jamais d’être contents de notre sort, en nous comparant, par exemple, aux Togolais et aux Tchadiens, en matière de vécu démocratique. Pour nous Sénégalais, nous exigeons d’être comparés aux Sud africains, aux Botswanais, aux Mauriciens et aux autres Africains qui avancent sur le chemin de la démocratie et du progrès. Nous sommes comme vous les Français. Vous n’acceptez jamais d’être comparés aux Bulgares, aux Tchèques, aux Slovènes, pour apprécier et évaluer l’état d’avancement de votre société.
En France, vous pensez aux Allemands, aux Hollandais, aux Suédois, pour apprécier votre niveau de vie. Ici, au Sénégal, même vivant dans les affres du sous-développement, nous ne pensons pas que nous devons avoir moins de libertés et de droits qu’un Français ou un Allemand. Pour nous, les droits d’un individu ne sont pas divisibles dans leur application, en fonction de la couleur de la peau ou du pays d’origine.
Wade, le commanditaire de nombreux articles du journal que vous servez, chaque semaine, et dont vous louez la grandeur d’esprit démocratique, l’intelligence politique, a interdit la parution dans son pays de quatorze ouvrages édités en France et qui critiquent tous son régime. Et décide ainsi de ce que doivent lire ou non les citoyens de son pays.
C’est le propre des tyrannies. Je suis moi-même victime de cet arbitraire qui ne dérange guère votre conscience. Voilà, cher confrère, l’un des aspects les plus pervers et le plus hideux, de la conduite du projet démocratique national, sous le règne de votre « champion » de la démocratie. Pourquoi, cher confrère, pensez-vous que vous devez être plus libre d’exprimer vos pensées et vos idées en France, que le journaliste Abdou Latif Coulibaly ne pourrait le faire chez lui au Sénégal ?
Pour vous la réponse est claire : vous devez être plus libre, parce que vous êtes un ressortissant d’un pays « civilisé ». Cette façon de penser et de s’exprimer, au-delà de la condescendance qu’elle charrie, traduit une méprise raciste qui n’honore point son auteur.
Par Abdou Latif Coulibaly
lagazette.sn
PS: titre de xalimasn.com