«La colonie, ça a été un choc. Je suis arrivée au début de l'hiver, la neige tombait sans discontinuer. J'ai vu une foule de femmes identiques, portant les mêmes vestes grises en coton matelassé et les mêmes foulards sur la tête.» C'est ainsi que Svetlana Bakhmina décrit son entrée à la colonie n°14, située dans le village de Partsa, à 450 km au sud-ouest de Moscou. Comme beaucoup de Moscovites, Svetlana Bakhmina, condamnée pour détournement de fonds dans le cadre de l'affaire Ioukos, a purgé sa peine loin des siens, dans le district de Zoubovo-Poliana, un morceau de Mordovie à peine grand comme les Yvelines où, le long d'une même route, défilent les palissades grises de 17 colonies.
Hérités du Goulag, le système pénitentiaire russe en a conservé les camps. Derrière les barbelés, des baraques de 100 ou 200 lits, une cour, une cantine, une zone de «quarantaine» pour les nouveaux arrivants, une infirmerie et une usine, où travaillent les détenues, moyennant un petit salaire.
«Aucune intimité»
Les journées, raconte Svetlana, s'y répètent à l'identique: «Réveil à 6 heures, appel dans la cour. À 7 heures, petit déjeuner, puis départ pour le travail. À 13 heures, cantine, puis retour au travail, jusqu'à 16 ou 17 heures. À 18 heures inspection, puis dîner. Extinction des feux à 22 heures.» Elle dit aussi le déchirement de n'avoir pas vu grandir ses deux fils. Outre les six visites courtes accordées dans l'année, les détenues peuvent prétendre à quatre «parloirs familiaux» de trois jours, dans un petit studio mis à disposition. Son mari n'a jamais voulu y conduire les enfants. «Dans sa structure même, la colonie est un univers d'hommes. Il n'y a aucun espace d'intimité. Cela casse complètement les repères de genre. Pour beaucoup de détenues, c'est très traumatisant», relève Lioudmila Alpern, du Centre d'action pour la réforme de la politique pénale. Depuis plus de vingt ans, cette sociologue milite pour les droits des détenues, «un contingent marginal, qui n'intéresse personne». Pour preuve, elle avance sa première victoire: avoir obtenu, à la fin des années 1990, l'obligation légale de fournir des protections périodiques aux détenues.
Selon le Service fédéral d'application des peines, en 2011, la Russie comptait quelque 640.000 prisonniers, dont près de 52.000 femmes. «Les femmes sont particulièrement exposées aux malversations de l'administration pénitentiaire, car elles ne résistent pas, elles intériorisent la violence. Historiquement, seules les détenues politiques se sont distinguées par leur insoumission», observe Lioudmila Alpern.
Dans Grise est la couleur de l'espoir, la dissidente soviétique Irina Ratouchinskaïa écrit: «Nous vivons derrière des barbelés, on nous a tout pris, on nous a séparés de nos amis et de nos familles, mais tant que nous ne participons pas(à ce système, NDLR),nous sommes libres.» Près de trente ans plus tard, les Pussy Riot professent la même insubordination. Au dernier jour du procès, Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, a lancé à la juge: «Derrière nos barreaux, nous sommes plus libres que ceux qui nous accusent.»
Par Madeleine Leroyer
Hérités du Goulag, le système pénitentiaire russe en a conservé les camps. Derrière les barbelés, des baraques de 100 ou 200 lits, une cour, une cantine, une zone de «quarantaine» pour les nouveaux arrivants, une infirmerie et une usine, où travaillent les détenues, moyennant un petit salaire.
«Aucune intimité»
Les journées, raconte Svetlana, s'y répètent à l'identique: «Réveil à 6 heures, appel dans la cour. À 7 heures, petit déjeuner, puis départ pour le travail. À 13 heures, cantine, puis retour au travail, jusqu'à 16 ou 17 heures. À 18 heures inspection, puis dîner. Extinction des feux à 22 heures.» Elle dit aussi le déchirement de n'avoir pas vu grandir ses deux fils. Outre les six visites courtes accordées dans l'année, les détenues peuvent prétendre à quatre «parloirs familiaux» de trois jours, dans un petit studio mis à disposition. Son mari n'a jamais voulu y conduire les enfants. «Dans sa structure même, la colonie est un univers d'hommes. Il n'y a aucun espace d'intimité. Cela casse complètement les repères de genre. Pour beaucoup de détenues, c'est très traumatisant», relève Lioudmila Alpern, du Centre d'action pour la réforme de la politique pénale. Depuis plus de vingt ans, cette sociologue milite pour les droits des détenues, «un contingent marginal, qui n'intéresse personne». Pour preuve, elle avance sa première victoire: avoir obtenu, à la fin des années 1990, l'obligation légale de fournir des protections périodiques aux détenues.
Selon le Service fédéral d'application des peines, en 2011, la Russie comptait quelque 640.000 prisonniers, dont près de 52.000 femmes. «Les femmes sont particulièrement exposées aux malversations de l'administration pénitentiaire, car elles ne résistent pas, elles intériorisent la violence. Historiquement, seules les détenues politiques se sont distinguées par leur insoumission», observe Lioudmila Alpern.
Dans Grise est la couleur de l'espoir, la dissidente soviétique Irina Ratouchinskaïa écrit: «Nous vivons derrière des barbelés, on nous a tout pris, on nous a séparés de nos amis et de nos familles, mais tant que nous ne participons pas(à ce système, NDLR),nous sommes libres.» Près de trente ans plus tard, les Pussy Riot professent la même insubordination. Au dernier jour du procès, Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, a lancé à la juge: «Derrière nos barreaux, nous sommes plus libres que ceux qui nous accusent.»
Par Madeleine Leroyer