Les yeux rivés à ses fiches, le procureur Alexander Nikiforov annonce son réquisitoire d'une voix presque étouffée. Face à lui, dans leur box en verre blindé, celles dont il ne croise jamais le regard, Nadejda Tolokonnikova, 22 ans, Maria Aliokhina, 24 ans, et Ekaterina Samoutsevitch, 29 ans, les «Pussy Riot», ces féministes punks qui ont cru faire de la Vierge Marie leur alliée en lui demandant: «Mère de Dieu, soit féministe. Mère de Dieu, chasse Poutine.»
Après un bref rappel de l'article 213, alinéa 2 du Code pénal russe, qui définit le hooliganisme, le procureur, en uniforme bleu ciel de fonctionnaire du parquet, s'égare dans l'énumération des manquements aux «règles de comportement dans une église orthodoxe». En revêtant une tenue «inappropriée», en investissant l'ambon avec leurs guitares et en se livrant à leur «prière punk», les accusées «ont ostensiblement manifesté leur haine de la religion et leur hostilité aux croyants».
Dès l'ouverture du procès, les trois militantes avaient tenu à présenter leurs excuses aux fidèles orthodoxes pour leur «faute éthique». C'est un «crime lourd», rétorque le procureur, avant de requérir trois ans d'emprisonnement en colonie pénitentiaire.
Avocate de la partie civile, constituée par neuf témoins de la scène, Me Larissa Pavlova se fait plus dure encore. La «préméditation», l'«organisation soigneuse» de la performance et son «enregistrement vidéo» sont autant d'éléments de «sacrilège». «Elles disent être féministes. Elles disent que la Vierge est féministe. Le féminisme, manifestation non naturelle à l'homme, est un péché», assène Me Pavlova.
La prestation des Pussy Riot dans le chœur de la grande cathédrale moscovite du Christ-Sauveur
Des accusées, cette avocate dresse un portrait tout en duplicité. «Aliokhina et Samoutsevitch étaient baptisées, elles allaient à l'église, elles savaient parfaitement comment se conduire. Elles ont utilisé ces connaissances pour la préparation de leur crime», avance-t-elle, avant de conclure: «Elles insultent le patriarche. Or le patriarche n'est pas un simple citoyen.»
Stoïques, les trois militantes prennent des notes sur leurs genoux. À gauche du box, les employées du service de presse du tribunal luttent contre l'ennui en inspectant leur manucure. Une gardienne pique un somme. De l'autre côté, le rottweiler non muselé du service d'ordre s'impatiente, tire sur sa laisse. Seul le public réagit, en relayant immédiatement sur Twitter l'incongruité de ce procès.
Un procès de l'Inquisition
La contre-attaque des jeunes femmes est méthodique. L'une après l'autre, Nadejda, Maria et Ekaterina dénoncent «vices de procédure, chantage au parloir et pressions de l'instruction». «Tout, depuis notre arrestation jusqu'à cette machination, est illégitime. Je ne veux pas me mêler de votre procès. Il ne me concerne pas. Nous devons être relaxées», lance Maria.
Pour plaider leur relaxe, la défense, avec Me Nikolaï Polozov, met en pièces un procès de l'Inquisition. «Ni le blasphème ni le sacrilège ne constituent une offense pénale. Il est impossible de condamner pour cela!»
Les réactions hors du tribunal
Écœurées, les familles n'osent plus espérer la clémence. «Dans le meilleur des cas, elles auront une peine avec sursis. Mais je n'y crois pas», souffle Natalia Aliokhina entre deux cigarettes compulsives. Stanislav Samoutsevitch, le père de Katia, se prépare déjà à se rendre en Mordovie, la «vallée des prisons», située à 600 km au sud-est de Moscou. «J'ai eu l'impression de me retrouver à l'époque du procès des assassins d'Alexandre III. Bientôt, il faudra porter une croix autour du cou pour être fonctionnaire.»
Mardi soir, les trois militantes ont reçu le soutien inattendu de la chanteuse Madonna. «Elles méritent d'être libres. Je prie pour leur liberté», a lancé la star internationale lors de son concert à Moscou.
Par Madeleine Leroyer
Après un bref rappel de l'article 213, alinéa 2 du Code pénal russe, qui définit le hooliganisme, le procureur, en uniforme bleu ciel de fonctionnaire du parquet, s'égare dans l'énumération des manquements aux «règles de comportement dans une église orthodoxe». En revêtant une tenue «inappropriée», en investissant l'ambon avec leurs guitares et en se livrant à leur «prière punk», les accusées «ont ostensiblement manifesté leur haine de la religion et leur hostilité aux croyants».
Dès l'ouverture du procès, les trois militantes avaient tenu à présenter leurs excuses aux fidèles orthodoxes pour leur «faute éthique». C'est un «crime lourd», rétorque le procureur, avant de requérir trois ans d'emprisonnement en colonie pénitentiaire.
Avocate de la partie civile, constituée par neuf témoins de la scène, Me Larissa Pavlova se fait plus dure encore. La «préméditation», l'«organisation soigneuse» de la performance et son «enregistrement vidéo» sont autant d'éléments de «sacrilège». «Elles disent être féministes. Elles disent que la Vierge est féministe. Le féminisme, manifestation non naturelle à l'homme, est un péché», assène Me Pavlova.
La prestation des Pussy Riot dans le chœur de la grande cathédrale moscovite du Christ-Sauveur
Des accusées, cette avocate dresse un portrait tout en duplicité. «Aliokhina et Samoutsevitch étaient baptisées, elles allaient à l'église, elles savaient parfaitement comment se conduire. Elles ont utilisé ces connaissances pour la préparation de leur crime», avance-t-elle, avant de conclure: «Elles insultent le patriarche. Or le patriarche n'est pas un simple citoyen.»
Stoïques, les trois militantes prennent des notes sur leurs genoux. À gauche du box, les employées du service de presse du tribunal luttent contre l'ennui en inspectant leur manucure. Une gardienne pique un somme. De l'autre côté, le rottweiler non muselé du service d'ordre s'impatiente, tire sur sa laisse. Seul le public réagit, en relayant immédiatement sur Twitter l'incongruité de ce procès.
Un procès de l'Inquisition
La contre-attaque des jeunes femmes est méthodique. L'une après l'autre, Nadejda, Maria et Ekaterina dénoncent «vices de procédure, chantage au parloir et pressions de l'instruction». «Tout, depuis notre arrestation jusqu'à cette machination, est illégitime. Je ne veux pas me mêler de votre procès. Il ne me concerne pas. Nous devons être relaxées», lance Maria.
Pour plaider leur relaxe, la défense, avec Me Nikolaï Polozov, met en pièces un procès de l'Inquisition. «Ni le blasphème ni le sacrilège ne constituent une offense pénale. Il est impossible de condamner pour cela!»
Les réactions hors du tribunal
Écœurées, les familles n'osent plus espérer la clémence. «Dans le meilleur des cas, elles auront une peine avec sursis. Mais je n'y crois pas», souffle Natalia Aliokhina entre deux cigarettes compulsives. Stanislav Samoutsevitch, le père de Katia, se prépare déjà à se rendre en Mordovie, la «vallée des prisons», située à 600 km au sud-est de Moscou. «J'ai eu l'impression de me retrouver à l'époque du procès des assassins d'Alexandre III. Bientôt, il faudra porter une croix autour du cou pour être fonctionnaire.»
Mardi soir, les trois militantes ont reçu le soutien inattendu de la chanteuse Madonna. «Elles méritent d'être libres. Je prie pour leur liberté», a lancé la star internationale lors de son concert à Moscou.
Par Madeleine Leroyer