Comme si l'essentiel, dans ce scrutin, ne se jouait pas sur les lointains horizons, mais sur les préoccupations hexagonales : un pays dans la crise financière européenne, tenté par le repli sur soi...
Le grand dossier "extérieur" de François Hollande est à forte composante "intérieure" : la crise de l'euro, sur laquelle son message principal est la renégociation du pacte budgétaire. Pour le reste, la politique internationale ne s'est invitée dans le débat que par deux biais : le retrait du contingent français en Afghanistan, que le candidat socialiste souhaiterait pour la fin 2012 (mais seulement les troupes "combattantes", et en précisant que le "matériel" restera plus longtemps), et la situation dans le Sahel, qui attire l'attention, comme l'a illustré le débat télévisé du 2 mai, avant tout par le prisme des inquiétudes pour les otages français.
Sur des sujets majeurs comme le nucléaire iranien, la Syrie, les relations avec le monde arabe, la défense des droits fondamentaux, le lien avec les Etats-Unis, les défis - y compris sécuritaires - posés par la Chine, les rapports avec les grands émergents, la relation avec une Russie difficile... sur tous ces éléments, les prises de position ont été succinctes voire inexistantes. On cherche en vain un propos saillant, ou un raisonnement approfondi. Novice en politique étrangère car n'ayant exercé aucune fonction gouvernementale, François Hollande n'est pourtant pas ignorant en la matière. Simplement, il a opté pour un profil bas, jugeant que l'électorat ne l'attendait pas là.
Il faut dire que la multitude des avis apportés par des groupes de réflexion "diplomatique" a apparemment fini par convaincre le candidat Hollande que mieux valait éviter un grand discours programmatique, ce qui permet de ménager une partie de la gauche, plus motivée que lui sur les thèmes de l'altermondialisme. Pourquoi prendre le risque de fâcher quiconque, dans des luttes d'influence opposant, semble-t-il, les amis d'Hubert Védrine, assimilés à un gaullo-mitterrandisme quelque peu mythifié, et ceux de Pierre Moscovici, tenants d'un pragmatisme moderniste ?
En tout cas, le mépris prêté à Nicolas Sarkozy pour les diplomates était devenu un angle d'attaque moins mobilisateur depuis qu'Alain Juppé était revenu au Quai d'Orsay, où il aura cohabité avec nombre de directeurs "de gauche" nommés par Bernard Kouchner...
Pendant sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait parlé de rupture avec Jacques Chirac y compris sur la politique étrangère (mais pas à propos de la guerre d'Irak). Le mot d'ordre de défense des droits de l'homme, notamment face aux régimes russe et chinois, quitte à ce que des contrats commerciaux en pâtissent, avait sans doute rapidement trouvé ses limites une fois qu'il était arrivé aux affaires...
Les vrais changements allaient porter sur un certain ancrage "occidentaliste" doublé d'un accent mis sur le combat armé contre le terrorisme : engagement accru en Afghanistan, pleine réintégration dans l'OTAN, coopération dans la défense avec le Royaume-Uni, ouvertures faites à Israël. L'absence d'inhibition dans l'emploi de l'outil militaire se vérifiait en outre en Libye et en Côte d'Ivoire.
Avec François Hollande, pas d'annonces tonitruantes. Pas de décrochages radicaux non plus par rapport au mandat écoulé. Le retour dans l'OTAN (vilipendé par Laurent Fabius à l'époque) n'est pas remis en cause mais est censé faire l'objet d'un inventaire pour relancer l'espoir d'une Europe de la défense. Les interventions militaires "humanitaires" en Afrique ont toutes été approuvées, et si d'aventure un mandat onusien surgit pour agir en Syrie, M. Hollande se dit prêt à y engager la France. Ayant beaucoup moins promis que M. Sarkozy en 2007 sur les droits de l'homme, il s'est peut-être épargné l'accusation, plus tard, de renoncement. On peut cependant s'étonner du manque de langage sur les aspirations démocratiques de l'autre côté de la Méditerranée, où l'Histoire s'est remise à parler.
La relation avec Barack Obama s'anticipe dans la proximité avec une "sensibilité démocrate", comparée hâtivement à celle d'un "socialiste", et dans la logique du reflux militaire d'Afghanistan, guerre devenue soudain moins nécessaire. Illusion ? Avec le président Obama, les caractères devraient sans doute mieux s'accorder que ce ne fut le cas pour M. Sarkozy.
Ce qui frappe, pour le reste, c'est l'orthodoxie des points de vue du candidat socialiste. A propos de la force de frappe nucléaire, attribut essentiel du rang de la France et de son chef de l'Etat, on est dans le registre classique à la François Mitterrand, qui disait : "la dissuasion, c'est moi." La lutte contre la prolifération reste un marqueur français absolu, avec fermeté affichée sur le dossier iranien, doublée d'une hantise de voir Israël se lancer dans une action militaire unilatérale. Et sur le dossier du Proche-Orient, M. Hollande ne s'est pas écarté de la ligne fixée par Paris : une reconnaissance internationale de l'Etat palestinien est préférée à une reconnaissance unilatérale par la France.
Il est probable que le seul point de comparaison en politique étrangère se trouve en effet du côté de François Mitterrand, seul président socialiste à ce jour de la Ve République, une histoire dont M. Hollande se sent "dépositaire", même si l'on peut rappeler les épisodes peu glorieux des flottements de l'Elysée au moment du putsch des généraux soviétiques d'août 1991, du ménagement apparent des Serbes de Bosnie, ou encore les zones d'ombre rwandaises...
François Mitterrand, ce fut aussi, pêle-mêle, et au-delà d'un tiers-mondisme romantique du début, un dialogue étroit avec les Etats-Unis de Reagan face à l'URSS, notamment sur la question des euromissiles ("Les missiles sont à l'Est, les pacifistes à l'Ouest"), un équilibre prudent sur le conflit israélo-palestinien, entre sympathie pour Israël et sauvetage d'Arafat à Beyrouth, la participation à la première guerre du Golfe. Et surtout, une politique européenne très affirmée, fondée sur un couple franco-allemand exceptionnel, une fois passées les hésitations liées à la réunification.
L'esprit de la fameuse poignée de main Mitterrand-Kohl à Verdun pourrait-il souffler sur la relation avec la chancelière Merkel ? C'est évidemment, au coeur d'une Europe troublée, la question-clé sur laquelle pourrait se juger la crédibilité de M. Hollande, tout à ses envies de "réorienter" vers plus de relance les choix économiques du continent et de trouver à Berlin la compréhension nécessaire pour y parvenir, surtout à l'approche du 50e anniversaire du traité de l'Elysée. Chacun à sa façon, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient dû trouver, avec le partenaire d'outre-Rhin, un modus vivendi qui n'avait, au début, rien d'évident. De même, chacun avait cru, en arrivant au pouvoir, à une lune de miel avec l'Amérique, avant de se heurter à certaines réalités.
SOURCE:lemonde.fr
Natalie Nougayrède
Le grand dossier "extérieur" de François Hollande est à forte composante "intérieure" : la crise de l'euro, sur laquelle son message principal est la renégociation du pacte budgétaire. Pour le reste, la politique internationale ne s'est invitée dans le débat que par deux biais : le retrait du contingent français en Afghanistan, que le candidat socialiste souhaiterait pour la fin 2012 (mais seulement les troupes "combattantes", et en précisant que le "matériel" restera plus longtemps), et la situation dans le Sahel, qui attire l'attention, comme l'a illustré le débat télévisé du 2 mai, avant tout par le prisme des inquiétudes pour les otages français.
Sur des sujets majeurs comme le nucléaire iranien, la Syrie, les relations avec le monde arabe, la défense des droits fondamentaux, le lien avec les Etats-Unis, les défis - y compris sécuritaires - posés par la Chine, les rapports avec les grands émergents, la relation avec une Russie difficile... sur tous ces éléments, les prises de position ont été succinctes voire inexistantes. On cherche en vain un propos saillant, ou un raisonnement approfondi. Novice en politique étrangère car n'ayant exercé aucune fonction gouvernementale, François Hollande n'est pourtant pas ignorant en la matière. Simplement, il a opté pour un profil bas, jugeant que l'électorat ne l'attendait pas là.
Il faut dire que la multitude des avis apportés par des groupes de réflexion "diplomatique" a apparemment fini par convaincre le candidat Hollande que mieux valait éviter un grand discours programmatique, ce qui permet de ménager une partie de la gauche, plus motivée que lui sur les thèmes de l'altermondialisme. Pourquoi prendre le risque de fâcher quiconque, dans des luttes d'influence opposant, semble-t-il, les amis d'Hubert Védrine, assimilés à un gaullo-mitterrandisme quelque peu mythifié, et ceux de Pierre Moscovici, tenants d'un pragmatisme moderniste ?
En tout cas, le mépris prêté à Nicolas Sarkozy pour les diplomates était devenu un angle d'attaque moins mobilisateur depuis qu'Alain Juppé était revenu au Quai d'Orsay, où il aura cohabité avec nombre de directeurs "de gauche" nommés par Bernard Kouchner...
Pendant sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait parlé de rupture avec Jacques Chirac y compris sur la politique étrangère (mais pas à propos de la guerre d'Irak). Le mot d'ordre de défense des droits de l'homme, notamment face aux régimes russe et chinois, quitte à ce que des contrats commerciaux en pâtissent, avait sans doute rapidement trouvé ses limites une fois qu'il était arrivé aux affaires...
Les vrais changements allaient porter sur un certain ancrage "occidentaliste" doublé d'un accent mis sur le combat armé contre le terrorisme : engagement accru en Afghanistan, pleine réintégration dans l'OTAN, coopération dans la défense avec le Royaume-Uni, ouvertures faites à Israël. L'absence d'inhibition dans l'emploi de l'outil militaire se vérifiait en outre en Libye et en Côte d'Ivoire.
Avec François Hollande, pas d'annonces tonitruantes. Pas de décrochages radicaux non plus par rapport au mandat écoulé. Le retour dans l'OTAN (vilipendé par Laurent Fabius à l'époque) n'est pas remis en cause mais est censé faire l'objet d'un inventaire pour relancer l'espoir d'une Europe de la défense. Les interventions militaires "humanitaires" en Afrique ont toutes été approuvées, et si d'aventure un mandat onusien surgit pour agir en Syrie, M. Hollande se dit prêt à y engager la France. Ayant beaucoup moins promis que M. Sarkozy en 2007 sur les droits de l'homme, il s'est peut-être épargné l'accusation, plus tard, de renoncement. On peut cependant s'étonner du manque de langage sur les aspirations démocratiques de l'autre côté de la Méditerranée, où l'Histoire s'est remise à parler.
La relation avec Barack Obama s'anticipe dans la proximité avec une "sensibilité démocrate", comparée hâtivement à celle d'un "socialiste", et dans la logique du reflux militaire d'Afghanistan, guerre devenue soudain moins nécessaire. Illusion ? Avec le président Obama, les caractères devraient sans doute mieux s'accorder que ce ne fut le cas pour M. Sarkozy.
Ce qui frappe, pour le reste, c'est l'orthodoxie des points de vue du candidat socialiste. A propos de la force de frappe nucléaire, attribut essentiel du rang de la France et de son chef de l'Etat, on est dans le registre classique à la François Mitterrand, qui disait : "la dissuasion, c'est moi." La lutte contre la prolifération reste un marqueur français absolu, avec fermeté affichée sur le dossier iranien, doublée d'une hantise de voir Israël se lancer dans une action militaire unilatérale. Et sur le dossier du Proche-Orient, M. Hollande ne s'est pas écarté de la ligne fixée par Paris : une reconnaissance internationale de l'Etat palestinien est préférée à une reconnaissance unilatérale par la France.
Il est probable que le seul point de comparaison en politique étrangère se trouve en effet du côté de François Mitterrand, seul président socialiste à ce jour de la Ve République, une histoire dont M. Hollande se sent "dépositaire", même si l'on peut rappeler les épisodes peu glorieux des flottements de l'Elysée au moment du putsch des généraux soviétiques d'août 1991, du ménagement apparent des Serbes de Bosnie, ou encore les zones d'ombre rwandaises...
François Mitterrand, ce fut aussi, pêle-mêle, et au-delà d'un tiers-mondisme romantique du début, un dialogue étroit avec les Etats-Unis de Reagan face à l'URSS, notamment sur la question des euromissiles ("Les missiles sont à l'Est, les pacifistes à l'Ouest"), un équilibre prudent sur le conflit israélo-palestinien, entre sympathie pour Israël et sauvetage d'Arafat à Beyrouth, la participation à la première guerre du Golfe. Et surtout, une politique européenne très affirmée, fondée sur un couple franco-allemand exceptionnel, une fois passées les hésitations liées à la réunification.
L'esprit de la fameuse poignée de main Mitterrand-Kohl à Verdun pourrait-il souffler sur la relation avec la chancelière Merkel ? C'est évidemment, au coeur d'une Europe troublée, la question-clé sur laquelle pourrait se juger la crédibilité de M. Hollande, tout à ses envies de "réorienter" vers plus de relance les choix économiques du continent et de trouver à Berlin la compréhension nécessaire pour y parvenir, surtout à l'approche du 50e anniversaire du traité de l'Elysée. Chacun à sa façon, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient dû trouver, avec le partenaire d'outre-Rhin, un modus vivendi qui n'avait, au début, rien d'évident. De même, chacun avait cru, en arrivant au pouvoir, à une lune de miel avec l'Amérique, avant de se heurter à certaines réalités.
SOURCE:lemonde.fr
Natalie Nougayrède