S’il urge de sauver enfin la Guinée après la mort du président Lansana Conté, il est tout aussi impératif que dès à présent les évènements de Conakry, au delà de la Guinée, servent à repenser l’Afrique, ses institutions et son leadership.
Pour ce faire, permettons-nous une petite digression dans l’histoire récente de la Guinée, vue à travers le prisme des institutions africaines et notamment de l’Union africaine (U.A) anciennement Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Il y a un peu plus de 24 ans, en mars 1984 précisément, disparaissait Ahmed Sékou Touré, héros et père de l’indépendance du pays dont le parcours et les dernières années de règne sans partage rappellent tragiquement ceux du président Zimbabwéen Robert Mugabe (tous deux acculés par l’occident et victimes de leur nationalisme radical ainsi que de leurs positions résolument anticolonialistes).
Le président Sékou Touré parti, il fut offert au peuple guinéen une occasion historique de se définir une nouvelle trajectoire et de se donner une nouvelle destinée. Son élite exilée, son peuple encore timoré et sous le choc, la Guinée et les Guinéens de l’époque furent incapables de saisir cette opportunité.
Des militaires avec à leur tête le colonel Lansana Conté sautent quant à eux sur l’occasion et s’emparent du pouvoir en avril de la même année. Le président Conté y restera jusqu’à son dernier souffle et finira un peu comme son prédécesseur, dont il avait promis de rectifier les erreurs par le truchement du Comité Militaire de Redressement National qu’il avait mis en place dès sa prise du pouvoir.
A l’époque il n’était pas encore de coutume de « condamner » de manière quasi unanime et aussi systématique les coups d’Etat en Afrique. On les condamnait suivant les clivages idéologiques entre l’Ets et l’Ouest, suivant les allégeances des putschistes et suivant les alliances régionales et sous-régionales du moment.
On était loin du tumulte des « conférences nationales » de la décennie 90 qui finirent par amplifier et cristalliser l’aspiration des peuples à une gouvernance démocratique et à plus de justice sociale.
A l’OUA, qui n’était pas encore devenue l’U.A, la seule politique applicable lorsque survenait un coup d’Etat était alors celle de la « non-ingérence » dans les affaires intérieures des Etats-membres.
L’article 3 de la charte de la défunte OUA entérinait les principes suivants comme fondement de son existence: « Egalité souveraine de tous les Etats membres; Non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats; Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante ».
Dans de telles conditions, ni l’OUA ni aucun Etat africain ne pouvait s’en prendre aux militaires guinéens de l’époque. Lansana Conté pouvait régner, participer à l’aise aux sommets de l’organisation panafricaine sans critique ouverte de la part de ses « pairs » africains et sans grand risque.
Aujourd’hui 24 ans après, alors que pour la Guinée l’histoire semble se répéter et que le pays se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins, le contexte africain a, lui, sensiblement évolué.
Au principe sacro-saint de « non-ingérence » édicté plus haut, l’Afrique a accouplé celui du droit ou du devoir d’ingérence, principe sur lequel s’appuie l’Union Africaine pour «condamner» la prise du pouvoir par les militaires guinéens et exiger un « retour à l’ordre constitutionnel ».
Avec la naissance de l’Union Africaine (U.A), et contrairement à ce que l’on croit généralement, la règle de la « non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres» reste toujours un des « principes » fondateurs de la nouvelle Union. La clause est clairement posée dans les mêmes termes dans l’article 4 de l’acte constitutif de l’U.A qui a été définitivement adopté le 11 juillet 2000 à Lomé.
La nouveauté cependant, c’est l’introduction dans le même article 4, qui portent sur « les principes » qui fondent l’Union, du concept « d’interdépendance » entre les Etats membres et de nouveaux paradigmes tels que « le droit de l’Union d’intervenir dans un Etat membre » ou encore « le droit des Etats membres de solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la stabilité » et enfin « la condamnation et le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement». Bref, le droit d’ingérence !
Ces principes, déjà édictés à Alger l’année précédente (juillet 1999), allaient désormais guider la nouvelle politique de l’Union Africaine face à ce que d’aucuns appellent « la malédiction des coups d’Etat militaires ».
Mais n’est pas malédiction tout coup d’Etat militaire et n’est pas bénédiction tout « ordre constitutionnel » !
Ceci a été prouvé de manière fort éloquente par le putsch perpétré en Mauritanie par le colonel Mohamed Ely Ould Vall en août 2005. Ce putsch a mis fin au régime autocratique de Maaouiya Sid’Ahmed Ould Taya, ensuite d’aller vers une transition jugée « exemplaire » et enfin de porter au pouvoir pour la première fois de l’histoire de la Mauritanie indépendante un président démocratiquement élu (malheureusement destitué depuis août 2008 par un autre putsch).
A côté de la Mauritanie et plus d’une décennie plus tôt, un autre officier, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, a permis au Mali voisin de mettre fin à une violente crise politico-sociale, de destituer un régime autocratique en mars 1991 pour mener le pays vers une transition « démocratique » encore citée de nos jours en exemple en Afrique et ailleurs dans le monde.
Amadou Toumani Touré comme Mohamed Ely Ould Vall quitteront le pouvoir une fois les transitions qu’ils ont promises achevées.
Nous admettons que le contraire est tout aussi vrai avec les cas du président Blaise Compaoré du Burkina Faso (au pouvoir depuis 21 ans), de Yahya Jammeh (depuis 14 ans en Gambie) et du défunt général ivoirien Robert Gueï, pour nous limiter à quelques cas parmi les plus emblématiques en Afrique de l’Ouest où en cette année 2008, les coups d’Etat militaires semblent revenir à la mode.
La leçon à en tirer ? Il faut juger les hommes par leurs actes et les actes dans leur contexte avant de saluer ou de condamner « par principe » ou de vouer aux gémonies des « putschistes ». Plus que le putsch, c’est sa portée patriotique ou non, sa dimension salvatrice ou pas qu’il faut juger.
Mieux encore, la question de la gouvernance démocratique, que ce soit en Guinée ou ailleurs, ne se limite pas seulement à la question du « contrôle » du pouvoir. Mai c’est là un autre débat.
Pour en revenir à la Guinée et à l’Union Africaine, la condamnation « par principe » avancée par le président de la Commission de l’U.A, M. Jean Ping, aurait eu plus de valeur et de crédibilité aux yeux des Guinéens et des autres Africains si l’Union africaine avait agi en amont.
En amont dans le contexte guinéen, c’est à dire lorsque le président Conté décidait en novembre 2001 de modifier la constitution approuvée par le peuple dans le seul but de pouvoir se représenter à la présidentielle de 2003 et de perpétuer son règne.
L’Union africaine aurait eu plus de crédibilité si elle avait averti (ou parlé avec) le président Conté et condamné cet amendement constitutionnel dans les mêmes termes et avec la même intransigeance qu’elle le fait aujourd’hui avec le capitaine Moussa Dadis Camara et ses hommes.
La condamnation de l’UA, aurait eu plus de valeur et de poids, si pendant ces trois à cinq dernières années, elle s’était mise au côté du peuple guinéen qui, ne l’oublions pas, s’est à plusieurs reprises violemment soulevé contre le président Lansana Conté et les caciques de son régime.
L’insurrection la plus mémorable de la série reste celle de janvier-février 2007, pendant laquelle le peuple guinéen tout entier, malgré la répression, a tenu tête à son « président » et ouvertement exigé puis obtenu la nomination d’hommes « neufs » aux commandes du pays.
Qu’a fait l’Union Africaine lorsque le président guinéen, une fois la tempête passée, a remis en cause les accords signés et ramené les barons de son régime aux affaires ? Rien. Absolument rien.
La même question peut aussi être adressée à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a certes eu le mérite d’avoir facilité la sortie de crise et la signature des accords entre Conté et les meneurs de la fronde contre son régime, mais qui a failli lorsque ces mêmes accords ont été bafoués par le président Conté.
Que font l’Union africaine et la CEDEAO en apprenant qu’au Niger, il y a des velléités de changer la constitution pour permettre une prolongation de la présence de Mamadou Tandja au pouvoir, lorsqu’ils apprennent que le président sénégalais Abdoulaye Wade change à sa guise la constitution sénégalaise, etc. ?
Ces quelques exemples juste pour dire que les institutions africaines pour être plus crédibles se doivent de se mettre au service de l’Afrique et des peuples Africains avant même que n’éclatent les crises ; et après de hurler avec les loups de la « communauté internationale », en usant de slogans sans aucune emprise avec la réalité.
Et c’est en cela que les évènements de Conalkry, en plus d’aider à sauver la Guinée Conakry, devraient servir de leçon et de déclic pour repenser l’Afrique, ses crises, ses institutions, son leadership…
Pour y arriver, il faudra un effort colossal qui permette de sortir des sentiers battus, avoir le courage de douter et de questionner le « politiquement correct » de la communauté internationale, qui ne nous apportera jamais la réponse à nos interrogations essentielles et existentielles, si tant est qu’elle s’y intéresse.
Les réponses idoines, à notre humble avis, ne viendront d’abord que de l’Afrique et des Africains eux-mêmes.
A ce titre, l’une des premières obligations que doivent désormais s’imposer les organisations africaines, qu’elles soient continentales ou régionales, c’est de s’armer des outils d’analyse adéquats leur permettant de décrypter les signes précurseurs des grandes crises, de déchiffrer les cris de détresse que poussent les peuples à des moments critiques de leur histoire et enfin de se doter des moyens de faire appliquer le « droit » d’ingérence que l‘U.A s’est auto-attribuée.
Rappelons-nous encore le cri pathétique d’Alpha Omar Konaré qui a dirigé la Commission de l’U.A de 2003à 2008 et qui lors du sommet de Banjul de l’organisation tenu les 1er et 2 juillet 2006 disait : « nos structures, beaucoup de comportements, certaines de nos décisions mériteraient (…) des adaptations. On ne saurait aller vers une organisation d’intégration, s’il n’est pas accepté le principe de domaines de souveraineté, de domaines à partager ».
Parmi ces domaines, la paix, la sécurité, la gouvernance démocratique et la stabilité de chaque Etat membre comme incombant à la responsabilité collective, ne devraient-ils pas figurer en bonne place ?
Les Guinéens, par leurs manifestations successives ces dernières années ont plus qu’envoyé des signaux. Ils ont agi et avaient besoin d’être accompagnés dans leur action par l’U.A, qui aurait pu le faire au nom du principe de la défense de « la paix et de la sécurité » et de celui de « l’interdépendance » entres les Etats membres contenus dans l’acte constitutif de l’organisation, au même titre que le rejet des gouvernements « anticonstitutionnels».
Une telle politique, fondée sur l’anticipation, la participation, la facilitation du dialogue et l’action là où c’est nécessaire, permettrait d’éviter les impasses qui sont mères de toutes les crises, et aurait plus de mérite que les simples condamnations souvent bien tardives.
Voilà ce qui aurait pu sauver la Guinée bien avant que les militaires ne songent à prendre le pouvoir. Aujourd’hui encore la Guinée a besoin d’être accompagnée et non d’être isolée. Les militaires de Conakry n’ont encore perpétré aucun acte antipatriotique ou autre qui mériterait qu’ils soient « condamnés ».
L’adhésion populaire massive au mouvement initié par le Comité National pour la Démocratie et le Développement prouve que si l’acte posé par les soldats guinéens est « anticonstitutionnel », il peut néanmoins revendiquer plus de légitimité aux yeux du peuple guinéen que ne l’aurait eu une transition menée par les caciques du régime Conté.
En cela, et au delà des frontières guinéennes, ces putschistes ont peut être beaucoup plus de « légitimité » que la plupart des « chefs d’Etats » soit disant élus, au prix de contorsions constitutionnelles énormes ou de fraudes électorales massives pour légaliser des forfaits, assimilable à tous égards à des « coups d’Etat » civils.
C’est là l’autre leçon à tirer des évènements de Conakry, les coups d’Etats civils (prolongation de mandats qu’aucune crise grave ne justifie, modifications constitutionnelles au gré d’intérêts personnels, émergence de dynasties présidentielles) ne doivent plus prospérer.
Les institutions africaines doivent poser au plus haut niveau le débat sur « la longévité » au pouvoir (ses causes et ses effets sur nos sociétés) et y apporter des réponses idoines à prendre en compte dans notre quête et notre pratique démocratiques.
One ne le sait que trop bien, cette « éternisation » au pouvoir entraîne (par la nature même du pouvoir) népotisme, corruption et velléités dynastiques, avec tout ce que cela comporte d’injustice et de frustrations qui mènent aux impasses, aux crises violentes et au chaos souvent vécus par les peuples du continent.
Il urge donc pour l’Union africaine, de la même manière qu’elle s’oppose aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, de s’opposer à la « longévité » hors norme au pouvoir – pour la petite histoire, entre l’arrivée de Sékou Touré au pouvoir et la mort de Lansana Conté, soit un demi siècle, les Etats-Unis ont connu onze chefs d’Etats (en y incluant le président élu Barack Obama) là ou la Guinée n’en a connu que deux.
Encore une fois, cela implique de sortir du « politiquement correct » et de penser les problèmes africains de manière spécifique, nous allions dire iconoclaste – nous savons tous que le défunt président Eyadéma du Togo est mort au pouvoir par crainte de poursuites judiciaires contre sa personne alors qu’on lui prêtait l’intention de vouloir céder sa place.
Si l’Afrique du Sud post apartheid a réussi sa transition vers la démocratie et vers une société « non raciale » sans que cela ne se traduise par le chaos et la vengeance aveugle, c’est parce que les Sud-Africains ont accepté de sacrifier le « Non à l’impunité » à l’autel de la « réconciliation ». Ils ont préféré la paix et stabilité à la justice (prise dans son sens étriquée de justice prononcée par des tribunaux).
Aujourd’hui, en brandissant - parce que le Nord et l’Occident le veulent - partout et aveuglément le spectre du « Non à l’impunité » contre nos chefs d’Etats, et uniquement nos chefs d’Etat d’Afrique noire (que fait-on de l’Américain George Bush, de l’Israélien Ariel Sharon, ou même du Sud-Africain Frederick De Klerk ?), on empêche plusieurs pays du continent de se donner la chance d’aller plus vite au renouvellement de leur classe politique pour se façonner un autre visage, se tracer de nouveaux destins.
Or, c’est de cela que l’Afrique d’aujourd’hui a besoin, un renouvellement de sa classe politique et l’émergence d’un leadership nouveau capable de trouver des solutions alternatives audacieuses : les crises et les problèmes sont si nombreux et si complexes qu’ils exigent un esprit de dépassement, des choix certes pas toujours faciles entre justice, impunité, stabilité, réconciliation, paix civile, pardon, etc.
La nature et la complexité de ces questions-là et surtout la difficulté des choix qu’elles entraînent sont telles qu’elles demanderaient peut-être un glissement de la simple analyse politique vers une réflexion à connotation …philosophique, en tout cas une réflexion pointue loin des seuls cadres étroits définis par des besoins politiques ou ceux de la « communauté internationale »!
La persistance des crises nous pousse à croire qu’il faut repenser l’Afrique et y réinventer des solutions. La recrudescence des coups d’Etats peut et doit nous servir de déclic.
Nous terminerons par ces propos d’Alpha Omar Konaré, prononcé lors du sommet de Banjul cité plus haut, des propos que nous faisons nôtres :«Ma conviction que l’Agenda pour l’Afrique doit être fait par les Africains eux-mêmes, ma conviction que nous devons d’abord compter sur nous-mêmes et que nous sommes, par Dieu, maître de notre destin, cette conviction est d’airain ».
En vérité ces propos, et c’est là notre conviction et notre souhait à nous, devraient servir de viatique à chaque Africain pour que nous puissions enfin amorcer cette renaissance africaine tant de fois annoncée et tant de fois trahie mais toujours rêvée.
Par Hamadou Tidiane SY *Journaliste, fondateur Ouestafnews,
Pour ce faire, permettons-nous une petite digression dans l’histoire récente de la Guinée, vue à travers le prisme des institutions africaines et notamment de l’Union africaine (U.A) anciennement Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Il y a un peu plus de 24 ans, en mars 1984 précisément, disparaissait Ahmed Sékou Touré, héros et père de l’indépendance du pays dont le parcours et les dernières années de règne sans partage rappellent tragiquement ceux du président Zimbabwéen Robert Mugabe (tous deux acculés par l’occident et victimes de leur nationalisme radical ainsi que de leurs positions résolument anticolonialistes).
Le président Sékou Touré parti, il fut offert au peuple guinéen une occasion historique de se définir une nouvelle trajectoire et de se donner une nouvelle destinée. Son élite exilée, son peuple encore timoré et sous le choc, la Guinée et les Guinéens de l’époque furent incapables de saisir cette opportunité.
Des militaires avec à leur tête le colonel Lansana Conté sautent quant à eux sur l’occasion et s’emparent du pouvoir en avril de la même année. Le président Conté y restera jusqu’à son dernier souffle et finira un peu comme son prédécesseur, dont il avait promis de rectifier les erreurs par le truchement du Comité Militaire de Redressement National qu’il avait mis en place dès sa prise du pouvoir.
A l’époque il n’était pas encore de coutume de « condamner » de manière quasi unanime et aussi systématique les coups d’Etat en Afrique. On les condamnait suivant les clivages idéologiques entre l’Ets et l’Ouest, suivant les allégeances des putschistes et suivant les alliances régionales et sous-régionales du moment.
On était loin du tumulte des « conférences nationales » de la décennie 90 qui finirent par amplifier et cristalliser l’aspiration des peuples à une gouvernance démocratique et à plus de justice sociale.
A l’OUA, qui n’était pas encore devenue l’U.A, la seule politique applicable lorsque survenait un coup d’Etat était alors celle de la « non-ingérence » dans les affaires intérieures des Etats-membres.
L’article 3 de la charte de la défunte OUA entérinait les principes suivants comme fondement de son existence: « Egalité souveraine de tous les Etats membres; Non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats; Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de chaque Etat et de son droit inaliénable à une existence indépendante ».
Dans de telles conditions, ni l’OUA ni aucun Etat africain ne pouvait s’en prendre aux militaires guinéens de l’époque. Lansana Conté pouvait régner, participer à l’aise aux sommets de l’organisation panafricaine sans critique ouverte de la part de ses « pairs » africains et sans grand risque.
Aujourd’hui 24 ans après, alors que pour la Guinée l’histoire semble se répéter et que le pays se trouve une nouvelle fois à la croisée des chemins, le contexte africain a, lui, sensiblement évolué.
Au principe sacro-saint de « non-ingérence » édicté plus haut, l’Afrique a accouplé celui du droit ou du devoir d’ingérence, principe sur lequel s’appuie l’Union Africaine pour «condamner» la prise du pouvoir par les militaires guinéens et exiger un « retour à l’ordre constitutionnel ».
Avec la naissance de l’Union Africaine (U.A), et contrairement à ce que l’on croit généralement, la règle de la « non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres» reste toujours un des « principes » fondateurs de la nouvelle Union. La clause est clairement posée dans les mêmes termes dans l’article 4 de l’acte constitutif de l’U.A qui a été définitivement adopté le 11 juillet 2000 à Lomé.
La nouveauté cependant, c’est l’introduction dans le même article 4, qui portent sur « les principes » qui fondent l’Union, du concept « d’interdépendance » entre les Etats membres et de nouveaux paradigmes tels que « le droit de l’Union d’intervenir dans un Etat membre » ou encore « le droit des Etats membres de solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la stabilité » et enfin « la condamnation et le rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement». Bref, le droit d’ingérence !
Ces principes, déjà édictés à Alger l’année précédente (juillet 1999), allaient désormais guider la nouvelle politique de l’Union Africaine face à ce que d’aucuns appellent « la malédiction des coups d’Etat militaires ».
Mais n’est pas malédiction tout coup d’Etat militaire et n’est pas bénédiction tout « ordre constitutionnel » !
Ceci a été prouvé de manière fort éloquente par le putsch perpétré en Mauritanie par le colonel Mohamed Ely Ould Vall en août 2005. Ce putsch a mis fin au régime autocratique de Maaouiya Sid’Ahmed Ould Taya, ensuite d’aller vers une transition jugée « exemplaire » et enfin de porter au pouvoir pour la première fois de l’histoire de la Mauritanie indépendante un président démocratiquement élu (malheureusement destitué depuis août 2008 par un autre putsch).
A côté de la Mauritanie et plus d’une décennie plus tôt, un autre officier, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, a permis au Mali voisin de mettre fin à une violente crise politico-sociale, de destituer un régime autocratique en mars 1991 pour mener le pays vers une transition « démocratique » encore citée de nos jours en exemple en Afrique et ailleurs dans le monde.
Amadou Toumani Touré comme Mohamed Ely Ould Vall quitteront le pouvoir une fois les transitions qu’ils ont promises achevées.
Nous admettons que le contraire est tout aussi vrai avec les cas du président Blaise Compaoré du Burkina Faso (au pouvoir depuis 21 ans), de Yahya Jammeh (depuis 14 ans en Gambie) et du défunt général ivoirien Robert Gueï, pour nous limiter à quelques cas parmi les plus emblématiques en Afrique de l’Ouest où en cette année 2008, les coups d’Etat militaires semblent revenir à la mode.
La leçon à en tirer ? Il faut juger les hommes par leurs actes et les actes dans leur contexte avant de saluer ou de condamner « par principe » ou de vouer aux gémonies des « putschistes ». Plus que le putsch, c’est sa portée patriotique ou non, sa dimension salvatrice ou pas qu’il faut juger.
Mieux encore, la question de la gouvernance démocratique, que ce soit en Guinée ou ailleurs, ne se limite pas seulement à la question du « contrôle » du pouvoir. Mai c’est là un autre débat.
Pour en revenir à la Guinée et à l’Union Africaine, la condamnation « par principe » avancée par le président de la Commission de l’U.A, M. Jean Ping, aurait eu plus de valeur et de crédibilité aux yeux des Guinéens et des autres Africains si l’Union africaine avait agi en amont.
En amont dans le contexte guinéen, c’est à dire lorsque le président Conté décidait en novembre 2001 de modifier la constitution approuvée par le peuple dans le seul but de pouvoir se représenter à la présidentielle de 2003 et de perpétuer son règne.
L’Union africaine aurait eu plus de crédibilité si elle avait averti (ou parlé avec) le président Conté et condamné cet amendement constitutionnel dans les mêmes termes et avec la même intransigeance qu’elle le fait aujourd’hui avec le capitaine Moussa Dadis Camara et ses hommes.
La condamnation de l’UA, aurait eu plus de valeur et de poids, si pendant ces trois à cinq dernières années, elle s’était mise au côté du peuple guinéen qui, ne l’oublions pas, s’est à plusieurs reprises violemment soulevé contre le président Lansana Conté et les caciques de son régime.
L’insurrection la plus mémorable de la série reste celle de janvier-février 2007, pendant laquelle le peuple guinéen tout entier, malgré la répression, a tenu tête à son « président » et ouvertement exigé puis obtenu la nomination d’hommes « neufs » aux commandes du pays.
Qu’a fait l’Union Africaine lorsque le président guinéen, une fois la tempête passée, a remis en cause les accords signés et ramené les barons de son régime aux affaires ? Rien. Absolument rien.
La même question peut aussi être adressée à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a certes eu le mérite d’avoir facilité la sortie de crise et la signature des accords entre Conté et les meneurs de la fronde contre son régime, mais qui a failli lorsque ces mêmes accords ont été bafoués par le président Conté.
Que font l’Union africaine et la CEDEAO en apprenant qu’au Niger, il y a des velléités de changer la constitution pour permettre une prolongation de la présence de Mamadou Tandja au pouvoir, lorsqu’ils apprennent que le président sénégalais Abdoulaye Wade change à sa guise la constitution sénégalaise, etc. ?
Ces quelques exemples juste pour dire que les institutions africaines pour être plus crédibles se doivent de se mettre au service de l’Afrique et des peuples Africains avant même que n’éclatent les crises ; et après de hurler avec les loups de la « communauté internationale », en usant de slogans sans aucune emprise avec la réalité.
Et c’est en cela que les évènements de Conalkry, en plus d’aider à sauver la Guinée Conakry, devraient servir de leçon et de déclic pour repenser l’Afrique, ses crises, ses institutions, son leadership…
Pour y arriver, il faudra un effort colossal qui permette de sortir des sentiers battus, avoir le courage de douter et de questionner le « politiquement correct » de la communauté internationale, qui ne nous apportera jamais la réponse à nos interrogations essentielles et existentielles, si tant est qu’elle s’y intéresse.
Les réponses idoines, à notre humble avis, ne viendront d’abord que de l’Afrique et des Africains eux-mêmes.
A ce titre, l’une des premières obligations que doivent désormais s’imposer les organisations africaines, qu’elles soient continentales ou régionales, c’est de s’armer des outils d’analyse adéquats leur permettant de décrypter les signes précurseurs des grandes crises, de déchiffrer les cris de détresse que poussent les peuples à des moments critiques de leur histoire et enfin de se doter des moyens de faire appliquer le « droit » d’ingérence que l‘U.A s’est auto-attribuée.
Rappelons-nous encore le cri pathétique d’Alpha Omar Konaré qui a dirigé la Commission de l’U.A de 2003à 2008 et qui lors du sommet de Banjul de l’organisation tenu les 1er et 2 juillet 2006 disait : « nos structures, beaucoup de comportements, certaines de nos décisions mériteraient (…) des adaptations. On ne saurait aller vers une organisation d’intégration, s’il n’est pas accepté le principe de domaines de souveraineté, de domaines à partager ».
Parmi ces domaines, la paix, la sécurité, la gouvernance démocratique et la stabilité de chaque Etat membre comme incombant à la responsabilité collective, ne devraient-ils pas figurer en bonne place ?
Les Guinéens, par leurs manifestations successives ces dernières années ont plus qu’envoyé des signaux. Ils ont agi et avaient besoin d’être accompagnés dans leur action par l’U.A, qui aurait pu le faire au nom du principe de la défense de « la paix et de la sécurité » et de celui de « l’interdépendance » entres les Etats membres contenus dans l’acte constitutif de l’organisation, au même titre que le rejet des gouvernements « anticonstitutionnels».
Une telle politique, fondée sur l’anticipation, la participation, la facilitation du dialogue et l’action là où c’est nécessaire, permettrait d’éviter les impasses qui sont mères de toutes les crises, et aurait plus de mérite que les simples condamnations souvent bien tardives.
Voilà ce qui aurait pu sauver la Guinée bien avant que les militaires ne songent à prendre le pouvoir. Aujourd’hui encore la Guinée a besoin d’être accompagnée et non d’être isolée. Les militaires de Conakry n’ont encore perpétré aucun acte antipatriotique ou autre qui mériterait qu’ils soient « condamnés ».
L’adhésion populaire massive au mouvement initié par le Comité National pour la Démocratie et le Développement prouve que si l’acte posé par les soldats guinéens est « anticonstitutionnel », il peut néanmoins revendiquer plus de légitimité aux yeux du peuple guinéen que ne l’aurait eu une transition menée par les caciques du régime Conté.
En cela, et au delà des frontières guinéennes, ces putschistes ont peut être beaucoup plus de « légitimité » que la plupart des « chefs d’Etats » soit disant élus, au prix de contorsions constitutionnelles énormes ou de fraudes électorales massives pour légaliser des forfaits, assimilable à tous égards à des « coups d’Etat » civils.
C’est là l’autre leçon à tirer des évènements de Conakry, les coups d’Etats civils (prolongation de mandats qu’aucune crise grave ne justifie, modifications constitutionnelles au gré d’intérêts personnels, émergence de dynasties présidentielles) ne doivent plus prospérer.
Les institutions africaines doivent poser au plus haut niveau le débat sur « la longévité » au pouvoir (ses causes et ses effets sur nos sociétés) et y apporter des réponses idoines à prendre en compte dans notre quête et notre pratique démocratiques.
One ne le sait que trop bien, cette « éternisation » au pouvoir entraîne (par la nature même du pouvoir) népotisme, corruption et velléités dynastiques, avec tout ce que cela comporte d’injustice et de frustrations qui mènent aux impasses, aux crises violentes et au chaos souvent vécus par les peuples du continent.
Il urge donc pour l’Union africaine, de la même manière qu’elle s’oppose aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, de s’opposer à la « longévité » hors norme au pouvoir – pour la petite histoire, entre l’arrivée de Sékou Touré au pouvoir et la mort de Lansana Conté, soit un demi siècle, les Etats-Unis ont connu onze chefs d’Etats (en y incluant le président élu Barack Obama) là ou la Guinée n’en a connu que deux.
Encore une fois, cela implique de sortir du « politiquement correct » et de penser les problèmes africains de manière spécifique, nous allions dire iconoclaste – nous savons tous que le défunt président Eyadéma du Togo est mort au pouvoir par crainte de poursuites judiciaires contre sa personne alors qu’on lui prêtait l’intention de vouloir céder sa place.
Si l’Afrique du Sud post apartheid a réussi sa transition vers la démocratie et vers une société « non raciale » sans que cela ne se traduise par le chaos et la vengeance aveugle, c’est parce que les Sud-Africains ont accepté de sacrifier le « Non à l’impunité » à l’autel de la « réconciliation ». Ils ont préféré la paix et stabilité à la justice (prise dans son sens étriquée de justice prononcée par des tribunaux).
Aujourd’hui, en brandissant - parce que le Nord et l’Occident le veulent - partout et aveuglément le spectre du « Non à l’impunité » contre nos chefs d’Etats, et uniquement nos chefs d’Etat d’Afrique noire (que fait-on de l’Américain George Bush, de l’Israélien Ariel Sharon, ou même du Sud-Africain Frederick De Klerk ?), on empêche plusieurs pays du continent de se donner la chance d’aller plus vite au renouvellement de leur classe politique pour se façonner un autre visage, se tracer de nouveaux destins.
Or, c’est de cela que l’Afrique d’aujourd’hui a besoin, un renouvellement de sa classe politique et l’émergence d’un leadership nouveau capable de trouver des solutions alternatives audacieuses : les crises et les problèmes sont si nombreux et si complexes qu’ils exigent un esprit de dépassement, des choix certes pas toujours faciles entre justice, impunité, stabilité, réconciliation, paix civile, pardon, etc.
La nature et la complexité de ces questions-là et surtout la difficulté des choix qu’elles entraînent sont telles qu’elles demanderaient peut-être un glissement de la simple analyse politique vers une réflexion à connotation …philosophique, en tout cas une réflexion pointue loin des seuls cadres étroits définis par des besoins politiques ou ceux de la « communauté internationale »!
La persistance des crises nous pousse à croire qu’il faut repenser l’Afrique et y réinventer des solutions. La recrudescence des coups d’Etats peut et doit nous servir de déclic.
Nous terminerons par ces propos d’Alpha Omar Konaré, prononcé lors du sommet de Banjul cité plus haut, des propos que nous faisons nôtres :«Ma conviction que l’Agenda pour l’Afrique doit être fait par les Africains eux-mêmes, ma conviction que nous devons d’abord compter sur nous-mêmes et que nous sommes, par Dieu, maître de notre destin, cette conviction est d’airain ».
En vérité ces propos, et c’est là notre conviction et notre souhait à nous, devraient servir de viatique à chaque Africain pour que nous puissions enfin amorcer cette renaissance africaine tant de fois annoncée et tant de fois trahie mais toujours rêvée.
Par Hamadou Tidiane SY *Journaliste, fondateur Ouestafnews,