Il n'y a plus d'art populaire parce qu'il n'y a plus de peuple.
Un chic qui travestit le profil masculin des jeunes hommes et trahit le manque de caractère de beaucoup de ses adeptes. L’ère des hommes efféminés
Les jeunes n’ont pas fini de nous surprendre quant à leurs plagiats vestimentaires. Ils s’embarquent dans des styles unisexes qui font dans l’amalgame, le clair-obscur. Coupe Afro, bodys colorés et pantalons «slims», chaussures montantes. Un look qui les fait paraître plus femmes qu’hommes. Mais tant qu’à faire, pourvu qu’ils soient in. Nous nous sommes rapprochées d’eux pour connaître leurs motivations et jauger leur connaissance des acteurs ou vecteurs de cette mode.
En décodant leurs propos, les jeunes discernent bien l’impopularité de leurs choix vestimentaires, ils mesurent la portée de leur apparence ambiguë, ils savent à quoi ils s’exposent avec certaines tenues dans certains milieux pieux. Mohameth NGom, 17ans, consomme tout dans la mode et il l’assume. Adossé au mur d’une maison à Dieuppeul, il pirate tranquillement le wifi en clamant avec assurance «je porte le «pinw», le «check down» et le body». Pour sûr, il cherche la connexion avec son temps, sa génération. Il est tout branché mode, même au risque de s’en électrocuter. Habillé d’un short kaki et d’un body noir qui lui colle au corps comme une seconde peau, il est dans l’air du temps. Des jeunes comme lui, qui s’habillent sans différenciation ils sont légion. Ce qui importe pour eux, c’est de s’identifier à la masse et de paraître in.
Pour ce qui est du contrôle parental, Mohameth n’est nullement inquiété : «Mon père rouspète sur mes accoutrements, mais il n’a pas l’air énervé quand il fait ses remarques, en passant», se satisfait-il. Bien informé de l’origine de ces modes peu recommandables, il renchérit que cela ne ternit nullement son image, du moment que tout le monde qui le fait. Le «grawoul» Sénégalais (ce n’est pas grave), une autre forme de laxisme qui légitime des conduites inacceptables, par l’adhésion de la majorité. «Le «Pinw», je sais que ce sont les homos qui mettent ça. Je n’ai pas peur que l’on me taxe d’homo, car je ne le suis pas. De même je sais que ce sont les prisonniers américains qui ont lancé la mode du «Check down», en marchant sans ceinture. Aujourd’hui, tout le monde s’habille comme cela. Ce ne sont pas seulement les homos qui s’habillent de cette façon. Suivre la mode, ne veut pas dire croire aux idéaux des homo ou des prisonniers. C’est juste faire comme tout le monde», soutient-il. Le danger qui guette ce «boy town» inconscient, c’est qu’il est lui-même en train d’émettre des signaux non verbaux, sur ce qu’il n’est pas. Il est en train de se présenter à la communauté homosexuelle, comme l’un des leurs. A son insu il transmet par son port vestimentaire un code que d’aucuns pourraient décoder. Dans ce cas le pire est à craindre. Son action peut déclencher des réactions dont la gravité pourrait le surprendre et le voilà soudain précipité dans un cercle vicieux !
Cheikh Sadibou Diop croit que l’habillement des jeunes n’est ni fortuit ni innocent. Il dénote parfois réellement leur penchant sexiste. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, le groupe des pairs veille au grain. Il fait dans la dénonciation. «Les jeunes savent l’origine du «pinw» et quand tu vas dans ton cercle d’amis, tes copains te raillent : «Tu es découvert Boy ! «fègn nga». Tu es un PD ». «Ce look est mauvais», insiste Cheikh. «Les jeunes se disent la vérité entre eux… Mais il y en a quand même certains qui s’habillent par suivisme et par ignorance. Et ils imitent pour le fun. Les jeunes doivent s’habiller correctement pour être présentables. La personne te juge de loin selon ton look et te catégorise, avant même de te connaître. Quand tu t’habilles bien, on te respecte, on a un a priori favorable sur toi».
L’avis des uns et des autres sur leurs bizarreries vestimentaires, les jeunes n’en font cas que si ceux-ci sont accompagnés d’actes répressifs. Entre le bâton de la censure et la carotte du verbiage inutile, ils surfent souvent, foncent parfois et accélèrent dans l’interdit. Tant que ce sont de simples commentaires, la meute de l’opinion peut aboyer tant qu’elle le veut, leur caravane de mannequins continuera de passer. Mais devant la fermeté, ils reconsidèrent leur «BOUL FALE» pour reculer, zapper carrément et finalement dégager en touche pour se sortir d’affaire. «Jalabé» et «ganila», les habits de rechange bien vus des notables de la mosquée, sont bien là, à portée de main. Le vendredi, on ouvre les valises pour se saper, faire du «sellal», pour aller à la mosquée. Là, il n’y a pas moyen de se soustraire à la tradition, il faut simplement laisser de côté le look «boy town» pour sauver sa peau. Ils ne se risqueraient même pas à attirer sur eux la foudre des regards et l’avalanche de mépris qui seraient le sort des brebis galeuses. Celles-ci feraient les frais de toute la rancœur intergénérationnelle dans ce dialogue vestimentaire de sourds. Alors pas question de créer la polémique ici. Pour Mohameth, il se pose un problème de respect. «S’habiller mode, pour aller à la mosquée, n’est pas correct, ni respectueux des grandes personnes que l’on trouve sur place», reconnaît-il enfin, en riant de lui-même. Pour les deux compères Boubacar et Samba, qui prennent l’air devant leur maison à Derklé, ils risqueraient la foudre des uns et des autres en perturbant ainsi la concentration des Anciens.
Alors si ces jeunes sont conscients qu’il y a une tenue à mettre pour chaque milieu, s’habiller comme ils le font devient du «fait exprès» du «ma tèy!», comme ils diraient dans leur jargon laxiste. Branchés mode, Boubacar et Samba font cependant le tri responsable dans tout cet arsenal. «On ne met pas les «pinw» qui collent à la peau. Ce n’est pas joli, ni décent. Quand tu le mets «dagnou lay deukkeul foo deukkoul » (on te loge dans une catégorie). On ne se sent pas à l’aise avec ces accoutrements». Il est certain que ces jeunes saisissent le lien étroit entre le paraître du style vestimentaire et la réalité plus profonde et plus cachée de l’être social sexué (homme, femme, homosexuel).
Leurs parents à eux sont très regardants quant à leur habillement et n’hésitent pas à leur faire des remarques. «Ils nous disent que ce n’est pas décent du tout, surtout lorsqu’on met les «pacth» (ce nouveau mot wolof, qui désigne le short, fait allusion au rétrécissement de la taille du pantalon, le verbe «khadj» veut dire diviser), ils trouvent que c’est court. Nous faisons attention aux parents lorsque nous nous habillons, parce qu’ils nous jugent à notre look». Si le short ne posait habituellement aucun problème d’éthique chez les plus jeunes, la mode estivale l’a mis aujourd’hui sous les feux de la rampe, tous âges confondus. Chaleur de l’été oblige.
Dans ce décor, certains parents restent heureusement indéboulonnables. Fidèles au poste, ils sont campés devant la porte du domicile, ils scrutent tout le monde et interpellent les canards boiteux avant que ces ados ne passent le seuil. Pour éviter des apostrophes intempestives et gênantes parfois humiliantes, les plus pragmatiques font dans la prévention. «Da gnouy soralé wakh yi» (l’on intégre les commentaires), nous confient ces deux compères. En s’habillant, ils prennent les devants et s’évitent ainsi des regards de travers et des remarques désobligeantes.
VENDEURS DE MODE VESTIMENTAIRE : Faire de bonnes affaires à tout prix
Acteurs incontournables de l’habillement, maillons centraux de la distribution vestimentaire, les importateurs ramènent les artifices de la mode, dans tous les genres et de tous les horizons. Dans leur choix, pas de sens interdit. Tant pis pour les mœurs, il faut faire affaire !
A Sandaga, dans les cantines du marché et au centre commercial Touba Sandaga, on nous étale les dernières sorties de la mode masculine. Mais il faut s’assurer par deux fois, qu’il s’agit bien d’articles pour homme. Réponse à l’affirmative, accompagnée d’un sourire malicieux à chaque fois. «Lii moo khew ci été bi» (c’est à la mode cet été), nous sert Diouma Diack, visiblement amusée de notre mine ahurie. Cette cantine, aux allures de la caverne d’Ali Baba est spécialisée dans l’habillement masculin. Elle nous présente beaucoup de marques : tête de lion, Versace, cadenas Buscemi… Mais ce qui surprend ce sont les couleurs inattendues et les motifs singuliers. Des chaussures vernies papillonnées ou fleuries. Les chemises sont imprimées, à carreaux, de ton rose, orange, vert, bleu… Des couleurs aussi voyantes que criardes, aux antipodes de la discrétion masculine. Et pour en rajouter au tape-à-l’œil, des chapeaux en cuir, de toutes les couleurs, casquettes en jean délavé et en strass et de grosses lunettes de soleil teintées. Le Jean est toujours au rendez-vous, en style classique ou en «pinw». Sa qualité est plus légère pour faire face à la chaleur de l’été. Le pantalon en kaki léger fait aussi tendance. Des shorts appelés maintenant «Tchëckël ma», body à col V, ou à col rond, des tee-shirts body…Et pour boucler la boucle, les ceintures sont assorties à ce style.
Si les commerçants veulent écouler leur stock rapidement, ils doivent respecter les goûts de ces derniers. Quitte à vendre des styles qu’eux-mêmes ne porteraient sous aucun prétexte.
Ces derniers avouent leur aversion pour le «pinw» et cette mode qui fait ressembler les garçons à des filles. C’est le cas pour Moussa Ndiaye, qui se ravitaille au Luxembourg. Avant de voyager, il prend les commandes des jeunes. «Moi, je ne conseille à personne des habits moulants. Il faut que les hommes s’habillent en homme et les femmes comme telles». Contradiction entre ses dires et son agir, business oblige. Pour Moussa, ce qui contribue aussi à dépraver les mœurs, c’est la musique et les danses obscènes, ainsi que le phénomène de la lutte. Selon lui, il est temps que les autorités prennent leur responsabilité.
Partisans d’un habillement correct et décent, ils sont deux commerçants seulement sur notre échantillon de dix, à refuser catégoriquement de vendre ou d’importer des habits qui travestissent le look des hommes. Cette attitude, Abdou Sène l’a adoptée. Commerçant quinquagénaire et détaillant, il s’approvisionne auprès de ses collègues grossistes. Mais son choix engagé pour un habillement décent, ne va pas sans conséquence. Sa cantine, n’est pas bien fournie et lorsqu’on lui demande un article de la gamme mondaine, il a tôt fait de nous désigner la cantine voisine. «Je ne vends pas ce genre de choses», s’empresse-t-il de répondre. «Je ne porte pas ces accoutrements, ni ne les propose à ma clientèle. Mes clients sont des hommes responsables qui s’habillent correctement» poursuit-il. Cela va sans dire qu’il rate ainsi maintes opportunités de faire affaire. C’est le prix que doit payer Abdou pour oser aller à contre-courant des goûts de la majorité des jeunes. A sa clientèle, il propose quand même des habits à la mode, mais respectant les règles de la correction. Combien de temps tiendra-t-il dans cet environnement concurrentiel où le client est roi et si l’on sait que les jeunes sont clientèle majoritaire ici ?
Un autre agneau du sacrifice, Karim Sylla. Plus jeune et d’un look plus décontracté, la quarantaine accomplie, il est installé dans un magasin au Centre Commercial Touba Sandaga. Sa marchandise est diversifiée, mais son stock ne s’écoule pas vite. Provenant de la Chine pour l’essentiel. Il refuse de ramener une mode indécente, réduisant ainsi sa cible. «Dans ce magasin, je n’ai pas de visibilité», déplore-t-il. «Je ne connais pas les sites internet qui font de la cybervente. Ma page Face-book, n’est pas beaucoup vue. Une seule personne est venue au magasin après avoir visité mon blog. Les autres passent leur temps à aimer au lieu d’acheter». Pour se tirer d’affaire, Karim aurait aimé avoir connaissance des sites de vente pour une plus grande visibilité de sa marchandise.
De la publicité, ses concurrents qui sont in, n’en ont pas besoin pour écouler leur stock. Lamine Diouf, un commerçant voisin, envoie juste des sms et ses clients rappliquent pour les nouveaux arrivages. En moyenne, les conteneurs lui livre tous les 40 jours. Pour ce qui est des modèles, il respecte certes les goûts des jeunes branchés, mais évite le «déjà vu», ce qui est déjà bien répandu sur le marché sénégalais.
Appel à la responsabilité des autorités certes, mais appel à tous les acteurs qui tirent profit de cette manne financière. Hugues, un étudiant en Banque, de nationalité Gabonaise, rencontré au terrain de foot de Dieuppeul, nous livre sa position sur la question. «Si nous voulons que les jeunes cessent de mettre des «pinw», des couleurs extravagantes et des bodys moulants, il faut que les commerçants fassent un business plus éducatif que lucratif et que les parents et éducateurs veillent au grain sur l’allure de ces jeunes». A l’endroit des stars, il lance un appel à un comportement responsable, qui ne pervertirait pas la jeunesse.
Les jeunes n’ont pas fini de nous surprendre quant à leurs plagiats vestimentaires. Ils s’embarquent dans des styles unisexes qui font dans l’amalgame, le clair-obscur. Coupe Afro, bodys colorés et pantalons «slims», chaussures montantes. Un look qui les fait paraître plus femmes qu’hommes. Mais tant qu’à faire, pourvu qu’ils soient in. Nous nous sommes rapprochées d’eux pour connaître leurs motivations et jauger leur connaissance des acteurs ou vecteurs de cette mode.
En décodant leurs propos, les jeunes discernent bien l’impopularité de leurs choix vestimentaires, ils mesurent la portée de leur apparence ambiguë, ils savent à quoi ils s’exposent avec certaines tenues dans certains milieux pieux. Mohameth NGom, 17ans, consomme tout dans la mode et il l’assume. Adossé au mur d’une maison à Dieuppeul, il pirate tranquillement le wifi en clamant avec assurance «je porte le «pinw», le «check down» et le body». Pour sûr, il cherche la connexion avec son temps, sa génération. Il est tout branché mode, même au risque de s’en électrocuter. Habillé d’un short kaki et d’un body noir qui lui colle au corps comme une seconde peau, il est dans l’air du temps. Des jeunes comme lui, qui s’habillent sans différenciation ils sont légion. Ce qui importe pour eux, c’est de s’identifier à la masse et de paraître in.
Pour ce qui est du contrôle parental, Mohameth n’est nullement inquiété : «Mon père rouspète sur mes accoutrements, mais il n’a pas l’air énervé quand il fait ses remarques, en passant», se satisfait-il. Bien informé de l’origine de ces modes peu recommandables, il renchérit que cela ne ternit nullement son image, du moment que tout le monde qui le fait. Le «grawoul» Sénégalais (ce n’est pas grave), une autre forme de laxisme qui légitime des conduites inacceptables, par l’adhésion de la majorité. «Le «Pinw», je sais que ce sont les homos qui mettent ça. Je n’ai pas peur que l’on me taxe d’homo, car je ne le suis pas. De même je sais que ce sont les prisonniers américains qui ont lancé la mode du «Check down», en marchant sans ceinture. Aujourd’hui, tout le monde s’habille comme cela. Ce ne sont pas seulement les homos qui s’habillent de cette façon. Suivre la mode, ne veut pas dire croire aux idéaux des homo ou des prisonniers. C’est juste faire comme tout le monde», soutient-il. Le danger qui guette ce «boy town» inconscient, c’est qu’il est lui-même en train d’émettre des signaux non verbaux, sur ce qu’il n’est pas. Il est en train de se présenter à la communauté homosexuelle, comme l’un des leurs. A son insu il transmet par son port vestimentaire un code que d’aucuns pourraient décoder. Dans ce cas le pire est à craindre. Son action peut déclencher des réactions dont la gravité pourrait le surprendre et le voilà soudain précipité dans un cercle vicieux !
Cheikh Sadibou Diop croit que l’habillement des jeunes n’est ni fortuit ni innocent. Il dénote parfois réellement leur penchant sexiste. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, le groupe des pairs veille au grain. Il fait dans la dénonciation. «Les jeunes savent l’origine du «pinw» et quand tu vas dans ton cercle d’amis, tes copains te raillent : «Tu es découvert Boy ! «fègn nga». Tu es un PD ». «Ce look est mauvais», insiste Cheikh. «Les jeunes se disent la vérité entre eux… Mais il y en a quand même certains qui s’habillent par suivisme et par ignorance. Et ils imitent pour le fun. Les jeunes doivent s’habiller correctement pour être présentables. La personne te juge de loin selon ton look et te catégorise, avant même de te connaître. Quand tu t’habilles bien, on te respecte, on a un a priori favorable sur toi».
L’avis des uns et des autres sur leurs bizarreries vestimentaires, les jeunes n’en font cas que si ceux-ci sont accompagnés d’actes répressifs. Entre le bâton de la censure et la carotte du verbiage inutile, ils surfent souvent, foncent parfois et accélèrent dans l’interdit. Tant que ce sont de simples commentaires, la meute de l’opinion peut aboyer tant qu’elle le veut, leur caravane de mannequins continuera de passer. Mais devant la fermeté, ils reconsidèrent leur «BOUL FALE» pour reculer, zapper carrément et finalement dégager en touche pour se sortir d’affaire. «Jalabé» et «ganila», les habits de rechange bien vus des notables de la mosquée, sont bien là, à portée de main. Le vendredi, on ouvre les valises pour se saper, faire du «sellal», pour aller à la mosquée. Là, il n’y a pas moyen de se soustraire à la tradition, il faut simplement laisser de côté le look «boy town» pour sauver sa peau. Ils ne se risqueraient même pas à attirer sur eux la foudre des regards et l’avalanche de mépris qui seraient le sort des brebis galeuses. Celles-ci feraient les frais de toute la rancœur intergénérationnelle dans ce dialogue vestimentaire de sourds. Alors pas question de créer la polémique ici. Pour Mohameth, il se pose un problème de respect. «S’habiller mode, pour aller à la mosquée, n’est pas correct, ni respectueux des grandes personnes que l’on trouve sur place», reconnaît-il enfin, en riant de lui-même. Pour les deux compères Boubacar et Samba, qui prennent l’air devant leur maison à Derklé, ils risqueraient la foudre des uns et des autres en perturbant ainsi la concentration des Anciens.
Alors si ces jeunes sont conscients qu’il y a une tenue à mettre pour chaque milieu, s’habiller comme ils le font devient du «fait exprès» du «ma tèy!», comme ils diraient dans leur jargon laxiste. Branchés mode, Boubacar et Samba font cependant le tri responsable dans tout cet arsenal. «On ne met pas les «pinw» qui collent à la peau. Ce n’est pas joli, ni décent. Quand tu le mets «dagnou lay deukkeul foo deukkoul » (on te loge dans une catégorie). On ne se sent pas à l’aise avec ces accoutrements». Il est certain que ces jeunes saisissent le lien étroit entre le paraître du style vestimentaire et la réalité plus profonde et plus cachée de l’être social sexué (homme, femme, homosexuel).
Leurs parents à eux sont très regardants quant à leur habillement et n’hésitent pas à leur faire des remarques. «Ils nous disent que ce n’est pas décent du tout, surtout lorsqu’on met les «pacth» (ce nouveau mot wolof, qui désigne le short, fait allusion au rétrécissement de la taille du pantalon, le verbe «khadj» veut dire diviser), ils trouvent que c’est court. Nous faisons attention aux parents lorsque nous nous habillons, parce qu’ils nous jugent à notre look». Si le short ne posait habituellement aucun problème d’éthique chez les plus jeunes, la mode estivale l’a mis aujourd’hui sous les feux de la rampe, tous âges confondus. Chaleur de l’été oblige.
Dans ce décor, certains parents restent heureusement indéboulonnables. Fidèles au poste, ils sont campés devant la porte du domicile, ils scrutent tout le monde et interpellent les canards boiteux avant que ces ados ne passent le seuil. Pour éviter des apostrophes intempestives et gênantes parfois humiliantes, les plus pragmatiques font dans la prévention. «Da gnouy soralé wakh yi» (l’on intégre les commentaires), nous confient ces deux compères. En s’habillant, ils prennent les devants et s’évitent ainsi des regards de travers et des remarques désobligeantes.
VENDEURS DE MODE VESTIMENTAIRE : Faire de bonnes affaires à tout prix
Acteurs incontournables de l’habillement, maillons centraux de la distribution vestimentaire, les importateurs ramènent les artifices de la mode, dans tous les genres et de tous les horizons. Dans leur choix, pas de sens interdit. Tant pis pour les mœurs, il faut faire affaire !
A Sandaga, dans les cantines du marché et au centre commercial Touba Sandaga, on nous étale les dernières sorties de la mode masculine. Mais il faut s’assurer par deux fois, qu’il s’agit bien d’articles pour homme. Réponse à l’affirmative, accompagnée d’un sourire malicieux à chaque fois. «Lii moo khew ci été bi» (c’est à la mode cet été), nous sert Diouma Diack, visiblement amusée de notre mine ahurie. Cette cantine, aux allures de la caverne d’Ali Baba est spécialisée dans l’habillement masculin. Elle nous présente beaucoup de marques : tête de lion, Versace, cadenas Buscemi… Mais ce qui surprend ce sont les couleurs inattendues et les motifs singuliers. Des chaussures vernies papillonnées ou fleuries. Les chemises sont imprimées, à carreaux, de ton rose, orange, vert, bleu… Des couleurs aussi voyantes que criardes, aux antipodes de la discrétion masculine. Et pour en rajouter au tape-à-l’œil, des chapeaux en cuir, de toutes les couleurs, casquettes en jean délavé et en strass et de grosses lunettes de soleil teintées. Le Jean est toujours au rendez-vous, en style classique ou en «pinw». Sa qualité est plus légère pour faire face à la chaleur de l’été. Le pantalon en kaki léger fait aussi tendance. Des shorts appelés maintenant «Tchëckël ma», body à col V, ou à col rond, des tee-shirts body…Et pour boucler la boucle, les ceintures sont assorties à ce style.
Si les commerçants veulent écouler leur stock rapidement, ils doivent respecter les goûts de ces derniers. Quitte à vendre des styles qu’eux-mêmes ne porteraient sous aucun prétexte.
Ces derniers avouent leur aversion pour le «pinw» et cette mode qui fait ressembler les garçons à des filles. C’est le cas pour Moussa Ndiaye, qui se ravitaille au Luxembourg. Avant de voyager, il prend les commandes des jeunes. «Moi, je ne conseille à personne des habits moulants. Il faut que les hommes s’habillent en homme et les femmes comme telles». Contradiction entre ses dires et son agir, business oblige. Pour Moussa, ce qui contribue aussi à dépraver les mœurs, c’est la musique et les danses obscènes, ainsi que le phénomène de la lutte. Selon lui, il est temps que les autorités prennent leur responsabilité.
Partisans d’un habillement correct et décent, ils sont deux commerçants seulement sur notre échantillon de dix, à refuser catégoriquement de vendre ou d’importer des habits qui travestissent le look des hommes. Cette attitude, Abdou Sène l’a adoptée. Commerçant quinquagénaire et détaillant, il s’approvisionne auprès de ses collègues grossistes. Mais son choix engagé pour un habillement décent, ne va pas sans conséquence. Sa cantine, n’est pas bien fournie et lorsqu’on lui demande un article de la gamme mondaine, il a tôt fait de nous désigner la cantine voisine. «Je ne vends pas ce genre de choses», s’empresse-t-il de répondre. «Je ne porte pas ces accoutrements, ni ne les propose à ma clientèle. Mes clients sont des hommes responsables qui s’habillent correctement» poursuit-il. Cela va sans dire qu’il rate ainsi maintes opportunités de faire affaire. C’est le prix que doit payer Abdou pour oser aller à contre-courant des goûts de la majorité des jeunes. A sa clientèle, il propose quand même des habits à la mode, mais respectant les règles de la correction. Combien de temps tiendra-t-il dans cet environnement concurrentiel où le client est roi et si l’on sait que les jeunes sont clientèle majoritaire ici ?
Un autre agneau du sacrifice, Karim Sylla. Plus jeune et d’un look plus décontracté, la quarantaine accomplie, il est installé dans un magasin au Centre Commercial Touba Sandaga. Sa marchandise est diversifiée, mais son stock ne s’écoule pas vite. Provenant de la Chine pour l’essentiel. Il refuse de ramener une mode indécente, réduisant ainsi sa cible. «Dans ce magasin, je n’ai pas de visibilité», déplore-t-il. «Je ne connais pas les sites internet qui font de la cybervente. Ma page Face-book, n’est pas beaucoup vue. Une seule personne est venue au magasin après avoir visité mon blog. Les autres passent leur temps à aimer au lieu d’acheter». Pour se tirer d’affaire, Karim aurait aimé avoir connaissance des sites de vente pour une plus grande visibilité de sa marchandise.
De la publicité, ses concurrents qui sont in, n’en ont pas besoin pour écouler leur stock. Lamine Diouf, un commerçant voisin, envoie juste des sms et ses clients rappliquent pour les nouveaux arrivages. En moyenne, les conteneurs lui livre tous les 40 jours. Pour ce qui est des modèles, il respecte certes les goûts des jeunes branchés, mais évite le «déjà vu», ce qui est déjà bien répandu sur le marché sénégalais.
Appel à la responsabilité des autorités certes, mais appel à tous les acteurs qui tirent profit de cette manne financière. Hugues, un étudiant en Banque, de nationalité Gabonaise, rencontré au terrain de foot de Dieuppeul, nous livre sa position sur la question. «Si nous voulons que les jeunes cessent de mettre des «pinw», des couleurs extravagantes et des bodys moulants, il faut que les commerçants fassent un business plus éducatif que lucratif et que les parents et éducateurs veillent au grain sur l’allure de ces jeunes». A l’endroit des stars, il lance un appel à un comportement responsable, qui ne pervertirait pas la jeunesse.