Léopold Sédar Senghor, président-poète et père de l’indépendance du Sénégal, est entré au Panthéon en devenant le premier dirigeant africain à quitter le pouvoir alors que rien ne l’y obligeait. Son
successeur et héritier, Abdou Diouf, est entré dans l’histoire par la petite porte mais en est sorti par la grande : acceptant le verdict des urnes, il s’est effacé avec élégance d’une présidence qu’il avait occupée pendant 20 ans. Quelle trace laissera celui qui l’a fait tomber, Abdoulaye Wade ? Celle du président de l’alternance, qui aura réussi à consolider une démocratie apaisée et moderne en terre d’Afrique ? Ou celle d’un politicien iconoclaste et versatile, flottant dans un costume un peu trop grand pour lui, semblable à ces vieux boxeurs incapables de raccrocher les gants et qui hantent les rings à la recherche d’un ultime combat à livrer ?
Economiste de formation et avocat de profession, Abdoulaye Wade est entré en politique au milieu des années 1970, à la faveur de l’instauration du “multipartisme limité”. Très vite, ce tribun aux accents populistes s’impose comme le chef de file de l’opposition, en créant le Parti démocratique sénégalais (PDS, libéral). Il se présente une première fois à la présidentielle en 1978, pour défier Senghor, le patriarche. Mais c’est contre Diouf qu’il gagnera ses galons de présidentiable. Ses défaites aux scrutins de 1983, 1988 et 1993 n’entament en rien sa détermination. Le leader du PDS sait que le temps travaille pour lui : le parti socialiste, miné par les scissions et usé par quatre décennies d’un règne sans partage, est en bout de course. Et les Sénégalais aspirent au changement. Wade, arrivé en deuxième position, avec 31 % des voix, à l’issue du premier tour, en février 2000, réussit à fédérer tous les mécontents du régime, et remporte le second tour avec 58 % des suffrages. Tout le pays se met à fredonner l’air du sopi (le changement, en wolof, la langue nationale), son slogan de campagne.
L’âge du capitaine
Dix ans après, celui que ses compatriotes surnommaient affectueusement Gorgui (le vieux), est toujours là. En mars 2007, il a été réélu au premier tour avec 55 % des voix et a rempilé pour cinq années supplémentaires, malgré un premier mandat en demi-teinte. Et n’a manifestement aucune envie de s’effacer. “Bon pied bon œil” malgré ses 84 ans, qu’il fêtera le 26 avril, il n’exclut pas de se représenter en 2012, pour un ultime mandat. Mais l’immense espérance qu’avait fait naître son élection a aujourd’hui laissé place au dépit et au mécontentement (voir encadré). A sa décharge, Wade a hérité d’une situation guère reluisante. Et n’a pas vraiment été servi par la chance : il a dû affronter la catastrophe du Joola, le ferry assurant la liaison entre Dakar et la Casamance, dont le naufrage en septembre 2002 fit plus de victimes que le Titanic (1860 morts), puis la crise alimentaire, en 2007, qui a provoqué des émeutes de la faim et la hausse vertigineuse des prix du pétrole. Reste ce constat dérangeant, qui résonne comme un demi-aveu : la corruption n’a pas vraiment reculé.
La décennie Wade a été émaillée de scandales retentissants. La rénovation de l’avion présidentiel, la Pointe de Sangomar, a occasionné d’importantes surfacturations. De même, le grand déballage sur les chantiers de Thiès, qui a éclaboussé l’ancien Premier ministre et dauphin de Wade, Idrissa Seck, a fait apparaître des détournements de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA. Sans oublier la gestion de l’Agence nationale pour l’organisation du sommet de la Conférence islamique (Anoci), dirigée par Karim Wade, le fils du président, qui s’est révélée pour le moins opaque. Le chef de l’Etat lui-même s’est retrouvé mêlé à une embarrassante affaire de pots-de-vin : le 25 septembre dernier, il a remis une mallette contenant 100 000 euros et 50 000 dollars en liquide en guise de “cadeau d’adieu” au représentant du FMI à Dakar, Alex Segura, qui était venu prendre congé. Le fonctionnaire, estomaqué et flairant le coup tordu, a immédiatement prévenu sa direction, qui a reversé l’intégralité de la somme aux autorités sénégalaises.
L’affaire Seck
L’alternance, qui n’a pas moralisé la vie publique, s’est en revanche traduite par une profonde détérioration du climat politique. Le président et son entourage sont à couteaux tirés avec une presse indépendante qui ne se fait pas prier pour pointer les insuffisances du bilan gouvernemental ou moquer les initiatives intempestives de “Gorgui”. Le dialogue avec l’opposition, qui regroupe le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng, l’Alliance des forces de progrès, de Moustapha Niasse, et une galaxie de petites formations de gauche, est pratiquement rompu depuis cinq ans. Elle a boycotté les législatives de juin 2007 pour protester contre la “dérive autoritaire” du régime et la fraude massive qui aurait entaché la présidentielle du mois de mars précédent. La famille libérale elle-même est traversée par de profondes fractures. En réalité, elle ne s’est toujours pas remise de l’affaire Idrissa Seck, qui a défrayé la chronique politico-judiciaire entre 2004 et 2006.
Fidèle entre les fidèles, plus proche collaborateur d’Abdoulaye Wade quand celui-ci était dans l’opposition et directeur de campagne du candidat en 2000, “Idy” a longtemps joui de l’entière confiance du chef de l’Etat. Présenté comme son “fils politique” et son dauphin, il a accédé à la primature en 2003, mais l’amitié entre les deux hommes n’a pas survécu aux chocs de leurs ambitions respectives et aux interférences de leurs entourages. Découvrant que Seck avait commencé à accumuler un “trésor de guerre” en puisant allègrement dans les fonds politiques secrets, Wade le limoge et le fait jeter en prison en juillet 2005, pour malversations et atteinte à la sûreté de l’Etat. Idy réplique en diffusant des CD audio où il révèle le contenu de ses conversations privées avec le premier homme de l’Etat et les turpitudes de sa gestion. Pendant sept mois, le pays vit au rythme du grand déballage. Le feuilleton judiciaire connaît un épilogue inattendu en février 2006 : Seck est libéré. Quelques mois plus tard, il est blanchi par la justice. Mais il ne désarme pas et crée son parti, le Rewmi, avec des transfuges du PDS, la formation présidentielle. Auréolé de son statut de martyr, Idy Seck se présente à la présidentielle de 2007 : il arrive en deuxième position, avec 14% des suffrages.
L’ombre du fils
La disgrâce de Seck, qui a logiquement entraîné un vaste remaniement de la garde rapprochée du président, correspond à la montée en puissance de Karim Wade. Agé aujourd’hui de 41 ans, ce métis né de mère française a débuté une carrière de banquier d’affaires à Londres, avant de rejoindre le cabinet de son père en 2002, en qualité de conseiller personnel. Très vite, il hérite d’une responsabilité qui vaut tous les ministères : la présidence de l’Anoci, l’organisme chargé d’organiser le sommet de la Conférence des pays islamiques, prévu pour se tenir en 2007 et qui s’est finalement déroulé en mars 2008. A la tête d’un budget d’investissement de 350 milliards de francs CFA, financé à hauteur de 75 % par les pays du Golfe, connus pour ne pas être très regardants sur l’affectation réelle des dons, Karim se retrouve sous les feux des projecteurs. Les accusations de népotisme pleuvent. Le mélange des genres n’est pas du goût des Sénégalais : Senghor et Diouf avaient toujours veillé à tenir leur famille à l’écart de la politique. En octobre 2007, Macky Sall, un autre ancien Premier ministre devenu président de l’Assemblée nationale, convoque Karim pour s’expliquer face à l’hémicycle sur la gestion de l’Anoci. Cette initiative intempestive provoque la fureur du Président, qui demande au groupe parlementaire du PDS de retirer son soutien à Macky Sall. Humilié et contraint de quitter le perchoir, ce dernier bascule à son tour dans l’opposition.
Début 2009, Wade junior, dont les ambitions politiques relèvent du secret de polichinelle, descend dans l’arène et se présente aux municipales, en troisième position sur la liste de la coalition Sopi à Dakar. L’opération vire au fiasco, et la mairie de la capitale tombe dans l’escarcelle de l’opposition. Cet échec aurait dû sonner le glas de la jeune carrière politique du fils. Mais Wade s’entête. Et, à l’occasion du remaniement ministériel qui entérine le mauvais résultat des municipales (le PDS a perdu la moitié de ses électeurs par rapport aux législatives tenues deux ans auparavant), Karim Wade se retrouve à la tête d’un super-ministère d’Etat, coiffant l’aménagement du territoire, les transports aériens, la coopération internationale et les infrastructures.
Objectif 2012
Deux ans séparent le Sénégal des prochaines échéances présidentielles, mais l’élection est déjà dans toutes les têtes. Abdoulaye Wade, conscient de l’affaiblissement de son camp, miné par les divisions, a repris langue avec Idrissa Seck. Les deux hommes ont enterré la hache de guerre. Mais la place qu’occupera Idy dans la majorité présidentielle n’est pas encore déterminée. Le président a annoncé en septembre son intention de briguer un nouveau mandat, “si Dieu lui prête vie”. Personne ne connaît son véritable agenda. Souhaite-t-il réellement rempiler ? Ou simplement gagner du temps pour placer son fils sur orbite ? Ira-t-il jusqu’à changer une nouvelle fois la Constitution, pour instaurer par exemple un scrutin à un seul tour, similaire à celui en vigueur au Gabon et au Togo ? La perspective d’une succession dynastique, tellement contraire aux traditions et mœurs politiques locales, effraie bon nombre de Sénégalais, qui ont maintenant le sentiment que l’horloge démocratique s’est franchement détraquée. L’opposition, rassemblée au sein d’une coalition hétéroclite, Bennoo Siggil Senegaal, sera-t-elle cette fois-ci en mesure de faire échouer les projets de Wade ? Cela supposerait que ses leaders parviennent à s’entendre sur le principe d’une candidature unique dès le premier tour. C’est loin d’être acquis…
Croissance. Un bilan en trompe-l’œil
Les réformes engagées par les gouvernements successifs d’Abdoulaye Wade ont permis une amélioration du cadre macro-économique et une augmentation substantielle des recettes de l’Etat, grâce à un meilleur recouvrement des impôts. Les grands chantiers lancés par le président ont transformé le visage de Dakar et fluidifié quelque peu la circulation automobile de cette métropole engorgée, qui concentre le quart de la population nationale. Diplomatiquement, le chef de l’Etat sénégalais, qui vient d’obtenir la fermeture de la base militaire française du Cap Vert, peut se prévaloir d’avoir “rééquilibré” les rapports entre Dakar et Paris. Il a par ailleurs réhabilité financièrement et moralement les “tirailleurs sénégalais”, qui avaient combattu sous le drapeau français pendant les deux guerres mondiales et en Indochine. C’est également à Wade que l’on doit l’abolition de la peine de mort. Mais le pays va mal. Il vit toujours au rythme des délestages électriques et des inondations, devenues récurrentes. Le chômage n’a pas régressé et l’espérance de vie stagne aux alentours de 55 ans. Le Sénégal a ainsi perdu une dizaine de places dans le classement du développement humain établi par le PNUD, chutant peu glorieusement à la 166ème position (sur 182). Désabusés et désenchantés, les Sénégalais ont compris que le verbe ne faisait pas tout et que le politique pouvait être frappé d’impuissance face aux implacables réalités de l’économie.
SOurce : http://www.telquel-online.com/415/actu_monde1_415.shtml
successeur et héritier, Abdou Diouf, est entré dans l’histoire par la petite porte mais en est sorti par la grande : acceptant le verdict des urnes, il s’est effacé avec élégance d’une présidence qu’il avait occupée pendant 20 ans. Quelle trace laissera celui qui l’a fait tomber, Abdoulaye Wade ? Celle du président de l’alternance, qui aura réussi à consolider une démocratie apaisée et moderne en terre d’Afrique ? Ou celle d’un politicien iconoclaste et versatile, flottant dans un costume un peu trop grand pour lui, semblable à ces vieux boxeurs incapables de raccrocher les gants et qui hantent les rings à la recherche d’un ultime combat à livrer ?
Economiste de formation et avocat de profession, Abdoulaye Wade est entré en politique au milieu des années 1970, à la faveur de l’instauration du “multipartisme limité”. Très vite, ce tribun aux accents populistes s’impose comme le chef de file de l’opposition, en créant le Parti démocratique sénégalais (PDS, libéral). Il se présente une première fois à la présidentielle en 1978, pour défier Senghor, le patriarche. Mais c’est contre Diouf qu’il gagnera ses galons de présidentiable. Ses défaites aux scrutins de 1983, 1988 et 1993 n’entament en rien sa détermination. Le leader du PDS sait que le temps travaille pour lui : le parti socialiste, miné par les scissions et usé par quatre décennies d’un règne sans partage, est en bout de course. Et les Sénégalais aspirent au changement. Wade, arrivé en deuxième position, avec 31 % des voix, à l’issue du premier tour, en février 2000, réussit à fédérer tous les mécontents du régime, et remporte le second tour avec 58 % des suffrages. Tout le pays se met à fredonner l’air du sopi (le changement, en wolof, la langue nationale), son slogan de campagne.
L’âge du capitaine
Dix ans après, celui que ses compatriotes surnommaient affectueusement Gorgui (le vieux), est toujours là. En mars 2007, il a été réélu au premier tour avec 55 % des voix et a rempilé pour cinq années supplémentaires, malgré un premier mandat en demi-teinte. Et n’a manifestement aucune envie de s’effacer. “Bon pied bon œil” malgré ses 84 ans, qu’il fêtera le 26 avril, il n’exclut pas de se représenter en 2012, pour un ultime mandat. Mais l’immense espérance qu’avait fait naître son élection a aujourd’hui laissé place au dépit et au mécontentement (voir encadré). A sa décharge, Wade a hérité d’une situation guère reluisante. Et n’a pas vraiment été servi par la chance : il a dû affronter la catastrophe du Joola, le ferry assurant la liaison entre Dakar et la Casamance, dont le naufrage en septembre 2002 fit plus de victimes que le Titanic (1860 morts), puis la crise alimentaire, en 2007, qui a provoqué des émeutes de la faim et la hausse vertigineuse des prix du pétrole. Reste ce constat dérangeant, qui résonne comme un demi-aveu : la corruption n’a pas vraiment reculé.
La décennie Wade a été émaillée de scandales retentissants. La rénovation de l’avion présidentiel, la Pointe de Sangomar, a occasionné d’importantes surfacturations. De même, le grand déballage sur les chantiers de Thiès, qui a éclaboussé l’ancien Premier ministre et dauphin de Wade, Idrissa Seck, a fait apparaître des détournements de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA. Sans oublier la gestion de l’Agence nationale pour l’organisation du sommet de la Conférence islamique (Anoci), dirigée par Karim Wade, le fils du président, qui s’est révélée pour le moins opaque. Le chef de l’Etat lui-même s’est retrouvé mêlé à une embarrassante affaire de pots-de-vin : le 25 septembre dernier, il a remis une mallette contenant 100 000 euros et 50 000 dollars en liquide en guise de “cadeau d’adieu” au représentant du FMI à Dakar, Alex Segura, qui était venu prendre congé. Le fonctionnaire, estomaqué et flairant le coup tordu, a immédiatement prévenu sa direction, qui a reversé l’intégralité de la somme aux autorités sénégalaises.
L’affaire Seck
L’alternance, qui n’a pas moralisé la vie publique, s’est en revanche traduite par une profonde détérioration du climat politique. Le président et son entourage sont à couteaux tirés avec une presse indépendante qui ne se fait pas prier pour pointer les insuffisances du bilan gouvernemental ou moquer les initiatives intempestives de “Gorgui”. Le dialogue avec l’opposition, qui regroupe le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng, l’Alliance des forces de progrès, de Moustapha Niasse, et une galaxie de petites formations de gauche, est pratiquement rompu depuis cinq ans. Elle a boycotté les législatives de juin 2007 pour protester contre la “dérive autoritaire” du régime et la fraude massive qui aurait entaché la présidentielle du mois de mars précédent. La famille libérale elle-même est traversée par de profondes fractures. En réalité, elle ne s’est toujours pas remise de l’affaire Idrissa Seck, qui a défrayé la chronique politico-judiciaire entre 2004 et 2006.
Fidèle entre les fidèles, plus proche collaborateur d’Abdoulaye Wade quand celui-ci était dans l’opposition et directeur de campagne du candidat en 2000, “Idy” a longtemps joui de l’entière confiance du chef de l’Etat. Présenté comme son “fils politique” et son dauphin, il a accédé à la primature en 2003, mais l’amitié entre les deux hommes n’a pas survécu aux chocs de leurs ambitions respectives et aux interférences de leurs entourages. Découvrant que Seck avait commencé à accumuler un “trésor de guerre” en puisant allègrement dans les fonds politiques secrets, Wade le limoge et le fait jeter en prison en juillet 2005, pour malversations et atteinte à la sûreté de l’Etat. Idy réplique en diffusant des CD audio où il révèle le contenu de ses conversations privées avec le premier homme de l’Etat et les turpitudes de sa gestion. Pendant sept mois, le pays vit au rythme du grand déballage. Le feuilleton judiciaire connaît un épilogue inattendu en février 2006 : Seck est libéré. Quelques mois plus tard, il est blanchi par la justice. Mais il ne désarme pas et crée son parti, le Rewmi, avec des transfuges du PDS, la formation présidentielle. Auréolé de son statut de martyr, Idy Seck se présente à la présidentielle de 2007 : il arrive en deuxième position, avec 14% des suffrages.
L’ombre du fils
La disgrâce de Seck, qui a logiquement entraîné un vaste remaniement de la garde rapprochée du président, correspond à la montée en puissance de Karim Wade. Agé aujourd’hui de 41 ans, ce métis né de mère française a débuté une carrière de banquier d’affaires à Londres, avant de rejoindre le cabinet de son père en 2002, en qualité de conseiller personnel. Très vite, il hérite d’une responsabilité qui vaut tous les ministères : la présidence de l’Anoci, l’organisme chargé d’organiser le sommet de la Conférence des pays islamiques, prévu pour se tenir en 2007 et qui s’est finalement déroulé en mars 2008. A la tête d’un budget d’investissement de 350 milliards de francs CFA, financé à hauteur de 75 % par les pays du Golfe, connus pour ne pas être très regardants sur l’affectation réelle des dons, Karim se retrouve sous les feux des projecteurs. Les accusations de népotisme pleuvent. Le mélange des genres n’est pas du goût des Sénégalais : Senghor et Diouf avaient toujours veillé à tenir leur famille à l’écart de la politique. En octobre 2007, Macky Sall, un autre ancien Premier ministre devenu président de l’Assemblée nationale, convoque Karim pour s’expliquer face à l’hémicycle sur la gestion de l’Anoci. Cette initiative intempestive provoque la fureur du Président, qui demande au groupe parlementaire du PDS de retirer son soutien à Macky Sall. Humilié et contraint de quitter le perchoir, ce dernier bascule à son tour dans l’opposition.
Début 2009, Wade junior, dont les ambitions politiques relèvent du secret de polichinelle, descend dans l’arène et se présente aux municipales, en troisième position sur la liste de la coalition Sopi à Dakar. L’opération vire au fiasco, et la mairie de la capitale tombe dans l’escarcelle de l’opposition. Cet échec aurait dû sonner le glas de la jeune carrière politique du fils. Mais Wade s’entête. Et, à l’occasion du remaniement ministériel qui entérine le mauvais résultat des municipales (le PDS a perdu la moitié de ses électeurs par rapport aux législatives tenues deux ans auparavant), Karim Wade se retrouve à la tête d’un super-ministère d’Etat, coiffant l’aménagement du territoire, les transports aériens, la coopération internationale et les infrastructures.
Objectif 2012
Deux ans séparent le Sénégal des prochaines échéances présidentielles, mais l’élection est déjà dans toutes les têtes. Abdoulaye Wade, conscient de l’affaiblissement de son camp, miné par les divisions, a repris langue avec Idrissa Seck. Les deux hommes ont enterré la hache de guerre. Mais la place qu’occupera Idy dans la majorité présidentielle n’est pas encore déterminée. Le président a annoncé en septembre son intention de briguer un nouveau mandat, “si Dieu lui prête vie”. Personne ne connaît son véritable agenda. Souhaite-t-il réellement rempiler ? Ou simplement gagner du temps pour placer son fils sur orbite ? Ira-t-il jusqu’à changer une nouvelle fois la Constitution, pour instaurer par exemple un scrutin à un seul tour, similaire à celui en vigueur au Gabon et au Togo ? La perspective d’une succession dynastique, tellement contraire aux traditions et mœurs politiques locales, effraie bon nombre de Sénégalais, qui ont maintenant le sentiment que l’horloge démocratique s’est franchement détraquée. L’opposition, rassemblée au sein d’une coalition hétéroclite, Bennoo Siggil Senegaal, sera-t-elle cette fois-ci en mesure de faire échouer les projets de Wade ? Cela supposerait que ses leaders parviennent à s’entendre sur le principe d’une candidature unique dès le premier tour. C’est loin d’être acquis…
Croissance. Un bilan en trompe-l’œil
Les réformes engagées par les gouvernements successifs d’Abdoulaye Wade ont permis une amélioration du cadre macro-économique et une augmentation substantielle des recettes de l’Etat, grâce à un meilleur recouvrement des impôts. Les grands chantiers lancés par le président ont transformé le visage de Dakar et fluidifié quelque peu la circulation automobile de cette métropole engorgée, qui concentre le quart de la population nationale. Diplomatiquement, le chef de l’Etat sénégalais, qui vient d’obtenir la fermeture de la base militaire française du Cap Vert, peut se prévaloir d’avoir “rééquilibré” les rapports entre Dakar et Paris. Il a par ailleurs réhabilité financièrement et moralement les “tirailleurs sénégalais”, qui avaient combattu sous le drapeau français pendant les deux guerres mondiales et en Indochine. C’est également à Wade que l’on doit l’abolition de la peine de mort. Mais le pays va mal. Il vit toujours au rythme des délestages électriques et des inondations, devenues récurrentes. Le chômage n’a pas régressé et l’espérance de vie stagne aux alentours de 55 ans. Le Sénégal a ainsi perdu une dizaine de places dans le classement du développement humain établi par le PNUD, chutant peu glorieusement à la 166ème position (sur 182). Désabusés et désenchantés, les Sénégalais ont compris que le verbe ne faisait pas tout et que le politique pouvait être frappé d’impuissance face aux implacables réalités de l’économie.
SOurce : http://www.telquel-online.com/415/actu_monde1_415.shtml