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Sénégal: «La terre est notre seul espoir»

Le vent soulève tellement de poussière que la respiration en devient difficile. Dans la région du lac Tanma, un bassin saisonnier qui se forme durant la saison des pluies (juillet-octobre), les effets de la déforestation, conjuguée aux changements climatiques se font sentir. L’herbe y est rare. Ici et là, des baobabs offrent un peu d’ombre. En quarante ans, les pluies ont régressé de 25%. De quelque 580 mm dans les années septante, la moyenne annuelle est tombée à 430 mm (en Suisse, les précipitations sont trois fois plus abondantes).


Rédigé par leral.net le Vendredi 4 Mars 2011 à 13:20 | | 1 commentaire(s)|

Sénégal: «La terre est notre seul espoir»
Un groupe de femmes, la tête protégée par un foulard, récolte des haricots. «Ces terres, près de 30 hectares, appartiennent à un marabout [personnage qui s’attribue de nombreux pouvoirs, ndlr]. Pour leur tâche, ces ouvrières sont payées environ 1000 CFA (deux francs suisses), une somme qui suffit à peine à acheter deux ou trois kilos de céréales», explique Ibrahima Cissé, de la Fédération Woobin, une association de petits paysans actifs à Keur Moussa, communauté rurale de quelque 50'000 habitants répartis en 36 villages, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Dakar.

Confiscation des terres

La région du lac Tanma est connue pour son horticulture. La terre y est fertile, mais paradoxalement, c’est précisément cette caractéristique qui pose problème. Depuis le début des années septante, les petits paysans sont victimes de la confiscation des terres. Or, ce ne sont pas tant les multinationales ou d’autres Etats qui font main basse sur ces surfaces agricoles (pas encore ?), mais plutôt les marabouts et de riches citadins sénégalais.

«Le premier grand propriétaire s’est installé ici en 1972. Depuis, d’autres ont suivi et nous continuons à perdre des terres», souligne Ibrahima Cissé, en désignant une carte sur laquelle sont indiquées les propriétés de la région. Certaines s’étendent sur plusieurs centaines d’hectares, alors que les petits paysans sont relégués en bordure de zone, sur des surfaces réduites.

Le droit foncier sénégalais est très différent de ceux en vigueur en Europe, qui s’articulent principalement sur la propriété individuelle. Au Sénégal, la terre du domaine national (qui représente la très grande majorité) appartient à ceux qui la valorisent. La compétence de l’attribution des terres revient au président du conseil rural, élu pour une durée de cinq ans. Ce système a permis de respecter les traditions locales, mais il a également ouvert la porte à de nombreux abus. On imagine facilement la faiblesse «contractuelle» d’un petit paysan face aux riches et aux puissants.

Les travaux de nivellement entrepris par les grands propriétaires ont modifié la topographie et l’hydrographie des lieux, en accentuant l’érosion et en provoquant de fréquentes inondations sur les surfaces des petits producteurs, situées plus en aval. De plus, les forages effectués par ces grands propriétaires terriens pour faciliter l’irrigation de leurs domaines, ont provoqué la baisse du niveau de la nappe phréatique.

Aujourd’hui, pour accéder à l’eau, il faut creuser au moins jusqu’à 15-20 mètres de profondeur. Les plus chanceux peuvent se payer une pompe, dont le coût peut atteindre 1000 euros. La majorité cependant, n’a pas les moyens. Du coup, pour irriguer les cultures, il faut s’armer d’un sceau, faire preuve de patience et surtout, être très résistant. Sans compter que de nombreux puits s’écroulent précisément parce qu’ils sont creusés à de grandes profondeurs.



L’école aux champs
Soutenus par Enda Pronat (Environnement et développement du Tiers Monde – Protection naturelle des cultures), pour mieux défendre leurs intérêts, certains petits agriculteurs ont fondé la Fédération Woobin. Depuis 2007, ils peuvent compter sur le soutien de l’Entraide protestante suisse (EPER), qui leur a consacré 100'000 francs pour la période 2007-2010.

«L’objectif est de renforcer l’association du point de vue organisationnel et institutionnel, afin qu’elle puisse se faire entendre, explique Heidi Keita, coordinatrice des programmes de l’EPER au Sénégal. On vise aussi à promouvoir les techniques qui permettent le développement d’une agriculture durable».

A Landou, village situé à quelques kilomètres du lac Tanma, dans une zone beaucoup moins fertile, la Fédération Woobin, a notamment, mis sur pied des champs «école», en quelque sorte, où sont présentées des techniques permettant d’emmagasiner de l’eau durant la saison des pluies, ou d’ériger de petites clôtures pour freiner l’érosion de la terre.

«Il y a quelques année, rien ne poussait ici, mais l’an dernier, nous sommes même parvenus à cultiver de l’arachide», témoigne un paysan avec fierté.

Classe paysanne anéantie

Pour les petits agriculteurs, l’arrivée des grands propriétaires signifie aussi des problèmes de commercialisation de leurs produits.

«Avant, nous pouvions proposer le fruit de notre labeur aux exportateurs et nous pouvions gagner notre vie correctement. Aujourd’hui, seuls les grands producteurs exportent. Et même sur le marché interne, ils nous font sévèrement concurrence, puisqu’ils écoulent ici leurs produits de second choix», relève encore Ibrahima Cissé.

Et la libéralisation des échanges n’a fait qu’aggraver la situation: «Il y a quelques années, nous parvenions à vendre notre variété locale de tomates à 800 CFA (1,60 franc). Aujourd’hui, avec l’invasion des tomates du Maroc, on arrive à peine à obtenir 300 CFA».

Pourtant, la FAO est favorable à l’expansion des grandes propriétés. L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture considère cette évolution, à condition d’être bien gérée, comme une opportunité de développement de l’agriculture et une garantie pour la sécurité alimentaire.

«Franchement, je ne comprend pas. L’Arabie Saoudite souhaite acquérir des dizaines de milliers d’hectares de terrain au Sénégal pour y cultiver du riz. Le cas échéant, le 70% de la production finirait en Arabie Saoudite et le 30% resterait ici. A ces conditions, comment peut-on encore parler de garantie de la sécurité alimentaire ?, interroge Mariam Sow, responsable de Enda Pronat. Le problème est que nos autorités ne croient pas en nos agriculteurs. Il n’y a pas de politique pour les soutenir, et nombre d’entre eux sont contraints d’abandonner les campagnes pour aller faire les marchands ambulants dans les villes. On est en train de détruire la classe paysanne».

En conclusion, Ibrahima Cissé est convaincue que, «s’il est soutenu comme il se doit, un petit paysan est aussi en mesure de produire les ressources nécessaires pour nourrir les habitants des villes. Notre seul espoir est la terre».

Daniele Mariani, Keur Moussa, Sénégal, swissinfo.ch
Traduction de l’italien: Nicole della Pietra

(Plus d'informations demain sur leral .net)


1.Posté par khetalli goor le 04/03/2011 14:35 | Alerter
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