Le cinéma El Mansour, un bâtiment imposant dans le quartier de Grand Dakar. A l’entrée, des vendeurs exposent toutes sortes d’outils et de pièces détachées. Autour du bâtiment, des mécaniciens réparent de vieilles voitures. On a bien dû mal à imaginer que le site était un lieu de rendez-vous pour les cinéphiles dakarois il y a à peine une trentaine d’années.
Que des gamins se faufilaient entre les boubous des adultes pour voir des westerns et des films indiens. Et que discrètement, des couples s’y rendaient pour se divertir en amoureux un samedi soir.
Des salles comme celles-là, la capitale sénégalaise en comptait une bonne quinzaine. A Saint-Louis, dans le nord du pays, trois salles de cinéma attiraient une foule d’amateurs. Mais quasiment toutes ont fermé.
Une industrie en crise
Il faut remonter aux années 1990 pour comprendre cette situation. Après la dévaluation du franc CFA, la Banque Mondiale impose au Sénégal des plans d’ajustements structurels. Ces vastes programmes prévoient un désengagement de l’Etat dans certains domaines, dont la culture. «Tout est parti de la privatisation des salles vers les années 1990», se souvient Khalilou Ndiaye, un distributeur de film et exploitant de salle de cinéma.
«Avec les plans d’ajustements structurels, les salles ont été vendues à des privés sans mesures d’accompagnement. Une société de distribution a été montée à la va-vite avant de faire faillite. Depuis, les circuits [de distribution de films] ne sont plus approvisionnés», résume-t-il d’un ton las.
«Pendant une bonne dizaine d’années, l’Etat avait ses priorités et ne s’est pas occupé du cinéma; dans le même temps, il n’y avait plus de fonds d’aide pour le secteur», analyse Baba Diop, journaliste et président de la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC).
Les DVD pirates à la rescousse
L’absence de financement, la fermeture des salles, l’avènement de la télévision et d'Internet ont freiné le développement de l’industrie du cinéma sénégalais. En se promenant dans les rues de Dakar, on croise régulièrement des vendeurs ambulants proposant toute une gamme de films piratés et gravés sur des DVD.
En face du marché Tilène, au cœur du quartier populaire de la Médina, Boubacar Ba vend sur un même étal des films retraçant l’histoire du guide religieux Serigne Fallou, des DVD de la série ivoirienne Ma Famille, des films d’action américains et des dessins animés pour les plus petits. Il y en a pour tous les goûts —et toutes les bourses.
Selon sa force de négociation, un client peut acquérir un DVD (contenant une quarantaine de films) pour 800 à 1000 francs CFA (entre 1,20 et 1,5 euros). Moussa Guèye, un cadre de la fonction publique, les collectionne dans son salon où il a installé de confortables canapés en cuir et un téléviseur écran plat. «Les DVD c’est moins cher, et comme il n’y a pas de salles de cinéma à Dakar, ça nous distrait», explique-t-il.
Outre les lieux, c’est tout un engouement autour du cinéma qui a disparu. La pratique des ciné-clubs dans les écoles n’existe plus. A l’époque, se souvient Baba Diop, «nous nous retrouvions le samedi entre plusieurs lycées, nous sélectionnions des films et les projetions dans des centres culturels».
Des projections système D
Pour autant, des initiatives ponctuelles existent pour faire revivre le cinéma. Par exemple, en mai 2008, une vingtaine de jeunes réalisateurs décident de former un collectif, Les 24h de Cinéma, pour montrer leurs films au public. Frustrée de produire des films qui circulent uniquement dans de grands festivals mais que les Sénégalais ne verront jamais, cette bande d’amis se réunit tous les quinze jours dans les jardins du centre culturel Blaise Senghor.
Un projecteur dirigé vers un mur blanc du centre, quelques rangées de chaises en plastique… et voilà une salle de cinéma en plein air et à moindre coût. «Pour le contenu, nous puisons dans la cinématographie africaine et surtout sénégalaise», affirme Hubert Laba Ndao, un membre du collectif.
En trois ans, les membres des 24h de Cinéma ont projeté entre autres les grands classiques de Sembène Ousmane, des documentaires de Samba Félix Ndiaye et des films de fiction de Djibril Diop Mambéty. Et le collectif fait la part belle aux productions de ses propres membres.
«C’est un moyen de faire découvrir les réalisateurs, explique Hubert Laba Ndao, car à la fin des projections, nous instaurons des échanges et des débats avec le public souvent profane». Les informations sont divulguées par mail, puis le bouche-à-oreille prend le relais.
Une génération pourtant cinéphile
Pour Baba Diop, «le nouveau souffle du cinéma sénégalais doit justement venir de cette jeune génération, qui accède au cinéma grâce à la vidéo». Cette année, cinq Sénégalais entreront en compétition au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), l’un des grands rendez-vous du 7e art sur le continent. Avec deux fortes tendances: le documentaire et le court-métrage.
«Face à une difficulté de financement des fictions, les réalisateurs trouvent beaucoup plus commode de s’inscrire dans le cinéma du réel, du documentaire de création», observe le journaliste. Ce nouvel élan devrait bénéficier du fonds de promotion à l’industrie cinématographique, doté de 3 milliards de Francs cfa (plus de 6 millions d’euros) mis en place l’an dernier pour relancer l’industrie.
Réalisateur sierra-léonais basé à Dakar, Adams Sie estime que c’est tout l’environnement qu’il faut améliorer pour réconcilier les Sénégalais avec les salles de cinéma.
«Lorsque des films en 3D sont projetés au théâtre Daniel Sorano, le public vient en masse, constate le jeune réalisateur. L’atmosphère et l’ambiance de convivialité attirent les gens. Pour reconstruire des salles de cinéma, il nous faut prendre exemple sur cela, y ajouter les dernières technologies d’image et de son.»
Un tel complexe est actuellement en chantier dans un centre commercial sur la corniche de Dakar. Mais comme le souligne le réalisateur guinéen Cheikh Fantamady Camara, auteur d’Il va pleuvoir sur Conakry, «les salles de cinéma doivent être proche des spectateurs dans les quartiers populaires, et non dans des lieux chics et éloignés».
Thiedo
Source : slate.fr
Que des gamins se faufilaient entre les boubous des adultes pour voir des westerns et des films indiens. Et que discrètement, des couples s’y rendaient pour se divertir en amoureux un samedi soir.
Des salles comme celles-là, la capitale sénégalaise en comptait une bonne quinzaine. A Saint-Louis, dans le nord du pays, trois salles de cinéma attiraient une foule d’amateurs. Mais quasiment toutes ont fermé.
Une industrie en crise
Il faut remonter aux années 1990 pour comprendre cette situation. Après la dévaluation du franc CFA, la Banque Mondiale impose au Sénégal des plans d’ajustements structurels. Ces vastes programmes prévoient un désengagement de l’Etat dans certains domaines, dont la culture. «Tout est parti de la privatisation des salles vers les années 1990», se souvient Khalilou Ndiaye, un distributeur de film et exploitant de salle de cinéma.
«Avec les plans d’ajustements structurels, les salles ont été vendues à des privés sans mesures d’accompagnement. Une société de distribution a été montée à la va-vite avant de faire faillite. Depuis, les circuits [de distribution de films] ne sont plus approvisionnés», résume-t-il d’un ton las.
«Pendant une bonne dizaine d’années, l’Etat avait ses priorités et ne s’est pas occupé du cinéma; dans le même temps, il n’y avait plus de fonds d’aide pour le secteur», analyse Baba Diop, journaliste et président de la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC).
Les DVD pirates à la rescousse
L’absence de financement, la fermeture des salles, l’avènement de la télévision et d'Internet ont freiné le développement de l’industrie du cinéma sénégalais. En se promenant dans les rues de Dakar, on croise régulièrement des vendeurs ambulants proposant toute une gamme de films piratés et gravés sur des DVD.
En face du marché Tilène, au cœur du quartier populaire de la Médina, Boubacar Ba vend sur un même étal des films retraçant l’histoire du guide religieux Serigne Fallou, des DVD de la série ivoirienne Ma Famille, des films d’action américains et des dessins animés pour les plus petits. Il y en a pour tous les goûts —et toutes les bourses.
Selon sa force de négociation, un client peut acquérir un DVD (contenant une quarantaine de films) pour 800 à 1000 francs CFA (entre 1,20 et 1,5 euros). Moussa Guèye, un cadre de la fonction publique, les collectionne dans son salon où il a installé de confortables canapés en cuir et un téléviseur écran plat. «Les DVD c’est moins cher, et comme il n’y a pas de salles de cinéma à Dakar, ça nous distrait», explique-t-il.
Outre les lieux, c’est tout un engouement autour du cinéma qui a disparu. La pratique des ciné-clubs dans les écoles n’existe plus. A l’époque, se souvient Baba Diop, «nous nous retrouvions le samedi entre plusieurs lycées, nous sélectionnions des films et les projetions dans des centres culturels».
Des projections système D
Pour autant, des initiatives ponctuelles existent pour faire revivre le cinéma. Par exemple, en mai 2008, une vingtaine de jeunes réalisateurs décident de former un collectif, Les 24h de Cinéma, pour montrer leurs films au public. Frustrée de produire des films qui circulent uniquement dans de grands festivals mais que les Sénégalais ne verront jamais, cette bande d’amis se réunit tous les quinze jours dans les jardins du centre culturel Blaise Senghor.
Un projecteur dirigé vers un mur blanc du centre, quelques rangées de chaises en plastique… et voilà une salle de cinéma en plein air et à moindre coût. «Pour le contenu, nous puisons dans la cinématographie africaine et surtout sénégalaise», affirme Hubert Laba Ndao, un membre du collectif.
En trois ans, les membres des 24h de Cinéma ont projeté entre autres les grands classiques de Sembène Ousmane, des documentaires de Samba Félix Ndiaye et des films de fiction de Djibril Diop Mambéty. Et le collectif fait la part belle aux productions de ses propres membres.
«C’est un moyen de faire découvrir les réalisateurs, explique Hubert Laba Ndao, car à la fin des projections, nous instaurons des échanges et des débats avec le public souvent profane». Les informations sont divulguées par mail, puis le bouche-à-oreille prend le relais.
Une génération pourtant cinéphile
Pour Baba Diop, «le nouveau souffle du cinéma sénégalais doit justement venir de cette jeune génération, qui accède au cinéma grâce à la vidéo». Cette année, cinq Sénégalais entreront en compétition au Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), l’un des grands rendez-vous du 7e art sur le continent. Avec deux fortes tendances: le documentaire et le court-métrage.
«Face à une difficulté de financement des fictions, les réalisateurs trouvent beaucoup plus commode de s’inscrire dans le cinéma du réel, du documentaire de création», observe le journaliste. Ce nouvel élan devrait bénéficier du fonds de promotion à l’industrie cinématographique, doté de 3 milliards de Francs cfa (plus de 6 millions d’euros) mis en place l’an dernier pour relancer l’industrie.
Réalisateur sierra-léonais basé à Dakar, Adams Sie estime que c’est tout l’environnement qu’il faut améliorer pour réconcilier les Sénégalais avec les salles de cinéma.
«Lorsque des films en 3D sont projetés au théâtre Daniel Sorano, le public vient en masse, constate le jeune réalisateur. L’atmosphère et l’ambiance de convivialité attirent les gens. Pour reconstruire des salles de cinéma, il nous faut prendre exemple sur cela, y ajouter les dernières technologies d’image et de son.»
Un tel complexe est actuellement en chantier dans un centre commercial sur la corniche de Dakar. Mais comme le souligne le réalisateur guinéen Cheikh Fantamady Camara, auteur d’Il va pleuvoir sur Conakry, «les salles de cinéma doivent être proche des spectateurs dans les quartiers populaires, et non dans des lieux chics et éloignés».
Thiedo
Source : slate.fr