Car, bien avant l’ouverture officielle de cette usine par le chef de l’Etat, prévue le 15 mars puis reportée, « l’or de Sabodala » a fait un mort et plusieurs blessés graves. Un drame survenu le 23 décembre 2008, quand les populations de Kédougou, zone où se situent les mines, ont violemment manifesté (et subi une forte intervention des forces de sécurité) pour faire bénéficier leur communauté, de manière juste, des retombées de cette exploitation aurifère.
L’or de la région orientale du Sénégal, à la frontière avec le Mali et la Guinée, a commencé à passionner au début des années 2000. Ce qui était un mirage évoqué ici ou là, depuis les années 1980, se fit plus concret. A la faveur de la montée en flèche du cours mondial de l’or, on assista à une véritable ruée des compagnies vers Kédougou, une région de l’extrême sud-est du Sénégal dont le sous sol regorge de potentialités minières importantes.
Devant les mirages de l’or, les populations de la contrée ont vite fait de reléguer au second plan les activités agricoles. D’aucuns ont même poussé le bouchon loin, en abandonnant leurs surfaces cultivables. Tous étaient convaincus que l’arrivée des sociétés minières était synonyme de la fin de toute misère, dans une région enclavée qui reste la plus pauvre du Sénégal. Sara Cissokho, chef du village de Sabodala, se rappelle : « Nous pensions que les billets de banques allaient tomber à flots, que des infrastructures sociales de base allaient sortir de terre, que nous allions définitivement tourner le dos à la pauvreté ». Cette conviction, il la partageait avec la quasi-totalité des habitants de la communauté rurale de Khossanto, zone où se déroulent les opérations minières, voire ceux de Kédougou.
La conviction devient plus forte chez les populations quand l’Etat du Sénégal signe, en mars 2005, deux conventions. Une convention de recherche et d’exploitation pour MDL et une convention d’exploration pour la compagnie canadienne OROMIN. « Pour nous, les problèmes d’emploi allaient devenir des souvenirs », confie le président du comité inter villageois de surveillance des impacts des opérations minières, Moussa Cissokho. Ce comité est une structure de concertation et de dialogue mise en place par l’ONG La Lumière, une organisation de la société civile qui veille et s’active sur les questions minières, avec des partenaires comme Oxfam America et l’Union Européenne. Avec un soucis pour le respect des droits économiques et sociaux des communautés minières et la préservation de l’environnement.
Il n’a pas fallu longtemps pour que les jeunes de Kédougou se rendent compte que leurs espoirs d’insertion professionnelle et d’avenir doré étaient une quasi illusion. Leurs frustrations, plusieurs fois exprimées, finissent par éclater le 23 décembre 2008. Une marche de protestation déborde et se transforme en pillage en règle. Les symboles de l’Etat sont pillés, incendiés. Aussi bien la gouvernance, la préfecture, le tribunal départemental, le service départemental du développement rural, l’inspection de l’éducation, le service de la douane que la brigade de gendarmerie, rien n’a été épargné. C’est durant ces événements qu’un jeune homme est tué par balle. Une mort que les populations mettent sur le dos des forces de sécurité qui sont intervenues. La thèse est rejetée par les autorités. Les enquêtes seront menées de façon brutale. Pendant des jours, Kédougou ressemble à une zone de non droit. Les populations dénoncent des descentes policières brutales, on évoque des cas de torture, etc. Une trentaine de manifestants finiront ainsi devant le tribunal. Les débats seront l’occasion d’étaler les raisons de leur colère.
Alors que les emplois attendus se faisaient désirer, les jeunes ont vu une vague de main d’œuvre affluer des autres régions pour s’imposer dans les zones minières. Or, il y a quelques années, lors d’un forum sur l’emploi qu’il avait présidé, le président de la République leur avait fait miroiter des perspectives d’occupation professionnelle qu’il voyait justement leur échapper. Les jeunes trouvaient aussi à redire dans la mise en œuvre du programme social minier. Doté de 3,5 milliards de francs CFA négociés par l’Etat, il devait servir à des investissements sociaux au profit des communautés dont les terres sont touchées par les exploitations minières. A cet effet, des besoins prioritaires avaient été identifiés et couchés dans un document validé par les élus locaux, les organisations de la société civile, les communautés minières et les services administratifs. Les applications escomptées ne suivront pas.
Parmi les avocats qui viendront pour la défense de la trentaine de jeunes mis aux arrêts, figurait Me Sidiki Kaba, président de l’Organisation internationale des Droits de l’homme. Au bout du compte, les peines allaient s’échelonner de 5 à 10 ans d’emprisonnement fermes. L’appel et les demandes de mise en liberté provisoire restent sans effet. C’est finalement une grâce présidentielle sort les jeunes de prison, peu avant les élections locales du 22 mars dernier. L’affaire avait alors pris une tournure politique. Aussi bien les partis d’opposition que la société civile s’étaient élevés contre les décisions judicaires, mais aussi sur la politique minière et la gestion du fonds minier. Jusqu’alors tenu dans des cercles confidentiels, le débat sur les questions minières occupait les devants de la scène, avec une obligation pour les autorités de s’expliquer.
Dans les sphères de l’Etat, on défend que le miracle de l’or aura bel et bien lieu. Dans le résumé non technique de l’étude d’impact environnemental et social du projet d’exploitation, on note que « l’augmentation du PIB, la réduction du déficit de la balance commerciale ainsi que la hausse des exportations », demeurent une certitude avec l’exploitation de l’or du Sénégal. A cet effet, la loi minière sénégalaise stipule une prise de participation de 10% d’actions gratuites, pour l’Etat, au capital de chaque société attributaire d’un titre minier. Et cette participation, pour l’Etat ou pour les privés nationaux, pourrait aller jusqu’à 30%, cette fois de façon onéreuse. Avec, cependant, ce bémol de la part du Directeur des Mines et de la Géologie, Dr Sylla : « Le problème, ici, est de savoir si les nationaux pourront suivre ce niveau d’investissement ». Le montant de la rente minière s’élève à 3% de la valeur carreau mine, et dans le cadre du projet d’exploitation en cours, les autorités parlent de 6,5 dollars de plus par once additionnelle.
Du Directeur des Mines et de la Géologie, on apprend que « les autorités ont opéré des prospections pour appréhender à l’avance le niveau des retombées ». Etant entendu que le Sénégal n’avait jusqu’ici pas encore pratiqué l’exploitation au niveau industriel, c’est à partir des similitudes entre les codes miniers malien et sénégalais qu’il avance « de fortes chances que nous soyons dans les mêmes fourchettes de 45-55, voire 40-60%, avec la majorité des parts pour le pays ». Des ratios qui seront pratiqués après le remboursement, par les compagnies, de leurs dettes. Et Dr Sylla de préciser : « Nous avons négocié les taux de redevance et les niveaux d’imposition en connaissance de cause ». Autrement dit pour une exploitation bénéfique, malgré les nombreuses années d’exonération fiscale.
A cet effet, la redevance est fixée sur la base de 650 dollars l’once, dont le prix oscille aujourd’hui autour de 800 dollars sur le marché. A la question de savoir ce qu’il adviendra si le contexte international devenait plus favorable, le Directeur des Mines rétorque : « Nous pouvons être amenés à reconsidérer certaines choses. Nous pourrons taxer les super profits comme cela se fait ailleurs ».
Comme gage de transparence, les autorités avancent que toutes les recettes tirées de l’exploitation de ce projet et des projets à venir seront recouvrées par des agents assermentés et reversées au Trésor public. Et une partie de ces revenus servira à alimenter, selon des critères et modalités qui seront fixés par décret, un fonds de péréquation et d’appui aux collectivités locales pour des investissements, en ayant en vue celles abritant les opérations minières. Toutes ces informations pourraient avoir un caractère public dans la mesure où c’est l’Assemblée nationale qui vote le budget.
De l’avis de certains spécialistes, le pouvoir de génération d’effets induits est considérable pour l’industrie minière. « Il y aura pas mal d’emplois indirects à travers les nombreuses prestations de service », laisse entendre le Directeur des Mines et de la Géologie, qui évoque l’exemple de la fourniture en carburant et huile pour la centrale de 32 mégawatts mis en service pour le projet de SGO, ainsi que la fourniture en denrées alimentaires du millier de personnes devant habiter la cité minière. Par ailleurs, les emplois indirects, au-delà des 650 emplois directs notés dans le cadre de ce projet, pourraient dépasser le nombre de 2000 si l’on tient compte du fait que chaque emploi direct pourrait générer 4 emplois indirects. Ces emplois seront portés par des sous traitants. Ainsi, bon nombre de petites et moyennes entreprises officieront dans la zone, surtout quand des compagnies comme OROMIN, RAND GOLD et SORED MINES décideront elles aussi de passer à la phase d’exploitation.
Pour accompagner les besoins en main d’œuvre de ces nouvelles exploitations minières, les autorités ont annoncé la création d’une filière « Mines » au Lycée technique, industriel et minier de Kédougou, ainsi que d’un Collège des mines et de la métallurgie. En attendant, un rapport de l’Inspection Régionale du Travail et de la Sécurité sociale de Tambacounda, en date du 23 février 2009, relève que « pour les emplois non qualifiés (dans les mines), la quasi-totalité des effectifs est constituée par des autochtones », ce qui est en porte à faux avec l’idée répandue, qui a suscité des vagues de mécontentement ayant fini en émeutes en décembre dernier. Le rapport indique qu’au titre de l’année 2008, « pour la seule compagnie MDL, 1606 contrats (de travail) sont déposés et enregistrés » dans leurs registres.
Devant la révolte des jeunes et son impact au plan national, les autorités ont été cependant forcés à communiquer sur des dossiers jusqu’alors gérés en secret. Et même certaines compagnies minières ont dû s’expliquer sur leurs interventions en faveur des collectivités. Mais les « avantages » évoqués cachent mal les effets d’une exploitation minière dont on ne connaît pas encore tous les tenants et aboutissants.
Des producteurs et groupements de producteurs confient avoir perdu leurs champs face à l’arrivée des exploitants miniers. Certains soutiennent avoir bénéficié de compensations dérisoires, entre 15 000 et 45 000 F CFA. D’autres, à l’image de Tamba Soumaré, du village de Sabodala, disent n’avoir rien reçu. Le Directeur des mines parle d’une nécessaire réorganisation spatiale, liée à l’arrivée massive des populations et services. Mais les déguerpissements risquent d’entraîner des heurts. Pour des raisons culturelles, voire cultuelles et historiques, certains rechignent à quitter les terres qui les ont vu naître et où ils espèrent mourir.
Déjà, dans ces villages, les normes sociales établies commencent à se désagréger. Des vagues de migrants arrivent de tous les horizons, avec en bandoulière des comportements nouveaux peu propices à l’établissement d’une paix sociale durable avec les populations autochtones. L’alcool local coule à flots dans certains coins de Sabodala. A Tenkoto, un autre village proche, naissent de petits bistrots fréquentés les soirs par les travailleurs et autres orpailleurs traditionnels. Pour un rien, dans ces contrées naguère paisibles, on brandit une arme blanche et on menace de mort. La drogue dure et les armes à feu circulent, regrette Bambo Cissokho, le chef du village. La prostitution massive est aussi devenue réalité. Une flambée d’infections sexuellement transmissibles est notée à Tenkoto, capitale de l’orpaillage traditionnel. Alors que le taux de prévalence du VIH au niveau national est de 0,7 %, le médecin chef de la région annonce un taux local de l’ordre de 7%.
Les mêmes impacts néfastes sont notés sur l’environnement. Des arbres de grande valeur sont abattus pour les besoins de la construction de digues de retenues d’eau, d’installation des infrastructures minières et de construction de la cité minière ou encore de pistes d’accès. A l’époque, le chef du secteur des Eaux, Forets et Chasse avait sévi pour exiger le paiement, par MDL, d’une taxe de quelques 36 millions de francs CFA. Mais c’est fort peu face aux désastres qui se profilent pour la faune et la flore.
La carrière de granit du village de Makhana sera ainsi exploitée à l’explosif, fissurant des cases et décimant une partie du bétail des populations. Les opérations de sondage se poursuivent avec des trous de 300 à 400 mètres de profondeur. Pour produire 3 grammes d’or, il faudra broyer une tonne de roche et 6 tonnes d’or métal seront exploitées par an. Le cyanure, un produit ultra toxique, sera utilisé pour permettre à la roche de libérer le métal. A cela s’ajoute une incroyable pollution sonore.
Ces perspectives sont d’autant plus inquiétantes que jusqu’ici le fonds de réhabilitation des sites miniers n’est pas encore disponible. Secrétaire exécutif de l’ONG La Lumière, Ibrahima Sory Diallo s’en inquiète : « Ces compagnies sont loin d’être des philanthropes. Si par extraordinaire le cours de l’or chutait, elles vont partir et nous laisser entre les mains des sites dégradés qui ne serviront à rien et qui exposeront les populations. L’idéal c’est que les fonds soient disponibles, et que l’on réhabilite au fur et à mesure que les exploitations se font ».
Sur toutes ces questions, les autorités sont interpellées. Des réponses étaient espérées avec l’inauguration, par le chef de l’Etat, de l’usine de Sabodala Gold Operations, avec la présentation du fameux premier lingot d’or. L’agenda politique électoral a faussé le rendez-vous.
* Boubacar Tamba est le correspondant de Sud Fm, une radio du Sénégal, dans les régions est et sud-est du Sénégal
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