Arabie Saoudite : 28,8 millions de musulmans, une seule Korité
Indonésie : 245 millions de musulmans, une seule Korité
Egypte : 80 millions de musulmans, une seule Korité
Algérie : 35 millions de musulmans, une seule Korité
Nigeria : 75 millions de musulmans, une seule Korité.
Malaisie : 28 millions de musulmans, une seule Korité
Turquie : 70 millions de musulmans, une seule Korité.
Sénégal : 11 millions de musulmans, 3 Korités. »
Quel pays « islamique » !
Peut être que nous sommes des extraterrestres ou que nous savons quelque chose que les autres ne savent pas !? (Voir l’article ici)
* * *
Bien que trouvant généralement ce genre de polémiques nationales assez oiseuses et même infiniment stériles (au vu surtout des autres priorités du pays), et malgré que nous nous soyons déjà largement et depuis longtemps prononcés sur les soubassements socioreligieux de cette question (voir ici), il ne nous semble toutefois pas totalement dénué d’intérêt de nous pencher un instant sur la nature de l’argumentaire usité dans ce texte. Argumentaire dont le caractère lapidaire et presque « technique » (apparemment destiné à hypnotiser les paresseux intellectuels) mérite, à notre avis, une réponse sous la forme d’une sommaire évaluation de l’unité et de la suprématie religieuse présumées des pays du listing proposé. Avec d’autres chiffres significatifs à l’appui que les auteurs du texte auraient normalement du citer…
Arabie Saoudite : 28,8 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Arabie Saoudite en est-elle pour autant plus unie et plus stable que notre pays ? Oh que non !
Faut-il rappeler les menaces terroristes et de constante déstabilisation interne auxquelles la monarchie saoudienne n’est jusqu’ici parvenue à se protéger qu’avec l’appui d’une armée dite pourtant de « mécréants » ? Une armée qu’elle n’a pas hésité à autoriser à pénétrer dans le périmètre sacré (hurûm) de la Mecque et à établir des bases durables sur son territoire… Il serait peut être utile de rappeler à nos « saoudistes » locaux (dont les connaissances en histoire de leur « patrie-mère » nous semblent un peu trop limitées), que les actuels « jihadistes » autochtones opposés à la monarchie saoudienne sont, pour beaucoup d’entre eux, les héritiers des fameux « Ikhwan ». Cette milice religieuse bédouine, fondée vers 1912 par la dynastie Seoud, qui en fit un instrument central de sa conquête, avant de l’écraser impitoyablement en 1929. A la suite d’une prise d’otages à La Mecque où les forces de sécurité françaises (GIGN) furent appelées en renfort par la monarchie pour mater la révolte de ses anciens alliés. Avec plus de 250 morts, 600 blessés et près d’une centaine d’autres prisonniers décapités dans différentes villes d’Arabie saoudite…
Un autre exemple à même de remettre en cause l’image d’Epinal que nos inconditionnels affidés « saoudistes » semblent vouloir nous imposer sur l’unité religieuse de ce pays est la situation des chiites en Arabie Saoudite, où ils demeurent la plus importante population chiite après celle en Irak parmi les pays arabes (10 à 15% de la population, environ 2 millions). Victimes de multiples discriminations, ces chiites saoudiens sont privés de nombreux droits par leur propre Etat, fondé, il faut le rappeler, sur une alliance du régime royal avec l’idéologie wahhabite qui considère les chiites (pourtant musulmans) comme des hérétiques et des mécréants. La politique de discrimination confessionnelle que subissent les chiites saoudiens, bien que non officielle, consiste ainsi dans le dénigrement de leurs droits primaires, comme le droit de culte et de croyance, d’expression et de publication, ainsi que certains droits civils, tel l’accès aux postes de cadres (moyens ou supérieurs) dans la fonction publique etc. Ainsi les chiites ne disposaient (en 1995) d’aucune mosquée parmi les 60 000 subventionnées par l’État saoudien et, en 2009, le ministre de l’Intérieur a décidé d’interdire aux chiites la tenue de manifestations religieuses ou de bâtir des établissements à vocation religieuse dans les villes où ils ne sont pas majoritaires. Situation qui justifie les manifestations antigouvernementales récurrentes dans l’est d’Arabie Saoudite y compris dans la province pétrolière d’Alqatif peuplée d’une majorité chiite.
Nous ne pensons pas que nos confréries nationales, en dépit de tout ce que les « saoudistes » locaux peuvent leur reprocher et malgré toutes leurs insuffisances, aient accédé à ces palmarès. Et que l’Arabie Saoudite, malgré ses milliards de pétrodollars et ses 28,8 millions de musulmans, puisse aujourd’hui se prévaloir, au vu surtout des menaces d’instabilité socioreligieuse qui plane sur elle, d’être religieusement plus unie que notre cher Sénégal…
[Le temps ne nous permet malheureusement pas de nous étendre sur les autres dérives (géostratégiques, idéologiques etc.) et compromissions, actuelles et passées, au niveau local ou international, de ce régime. Dérives qui montrent que l’amalgame courant chez de nombreux musulmans sénégalais entre les Lieux saints de l’Islam et l’Arabie Saoudite n’est en réalité fondé que, ou sur la propagande internationaliste wahhabite, ou sur l’ignorance. Ainsi dire que « La Mecque a jeûné ou rompu le jeûne tel jour » ne signifie rien d'autre que les Ulémas appartenant à un système politico-idéologique donné (avec ses limites et insuffisances) en ont décidé ainsi : « Ils ne sont pas les gardiens [de la Mosquée sacrée], car ses vrais gardiens ne sont que les Pieux. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas… » (Coran 8:34)]
Indonésie : 245 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Indonésie est-elle pour autant religieusement plus unie et plus stable que notre pays ? Oh que non !
Faut-il rappeler que les années Suharto, marquées par les massacres de centaines de milliers de musulmans, furent suivies par la multiplication actuelle des groupes radicaux dits « islamistes » ? Des groupes qui, régulièrement, s’en prennent de façon sanglante aux minorités chrétiennes du pays qu’ils accusent de prosélytisme, divisant ainsi profondément la société indonésienne. Un extrémisme qui n’hésite même pas à s’attaquer aux minorités religieuses musulmanes (comme les ahmadiyyas ou les chiites) et qui s’illustra récemment de façon meurtrière à la face du monde entier. Comme en octobre 2002, dans la célèbre station balnéaire de Bali, où un triple attentat à la bombe, perpétré par la Jemaah Islamiyah (organisation terroriste crée en 1993 et présumée liée à Al Qaida) fit un effroyable bilan de 202 morts et des centaines de blessés innocents (dont des musulmans). Bien avant cet attentat – le plus meurtrier de l’histoire du pays – l’attentat à la voiture piégée du Jakarta Stock Exchange avait fait 15 morts en 2000. La même année, une série de bombes exploseront à la veille de Noël dans plusieurs églises de l’archipel, avec un bilan de 18 morts. En 2003, l’attentat de l’hôtel Mariott de Jakarta fit 12 morts et 150 blessés dont des musulmans. En 2004, l’attentat de l’ambassade d’Australie à Jakarta fit 9 victimes. En 2005, une nouvelle série d’attentats toucha Bali et fit 20 morts. Le 17 juillet 2009, un attentat à la bombe toucha deux hôtels (JW Marriott et Ritz-Carlton) à Jakarta et fit au moins 9 victimes et une cinquantaine de blessés.
Si l’ « unité » de l’Indonésie que l’on veut nous faire miroiter consiste à se réunir autour d’un simple consensus de Korité et à se massacrer ensuite les autres jours de l’année, hé bien, nous pensons être à même de dire, au nom de tous nos concitoyens sénégalais et de toutes les confréries réunies, que nous préférons nos « sénégalaiseries » (demeurées jusqu’ici inoffensives envers nos concitoyens chrétiens) à cette sorte d’ « unité »… explosive des 245 millions de musulmans indonésiens !
Egypte : 80 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Egypte en est-elle pour autant plus unie que notre pays ? Oh que non !
Nous ne pensons pas, vu l’actualité récente, qu’il soit besoin de s’appesantir outre mesure sur les événements tragiques et sanglants qui jalonnent depuis quelques mois l’histoire de la Place Tahrir et des autres grandes villes égyptiennes. Ni sur les germes de division profonde entre les « Frères Musulmans », arbitrairement dépossédés du pouvoir démocratiquement acquis, et une autre frange dite « laïque » de la population, soutenue par l’armée. Sans risque de nous tromper, nous pensons que nos frères égyptiens auraient préféré fêter 3 Korités ou même 15, que de voir aujourd’hui leur pays risquer de voler en éclats et de s’enfoncer dans une guerre civile dont les premières victimes (actuellement des dizaines toutes les semaines) ne seront nuls autres que les musulmans eux-mêmes. Que dire, par ailleurs, des exactions régulièrement subies dans ce pays par les minorités coptes dont la survie est quotidiennement menacée par leurs concitoyens musulmans ? C’est donc plutôt aux 80 millions de musulmans égyptiens de nous envier la stabilité politique de notre pays, due en grande partie, il faut le rappeler, à la nature du « contrat social » sénégalais entre les pouvoirs politique et religieux du pays. Contrat qui, malgré ses limites objectives et la violence des crises politiques, a jusqu’ici plus ou moins réussi à garantir la pérennité du tissu sociopolitique du pays de la Téranga et a en faire un modèle démocratique et de coexistence pacifique reconnu au niveau international… Dans quel pays au monde a-t-on vu des leaders religieux d’un pays à une majorité musulmane si écrasante soutenir pendant des décennies et collaborer avec un président chrétien, au détriment de leurs propres coreligionnaires ?
Algérie : 35 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Algérie en est-elle pour autant plus unie sur le plan religieux que notre pays ? Oh que non !
Là aussi, il suffit de rappeler la longue « décennie noire » des violences terroristes qui ont gangrené l’histoire récente de ce pays, suite à l’arrêt du processus électoral de 1991 remporté par le Front Islamique du Salut, pour se convaincre que le Sénégal n’a rien à envier sur ce plan à ce pays. En effet, des estimations indiquent que cette guerre civile coûta la vie à entre 60 000 et 150 000 algériens, avec des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts. Violences religieuses et militaires qui ont laissé jusqu’à nos jours des stigmates très profondes dans le tissu sociétal et religieux algérien. Une situation que notre cher Sénégal ne devrait donc pas non plus envier aux 35 millions de musulmans algériens. Même avec une seule Korité…
Nigéria : 75 millions de musulmans, une seule Korité.
Le Nigéria est-il pour autant plus uni religieusement et plus stable que notre cher Sénégal ? Oh que non !
Aurons-nous besoin d’arguments pour montrer que le Nigéria est loin, très loin même, d’être une référence en matière d’unité des musulmans et de stabilité ethnico-religieuse ? Et que notre pays, malgré ses multiples problèmes et insuffisances socioreligieuses (qu’il faudra naturellement essayer de résoudre par des réformes ou « Tajdîd »), n’a rien à envier à ce pays en matière de modèle religieux ? Pour mémoire, nous rappellerons simplement que l’affrontement entre le Nord du pays (Haoussas majoritairement musulmans) et le Sud (Yorubas majoritairement chrétiens) est caractérisé depuis des décennies par une spirale de tensions ethnico-religieuses frisant souvent la guerre civile, entraînant même un fort risque de partition du pays. Ce risque, il faut le rappeler, est surtout lié aux mouvances islamiques du Nord (salafistes, maadhistes et chiites) avec 12 États (sur 36) ayant décidé d’instaurer la charia et dont les prétentions indépendantistes menacent l’unité même du pays. Sur ce terreau fertile, marqué par les inégalités de toutes sortes et où le partage de la rente pétrolière pose encore problème, est récemment venue se greffer la question du mouvement Boko Haram (scindé en plusieurs branches, dont l’une proche des Chebabs de Somalie ou de la nébuleuse AQMI). Un mouvement qui, par sa radicalisation et ses actions violentes, favorise un clivage religieux engendrant à son tour un engrenage infini de violences, de représailles et de répression dans tout le pays.
Ceux qui proposent aux sénégalais le Nigéria comme modèle d’unité religieuse (sous couvert d’une seule Korité), ne savent-ils pas que les quartiers musulmans ou chrétiens de plusieurs grandes villes nigérianes ont souvent été le théâtre de pogroms, faisant peser la menace d’une guerre interreligieuse à ce pays ? Ne savent-ils pas que les violences ethnico-religieuses ont fait plus de 10 000 morts (entre 1986 et 1993) et 55 000 morts (entre 2001 et 2004) ? Les sénégalais qui nous donnent le Nigéria comme modèle sont-ils eux-mêmes prêts à émigrer dans ce pays qu’ils estiment plus « uni » que le nôtre, en nous laissant avec nos confréries dont le rôle transcendant sur les velléités de tribalisme et de conflits ethniques au Sénégal est notoire ? La situation catastrophique du climat religieux au Nigéria est-elle censée miraculeusement être compensée par la simple célébration de la « Korité » dans l’ « unité » ? Quelle « unité » ? Est-ce donc cela l’« unité » des 75 millions de musulmans nigérians tant magnifiée ?
Non, merci.
« Leurs dissensions internes sont extrêmes. Tu les croirais unis, alors que leurs cœurs sont divisés. C’est qu’ils sont des gens qui ne raisonnent pas… » (Coran 59:14)
Nous aurions pu poursuivre l’inventaire des pays que les militants anti-confrériques s’échinent à jeter régulièrement à la figure des sénégalais, aux fins apparemment de nous faire douter sur l’orthodoxie de notre « islam noir », censé être hétérodoxe et inférieur à celui prétendument plus pur d’autres peuples. Sachant que chaque peuple, chaque culture, chaque obédience religieuse a ses forces et ses faiblesses, ses éléments vertueux et ses brebis galeuses. Et que l’observateur de mauvaise foi préférera toujours l’exercice plus facile de se focaliser sur les insuffisances (inhérentes à tout système social), pour mieux cultiver un subtil complexe d’infériorité envers d’autres peuples. Peuples qui, certes, peuvent nous apporter beaucoup de choses, mais qui ne nous sont pas nécessairement supérieurs en tout. Loin de là. Nombre d’entre eux ayant au contraire beaucoup à apprendre de nous.
Nous préférons donc rester une « nation à part entière » de 11 millions d’« extraterrestres » et un îlot « entièrement à part » de confréries pacifiques, au milieu de la furie du fondamentalisme meurtrier et extrémiste sous perfusion doctrinale qui fait actuellement exploser bien des pays musulmans. Ceci malgré toutes nos insuffisances, nos failles et contradictions. Failles critiquables certes, mais qui n’entravent nullement notre attachement à notre identité culturelle et nationale, et qui, quoi que l’on en dise, restent toutefois très loin d’égaler celles d’autres pays présumés pourtant être nos « modèles » dans l’imagination inculte de nos complexés culturels et religieux…
* * *
A la réflexion, cette question des fêtes multiples ne mérite nullement l’importance que lui ont donnée nos médias et que les activistes anti-soufis tentent (assez maladroitement d’ailleurs) de récupérer actuellement. Ceci, dans la simple mesure où la « division » dans le passé sur cette question entre les confréries représentatives du pays semble aujourd’hui virtuellement résolue. Grâce surtout au rôle médiateur de la Commission Nationale d’Observation du Croissant Lunaire (dirigée par Mourshid Iyane Thiam) et l’esprit de concertation du leadership confrérique actuel qu’il convient de saluer. Et que s’il est récemment apparu une nouvelle ligne de fracture, elle est justement due à ces nouvelles obédiences minoritaires (ou à certaines franges confrériques insignifiantes et nullement représentatives) qui, tout en érigeant des organes rivaux à la Commission officielle, se retournent crânement, comble du paradoxe, pour dénoncer les scissions qu’elles ont elles-mêmes créées ou accentuées ( !)
Car une question que l’on devrait se poser, et que étonnamment très peu se posent, est : si plus de 90% de la population musulmane sénégalaise (d’obédience confrérique) a décidé de célébrer cette année la Korité en un même jour, d’où a pu bien venir ce qu’on appelle « division » ? Pour simplement dire que si jamais il devait y avoir une solution à ce « problème », elle commencerait d’abord par une volonté sincère de collaboration et de fraternité musulmane de ces minorités. Volonté s’exprimant par l’acceptation de dissoudre leurs « Commissions bis » sans véritable objet, de reconnaître la valeur des organes actuels existants, à intégrer ceux-ci (quitte même à y défendre leurs arguments juridico-religieux) et à constamment privilégier, aux inévitables différences, l’ouverture d’esprit et le sens du dépassement, pour le bien de l’Islam et de toute la nation…
Ceci signifie également que nos médias doivent, à notre avis, changer aujourd’hui deparadigme sur cette question et ne plus accepter de tomber dans le jeu des particularismes puérils et improductifs qui ne profitent à personne. Serait-ce par anti-confrérisme, souci républicain mal placé ou goût facile de la polémique et du buzz. Car il nous paraît aberrant que, parmi les 11 millions de musulmans sénégalais, qu’il suffise que quelques centaines ou milliers (même pas 1% de la population), pour des raisons ou orientations idéologiques (souvent fort douteuses) qui leur sont propres, choisissent de ne pas suivre l’écrasante majorité de la nation, pour que la trompette de la division soit automatiquement embouchée dans un chœur médiatique déchirant et que ce sujet devienne subitement d’intérêt national… Car s’il suffit que n’importe quel groupuscule, composé de quelques éléments disparates, même pas capables de remplir le terrain de football érigé en mosquée pour la Korité, que n’importe quel quidam médiatico-religieux en décide ainsi, pour qu’on parle de division, quel sera dans l’avenir le quorum minimum de sénégalais décidant, on se sait trop comment, de fixer leur jour de fête à partir duquel on parlera de 5 ou 7 Korités ? 3 sénégalais ? 2 ?
Il est grand temps qu’on arrête. Pour passer à des questions beaucoup plus importantes pour ce pays et pour cette religion…
A. Aziz Mbacké Majalis
Indonésie : 245 millions de musulmans, une seule Korité
Egypte : 80 millions de musulmans, une seule Korité
Algérie : 35 millions de musulmans, une seule Korité
Nigeria : 75 millions de musulmans, une seule Korité.
Malaisie : 28 millions de musulmans, une seule Korité
Turquie : 70 millions de musulmans, une seule Korité.
Sénégal : 11 millions de musulmans, 3 Korités. »
Quel pays « islamique » !
Peut être que nous sommes des extraterrestres ou que nous savons quelque chose que les autres ne savent pas !? (Voir l’article ici)
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Bien que trouvant généralement ce genre de polémiques nationales assez oiseuses et même infiniment stériles (au vu surtout des autres priorités du pays), et malgré que nous nous soyons déjà largement et depuis longtemps prononcés sur les soubassements socioreligieux de cette question (voir ici), il ne nous semble toutefois pas totalement dénué d’intérêt de nous pencher un instant sur la nature de l’argumentaire usité dans ce texte. Argumentaire dont le caractère lapidaire et presque « technique » (apparemment destiné à hypnotiser les paresseux intellectuels) mérite, à notre avis, une réponse sous la forme d’une sommaire évaluation de l’unité et de la suprématie religieuse présumées des pays du listing proposé. Avec d’autres chiffres significatifs à l’appui que les auteurs du texte auraient normalement du citer…
Arabie Saoudite : 28,8 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Arabie Saoudite en est-elle pour autant plus unie et plus stable que notre pays ? Oh que non !
Faut-il rappeler les menaces terroristes et de constante déstabilisation interne auxquelles la monarchie saoudienne n’est jusqu’ici parvenue à se protéger qu’avec l’appui d’une armée dite pourtant de « mécréants » ? Une armée qu’elle n’a pas hésité à autoriser à pénétrer dans le périmètre sacré (hurûm) de la Mecque et à établir des bases durables sur son territoire… Il serait peut être utile de rappeler à nos « saoudistes » locaux (dont les connaissances en histoire de leur « patrie-mère » nous semblent un peu trop limitées), que les actuels « jihadistes » autochtones opposés à la monarchie saoudienne sont, pour beaucoup d’entre eux, les héritiers des fameux « Ikhwan ». Cette milice religieuse bédouine, fondée vers 1912 par la dynastie Seoud, qui en fit un instrument central de sa conquête, avant de l’écraser impitoyablement en 1929. A la suite d’une prise d’otages à La Mecque où les forces de sécurité françaises (GIGN) furent appelées en renfort par la monarchie pour mater la révolte de ses anciens alliés. Avec plus de 250 morts, 600 blessés et près d’une centaine d’autres prisonniers décapités dans différentes villes d’Arabie saoudite…
Un autre exemple à même de remettre en cause l’image d’Epinal que nos inconditionnels affidés « saoudistes » semblent vouloir nous imposer sur l’unité religieuse de ce pays est la situation des chiites en Arabie Saoudite, où ils demeurent la plus importante population chiite après celle en Irak parmi les pays arabes (10 à 15% de la population, environ 2 millions). Victimes de multiples discriminations, ces chiites saoudiens sont privés de nombreux droits par leur propre Etat, fondé, il faut le rappeler, sur une alliance du régime royal avec l’idéologie wahhabite qui considère les chiites (pourtant musulmans) comme des hérétiques et des mécréants. La politique de discrimination confessionnelle que subissent les chiites saoudiens, bien que non officielle, consiste ainsi dans le dénigrement de leurs droits primaires, comme le droit de culte et de croyance, d’expression et de publication, ainsi que certains droits civils, tel l’accès aux postes de cadres (moyens ou supérieurs) dans la fonction publique etc. Ainsi les chiites ne disposaient (en 1995) d’aucune mosquée parmi les 60 000 subventionnées par l’État saoudien et, en 2009, le ministre de l’Intérieur a décidé d’interdire aux chiites la tenue de manifestations religieuses ou de bâtir des établissements à vocation religieuse dans les villes où ils ne sont pas majoritaires. Situation qui justifie les manifestations antigouvernementales récurrentes dans l’est d’Arabie Saoudite y compris dans la province pétrolière d’Alqatif peuplée d’une majorité chiite.
Nous ne pensons pas que nos confréries nationales, en dépit de tout ce que les « saoudistes » locaux peuvent leur reprocher et malgré toutes leurs insuffisances, aient accédé à ces palmarès. Et que l’Arabie Saoudite, malgré ses milliards de pétrodollars et ses 28,8 millions de musulmans, puisse aujourd’hui se prévaloir, au vu surtout des menaces d’instabilité socioreligieuse qui plane sur elle, d’être religieusement plus unie que notre cher Sénégal…
[Le temps ne nous permet malheureusement pas de nous étendre sur les autres dérives (géostratégiques, idéologiques etc.) et compromissions, actuelles et passées, au niveau local ou international, de ce régime. Dérives qui montrent que l’amalgame courant chez de nombreux musulmans sénégalais entre les Lieux saints de l’Islam et l’Arabie Saoudite n’est en réalité fondé que, ou sur la propagande internationaliste wahhabite, ou sur l’ignorance. Ainsi dire que « La Mecque a jeûné ou rompu le jeûne tel jour » ne signifie rien d'autre que les Ulémas appartenant à un système politico-idéologique donné (avec ses limites et insuffisances) en ont décidé ainsi : « Ils ne sont pas les gardiens [de la Mosquée sacrée], car ses vrais gardiens ne sont que les Pieux. Mais la plupart d’entre eux ne savent pas… » (Coran 8:34)]
Indonésie : 245 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Indonésie est-elle pour autant religieusement plus unie et plus stable que notre pays ? Oh que non !
Faut-il rappeler que les années Suharto, marquées par les massacres de centaines de milliers de musulmans, furent suivies par la multiplication actuelle des groupes radicaux dits « islamistes » ? Des groupes qui, régulièrement, s’en prennent de façon sanglante aux minorités chrétiennes du pays qu’ils accusent de prosélytisme, divisant ainsi profondément la société indonésienne. Un extrémisme qui n’hésite même pas à s’attaquer aux minorités religieuses musulmanes (comme les ahmadiyyas ou les chiites) et qui s’illustra récemment de façon meurtrière à la face du monde entier. Comme en octobre 2002, dans la célèbre station balnéaire de Bali, où un triple attentat à la bombe, perpétré par la Jemaah Islamiyah (organisation terroriste crée en 1993 et présumée liée à Al Qaida) fit un effroyable bilan de 202 morts et des centaines de blessés innocents (dont des musulmans). Bien avant cet attentat – le plus meurtrier de l’histoire du pays – l’attentat à la voiture piégée du Jakarta Stock Exchange avait fait 15 morts en 2000. La même année, une série de bombes exploseront à la veille de Noël dans plusieurs églises de l’archipel, avec un bilan de 18 morts. En 2003, l’attentat de l’hôtel Mariott de Jakarta fit 12 morts et 150 blessés dont des musulmans. En 2004, l’attentat de l’ambassade d’Australie à Jakarta fit 9 victimes. En 2005, une nouvelle série d’attentats toucha Bali et fit 20 morts. Le 17 juillet 2009, un attentat à la bombe toucha deux hôtels (JW Marriott et Ritz-Carlton) à Jakarta et fit au moins 9 victimes et une cinquantaine de blessés.
Si l’ « unité » de l’Indonésie que l’on veut nous faire miroiter consiste à se réunir autour d’un simple consensus de Korité et à se massacrer ensuite les autres jours de l’année, hé bien, nous pensons être à même de dire, au nom de tous nos concitoyens sénégalais et de toutes les confréries réunies, que nous préférons nos « sénégalaiseries » (demeurées jusqu’ici inoffensives envers nos concitoyens chrétiens) à cette sorte d’ « unité »… explosive des 245 millions de musulmans indonésiens !
Egypte : 80 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Egypte en est-elle pour autant plus unie que notre pays ? Oh que non !
Nous ne pensons pas, vu l’actualité récente, qu’il soit besoin de s’appesantir outre mesure sur les événements tragiques et sanglants qui jalonnent depuis quelques mois l’histoire de la Place Tahrir et des autres grandes villes égyptiennes. Ni sur les germes de division profonde entre les « Frères Musulmans », arbitrairement dépossédés du pouvoir démocratiquement acquis, et une autre frange dite « laïque » de la population, soutenue par l’armée. Sans risque de nous tromper, nous pensons que nos frères égyptiens auraient préféré fêter 3 Korités ou même 15, que de voir aujourd’hui leur pays risquer de voler en éclats et de s’enfoncer dans une guerre civile dont les premières victimes (actuellement des dizaines toutes les semaines) ne seront nuls autres que les musulmans eux-mêmes. Que dire, par ailleurs, des exactions régulièrement subies dans ce pays par les minorités coptes dont la survie est quotidiennement menacée par leurs concitoyens musulmans ? C’est donc plutôt aux 80 millions de musulmans égyptiens de nous envier la stabilité politique de notre pays, due en grande partie, il faut le rappeler, à la nature du « contrat social » sénégalais entre les pouvoirs politique et religieux du pays. Contrat qui, malgré ses limites objectives et la violence des crises politiques, a jusqu’ici plus ou moins réussi à garantir la pérennité du tissu sociopolitique du pays de la Téranga et a en faire un modèle démocratique et de coexistence pacifique reconnu au niveau international… Dans quel pays au monde a-t-on vu des leaders religieux d’un pays à une majorité musulmane si écrasante soutenir pendant des décennies et collaborer avec un président chrétien, au détriment de leurs propres coreligionnaires ?
Algérie : 35 millions de musulmans, une seule Korité.
L’Algérie en est-elle pour autant plus unie sur le plan religieux que notre pays ? Oh que non !
Là aussi, il suffit de rappeler la longue « décennie noire » des violences terroristes qui ont gangrené l’histoire récente de ce pays, suite à l’arrêt du processus électoral de 1991 remporté par le Front Islamique du Salut, pour se convaincre que le Sénégal n’a rien à envier sur ce plan à ce pays. En effet, des estimations indiquent que cette guerre civile coûta la vie à entre 60 000 et 150 000 algériens, avec des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts. Violences religieuses et militaires qui ont laissé jusqu’à nos jours des stigmates très profondes dans le tissu sociétal et religieux algérien. Une situation que notre cher Sénégal ne devrait donc pas non plus envier aux 35 millions de musulmans algériens. Même avec une seule Korité…
Nigéria : 75 millions de musulmans, une seule Korité.
Le Nigéria est-il pour autant plus uni religieusement et plus stable que notre cher Sénégal ? Oh que non !
Aurons-nous besoin d’arguments pour montrer que le Nigéria est loin, très loin même, d’être une référence en matière d’unité des musulmans et de stabilité ethnico-religieuse ? Et que notre pays, malgré ses multiples problèmes et insuffisances socioreligieuses (qu’il faudra naturellement essayer de résoudre par des réformes ou « Tajdîd »), n’a rien à envier à ce pays en matière de modèle religieux ? Pour mémoire, nous rappellerons simplement que l’affrontement entre le Nord du pays (Haoussas majoritairement musulmans) et le Sud (Yorubas majoritairement chrétiens) est caractérisé depuis des décennies par une spirale de tensions ethnico-religieuses frisant souvent la guerre civile, entraînant même un fort risque de partition du pays. Ce risque, il faut le rappeler, est surtout lié aux mouvances islamiques du Nord (salafistes, maadhistes et chiites) avec 12 États (sur 36) ayant décidé d’instaurer la charia et dont les prétentions indépendantistes menacent l’unité même du pays. Sur ce terreau fertile, marqué par les inégalités de toutes sortes et où le partage de la rente pétrolière pose encore problème, est récemment venue se greffer la question du mouvement Boko Haram (scindé en plusieurs branches, dont l’une proche des Chebabs de Somalie ou de la nébuleuse AQMI). Un mouvement qui, par sa radicalisation et ses actions violentes, favorise un clivage religieux engendrant à son tour un engrenage infini de violences, de représailles et de répression dans tout le pays.
Ceux qui proposent aux sénégalais le Nigéria comme modèle d’unité religieuse (sous couvert d’une seule Korité), ne savent-ils pas que les quartiers musulmans ou chrétiens de plusieurs grandes villes nigérianes ont souvent été le théâtre de pogroms, faisant peser la menace d’une guerre interreligieuse à ce pays ? Ne savent-ils pas que les violences ethnico-religieuses ont fait plus de 10 000 morts (entre 1986 et 1993) et 55 000 morts (entre 2001 et 2004) ? Les sénégalais qui nous donnent le Nigéria comme modèle sont-ils eux-mêmes prêts à émigrer dans ce pays qu’ils estiment plus « uni » que le nôtre, en nous laissant avec nos confréries dont le rôle transcendant sur les velléités de tribalisme et de conflits ethniques au Sénégal est notoire ? La situation catastrophique du climat religieux au Nigéria est-elle censée miraculeusement être compensée par la simple célébration de la « Korité » dans l’ « unité » ? Quelle « unité » ? Est-ce donc cela l’« unité » des 75 millions de musulmans nigérians tant magnifiée ?
Non, merci.
« Leurs dissensions internes sont extrêmes. Tu les croirais unis, alors que leurs cœurs sont divisés. C’est qu’ils sont des gens qui ne raisonnent pas… » (Coran 59:14)
Nous aurions pu poursuivre l’inventaire des pays que les militants anti-confrériques s’échinent à jeter régulièrement à la figure des sénégalais, aux fins apparemment de nous faire douter sur l’orthodoxie de notre « islam noir », censé être hétérodoxe et inférieur à celui prétendument plus pur d’autres peuples. Sachant que chaque peuple, chaque culture, chaque obédience religieuse a ses forces et ses faiblesses, ses éléments vertueux et ses brebis galeuses. Et que l’observateur de mauvaise foi préférera toujours l’exercice plus facile de se focaliser sur les insuffisances (inhérentes à tout système social), pour mieux cultiver un subtil complexe d’infériorité envers d’autres peuples. Peuples qui, certes, peuvent nous apporter beaucoup de choses, mais qui ne nous sont pas nécessairement supérieurs en tout. Loin de là. Nombre d’entre eux ayant au contraire beaucoup à apprendre de nous.
Nous préférons donc rester une « nation à part entière » de 11 millions d’« extraterrestres » et un îlot « entièrement à part » de confréries pacifiques, au milieu de la furie du fondamentalisme meurtrier et extrémiste sous perfusion doctrinale qui fait actuellement exploser bien des pays musulmans. Ceci malgré toutes nos insuffisances, nos failles et contradictions. Failles critiquables certes, mais qui n’entravent nullement notre attachement à notre identité culturelle et nationale, et qui, quoi que l’on en dise, restent toutefois très loin d’égaler celles d’autres pays présumés pourtant être nos « modèles » dans l’imagination inculte de nos complexés culturels et religieux…
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A la réflexion, cette question des fêtes multiples ne mérite nullement l’importance que lui ont donnée nos médias et que les activistes anti-soufis tentent (assez maladroitement d’ailleurs) de récupérer actuellement. Ceci, dans la simple mesure où la « division » dans le passé sur cette question entre les confréries représentatives du pays semble aujourd’hui virtuellement résolue. Grâce surtout au rôle médiateur de la Commission Nationale d’Observation du Croissant Lunaire (dirigée par Mourshid Iyane Thiam) et l’esprit de concertation du leadership confrérique actuel qu’il convient de saluer. Et que s’il est récemment apparu une nouvelle ligne de fracture, elle est justement due à ces nouvelles obédiences minoritaires (ou à certaines franges confrériques insignifiantes et nullement représentatives) qui, tout en érigeant des organes rivaux à la Commission officielle, se retournent crânement, comble du paradoxe, pour dénoncer les scissions qu’elles ont elles-mêmes créées ou accentuées ( !)
Car une question que l’on devrait se poser, et que étonnamment très peu se posent, est : si plus de 90% de la population musulmane sénégalaise (d’obédience confrérique) a décidé de célébrer cette année la Korité en un même jour, d’où a pu bien venir ce qu’on appelle « division » ? Pour simplement dire que si jamais il devait y avoir une solution à ce « problème », elle commencerait d’abord par une volonté sincère de collaboration et de fraternité musulmane de ces minorités. Volonté s’exprimant par l’acceptation de dissoudre leurs « Commissions bis » sans véritable objet, de reconnaître la valeur des organes actuels existants, à intégrer ceux-ci (quitte même à y défendre leurs arguments juridico-religieux) et à constamment privilégier, aux inévitables différences, l’ouverture d’esprit et le sens du dépassement, pour le bien de l’Islam et de toute la nation…
Ceci signifie également que nos médias doivent, à notre avis, changer aujourd’hui deparadigme sur cette question et ne plus accepter de tomber dans le jeu des particularismes puérils et improductifs qui ne profitent à personne. Serait-ce par anti-confrérisme, souci républicain mal placé ou goût facile de la polémique et du buzz. Car il nous paraît aberrant que, parmi les 11 millions de musulmans sénégalais, qu’il suffise que quelques centaines ou milliers (même pas 1% de la population), pour des raisons ou orientations idéologiques (souvent fort douteuses) qui leur sont propres, choisissent de ne pas suivre l’écrasante majorité de la nation, pour que la trompette de la division soit automatiquement embouchée dans un chœur médiatique déchirant et que ce sujet devienne subitement d’intérêt national… Car s’il suffit que n’importe quel groupuscule, composé de quelques éléments disparates, même pas capables de remplir le terrain de football érigé en mosquée pour la Korité, que n’importe quel quidam médiatico-religieux en décide ainsi, pour qu’on parle de division, quel sera dans l’avenir le quorum minimum de sénégalais décidant, on se sait trop comment, de fixer leur jour de fête à partir duquel on parlera de 5 ou 7 Korités ? 3 sénégalais ? 2 ?
Il est grand temps qu’on arrête. Pour passer à des questions beaucoup plus importantes pour ce pays et pour cette religion…
A. Aziz Mbacké Majalis