"Mardi Matin, le Roi, la Reine et le Petit Prince..."
Par Pathé MBODJE,
Journaliste, sociologue
Invitée à la table ronde conjointe organisée le 31 décembre par les télévisions "Wal Fadjri-2STv-Canal Info News", la Coalition Sopi a dépêché un énergumène qu'aucune rédaction ne devrait logiquement recevoir, en souvenir du saccage impuni des locaux de certains journaux, notamment des quotidiens "L'As" et de "24 heures Chrono". Sa prestation sera à l'image du sire : triste, volant aux ras des pâquerettes, simpliste et réductrice. Ainsi, sur les relations tendues entre le pouvoir et l'Église, l'individu en question, entre autres bizarreries et inepties, tentera d'expliquer les sentiments du Cardinal Théodore Adrien Sarr par rapport au président et à son régime par la proximité de certains religieux du cercle premier de l'Église qui privilégieraient plus leur manteau d'hommes politiques (maires) que leur soutane. L’interprétation de la fronde religieuse de décembre est par trop naïve face à la querelle entre le sacré et le profane, au nom et/ou autour du Monument de la Renaissance africaine par lequel le scandale est arrivé.
Le refus public de l’Église sénégalaise de répondre favorablement à une sollicitation épistolaire du président de la République d’envoyer une chorale à la cérémonie inaugurale prévue en décembre avant d’être renvoyée a heurté Wade ; pour qui connaît le tempérament chaud du chef de l’État, son sang ne fit qu’un tour et il mettra la toute prochaine occasion (le 5 décembre) pour relever ce qui lui semblait être une ingratitude de la part de partenaires de toujours. Ce fut une erreur partagée de part et d’autre et la lettre fort peu diplomatique de l’Abbé André Latyr Ndiaye du 12 décembre, précédée d’un sermon généralisé le vendredi 11 d’imams irrités par la publicité autour de la statue, ne fera qu’aggraver les choses, précipitant la rupture momentanée entre le pouvoir, les populations sénégalaises et les religieux. Ainsi, après que depuis près de quatre ans, sous différentes formes et en divers endroits du pays, certaines composantes socio-économiques du pays aient manifesté violemment leur angoisse et leur désarroi devant la déstructuration du tissu social sénégalais, voici que, prenant prétexte du Monument de la Renaissance africaine, les religieux entraient eux aussi dans la danse, accentuant la fracture entre le pouvoir et les populations sénégalaises.
Sans véritablement saisir la position gênée du religieux partagée entre les fidèles et le politique, l'analyse politicienne traduite par l’élément hors du commun est un sentiment partagé du côté du pouvoir et de ses laudateurs : le cardinal Théodore Adrien Sarr aurait ainsi tropicalisé "La théorie de la libération" et aurait choisi la période où la cote de popularité de Wade n’est pas des meilleures pour charger un ami ayant déjà un genou à terre. Cet ancien président de "Présence chrétienne" des années 1990 poursuivrait alors on ne sait quelle chimère ou quel moulin à vent pour concrétiser le catéchisme du 16 novembre 1992 où l'Église réifiait certes l'ordre social, mais avançait quand même son souci d'un nouvel ordre fraternel entre les hommes...de foi.
L'évêque de Kaolack d'alors avait invité Abdoulaye Bathily à venir discourir dès le 8 novembre 1992, pour réaffirmer la volonté de l'Église de "ne pas travailler en dehors des hommes" : désormais, Théodore Adrien Sarr se voulait défenseur de la veuve et de l'orphelin, surtout suite au douloureux débrayage de 72 heures du Sutélec, et invitait les fidèles à "s'engager là où les décisions se prennent pour contribuer à la victoire du bien sur le mal"("Le Devoir", volume 8, n° 15, 25 novembre 1992, page 7).
Ceci résume-t-il la croisade contre Wade perçu comme celui voulant instaurer une fracture fraternelle là où existait jusqu'alors l'entente sociale la plus cordiale ?
Depuis le 5 décembre en effet, un ange est passé sur les relations entre le président de la République et l'Église chrétienne au Sénégal ; par deux fois, entre le 5 et le 28 décembre, l'incompréhension s'est installée dans le dialogue de sourds entre les deux parties : Wade rejoint Molino en estimant que la traduction de ses propos était une trahison du sens réel par quelques Cassandre, dont des journalistes, s'amusant à travestir délibérément ses propos, l'Église se disant outrée, meurtrie. La contrition de l'un ne déride pas l'autre qui, en le comprenant au sens gaullien du terme, ne veut surtout pas oublier. Alors, comme dans la chanson, « Mardi matin, le roi, la reine et le petit prince sont venus me voir pour lui serrer la pince (…) »
La polémique est née avec le Monument de la Renaissance africaine. Sa valeur financière avouée mais non vérifiée, à quelques mois du surenchérissement du coût de la vie, de la flambée du prix des matières premières et des émeutes de la faim de 2008, s'achevait dans les difficultés connues des populations sénégalaises et que le président de la République reconnaît lui-même : dans son discours de fin d'année, ses premiers mots, à l'instar de Sarkozy le Français, auront été de reconnaître les affres de l'année qui s'achevait. Or, la religion a justement choisi ces périodes pour ne pas travailler en dehors des hommes, participer à la vie de la société et au choix des hommes de la temporalité. D’où l’explication facile du délégué de la coalition Sopi et des tenants de la thèse de la conspiration, surtout après la b*débandade du 22 mars 2009.
Les différentes crises entre le religieux et le politique, depuis environ la disparition du cinquième khalife général de Borom Touba, rejoignent de peu la théologie de la libération et proposent non seulement de libérer les pauvres de leur pauvreté, mais en plus d'en faire les acteurs de leur propre libération ; l'Eglise dénonçait déjà par ce biais le capitalisme, la cause de l'aliénation à la pauvreté de millions d'individus.
Dans la réalité, la religion elle-même a été prise en otage par la société qui lui a imposé une quasi rupture de vocation au début des années 50 lorsque l’étude de la société s’est trouvée accélérée par la fin de la Seconde guerre mondiale et « lorsque des catholiques progressistes s'éloignent d'un catholicisme conservateur, au profit d'une voie dans laquelle l’action politique apparaît comme une exigence de l'engagement religieux dans la lutte contre la pauvreté », relèvent les Encyclopédies. La théologie de la libération voyait alors le jour en Amérique latine, base de l’étude du changement social dans les pays sous domination avec la naissance des Amin, Cardoso et autres en 1968 ; « elle a pu établir des ponts avec le marxisme, utilisé en tant qu'instrument d'analyse et d'observation de la société - bien que la plupart de ses tenants s'en soient par la suite distancés, prônait la libération des peuples et entendait ainsi renouer avec la tradition chrétienne de solidarité », ajoutent les écrits.
Cette évolution s’est manifestée au Sénégal avec les ajustements imposés depuis près de trente ans qui ont favorisé de nouvelles segmentations de la société sénégalaise avec une paupérisation qui n’allait pas forcément vers le bas peuple. Cela s’est vérifié avec le mouvement « Présence Chrétienne » et aussi avec les Imams de Guédiawaye : l’engagement des uns et des autres est né avec l’électricité et, plus généralement, les difficultés de la vie.
Elément déterminant de réification de l’ordre social, la religion s’est ainsi transformée depuis quelques années en lieu d’éveil et d’évolution des mentalités des fidèles incités à participer à la vie de leur milieu social. Si l’Amérique latine avait ouvert le bal dans les années 60 avait la théologie de la libération, le Sénégal s’est distingué dès le début des années 90 avec l’évêque de Kaolack d’alors, Mgr Adrien Sarr, qui a animé le puissant mouvement « Présence Chrétienne » ; désormais, l’Eglise n’attendait plus les fidèles sur le parvis : bien au contraire, elle allait à leur rencontre et discutait de leurs soucis quotidiens, loin de la nef.
La récente immixtion des Imams de Guédiawaye dans la vie publique, les complaintes angoissées de l'Eglise au Sénégal, surtout courant décembre 2009, sont aussi constitutivess d'une réalité émergente d'une religion sortie des mosquées et des églises à la rencontre des fidèles appelés à refuser une situation de précarité que rien ne semble justifier, aux yeux des responsables religieux, que la boulimie ou la cécité du pouvoir nouveau.
Par Pathé MBODJE,
Journaliste, sociologue
Invitée à la table ronde conjointe organisée le 31 décembre par les télévisions "Wal Fadjri-2STv-Canal Info News", la Coalition Sopi a dépêché un énergumène qu'aucune rédaction ne devrait logiquement recevoir, en souvenir du saccage impuni des locaux de certains journaux, notamment des quotidiens "L'As" et de "24 heures Chrono". Sa prestation sera à l'image du sire : triste, volant aux ras des pâquerettes, simpliste et réductrice. Ainsi, sur les relations tendues entre le pouvoir et l'Église, l'individu en question, entre autres bizarreries et inepties, tentera d'expliquer les sentiments du Cardinal Théodore Adrien Sarr par rapport au président et à son régime par la proximité de certains religieux du cercle premier de l'Église qui privilégieraient plus leur manteau d'hommes politiques (maires) que leur soutane. L’interprétation de la fronde religieuse de décembre est par trop naïve face à la querelle entre le sacré et le profane, au nom et/ou autour du Monument de la Renaissance africaine par lequel le scandale est arrivé.
Le refus public de l’Église sénégalaise de répondre favorablement à une sollicitation épistolaire du président de la République d’envoyer une chorale à la cérémonie inaugurale prévue en décembre avant d’être renvoyée a heurté Wade ; pour qui connaît le tempérament chaud du chef de l’État, son sang ne fit qu’un tour et il mettra la toute prochaine occasion (le 5 décembre) pour relever ce qui lui semblait être une ingratitude de la part de partenaires de toujours. Ce fut une erreur partagée de part et d’autre et la lettre fort peu diplomatique de l’Abbé André Latyr Ndiaye du 12 décembre, précédée d’un sermon généralisé le vendredi 11 d’imams irrités par la publicité autour de la statue, ne fera qu’aggraver les choses, précipitant la rupture momentanée entre le pouvoir, les populations sénégalaises et les religieux. Ainsi, après que depuis près de quatre ans, sous différentes formes et en divers endroits du pays, certaines composantes socio-économiques du pays aient manifesté violemment leur angoisse et leur désarroi devant la déstructuration du tissu social sénégalais, voici que, prenant prétexte du Monument de la Renaissance africaine, les religieux entraient eux aussi dans la danse, accentuant la fracture entre le pouvoir et les populations sénégalaises.
Sans véritablement saisir la position gênée du religieux partagée entre les fidèles et le politique, l'analyse politicienne traduite par l’élément hors du commun est un sentiment partagé du côté du pouvoir et de ses laudateurs : le cardinal Théodore Adrien Sarr aurait ainsi tropicalisé "La théorie de la libération" et aurait choisi la période où la cote de popularité de Wade n’est pas des meilleures pour charger un ami ayant déjà un genou à terre. Cet ancien président de "Présence chrétienne" des années 1990 poursuivrait alors on ne sait quelle chimère ou quel moulin à vent pour concrétiser le catéchisme du 16 novembre 1992 où l'Église réifiait certes l'ordre social, mais avançait quand même son souci d'un nouvel ordre fraternel entre les hommes...de foi.
L'évêque de Kaolack d'alors avait invité Abdoulaye Bathily à venir discourir dès le 8 novembre 1992, pour réaffirmer la volonté de l'Église de "ne pas travailler en dehors des hommes" : désormais, Théodore Adrien Sarr se voulait défenseur de la veuve et de l'orphelin, surtout suite au douloureux débrayage de 72 heures du Sutélec, et invitait les fidèles à "s'engager là où les décisions se prennent pour contribuer à la victoire du bien sur le mal"("Le Devoir", volume 8, n° 15, 25 novembre 1992, page 7).
Ceci résume-t-il la croisade contre Wade perçu comme celui voulant instaurer une fracture fraternelle là où existait jusqu'alors l'entente sociale la plus cordiale ?
Depuis le 5 décembre en effet, un ange est passé sur les relations entre le président de la République et l'Église chrétienne au Sénégal ; par deux fois, entre le 5 et le 28 décembre, l'incompréhension s'est installée dans le dialogue de sourds entre les deux parties : Wade rejoint Molino en estimant que la traduction de ses propos était une trahison du sens réel par quelques Cassandre, dont des journalistes, s'amusant à travestir délibérément ses propos, l'Église se disant outrée, meurtrie. La contrition de l'un ne déride pas l'autre qui, en le comprenant au sens gaullien du terme, ne veut surtout pas oublier. Alors, comme dans la chanson, « Mardi matin, le roi, la reine et le petit prince sont venus me voir pour lui serrer la pince (…) »
La polémique est née avec le Monument de la Renaissance africaine. Sa valeur financière avouée mais non vérifiée, à quelques mois du surenchérissement du coût de la vie, de la flambée du prix des matières premières et des émeutes de la faim de 2008, s'achevait dans les difficultés connues des populations sénégalaises et que le président de la République reconnaît lui-même : dans son discours de fin d'année, ses premiers mots, à l'instar de Sarkozy le Français, auront été de reconnaître les affres de l'année qui s'achevait. Or, la religion a justement choisi ces périodes pour ne pas travailler en dehors des hommes, participer à la vie de la société et au choix des hommes de la temporalité. D’où l’explication facile du délégué de la coalition Sopi et des tenants de la thèse de la conspiration, surtout après la b*débandade du 22 mars 2009.
Les différentes crises entre le religieux et le politique, depuis environ la disparition du cinquième khalife général de Borom Touba, rejoignent de peu la théologie de la libération et proposent non seulement de libérer les pauvres de leur pauvreté, mais en plus d'en faire les acteurs de leur propre libération ; l'Eglise dénonçait déjà par ce biais le capitalisme, la cause de l'aliénation à la pauvreté de millions d'individus.
Dans la réalité, la religion elle-même a été prise en otage par la société qui lui a imposé une quasi rupture de vocation au début des années 50 lorsque l’étude de la société s’est trouvée accélérée par la fin de la Seconde guerre mondiale et « lorsque des catholiques progressistes s'éloignent d'un catholicisme conservateur, au profit d'une voie dans laquelle l’action politique apparaît comme une exigence de l'engagement religieux dans la lutte contre la pauvreté », relèvent les Encyclopédies. La théologie de la libération voyait alors le jour en Amérique latine, base de l’étude du changement social dans les pays sous domination avec la naissance des Amin, Cardoso et autres en 1968 ; « elle a pu établir des ponts avec le marxisme, utilisé en tant qu'instrument d'analyse et d'observation de la société - bien que la plupart de ses tenants s'en soient par la suite distancés, prônait la libération des peuples et entendait ainsi renouer avec la tradition chrétienne de solidarité », ajoutent les écrits.
Cette évolution s’est manifestée au Sénégal avec les ajustements imposés depuis près de trente ans qui ont favorisé de nouvelles segmentations de la société sénégalaise avec une paupérisation qui n’allait pas forcément vers le bas peuple. Cela s’est vérifié avec le mouvement « Présence Chrétienne » et aussi avec les Imams de Guédiawaye : l’engagement des uns et des autres est né avec l’électricité et, plus généralement, les difficultés de la vie.
Elément déterminant de réification de l’ordre social, la religion s’est ainsi transformée depuis quelques années en lieu d’éveil et d’évolution des mentalités des fidèles incités à participer à la vie de leur milieu social. Si l’Amérique latine avait ouvert le bal dans les années 60 avait la théologie de la libération, le Sénégal s’est distingué dès le début des années 90 avec l’évêque de Kaolack d’alors, Mgr Adrien Sarr, qui a animé le puissant mouvement « Présence Chrétienne » ; désormais, l’Eglise n’attendait plus les fidèles sur le parvis : bien au contraire, elle allait à leur rencontre et discutait de leurs soucis quotidiens, loin de la nef.
La récente immixtion des Imams de Guédiawaye dans la vie publique, les complaintes angoissées de l'Eglise au Sénégal, surtout courant décembre 2009, sont aussi constitutivess d'une réalité émergente d'une religion sortie des mosquées et des églises à la rencontre des fidèles appelés à refuser une situation de précarité que rien ne semble justifier, aux yeux des responsables religieux, que la boulimie ou la cécité du pouvoir nouveau.