Le 1er mai 2011, Samy et sa sœur Aby, citoyens sénégalais, résidents du Canada, répondent à l’appel d’un communiqué posté sur Facebook. Ce dernier annonçait le passage d’une délégation de fonctionnaires, à Montréal, chargée d’assurer : «l’inscription sur les listes électorales et l’établissement de cartes nationales d’identité numérisées de 10 heures à 20 heures ».
En début d’après-midi, après une longue attente, Samy présente au fonctionnaire (que nous appellerons Monsieur D) les pièces indiquées dans le communiqué : passeport et photocopie des deux premières pages dudit passeport. Après un examen minutieux des papiers, Monsieur D exige un extrait de naissance ou l’ancienne carte d'identité. Surpris, Samy lui signale qu’il s’agissait de montrer un document au choix. Le fonctionnaire après un effort remarquable pour prononcer le nom de son interlocuteur, lui déclare : «Ah non, il y a un problème ici, il va falloir me prouver que vous êtes originaire du Sénégal".
Devant l’air interloqué du jeune homme, il ajoute : «Oui votre nom n'est pas du pays, il me faut un certificat de nationalité ». Samy lui fait remarquer qu’il a un passeport sénégalais. C’est alors que le personnage, sans ciller, lui assène le coup fatal : en gros il affirme qu’on sait comment ça se passe chez eux et que certains policiers vendent parfois les passeports aux étrangers, qu'il a en sa possession un décret présidentiel lui demandant de vérifier la véracité de la nationalité si un doute subsiste. Il fournit à peu près les mêmes explications à Aby, sœur de Samy, arrivée à la rescousse : au Sénégal, de plus en plus d’étrangers se font faire de faux papiers. Donc si l'agent (en l’occurrence lui) doute de la nationalité du demandeur, il est tenu d’exiger un certificat de nationalité. Puis, fidèle à sa cause identitaire, il invoque à nouveau ce qu’il qualifie de décret présidentiel. Et il brandira cet étendard nationaliste sous les yeux éberlués d’Aby.
Monsieur D ne semble pas percevoir aussi clairement qu’Aby le ridicule de la situation. Elle essaie donc de l’éclairer : pour faire sa carte d'identité, elle a dû présenter un certificat de nationalité, de plus, l'année précédente, elle a fait son passeport numérique et jamais on ne lui a demandé de prouver sa citoyenneté sénégalaise. Monsieur D n’en démord pas : il ne peut rien faire.
Cerise sur le gâteau : après quelques interventions d’autres Sénégalais sensibles à cette situation absurde, la piqûre du fonctionnaire zélé saisit l’homme : Il n’est pas habilité à prendre ce risque, à la limite, il aurait pu faire quelque chose pour Samy et Aby, mais comme le ton est monté, il ne peut prendre le risque de prendre ce risque.
Au zèle ignoble et commun de quelques fonctionnaires sénégalais, à leur ignorance lucide de l’histoire du Sénégal, il faudra désormais ajouter un décret, fondé sur le doute1, totalement subjectif qui leur donnera le droit de juger du degré de citoyenneté de ceux qui se disent Sénégalais. Portez-vous un nom atypique, arborez-vous un physique peu sahélien, êtes-vous différent ? Pour l’une ou trois de ces raisons vous avez de fortes chances de n’être pas assez sénégalais. Il est proche, le spectre de « l’ivoirité » qui a plongé notre pays ami dans un abîme sans fin de violence. Serons-nous aussi nombreux à crier au loup devant cette aberration que nous le sommes lorsque fonctionnaires français, espagnols et italiens (Bon teint ?) font subir à nos compatriotes des humiliations basées sur leur faciès ou leurs noms ?
Tant qu’à exiger un certificat de nationalité aux Sénégalais pour protéger l’État, il n’est qu’à l’exiger pour tous les Sénégalais, aussi Sénégalais paraissent-ils. Car c’est de cela qu’il s’agit, un jugement fondé sur l’apparence, un délit de faciès- un profilage racial, non? – un profilage patronymique et physique. Je ne puis croire que nous nous comportions en dignes descendants spirituels de Léopold Sédar Senghor, chantre de la civilisation de l’universel, en acceptant ces dérives politico-culturelles.
Ayavi Lake
Montréal, le 11 mai 2011