L’argent a-t-il voté ?
Si au Sénégal, l’argent a toujours profité au pouvoir, les élections présidentielles de 2000 et celles locales de 2009 montrent éloquemment que ce n’est pas le facteur le plus déterminant. Ce qui a fait gagner Abdoulaye Wade ou perdre l’opposition en 2007 se situe ailleurs. Nul n’ignore les rouages de la « machine à perdre » (camp désuni, absence de propositions, prétendant en rupture avec les électeurs, erreurs de communication et de stratégie…), mais les idéologues les plus ingénieux savent que le prêt-à-gagner, la panacée qui assurerait un triomphe électoral, n’existe pas. Toutefois, l’on peut, à la lumière de nombreuses situations affirmer qu’une élection présidentielle, y compris au Sénégal, se gagne avant tout sur la capacité d’un camp à capitaliser sur le changement et l’espoir. L’on se gausse encore du P-S qui, sentant le vent dévastateur du Sopi en 2000, est allé chercher le magicien Séguéla. Le sorcier débarque, prend le pouls de l’opinion, opère des consultations et arrête un slogan : « le changement » ! Etait-il benêt au point d’ignorer qu’à ce moment précis de notre histoire, le Sopi était devenu la propriété d’un homme qui pendant 26 ans s’était ruiné et avait enduré les tourments de l’emprisonnement pour mieux l’incarner ? Ce qui nous fait encore rire c’est qu’il avait été gracieusement rémunéré pour montrer aux socialistes, en seul mot, que la lampe d’Aladin, c’est dans les comptes pour enfant. La conjonction de l’argent, de l’armée et du pouvoir alliée à la magie d’un génie ne peuvent absolument rien contre la volonté d’un peuple assoiffé de changement.
Wade n’a pas gagné, c’est Niasse qui a perdu
Mais objectivement qui, en 2007, parmi les favoris, symbolisait le changement ? Tanor Dieng malgré ses nombreux atouts ne pouvait être celui-là en sept ans d’opposition seulement. Moustapha Niasse aurait pu l’être s’il avait été le candidat unique de l’opposition. Mais il a payé au prix fort l’impossibilité de rassembler le plus grand nombre autour de sa personne et il a surtout commis, pour un homme de son rang et de son talent, des erreurs que seule la légèreté induite par un excès de confiance peut expliquer. Soit dit en passant, si l’on intègre l’hypothèse que ces élections n’ont pas été truquées, le recul de Niasse justifie largement l’absence de second tour dans la mesure où les 10% d’électeurs qu’il a perdus ont certainement voté pour Wade, qui a parié sur les réalisations (wedi giss boku ci), et Idrissa Seck qui disait à qui voulait l’entendre : « je veux faire pour le Sénégal ce que j’ai fait pour Thiès ». Après avoir joué pendant cinq ans la carte de l’opposition républicaine, la radicalisation subite de Niasse en période pré-électorale a dérouté une partie de son électorat. Il a multiplié les erreurs de communication durant sa campagne. L’on se souvient de ses ingérences dans les chantiers de Touba (« où sont les milliards de Serigne Saliou ? ») là où l’ascète raffermissait les signes de confiance à son talibé. Il a à outrance critiqué les travaux de Wade (« Dakar est transformé en fromage ») ancrant ainsi sans le vouloir dans la tête des électeurs que le pouvoir faisait des « réalisations ». N’aurait-il pas mieux fait, au nom du sacro-saint principe de la continuité de l’Etat et de ses compétences, de rassurer les avides de modernisme qui répétaient inlassablement « laissons le vieux terminer ses chantiers » ? On peut multiplier les exemples en puisant sur sa couverture médiatique déficiente, qui a donné lieu à une polémique avec la RTS, ses serments sur la Bible et le Coran… Mais l’erreur fatale qu’il a commise fut sans doute de croire que les premières années de « l’alternance » étant celles du « massacre des milliards », l’enjeu des présidentielles de 2007 se situerait fondamentalement autour de l’éthique. Niasse à chaque meeting a perdu du temps à exhiber son mouchoir blanc comme Petit Mbaye ses deux « mains blanches », Landing Savané son fameux : « loxo yu set » (des mains propres)…
Moralisation de la politique ou politique de la moralisation ?
C’est pourquoi, je dis à tous ceux qui pensent que le débat sur les valeurs, durant ces années qui précèdent 2012, est si intense que les Sénégalais, aux prochaines présidentielles, choisiront un saint, que rien n’est moins incertain. Il est donc nécessaire de réorienter la contestation vers une donnée fondamentale dans quasiment toutes les élections : le Changement ! A ce policier qui menotte le matin un voleur de butane et qui accepte le soir la corruption, à ce père de famille qui à l’aube est à la mosquée et dès midi devant le kiosque de P.M.U, à cette femme qui se plaint du coût élevé de la vie et qui demande, au rescapé du mbëk-mi, une dote abusive pour la main de sa fille, à ce jeune qui reçoit 15000 francs CFA pour casser du journaliste… dites leur ce que vous pouvez faire, ensemble, pour changer leur situation, afin qu’ils n’aient plus besoin de tabasser pour manger du dibi, de marchander leur fille pour vivre, d’emprunter les cariocas pour se marier, de parier pour déjeuner et d’être corrompu pour acheter le mouton de la tabaski. Eux qui ne sont tout à fait « en accord » avec leurs consciences, mais qui cherchent souvent les moyens de s’en sortir, ils attendent de leurs hommes politiques des propositions crédibles qui changeront leurs quotidiens. D’autant plus qu’ils ont participé aux assises nationales, non pas par effet de mode, mais pour cela. Les discours sur la moralité, avec la culpabilité qui va avec… laissons-les à notre honorable Cardinal et aux khalif général.
Les valeurs aussi ne se mangent pas
L’on peut affirmer, sans tomber dans une parcellarisation étriquée, que la « vocation » d’un journaliste est de relater les faits, celle d’un intellectuel est de les penser, celle d’un homme politique est d’agir sur eux. Un des problèmes de notre pays procède de la confusion des rôles. Celui de sermonneur étant sans doute le plus prisé. Si cette inclination pour la prédication n’avait pas des incidences politiques, nul n’en aurait trouvé à redire. Seulement, une des maladresses de certains adversaires du pouvoir a été de nous enfermer dans un interminable et infernal débat sur la morale, au détriment des réelles préoccupations du peuple et des vrais dégâts de la « famille libérale ». Il paraît que la politique est « une leçon de choses », si c’est le cas, il faut rapidement en tirer une et passer à autre chose : les valeurs aussi ne se mangent pas ! C’est bien ce que semble nous dire le philosophe André Comte-Sponsville lorsqu’il affirme : « La morale ne saurait tenir lieu de politique, pas plus que la politique de morale : nous avons besoin des deux, et de la différence entre les deux ! Une élection, sauf exception, n’oppose pas des bons et des méchants : elle oppose des camps, des groupes sociaux ou idéologiques, des partis, des alliances, des intérêts, des opinions, des priorités, des choix, des programmes…» [2000 : p. 43]. Les Sénégalais n’attendent qu’une équipe soudée autour des conclusions des Assises valorisées pour montrer que même fort de ses infrastructures, le « Sopi pour demain », et donc l’espoir en un avenir meilleur, n’appartient plus à un bientôt nonagénaire entouré par une Alliance de mystificateurs et des scandales à la pelle. Tout autre schéma serait pire qu’une erreur, un vulgaire leurre.
Dr. Mouhamed A. Ly
lymou@voila.fr
Si au Sénégal, l’argent a toujours profité au pouvoir, les élections présidentielles de 2000 et celles locales de 2009 montrent éloquemment que ce n’est pas le facteur le plus déterminant. Ce qui a fait gagner Abdoulaye Wade ou perdre l’opposition en 2007 se situe ailleurs. Nul n’ignore les rouages de la « machine à perdre » (camp désuni, absence de propositions, prétendant en rupture avec les électeurs, erreurs de communication et de stratégie…), mais les idéologues les plus ingénieux savent que le prêt-à-gagner, la panacée qui assurerait un triomphe électoral, n’existe pas. Toutefois, l’on peut, à la lumière de nombreuses situations affirmer qu’une élection présidentielle, y compris au Sénégal, se gagne avant tout sur la capacité d’un camp à capitaliser sur le changement et l’espoir. L’on se gausse encore du P-S qui, sentant le vent dévastateur du Sopi en 2000, est allé chercher le magicien Séguéla. Le sorcier débarque, prend le pouls de l’opinion, opère des consultations et arrête un slogan : « le changement » ! Etait-il benêt au point d’ignorer qu’à ce moment précis de notre histoire, le Sopi était devenu la propriété d’un homme qui pendant 26 ans s’était ruiné et avait enduré les tourments de l’emprisonnement pour mieux l’incarner ? Ce qui nous fait encore rire c’est qu’il avait été gracieusement rémunéré pour montrer aux socialistes, en seul mot, que la lampe d’Aladin, c’est dans les comptes pour enfant. La conjonction de l’argent, de l’armée et du pouvoir alliée à la magie d’un génie ne peuvent absolument rien contre la volonté d’un peuple assoiffé de changement.
Wade n’a pas gagné, c’est Niasse qui a perdu
Mais objectivement qui, en 2007, parmi les favoris, symbolisait le changement ? Tanor Dieng malgré ses nombreux atouts ne pouvait être celui-là en sept ans d’opposition seulement. Moustapha Niasse aurait pu l’être s’il avait été le candidat unique de l’opposition. Mais il a payé au prix fort l’impossibilité de rassembler le plus grand nombre autour de sa personne et il a surtout commis, pour un homme de son rang et de son talent, des erreurs que seule la légèreté induite par un excès de confiance peut expliquer. Soit dit en passant, si l’on intègre l’hypothèse que ces élections n’ont pas été truquées, le recul de Niasse justifie largement l’absence de second tour dans la mesure où les 10% d’électeurs qu’il a perdus ont certainement voté pour Wade, qui a parié sur les réalisations (wedi giss boku ci), et Idrissa Seck qui disait à qui voulait l’entendre : « je veux faire pour le Sénégal ce que j’ai fait pour Thiès ». Après avoir joué pendant cinq ans la carte de l’opposition républicaine, la radicalisation subite de Niasse en période pré-électorale a dérouté une partie de son électorat. Il a multiplié les erreurs de communication durant sa campagne. L’on se souvient de ses ingérences dans les chantiers de Touba (« où sont les milliards de Serigne Saliou ? ») là où l’ascète raffermissait les signes de confiance à son talibé. Il a à outrance critiqué les travaux de Wade (« Dakar est transformé en fromage ») ancrant ainsi sans le vouloir dans la tête des électeurs que le pouvoir faisait des « réalisations ». N’aurait-il pas mieux fait, au nom du sacro-saint principe de la continuité de l’Etat et de ses compétences, de rassurer les avides de modernisme qui répétaient inlassablement « laissons le vieux terminer ses chantiers » ? On peut multiplier les exemples en puisant sur sa couverture médiatique déficiente, qui a donné lieu à une polémique avec la RTS, ses serments sur la Bible et le Coran… Mais l’erreur fatale qu’il a commise fut sans doute de croire que les premières années de « l’alternance » étant celles du « massacre des milliards », l’enjeu des présidentielles de 2007 se situerait fondamentalement autour de l’éthique. Niasse à chaque meeting a perdu du temps à exhiber son mouchoir blanc comme Petit Mbaye ses deux « mains blanches », Landing Savané son fameux : « loxo yu set » (des mains propres)…
Moralisation de la politique ou politique de la moralisation ?
C’est pourquoi, je dis à tous ceux qui pensent que le débat sur les valeurs, durant ces années qui précèdent 2012, est si intense que les Sénégalais, aux prochaines présidentielles, choisiront un saint, que rien n’est moins incertain. Il est donc nécessaire de réorienter la contestation vers une donnée fondamentale dans quasiment toutes les élections : le Changement ! A ce policier qui menotte le matin un voleur de butane et qui accepte le soir la corruption, à ce père de famille qui à l’aube est à la mosquée et dès midi devant le kiosque de P.M.U, à cette femme qui se plaint du coût élevé de la vie et qui demande, au rescapé du mbëk-mi, une dote abusive pour la main de sa fille, à ce jeune qui reçoit 15000 francs CFA pour casser du journaliste… dites leur ce que vous pouvez faire, ensemble, pour changer leur situation, afin qu’ils n’aient plus besoin de tabasser pour manger du dibi, de marchander leur fille pour vivre, d’emprunter les cariocas pour se marier, de parier pour déjeuner et d’être corrompu pour acheter le mouton de la tabaski. Eux qui ne sont tout à fait « en accord » avec leurs consciences, mais qui cherchent souvent les moyens de s’en sortir, ils attendent de leurs hommes politiques des propositions crédibles qui changeront leurs quotidiens. D’autant plus qu’ils ont participé aux assises nationales, non pas par effet de mode, mais pour cela. Les discours sur la moralité, avec la culpabilité qui va avec… laissons-les à notre honorable Cardinal et aux khalif général.
Les valeurs aussi ne se mangent pas
L’on peut affirmer, sans tomber dans une parcellarisation étriquée, que la « vocation » d’un journaliste est de relater les faits, celle d’un intellectuel est de les penser, celle d’un homme politique est d’agir sur eux. Un des problèmes de notre pays procède de la confusion des rôles. Celui de sermonneur étant sans doute le plus prisé. Si cette inclination pour la prédication n’avait pas des incidences politiques, nul n’en aurait trouvé à redire. Seulement, une des maladresses de certains adversaires du pouvoir a été de nous enfermer dans un interminable et infernal débat sur la morale, au détriment des réelles préoccupations du peuple et des vrais dégâts de la « famille libérale ». Il paraît que la politique est « une leçon de choses », si c’est le cas, il faut rapidement en tirer une et passer à autre chose : les valeurs aussi ne se mangent pas ! C’est bien ce que semble nous dire le philosophe André Comte-Sponsville lorsqu’il affirme : « La morale ne saurait tenir lieu de politique, pas plus que la politique de morale : nous avons besoin des deux, et de la différence entre les deux ! Une élection, sauf exception, n’oppose pas des bons et des méchants : elle oppose des camps, des groupes sociaux ou idéologiques, des partis, des alliances, des intérêts, des opinions, des priorités, des choix, des programmes…» [2000 : p. 43]. Les Sénégalais n’attendent qu’une équipe soudée autour des conclusions des Assises valorisées pour montrer que même fort de ses infrastructures, le « Sopi pour demain », et donc l’espoir en un avenir meilleur, n’appartient plus à un bientôt nonagénaire entouré par une Alliance de mystificateurs et des scandales à la pelle. Tout autre schéma serait pire qu’une erreur, un vulgaire leurre.
Dr. Mouhamed A. Ly
lymou@voila.fr