Le Sénégal peut être divisé en deux parties. Un « Sénégal-Dakar » qui se limite à Dakar, concentre plus de 75% des agents de l’administration sénégalaise (selon un responsable de l’Amicale des administrateurs civils du Sénégal, in APS, samedi 28 juillet 2012), à peu près le ¼ de la population du pays, qui aspire tous les jeunes diplômés des contrées. Et un « Sénégal en marge » vide de sa population, de ses diplômés, pauvre dans son administration et laissé à lui seul dans un désert de richesse.
Ce « Sénégal » est à la marge des décisions politiques, des infrastructures, des investissements… etc. Le pays est dans une situation de déséquilibre. La région de Dakar où convergent tous les efforts de l’État et des Sénégalais est depuis de longues décennies une capitale macrocéphale. Le défunt Cheikh Abdoulaye Dièye (RTA) nous le faisait comprendre lors de ses tournées électorales. Comment le territoire national est tombé dans cette situation de déséquilibre ?
Le Sénégal peut être comparé à ce que Jean François Gravier disait pour la France en 1947 dans son ouvrage intitulé « Paris et le désert Français » où il montrait la domination de Paris sur le reste de la France. La formule que nous utilisons pour le Sénégal est : « Dakar et le Sénégal en marge ». Depuis la période coloniale et postcoloniale, toute la politique du Sénégal est concentrée à Dakar, alors que cette région ne représente que 0,28 % du territoire national. Le reste du Sénégal est un désert dans la mesure où il ne bénéficie que de politiques de saupoudrages et d’impromptues. Nos hôpitaux régionaux et départementaux sont des coquilles vides, où le manque de personnel est décrié. Ne parlons même pas des districts sanitaires ou des cases de santé.
Ce Sénégal laissé en rade dans les politiques d’aménagement par les autorités doit respirer un élan de développement équilibré et partagé. Le pays a besoin d’un rééquilibrage de son territoire, car la capitale a pris une charge insupportable (croissance démographique, problèmes environnementaux…) et risque de s’exploser. Pour cela, nous devons revoir et repenser notre politique d’aménagement du territoire dans son ensemble :
La carte de l’occupation de l’espace,
La carte des structures éducatives,
La carte des structures sanitaires,
La carte de l’administration générale,
La carte des structures de transport,
La carte de l’agriculture et de l’exploitation des richesses,
La carte du maillage du territoire … etc
Dîtes-nous quelles politiques d’aménagement avez-vous, nous vous dirons quel est votre niveau de développement !
Le professeur Mouhamadou Mawloud Diakhaté a raison de souligner dans son ouvrage « l’aménagement du territoire au Sénégal : principes, pratiques et devoirs pour le XXI siècle », « qu’aménager n’est pas seulement décider de la localisation d’une franche industrielle, d’une ville nouvelle, d’un aéroport, construire un monument ou susciter ou contenir l’étalement d’une agglomération.
Aménager dans les règles de l’art, c’est introduire les germes d’un processus de transformation du territoire en tenant en compte des évolutions démographiques, des contraintes économiques et sociales (endogènes et exogènes), de l’état des géo systèmes et de la qualité des paysages et du cadre de vie». L’aménagement du territoire repose dans la transversalité et prend en compte l’espace et tout ce qui lui est rattaché.
Il se fonde sur l’articulation des différents éléments sociaux, économiques et environnementaux d’un programme, d’un équipement ou des actes que posent l’État et les collectivités territoriales. Sans une bonne politique d’aménagement les secteurs d’activités se heurtent et paralysent le développement économique, social et environnemental du pays.
Le transport est un exemple patent au Sénégal. Ce secteur d’activité fait perdre des millions au pays car l’enclavement du « Sénégal en marge » est un frein pour le développement des systèmes de production. L’absence des pistes de production au sein de cet espace fait du Sénégal un pays où les producteurs rencontrent d’énormes difficultés pour prolonger leur production vers les centres urbains et les lieux de commercialisation. Le constat est amer, les citoyens du « Sénégal en marge » se désolent de l’état des routes et de l’enclavement de leurs villes et villages.
L’aménagement du territoire doit s’appuyer sur des choix cohérents. Pourquoi des milliards sont investis sur la corniche du « Sénagal-Dakar » alors que les citoyens de Linguère, de Matam, de Sédhiou, de Koussanar, de Bakel, de Pata… etc. vivent dans des localités dont l’accès est difficile. Les villes de l’intérieur du pays sont interconnectées d’une manière discontinue. L’interconnexion entre les arrondissements, les communautés rurales, les départements et les régions doit être un des objectifs de l’instance politique. Quelles politiques de transport pour faciliter la circulation et la sécurité des citoyens afin d’accroitre notre économie ?
Le Sénégal vient de passer quinze ans de décentralisation. Cette politique qui transfère des compétences aux collectivités territoriales a-t-elle répondu à ses attentes ? Le bilan de cette politique est mitigé. La décentralisation n’a pas permis aux collectivités territoriales de s’inscrire dans une gestion holistique des ressources. En outre, les élus n’ont pas eu le soutien de l’État qui devait les accompagner. Cependant, les élus ont leur part de responsabilité dans cette situation. Ils n’ont pas saisi cette occasion pour redresser leurs localités dans le bon sens. La décentralisation n’a profité qu’à certains élus et leur entourage. La question foncière est un exemple clair. En général, ils ne font pas la différence entre les biens communs ou collectifs et les leurs.
En fait, la décentralisation est une bonne politique pour renforcer la gouvernance locale. Il faut accompagner cette politique, encadrer les élus dans la gestion de la collectivité. Le ministère de l’aménagement du territoire doit renforcer les collectivités territoriales en leur attribuant des ressources et des agents. Ces derniers doivent être capables d’élaborer et de suivre des documents d’urbanisme, de planification territoriale, de projets de territoire … etc. Mais, nous observons dans ces collectivités territoriales la présence de personnes qui n’ont aucun sens du territoire ou de l’espace. Cela semble être un des freins de ces dites localités dans leur politique de développement… Les maires, les présidents des conseils régionaux et de conseils ruraux vont dire qu’ils n’ont pas les moyens pour recruter des chargés de mission en aménagement ou en développement local.
En effet, des communes qui ont la même histoire, la même géographie, la même ressource et dont les populations partagent la même culture peuvent s’appuyer sur un (e) chargé (e) de mission qui fait de la recherche action et élabore des projets territoriaux. Par exemple, en se basant sur des termes d’un contrat bien définis, deux ou trois communes peuvent recruter ensemble un ingénieur capable de mener à bien leur politique territoriale.
Cette personne recrutée aura la charge d’accompagner les élus de ces dites contrées dans des projets, d’encadrer les associations féminines de développement, de dynamiser ces localités par des choix cohérents … etc. Il est bien possible de mutualiser leurs forces, leurs énergies pour engager un (e) chargé (e) de mission et inscrire leurs localités dans une dynamique territoriale. Cette mutualisation ne peut être que profitable pour les collectivités territoriales. Ces dernières devront s’appuyer sur l’intercommunalité afin d’atténuer les déséquilibres et d’avoir de vraies politiques territoriales. La mise en réseau ou en intercommunalité des villes peut-elle être une solution pour renforcer les collectivités territoriales ?
Notre politique d’aménagement du territoire doit s’appuyer sur la prospective territoriale en vue de proposer des futurs possibles et des scénarios pour un Sénégal en 2030 ou en 2050. La prospective sert à maitriser et à anticiper les mutations en s’appuyant sur le passé et le présent. Elle donne à l’État et aux acteurs la possibilité de choisir des avenirs possibles pour la société en fonction des décisions, des actions, et des programmes enclenchés. Il faut de la volonté et de l’ambition pour repenser notre politique d’aménagement du territoire et créer des pôles locaux de développement territorial (polycentrisme).
Je salue la nomination d’un Expert à la tête de l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT). Un géographe dans cette structure ne peut être que profitable pour le pays. J’espère que la nouvelle direction aura les moyens et le soutien de tous les acteurs pour un redressement de notre territoire car le développement territorial et l’équilibre du Sénégal passeront par une bonne politique d’aménagement.
Serigne Mor Gaye
Chargé d’études en aménagement et prospective territoriale
serignedj@gmail.com
djolof97@yahoo.fr
Ce « Sénégal » est à la marge des décisions politiques, des infrastructures, des investissements… etc. Le pays est dans une situation de déséquilibre. La région de Dakar où convergent tous les efforts de l’État et des Sénégalais est depuis de longues décennies une capitale macrocéphale. Le défunt Cheikh Abdoulaye Dièye (RTA) nous le faisait comprendre lors de ses tournées électorales. Comment le territoire national est tombé dans cette situation de déséquilibre ?
Le Sénégal peut être comparé à ce que Jean François Gravier disait pour la France en 1947 dans son ouvrage intitulé « Paris et le désert Français » où il montrait la domination de Paris sur le reste de la France. La formule que nous utilisons pour le Sénégal est : « Dakar et le Sénégal en marge ». Depuis la période coloniale et postcoloniale, toute la politique du Sénégal est concentrée à Dakar, alors que cette région ne représente que 0,28 % du territoire national. Le reste du Sénégal est un désert dans la mesure où il ne bénéficie que de politiques de saupoudrages et d’impromptues. Nos hôpitaux régionaux et départementaux sont des coquilles vides, où le manque de personnel est décrié. Ne parlons même pas des districts sanitaires ou des cases de santé.
Ce Sénégal laissé en rade dans les politiques d’aménagement par les autorités doit respirer un élan de développement équilibré et partagé. Le pays a besoin d’un rééquilibrage de son territoire, car la capitale a pris une charge insupportable (croissance démographique, problèmes environnementaux…) et risque de s’exploser. Pour cela, nous devons revoir et repenser notre politique d’aménagement du territoire dans son ensemble :
La carte de l’occupation de l’espace,
La carte des structures éducatives,
La carte des structures sanitaires,
La carte de l’administration générale,
La carte des structures de transport,
La carte de l’agriculture et de l’exploitation des richesses,
La carte du maillage du territoire … etc
Dîtes-nous quelles politiques d’aménagement avez-vous, nous vous dirons quel est votre niveau de développement !
Le professeur Mouhamadou Mawloud Diakhaté a raison de souligner dans son ouvrage « l’aménagement du territoire au Sénégal : principes, pratiques et devoirs pour le XXI siècle », « qu’aménager n’est pas seulement décider de la localisation d’une franche industrielle, d’une ville nouvelle, d’un aéroport, construire un monument ou susciter ou contenir l’étalement d’une agglomération.
Aménager dans les règles de l’art, c’est introduire les germes d’un processus de transformation du territoire en tenant en compte des évolutions démographiques, des contraintes économiques et sociales (endogènes et exogènes), de l’état des géo systèmes et de la qualité des paysages et du cadre de vie». L’aménagement du territoire repose dans la transversalité et prend en compte l’espace et tout ce qui lui est rattaché.
Il se fonde sur l’articulation des différents éléments sociaux, économiques et environnementaux d’un programme, d’un équipement ou des actes que posent l’État et les collectivités territoriales. Sans une bonne politique d’aménagement les secteurs d’activités se heurtent et paralysent le développement économique, social et environnemental du pays.
Le transport est un exemple patent au Sénégal. Ce secteur d’activité fait perdre des millions au pays car l’enclavement du « Sénégal en marge » est un frein pour le développement des systèmes de production. L’absence des pistes de production au sein de cet espace fait du Sénégal un pays où les producteurs rencontrent d’énormes difficultés pour prolonger leur production vers les centres urbains et les lieux de commercialisation. Le constat est amer, les citoyens du « Sénégal en marge » se désolent de l’état des routes et de l’enclavement de leurs villes et villages.
L’aménagement du territoire doit s’appuyer sur des choix cohérents. Pourquoi des milliards sont investis sur la corniche du « Sénagal-Dakar » alors que les citoyens de Linguère, de Matam, de Sédhiou, de Koussanar, de Bakel, de Pata… etc. vivent dans des localités dont l’accès est difficile. Les villes de l’intérieur du pays sont interconnectées d’une manière discontinue. L’interconnexion entre les arrondissements, les communautés rurales, les départements et les régions doit être un des objectifs de l’instance politique. Quelles politiques de transport pour faciliter la circulation et la sécurité des citoyens afin d’accroitre notre économie ?
Le Sénégal vient de passer quinze ans de décentralisation. Cette politique qui transfère des compétences aux collectivités territoriales a-t-elle répondu à ses attentes ? Le bilan de cette politique est mitigé. La décentralisation n’a pas permis aux collectivités territoriales de s’inscrire dans une gestion holistique des ressources. En outre, les élus n’ont pas eu le soutien de l’État qui devait les accompagner. Cependant, les élus ont leur part de responsabilité dans cette situation. Ils n’ont pas saisi cette occasion pour redresser leurs localités dans le bon sens. La décentralisation n’a profité qu’à certains élus et leur entourage. La question foncière est un exemple clair. En général, ils ne font pas la différence entre les biens communs ou collectifs et les leurs.
En fait, la décentralisation est une bonne politique pour renforcer la gouvernance locale. Il faut accompagner cette politique, encadrer les élus dans la gestion de la collectivité. Le ministère de l’aménagement du territoire doit renforcer les collectivités territoriales en leur attribuant des ressources et des agents. Ces derniers doivent être capables d’élaborer et de suivre des documents d’urbanisme, de planification territoriale, de projets de territoire … etc. Mais, nous observons dans ces collectivités territoriales la présence de personnes qui n’ont aucun sens du territoire ou de l’espace. Cela semble être un des freins de ces dites localités dans leur politique de développement… Les maires, les présidents des conseils régionaux et de conseils ruraux vont dire qu’ils n’ont pas les moyens pour recruter des chargés de mission en aménagement ou en développement local.
En effet, des communes qui ont la même histoire, la même géographie, la même ressource et dont les populations partagent la même culture peuvent s’appuyer sur un (e) chargé (e) de mission qui fait de la recherche action et élabore des projets territoriaux. Par exemple, en se basant sur des termes d’un contrat bien définis, deux ou trois communes peuvent recruter ensemble un ingénieur capable de mener à bien leur politique territoriale.
Cette personne recrutée aura la charge d’accompagner les élus de ces dites contrées dans des projets, d’encadrer les associations féminines de développement, de dynamiser ces localités par des choix cohérents … etc. Il est bien possible de mutualiser leurs forces, leurs énergies pour engager un (e) chargé (e) de mission et inscrire leurs localités dans une dynamique territoriale. Cette mutualisation ne peut être que profitable pour les collectivités territoriales. Ces dernières devront s’appuyer sur l’intercommunalité afin d’atténuer les déséquilibres et d’avoir de vraies politiques territoriales. La mise en réseau ou en intercommunalité des villes peut-elle être une solution pour renforcer les collectivités territoriales ?
Notre politique d’aménagement du territoire doit s’appuyer sur la prospective territoriale en vue de proposer des futurs possibles et des scénarios pour un Sénégal en 2030 ou en 2050. La prospective sert à maitriser et à anticiper les mutations en s’appuyant sur le passé et le présent. Elle donne à l’État et aux acteurs la possibilité de choisir des avenirs possibles pour la société en fonction des décisions, des actions, et des programmes enclenchés. Il faut de la volonté et de l’ambition pour repenser notre politique d’aménagement du territoire et créer des pôles locaux de développement territorial (polycentrisme).
Je salue la nomination d’un Expert à la tête de l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT). Un géographe dans cette structure ne peut être que profitable pour le pays. J’espère que la nouvelle direction aura les moyens et le soutien de tous les acteurs pour un redressement de notre territoire car le développement territorial et l’équilibre du Sénégal passeront par une bonne politique d’aménagement.
Serigne Mor Gaye
Chargé d’études en aménagement et prospective territoriale
serignedj@gmail.com
djolof97@yahoo.fr