20 décembre 2001 - 20 décembre 2013. Il est de tradition, mon cher Sédar, que de la terre des vivants, je vous écrive en ce triste anniversaire.
Douze longues années maintenant, depuis que vous errez dans l’horaire des songes. Votre visage, vos mots, vos leçons ne nous ont jamais quittés Monsieur le Président, cher poète.
Il y a à peine quelques jours, je sortais de l’Académie Française, à Paris, où je m’étais rendu pour prendre part à l’investiture de notre compatriote Ousmane Sow, reçu sous la Coupole, aux Beaux Arts. Quand je me suis assis dans la salle et que les académiciens invités ont fait leur entrée, je t’ai vu à la droite de Jean Christophe Rufin. Tu avais le visage grave. Je t’ai souri et alors tu as souri de ton sourire de Sérère taquin et malin comme un singe. Parmi l’assistance affectueuse je picorais du regard les visages noirs instalés çà et là. J’avais noté la présence de notre ministre de la Culture, l’éclectique Abdoul Aziz Mbaye au robuste appétit intellectuel, Hamidou Sall feutré, encore captif de notre deuil, Khalifa du même nom, l’imperturbable maire de Dakar, Paul Badji «bien trié» comme Ambassadeur à Paris, l’inusable et attachant Amath Dansokho, Daniel Senghor, le fulgurant artiste Ndary Lô, la romancière Fatou Diome, l’ami considérable Gérard Senac. Quant au lauréat du moment Ousmane Sow, quoiqu’un peu anesthésié par l’émotion, il paraissait comme une immense sculpture « Nouba » dont le sourire franc ensoleillait la salle en cet après-midi d’hiver. Comme toi jadis Sédar chez les lettrés, le voici premier noir africain siégeant aux Beaux Arts sous la Coupole.
Je l’ai imaginé entrer, s’asseoir avec son costume africain d’académicien qu’il aurait eu la liberté de se faire tailler par Diouma, Alphady, Oumou Sy ou Collé Ardo. Sûr que cela aurait fait fureur! Le costume académique unique pour tous les récipiendaires reste tout de même le garant d’une tradition, le symbole d’une marque de partage, d’un signe commun d’alliance.
Un jour sans doute, avant que Dieu ne meurt, nous aussi de ce côté-ci du monde, recevrons dans nos académies africaines à bâtir, des femmes et des hommes d’autres horizons dont le génie a comblé la beauté, ébranlé les assises de la pensée humaine et nourri l’esprit de manière singulière
Mon cher poète, cette cérémonie sous la Coupole, ta Coupole, me semblait encore être la tienne. Ousmane t’a salué. A travers lui, c’était toi notre Sédar qui habitait toutes les mémoires. Ton souvenir était là, imparable, ineffaçable. Ce souvenir durera plus longtemps qu’une montagne.
C’est qu’en effet, vous avez précédé le temps, tracé depuis longtemps pour nous les chemins de gloire. Vous nous avez appris que ce que l’on gagne par le sang, le travail, le respect de soi et des autres, l’amour, est plus durable que ce qu’on l’on conquiert par l’argent, la ruse, le mensonge. Rien dans la vie de la République, rien dans la marche de la pensée, rien dans la splendeur de l’esprit ne peut omettre ton nom, ton œuvre. Tu as balisé d’une étoile qui ne s’éteint ni de nuit ni de jour non les quatre, mais les cinq horizons de l’humain.
Que vous dire Monsieur le Président, mon cher poète, sur le temps du monde ? Obama a été réélu, vous le savez déjà. Restera le rêve noir d’avoir reculé l’horizon comme l’avait prédit Martin Luther King. Cela s’arrêtera là. L’Amérique est redevenue l’Amérique: puissante et pauvre en plus d’être engourdie ! Avec Obama, elle a perdu son regard circulaire d’épervier. Elle sait maintenant que la planète n’est pas une « excroissance des USA ». En Europe, c’est le sauve qui peut, sauf l’Allemagne qui joue des muscles mais pour combien de temps. L’Amérique latine couve sous la fièvre qui ne la quitte pas, même si le Brésil reste une belle aurore. L’Asie rayonne et conquiert le monde. Elle a rendu les puissants d’hier plus humbles, moins bavards. Le monde arabe reste fragile et démembré, même si le pétrole assure à une partie de sa frange « émiratie » et «saoudienne» une vitrine plus scintillante que durable. Sidi Mohammed Ben El Hassan devenu Mohammed VI, développe intelligemment ce Maroc que tu chérissais tant. L’Iran joue sa carte nucléaire. Elle n’a pas tort. Elle n’a pas raison. Toute véritable paix, toute sécurité, exigerait une dissuasion égale des forces en conflit. Il faut bâtir ce qui vous fait respecter par les autres : l’esprit ou l’épée. Peu respecte hélas l’esprit !
Sédar, l’Afrique, votre Afrique grandit. Elle tient le monde en éveil. Il lui faut saisir sa chance. Ce que l’on disait de la Chine hier, lui revient aujourd’hui unanimement : l’Afrique s’est réveillée. On la courtise de partout. Elle tient enfin son destin en main, car ceux qui la servent, en dehors de quelques rares leaders maudits, appartiennent à un autre cycle de l’histoire. Il s’y ajoute que la jeunesse africaine est devenue une force politique imparable dont le seul parti est celui du peuple. En un mot : le peuple avant la démocratie ! Le peuple avant le Président !
Cher poète, ton pays va-t-il comme va le monde ? Disons qu’il a déserté cette illusion lyrique qui voulait qu’un Président seul, un parti seul, tiennent entre leurs mains le destin des Sénégalais. Macky Sall se bat avec une coalition à qui il tente d’imposer sa météo. Mais une coalition tranquille et calculatrice ne pousse jamais un Président à être audacieux. Des congratulations mutuelles et des louanges interminables n’ont jamais conduit un chef à la révolution. Le Sénégal est dos au mur : il doit avancer. Il avancera par de douloureuses et courageuses réformes dont une fondamentale : compter d’abord sur ses propres moyens par des dépenses passées au tamis et une planification sévère. Avancer également en ayant en face un vrai contre pouvoir qui protège des dérives et des illuminations.
La génération de Mackhy Sall doit, par ailleurs et sans tarder, relever pas à pas le défi de la transition énergétique par le solaire.
Côté culture, pour l’heure, mon cher Sédar, je suis tenté de demander au Président Sall de renoncer au musée des civilisations noires au profit d’une grande école des Beaux Arts, à défaut d’une Bibliothèque nationale. Ces deux projets sont plus porteurs, plus urgents. Ils lui ressembleront le plus. Par ce geste, le Président innovera, marquera différement son mandat.
Mon cher poète, je crois que chez nous la nouvelle alternance a mené enfin la politique à la vérité. Cette vérité que le peuple n’attend plus et que les Sénégalais désormais chassent plus de Présidents qu’ils n’en élisent.
«Il faut neuf mois pour faire un homme… » disait Malraux. Ne faudrait-il pas dix ans à un Président pour faire cuire ses pierres ?
Mon cher Sédar, Mandela nous a quittés. L’histoire lui a bâti une belle tombe et l’avenir a fait la promesse de la tenir fleurie. Notre terre donnera t-elle encore une fleur qui ressemblera à Madiba ?
Ta Fondation désormais dirigée par un bel enfant de Joal te prépare un solide hommage à l’Université Cheikh Anta Diop, là où le brillant esprit Mamoussé Diagne me disait que chassé presque de ce temple, ton œuvre et ton actualité t’y avaient de nouveau admis. Nous savons combien tu fus la victime d’un monde universitaire libre, brillant, démesuré.
Ton souvenir ne m’a jamais quitté cher poète. A quoi sert-il d’être le plus riche du cimetière ? Par contre, si ta tombe est aujourd’hui la plus visitée, c’est que les vivants n’ont pas oublié ce que vous avez été, ce que vous avez fait, ce que vous avez laissé. Je m’honore Senghor d’être parmi ceux que vous avez aidé à grandir. Jamais je ne pourrais vous rendre ce que vous m’avez donné. Cela n’a ni un prix, ni un nom. Et voyez-vous cher Sédar, ils sont une foultitude à vous vouer le respect dû à votre rang. Vous demeurez notre visa d’hier et de demain pour courir le monde !
Mon cher Président, si cher poète, ceux qui sont venus après vous pour honorer l’Etat, grandir la République, se doivent d’avoir à cœur ces mots d’un inspiré descendant de Shakespeare : « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve ».
./.
Amadou Lamine Sall
poète
Lauréat des Grands prix de l’Académie française
Douze longues années maintenant, depuis que vous errez dans l’horaire des songes. Votre visage, vos mots, vos leçons ne nous ont jamais quittés Monsieur le Président, cher poète.
Il y a à peine quelques jours, je sortais de l’Académie Française, à Paris, où je m’étais rendu pour prendre part à l’investiture de notre compatriote Ousmane Sow, reçu sous la Coupole, aux Beaux Arts. Quand je me suis assis dans la salle et que les académiciens invités ont fait leur entrée, je t’ai vu à la droite de Jean Christophe Rufin. Tu avais le visage grave. Je t’ai souri et alors tu as souri de ton sourire de Sérère taquin et malin comme un singe. Parmi l’assistance affectueuse je picorais du regard les visages noirs instalés çà et là. J’avais noté la présence de notre ministre de la Culture, l’éclectique Abdoul Aziz Mbaye au robuste appétit intellectuel, Hamidou Sall feutré, encore captif de notre deuil, Khalifa du même nom, l’imperturbable maire de Dakar, Paul Badji «bien trié» comme Ambassadeur à Paris, l’inusable et attachant Amath Dansokho, Daniel Senghor, le fulgurant artiste Ndary Lô, la romancière Fatou Diome, l’ami considérable Gérard Senac. Quant au lauréat du moment Ousmane Sow, quoiqu’un peu anesthésié par l’émotion, il paraissait comme une immense sculpture « Nouba » dont le sourire franc ensoleillait la salle en cet après-midi d’hiver. Comme toi jadis Sédar chez les lettrés, le voici premier noir africain siégeant aux Beaux Arts sous la Coupole.
Je l’ai imaginé entrer, s’asseoir avec son costume africain d’académicien qu’il aurait eu la liberté de se faire tailler par Diouma, Alphady, Oumou Sy ou Collé Ardo. Sûr que cela aurait fait fureur! Le costume académique unique pour tous les récipiendaires reste tout de même le garant d’une tradition, le symbole d’une marque de partage, d’un signe commun d’alliance.
Un jour sans doute, avant que Dieu ne meurt, nous aussi de ce côté-ci du monde, recevrons dans nos académies africaines à bâtir, des femmes et des hommes d’autres horizons dont le génie a comblé la beauté, ébranlé les assises de la pensée humaine et nourri l’esprit de manière singulière
Mon cher poète, cette cérémonie sous la Coupole, ta Coupole, me semblait encore être la tienne. Ousmane t’a salué. A travers lui, c’était toi notre Sédar qui habitait toutes les mémoires. Ton souvenir était là, imparable, ineffaçable. Ce souvenir durera plus longtemps qu’une montagne.
C’est qu’en effet, vous avez précédé le temps, tracé depuis longtemps pour nous les chemins de gloire. Vous nous avez appris que ce que l’on gagne par le sang, le travail, le respect de soi et des autres, l’amour, est plus durable que ce qu’on l’on conquiert par l’argent, la ruse, le mensonge. Rien dans la vie de la République, rien dans la marche de la pensée, rien dans la splendeur de l’esprit ne peut omettre ton nom, ton œuvre. Tu as balisé d’une étoile qui ne s’éteint ni de nuit ni de jour non les quatre, mais les cinq horizons de l’humain.
Que vous dire Monsieur le Président, mon cher poète, sur le temps du monde ? Obama a été réélu, vous le savez déjà. Restera le rêve noir d’avoir reculé l’horizon comme l’avait prédit Martin Luther King. Cela s’arrêtera là. L’Amérique est redevenue l’Amérique: puissante et pauvre en plus d’être engourdie ! Avec Obama, elle a perdu son regard circulaire d’épervier. Elle sait maintenant que la planète n’est pas une « excroissance des USA ». En Europe, c’est le sauve qui peut, sauf l’Allemagne qui joue des muscles mais pour combien de temps. L’Amérique latine couve sous la fièvre qui ne la quitte pas, même si le Brésil reste une belle aurore. L’Asie rayonne et conquiert le monde. Elle a rendu les puissants d’hier plus humbles, moins bavards. Le monde arabe reste fragile et démembré, même si le pétrole assure à une partie de sa frange « émiratie » et «saoudienne» une vitrine plus scintillante que durable. Sidi Mohammed Ben El Hassan devenu Mohammed VI, développe intelligemment ce Maroc que tu chérissais tant. L’Iran joue sa carte nucléaire. Elle n’a pas tort. Elle n’a pas raison. Toute véritable paix, toute sécurité, exigerait une dissuasion égale des forces en conflit. Il faut bâtir ce qui vous fait respecter par les autres : l’esprit ou l’épée. Peu respecte hélas l’esprit !
Sédar, l’Afrique, votre Afrique grandit. Elle tient le monde en éveil. Il lui faut saisir sa chance. Ce que l’on disait de la Chine hier, lui revient aujourd’hui unanimement : l’Afrique s’est réveillée. On la courtise de partout. Elle tient enfin son destin en main, car ceux qui la servent, en dehors de quelques rares leaders maudits, appartiennent à un autre cycle de l’histoire. Il s’y ajoute que la jeunesse africaine est devenue une force politique imparable dont le seul parti est celui du peuple. En un mot : le peuple avant la démocratie ! Le peuple avant le Président !
Cher poète, ton pays va-t-il comme va le monde ? Disons qu’il a déserté cette illusion lyrique qui voulait qu’un Président seul, un parti seul, tiennent entre leurs mains le destin des Sénégalais. Macky Sall se bat avec une coalition à qui il tente d’imposer sa météo. Mais une coalition tranquille et calculatrice ne pousse jamais un Président à être audacieux. Des congratulations mutuelles et des louanges interminables n’ont jamais conduit un chef à la révolution. Le Sénégal est dos au mur : il doit avancer. Il avancera par de douloureuses et courageuses réformes dont une fondamentale : compter d’abord sur ses propres moyens par des dépenses passées au tamis et une planification sévère. Avancer également en ayant en face un vrai contre pouvoir qui protège des dérives et des illuminations.
La génération de Mackhy Sall doit, par ailleurs et sans tarder, relever pas à pas le défi de la transition énergétique par le solaire.
Côté culture, pour l’heure, mon cher Sédar, je suis tenté de demander au Président Sall de renoncer au musée des civilisations noires au profit d’une grande école des Beaux Arts, à défaut d’une Bibliothèque nationale. Ces deux projets sont plus porteurs, plus urgents. Ils lui ressembleront le plus. Par ce geste, le Président innovera, marquera différement son mandat.
Mon cher poète, je crois que chez nous la nouvelle alternance a mené enfin la politique à la vérité. Cette vérité que le peuple n’attend plus et que les Sénégalais désormais chassent plus de Présidents qu’ils n’en élisent.
«Il faut neuf mois pour faire un homme… » disait Malraux. Ne faudrait-il pas dix ans à un Président pour faire cuire ses pierres ?
Mon cher Sédar, Mandela nous a quittés. L’histoire lui a bâti une belle tombe et l’avenir a fait la promesse de la tenir fleurie. Notre terre donnera t-elle encore une fleur qui ressemblera à Madiba ?
Ta Fondation désormais dirigée par un bel enfant de Joal te prépare un solide hommage à l’Université Cheikh Anta Diop, là où le brillant esprit Mamoussé Diagne me disait que chassé presque de ce temple, ton œuvre et ton actualité t’y avaient de nouveau admis. Nous savons combien tu fus la victime d’un monde universitaire libre, brillant, démesuré.
Ton souvenir ne m’a jamais quitté cher poète. A quoi sert-il d’être le plus riche du cimetière ? Par contre, si ta tombe est aujourd’hui la plus visitée, c’est que les vivants n’ont pas oublié ce que vous avez été, ce que vous avez fait, ce que vous avez laissé. Je m’honore Senghor d’être parmi ceux que vous avez aidé à grandir. Jamais je ne pourrais vous rendre ce que vous m’avez donné. Cela n’a ni un prix, ni un nom. Et voyez-vous cher Sédar, ils sont une foultitude à vous vouer le respect dû à votre rang. Vous demeurez notre visa d’hier et de demain pour courir le monde !
Mon cher Président, si cher poète, ceux qui sont venus après vous pour honorer l’Etat, grandir la République, se doivent d’avoir à cœur ces mots d’un inspiré descendant de Shakespeare : « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve ».
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Amadou Lamine Sall
poète
Lauréat des Grands prix de l’Académie française