En effet, la ville de Touba et Taif, inconsolables, continuent de pleurer Serigne Abdou Fatah MBACKE arraché à l’affection des fidèles ce vendredi 11 Août. Inalilahi wa inna ilayhiradji ‘oune. Avec une vive émotion, je partage ce grand chagrin qui frappe la ville sainte de Touba, le peuple sénégalais, les amis du Coran et des humanités arabes. Serigne Abdou Fatah s’est éclipsé comme il a vécu, subrepticement, loin de la fouine médiatique.
Les médias ont peu commenté cette grosse perte parce qu’ils ne connaissent réellement pas sa trajectoire exceptionnelle et la valeur symbolique que ce petit-fils de Cheikh Ahmadou Bamba représentait pour toute une génération. J’ai eu la chance d’en être le témoin privilégié et je voudrais ici en rendre compte et m’arrêter sur les enseignements que m’inspire ce compagnonnage de plus d’un demi-siècle, les conséquences de l’initiative salutaire de nos parents respectifs de nous envoyer à l’école républicaine et partager des réflexions d’ensemble sur l’avenir du soufisme sénégalais.
J’ai rencontré Serigne Abdou Fatah MBACKE Gaïnde Fatma au centre d’examen d’entrée en sixième de la rue Neuville à Saint-Louis, plus connu sous le nom de ‘’Petit lycée’’, il y a de cela cinquante-sept (57) ans. Je venais de l’école de Brière de l’Isles où sont passés avant moi d’illustres élèves comme Abdou DIOUF. Serigne Abdou Fatah, lui, venait de l’école Duval, à la Pointe Sud, où il a complété tout le cycle primaire en deux ans seulement. Son père, l’Eminent Serigne Cheikh MBACKE Gaïnde Fatma, dans sa stratégie cognitive de quête du savoir, avait préféré envoyer Serigne Abdou Fatah et ses frères en Mauritanie pour les initier d’abord aux humanités arabes et islamiques. Quand il est revenu au Sénégal, Serigne Abdou Fatah MBACKE a brillamment rattrapé son retard à l’école primaire où il n’est resté que deux ans.
Dieu a voulu faire se rencontrer à la rue Neuville, les premiers petits-fils de Serigne Touba MBACKE et de Seydi Hadj Malick SY (RTA), à avoir fait l’école française. Nous pouvions passer notre entrée en sixième dans d’autres centres, à Dakar, à Thiès ou même à Saint-Louis, dans des lieux différents. Mais Dieu a choisi la rue Neuville. Clin d’œil du destin, nous ne nous sommes jamais quittés. A la rentrée des classes, nous nous sommes retrouvés dans la grande cour du Lycée Faidherbe, qui a vu passer avant nous des générations d’élèves brillants qui seront les futurs cadres du Sénégal indépendant tels que Abdou DIOUF, Ousmane CAMARA, Moustapha NIASSE, Amath DANSOKHO, et Ahmadou Mokhtar MBOW qui y sera Professeur.
Serigne Abdou Fatah MBACKE avait une parfaite maîtrise des humanités arabes et islamiques. Son séjour en Mauritanie l’y avait bien préparé. Quant à moi, j’en étais à mes balbutiements à l’école coranique de Serigne Mamoune NDIAYE. J’étais très avancé pour le Coran et j’apprenais aussi le fiqh et le nahwu (la grammaire arabe). Serigne Abdou Fatah connaissait déjà par cœur le ‘’Laamiyatoul Afaal’’, livre de base de la conjugaison et de la morphologie en arabe. Moi je venais à peine de commencer cette matière chez Serigne Mamoune NDIAYE, avec le livre dans lequel Seydi Hadj Malick SY (RTA) l’avait enseignée, et qu’il avait laissé à la mosquée de la rue Pierre LOTI.
Nous étions, Serigne Abdou Fatah et moi, devant un double défi: réussir à l’école, et en même temps, nous préparer à sauvegarder notre héritage ancestral en tant que ‘’domousokhna’’. Nous étions les premiers à nous engager dans cette aventure et n’avions pas d’exemple à suivre dans nos familles respectives.
Mais Dieu m’a servi un modèle exceptionnel dans l’enceinte même du lycée Faidherbe, en la personne de Serigne Abdou Fatah MBACKE. Nous nous sommes retrouvés dans la même classe de sixième moderne avec l’arabe comme première langue vivante. Je n’apprendrai l’anglais que plus tard, à la Sorbonne. Il était un modèle, une référence, pour les valeurs éthiques et les qualités intellectuelles qu’il incarnait.
L’école républicaine, un saut dans l’incarnisme
Nous savions, tous les deux, comment évoluer dans le contexte des ‘’daaras’’ ; mais l’école républicaine était une nouveauté et une inconnue. Le alweu (tablette en bois), le xalima (plumes en roseau) et le daa (encre produite localement à partir de suie et de sucre) constituaient notre trousseau d’élèves à l’école coranique.
A L’école républicaine fondée sur la pédagogie coloniale, nous découvrions cahiers, encriers, stylos et crayons pour les élèves ; et craie et tableau noir pour les enseignants. Les livres imprimés en français étaient largement disséminés et accessibles aux étudiants. Tous les textes, à l’école coranique, étaient manuscrits. Nous découvrions aussi les salles de classes pour chaque niveau d’apprentissage, contrastant avec l’espace commun du daara où se retrouvaient tous les élèves, quel que soit leur niveau d’étude ou leur âge, et chacun apprenant sa leçon du jour à haute voix.
Nos jeunes esprits vivaient un dilemme constant. Dans le système islamique auquel nous étions familiers, les parents confient leur enfant à un maître coranique sédentaire (ce fut mon cas) ou nomade du même village ou d’un village éloigné, voire dans un pays différent (ce fut le cas de mon ami Fatah). Les élèves ayant achevé le cycle coranique élémentaire et désirant suivre le cursus supérieur d’études islamique, voyageaient alors loin pour étudier un texte spécifique auprès d’un cheikh. Dans l’école occidentale par contre, au primaire, au collège ou au lycée, les étudiants d’une même classe avaient le même âge ou une toute petite différence d’âge. La sélection aussi devenait une nouveauté pour nous, avec leurs modalités et critères prédéfinis.
Nous connaissions dans les daaras des privations qui n’existaient pas à l’école laïque et républicaine, et que d’aucun considèreraient comme maltraitance de l’enfance, mais qui ne sont autre que des expériences qui trempent l’audace et le caractère et conjurent les démons qui empêchent l’homme d’aujourd’hui d’agir dans un monde qui possède ruse et savoi, mais à qui il manque volonté, foi et raison, («Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »).
Cette privation, Cheikh Amidou KANE l’explique crument dans ‘’L’aventure ambiguë’’ qui traîne une saveur anthrographique. Nous voilà en face de ce défi et d’un dilemme du même type que celui que Samba DIALLO a relevé dans L’aventure ambiguë, de Cheikh Amidou KANE quand il dit : ‘‘si, je leur dis d’aller à l’école nouvelle, observe Samba DIALLO, mais en apprenant, ils oublieront aussi. Ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ? L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons à juste titre.’’. Pour mon ami Fatah et moi, il s’agissait d’apprendre ce qui est nouveau et de ne pas oublier ce qui fonde notre identité de fils de Cheikh. Ensemble, nous l’avons réussi. En ce qui me concerne, je dois cette prouesse à Cheikh Abdou Fatah.
Portrait
Sa forte personnalité, son port altier, son sérieux, sa sérénité décoiffante, son calme face à toute épreuve, sa détermination à réussir cette nouvelle aventure où il était toujours conscient de représenter toutes les familles religieuses du Sénégal, m’ont inspiré durant ces années et forgé ma personnalité. Mon ami Fatah me rappelait souvent le Djamil que Mame Abdou Aziz SY Dabakh avait attribué à mon père, reflétant une beauté interne et externe, et une force de caractère exceptionnelle. Il était élancé, d’une beauté rare, avec les yeux de son père à la fois hypnotisants et pétillants d’intelligence et de profondeur dans la réflexion. Il y avait quelque chose de noble et d’aristocrate qui se dégageait de lui, malgré sa simplicité et un commerce facile, demeurant toujours disponible pour aider un camarade ou donner des conseils.
Ce jeune homme de belle allure avait soumis toute son existence à une passion exclusive : devenir son père et ses illustres grands-pères.
Une Education de Qualité pour préparer l’Elite
Avec cette expérience commune acquise au lycée Faidherbe et continuée au lycée Charles De Gaulle, nous avons bâti une complicité et une amitié de plus d’un demi-siècle, jamais démenties. J’ai toujours senti entre Serigne Abdou Fatah MBACKE et moi, une digue d’estime si forte et si exquise que je n’osais pas la violenter : une symphonie de non-dits. Nous sommes tous les deux issus de familles dont la grande mission est d’inculquer le savoir, de détecter les talents et de contribuer à leur éclosion, de les éprouver dans diverses circonstances, de les mettre en selle et de les laisser galoper.
Venus des daaras, Serigne Cheikh Gaïnde Fatma et Cheikh Seydi Mouhamadoul Moustapha SY Djamil nous ont effectivement, mis en selle et laissé galoper longuement, et notre essor tous les deux les réjouissait tellement, que nos éventuelles dérives les indifféraient. J’étais féru de sport, pratiquant le handball et le tennis de table et Serigne Moustapha laissait faire.
Tant il est vrai que la stratégie cognitive de transmission du savoir des familles religieuses repose pour l’essentiel, sur le choix et l’écoute des jeunes. Il fallait maintenir en leur sein la passion de la curiosité, dégager constamment la ligne du savoir, promouvoir les meilleurs dans un climat ni conflictuel, ni paisible, avec une obsession : reconstituer en permanence, le tissu conjonctif sans lequel l’organisme se sclérose et empêche la Mouridiya et à la Tidianiya de jouer leur rôle. Tout leur art est de trouver leur définition et leur identité dans le changement tout en revivifiant leur doctrine par de nouveaux apports. Elles sont sans cesse ce qu’elles sont devenues. Elles expriment au départ la façon de voir, de sentir des pères fondateurs et acteurs.
Les confréries que nous laissons à nos enfants dépendent des enfants que nous laisserons à la confrérie.
Mais les temps changent et les acteurs aussi et la Tarikha conquiert, peu à peu, l’image et la réputation que le peuple des disciples lui renvoie. Si bien que l’identité du peuple des disciples n’est jamais identique. La confrérie est marquée par la personnalité de ses principaux inspirateurs, qui définissent un inventaire éthique et intellectuel à travers lequel la communauté se déploie. Et la marque de cette communauté est à la fois ce qu’elle refuse et ce qu’elle entreprend de dire ou de faire.
Les communautés soufies resteront longtemps fidèles de leurs débuts. L’autorité qui leur fut consentie par leurs disciples, ils en ont constamment usé pour installer un relais de générations qui maintient et renouvelle l’énergie et l’inspiration, sans lesquelles ce genre d’initiatives déclinent et sont sans lendemain. Il serait intéressant de se demander pourquoi les partis politiques qui obéissent aux mêmes types de fonctionnement, n’ont jamais pu avoir d’ancrage au niveau des masses alors que l’engouement populaire pour les tarikhas, surtout au niveau de la jeunesse, n’est jamais démenti.
C’est quand même étonnant la manière avec laquelle les dahiras ont pu s’adapter à la révolution numérique et informationnelle, en investissant les réseaux sociaux. Un savoir-faire, un savoir-être, une histoire d’hommes et femmes, une histoire commune, une harmonie réglée comme une symphonie qui produira à chaque ‘’Magal’’ ou à chaque ‘’Gamou’’ d’ici et d’ailleurs, cette surprise salutaire qui montre que les marabouts ont eu raison d’anticiper l’évolution du monde, en préparant leurs enfants à l’assumer.
En effet je n’ai guère été précoce dans le compagnonnage avec Serigne Abdou Fatah pour comprendre le pourquoi et le comment d’une éducation de qualité. Ce qui nous donnait le temps d’observer sans impatience, les vraies intentions de nos parents. Le handicap intellectuel de notre temps est de raisonner en homme ancien de l’avenir possible d’un homme nouveau. Et pour reprendre l’expression de Aragon : « Nous maudissons déjà ce monde pourri qui est notre chair même ».
Cheikh Seydi Mouhamadoul Moustapha SY Djamil et Cheikh MBACKE Gainde Fatma ont investi très tôt sur le savoir, en assurant à leurs enfants la maîtrise de leur héritage ancestral tout en étant conscient des évolutions rapides du monde et ainsi leur permettre de les accompagner. Réussite totale : il suffit de voir les ressources humaines en qualité et en quantité dont regorgent les deux familles : ingénieurs, médecins, banquiers, biologistes, MBA, HEC, MIT, Haward, juristes, environnementalistes, imams, khalifes de leurs pères, etc.
Aller vers l’autre sans perdre son âme
La démarche de nos illustres pères a une exigence : cultiver la proximité des principaux acteurs de la vie nationale, pour connaitre leurs vrais ressorts sans jamais, fût-ce par une telle connivence, leur donner une adhésion totale.
En un mot, effacer la distance avec l’autre (l’école laïque), pour apprendre et rétablir la distance pour débattre discuter et agir. Dans cet exercice, le refus autant que l’acquiescement imprime à cette démarche pédagogique, son orientation singulière. Et refuser ce qui peut nous entraîner hors de notre sillon, nous détourner de notre inclination qui fut donc, de pouvoir préparer une élite maraboutique consciente et professionnellement prête à affronter les exigences du monde moderne au milieu d’hommes et de femmes libres, dont la diversité et le talent nous instruisent, nous reposent et nous rassurent.
La préoccupation qui a poussé Serigne Cheikh MBACKE et Serigne Moustapha SY à envoyer leurs enfants à l’école française est un sujet de débat regroupant d’éminents experts internationaux : qu’est-ce que être un guide religieux, aujourd’hui ?
Concernant l’Afrique de l’Ouest, cette problématique a été débattue lors d’une conférence organisée en 1994, dont les contributions ont été publiées dans : « Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française 1880-1960 », par Jean-Louis TRIAUD.
Pour le Sénégal, le Professeur Ousmane KANE, dans sa brillante étude « Au-delà de Tombouctou » essaie de répondre à cette interpellation en posant le problème de l’euro-phonie et de l’arabo-phonie.
« Le développement de l’érudition islamique, en Afrique, est allé de pair avec l’expansion de la langue arabe. Des dizaines d’universités islamiques modernes ont été créées et des milliers de diplômés d’études arabe et islamique sont très actifs dans la sphère publique post coloniale. Pour peser sur les grands débats de sociétés, ces arabisants ont recours aux nouveaux modes d’organisation sociale politique et légale ainsi qu’aux journaux, à la radio, à la télévision et l’internet pour atteindre de larges segments de la société ».
Ainsi pense Ousmane KANE, titulaire de chaire à la Hawaï Divinity School de l’Université de Hawaï, lui-même issu d’une très grande famille soufie.
La langue arabe en contrepoids de la culture occidentale.
Au début du 20ème siècle, en effet, les différentes confréries ont parachevé leur structuration, à la fois dans le monde rural et dans les centres urbains, comme une idéologie de résistance à la toute-puissance de l’Occident, du moins à l’assimilation de la culture européenne que le Professeur Mamadou DIOUF, de Columbia University, résume ainsi : « La force de leur imagination poétique, portée par une modernité islamique scripturale et littéraire, a altéré la prétention hégémonique de la mission civilisatrice coloniale pour y introduire une culture faite d’une multiplicité d’héritages dont le noyau demeure sans contexte, une textualité arabophone et musulmane dont la lettre arabe, instrument de contestation puissant de la civilisation française et levier d’affirmation de leur identité autant individuelle que collective. »
Les lettres arabes ont été utilisées comme outil de résistance à une culture occidentale agressive. Ces lettres arabes ont été acquises et maîtrisées par une fréquentation assidue de la littérature arabe classique, au point d’en adopter le style et les grands thèmes de Antar, de Imrur Qays et de Labid.
Et ce, à travers un processus long d’acquisition des grands textes. De Ibn Duraid à Daalia et ‘’ les grands poètes de la littérature anti islamique pour arriver aux stations des ‘’maqaamad’’ et bien d’autres dans le souci initial de bien maîtriser cette langue classique dans laquelle le Coran a été écrit au 7ème siècle.
Tous ceux qui ont fait de longues études dans les daaras, et Serigne Abdou Fatah MBACKE était de ceux-là, sont habitués à ces poèmes à la limite de la luxure, avec le souvenir des instants heureux passés dans les champs, se développe en images et tableaux où les traits de la bien-aimée à la taille gracile se mêlent à ceux de la mouture du sable, de la nature, et des reliefs variés des dunes, des murailles sculptées des rochers, de la végétation qui fait lever la pluie, de la fleur des camomilles dans un repli de sable.
Voici ce à quoi nous a habitué la littérature arabe classique que Serigne Touba et El Hadj Malick SY se sont fait un point d’honneur de maîtriser et d’imiter au point d’en faire une véritable jouissance de dire et d’entendre les paroles saintes et divines à travers la Qassida. Mais au-delà de Serigne Touba, d’El Hadj Malick SY, tous les lettrés arabes du Sénégal ont adopté le même style surtout à Saint-Louis, lieu de confrontation entre la culture coloniale française et les humanités arabes et islamiques.
Cette ville a diffusé une forme particulière d’Islam, celui des lettrés arabes et a pu produire en qualité et en quantité, toutes confréries confondues, les meilleurs poètes du pays dont Serigne Babacar SY (RTA).
La sensation de ces quasidas est presque physique. Il faut lire le texte ici comme une expérience tactile, gustative, olfactive, sonore, visuelle avec et par dela sa facture verbale une sensation charnelle qui s’associe à la littérature du monde.
Cela est perceptible déjà dans le rythme de cette littérature qui fait de l’œuvre de Serigne Touba et d’El Hadj Malick, une longue et mélodieuse litanie qui se lie et se chante à voix haute durant le Gamou et le Magal, où la puissance du rythme et la musicalité du texte soient pleinement mises en valeur et offre cette joie et ce plaisir éprouvé, parfois dès l’enfance à écouter et à lire les qasidas de Serigne Touba et d’El Hadj Malick SY, des chants qui ont un impact profond même sur celui qui ne les comprend pas, et constitue également une thérapeutique mystique du mal-être par la délicatesse musicale et du verbe. C’est ce socle intellectuel, spirituel et littéraire qui se nourrit à la sève du classicisme arabe, qui explique l’implantation dans la durée d’un soufisme fécond et émancipateur.
Il fallait des efforts exténuants pour maîtriser la langue et s’ouvrir aux grandes œuvres de Ghazali et Ibn Arabi et trouve une traduction conforme au contexte de notre pays.
En effet, il se dessine une tendance générale d’un Islam sécularisé dans tous les domaines de la société, qui fait du soufisme dans ses différentes facettes possibles (enjeu théologique, réservoir symbolique et ressource politique), le lien ambivalent d’une identité musulmane en quête de repères et un élément déterminant dans l’établissement de sociétés démocratiques comme le Sénégal.
La singularité de l’influence soufie au Sénégal tient en grande partie aux conditions historiques de son apparition et de son évolution. La structure actuelle des confréries, leur organisation, leur doctrine, leur poids respectif, leur maillage national, leur enseignement tolérant et démocratique ne peuvent se comprendre si on maîtrise ce passé, marqué par l’œuvre de personnalités exceptionnelles telles qu’El Hadj Oumar, Souleymane BAAL, El Hadj Malick SY, Cheikh Ahmadou Bamba MBACKE, Abdel Kader.
Ces mouvements doivent être compris comme des réactions et solutions aux mutations que connut la société sénégalaise « dans un temps présent détestable » comme le qualifiait Cheikh Ahmadou Bamba MBACKE, temps qu’il fallait changer en application du verset : « Dieu ne changera les nations tant qu’elles ne se changeront elles-mêmes ».
C’est cette préparation qui a permis à Serigne Abdou Fatah MBACKE de répondre à toute interpellation à la vie nationale. Il a eu l’amabilité de venir présider une conférence que je donnais en 2008, à l’UCAD 2, sur le : « Rôle des confréries religieuses dans la stabilité politique du Sénégal ». Conférence organisée par le DEESS/Jamil. Son discours d’ouverture est une page d’anthologie, disponible sur le Net qui continuera pendant longtemps à inspirer les intellectuels sénégalais.
Les confréries que nous laissons à nos enfants dépendent des enfants que nous laissons à ces confréries. Serigne Cheikh MBACKE Gaïnde Fatma a laissé à la confrérie mouride, un enfant pétri de valeurs éthiques et intellectuelles. Et Serigne Abdou Fatah MBACKE, à son tour, a su inculquer ces valeurs à ses enfants. Il s’est réalisé en eux.
Par son leadership, sa capacité de vision, Serigne Abdou Fatah MBACKE est un exemple qui mérite d’être connu par la jeunesse du Sénégal, de toute l’Afrique, au moment où notre continent, à tous les niveaux, souffre d’une crise tragique de leadership. Et Serigne Cheikh Abdou Fatah MBACKE a su ressusciter et revivifier l’exemple de Thierno Souleymane BAAL et Abdel Kader KANE, d’El Hadj Oumar Foutiyou TALL, d’El Hadj Malick SY, de Cheikh Ahmadou Bamba MBACKE. Et dans un continent, sans cape ni capitaine, c’est une trajectoire qu’il faut revisiter.
En ce jour béni de Arafat, je prie Allah Omniscient et Omniprésent pour qu’il accorde sa Miséricorde à ce petit-fils de Mame Marame MBACKE donc de Serigne Touba MBACKE et d’El Hadj Malick SY.
Amine.
Serigne Mansour Sy Djamil,
Vice-président de l’Assemblée Nationale,
Membre du Conseil Mondial des Religions pour la Paix et ancien Directeur-adjoint du Bureau de la Coopération Technique de la Banque Islamique de Développement, à Djeddah