Est-ce que la Senelec est capable maintenant d’assurer une production et une distribution correctes de l’électricité ?
Aujourd’hui, on peut noter une nette amélioration de la qualité de service. Ceci est dû au fait que nous commençons à voir concrètement les actions du Plan Takkal. Le problème de la Senelec était un problème de déséquilibre offre-demande, mais aussi d’un déséquilibre financier. Et dans le cadre du Plan Takkal, il a été prévu de renforcer la capacité de production de Senelec, mais aussi de sécuriser l’approvisionnement en combustible. Aujourd’hui, au moment où je vous parle (l’entretien a été réalisé le jeudi 18 août), dans toutes les centrales de la Senelec, nous avons une très bonne fourniture de combustible.
Il y avait un déficit structurel qui fait que la Senelec ne pouvait pas faire face à ses charges. Il y a eu beaucoup de délestages par manque de combustible, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas d’argent pour acheter ce combustible. C’est un problème qui est désormais derrière nous : il n’y a plus une seule machine arrêtée par manque de combustible. Cela, c’est une action qui peut être capitalisée au compte du Plan Takkal. Mieux, nous avons en moyenne dix jours d’autonomie dans toutes les centrales. Une situation que la Senelec n’a pas connue depuis très longtemps. Grâce à la mise en place du Fonds de soutien à l’énergie (Fse), l’approvisionnement en combustible est sécurisé. Cela veut dire que tous les délestages causés par une insuffisance de la production, elle-même due à un manque de combustible, sont derrière nous, parce que 70 % des délestages étaient dus au manque de combustible. Nous n’avons donc plus ce problème. Le Fse a d’abord permis à la Senelec de sortir du contrat de fourniture en combustible qui le liait avec son fournisseur. Ensuite, il y a eu la mise en place d’un certain nombre de facilités qui ont permis, avec le transfert des importations (en combustible) au niveau de la Sar (Société africaine de raffinage), d’acheter trois cargaisons sur la base d’un appel d’offre ; ce qui nous a permis de faire des économies. Cela nous a également permis d’arriver à un niveau de stock (tous les tanks remplis) très satisfaisant. Nous avons, maintenant, un réservoir de travail et un autre de stockage. Ces mesures ont fait que les délestages ont beaucoup diminués. En plus de la sécurisation du combustible, le Plan Takkal prévoit de mettre en place des capacités rapides : capacités de location, ainsi que la remise à niveau d’un certain nombre de centrales. Ainsi, au niveau de la centrale du Cap des Biches, nous avons 50 mégawatts (MW) supplémentaires qui viennent renforcer la capacité de production de Senelec. Avant la fin du mois de septembre, 100 MW supplémentaires seront dans le réseau ; ce qui fera 150 MW additionnels. Avec la sécurisation de l’approvisionnement en combustible, on peut dire qu’on aura suffisamment de capacités pour faire face à la demande. Maintenant, il se pose quelques problèmes dans la distribution : récemment, nous avons eu beaucoup de clients qui ont été gênés par des pannes dues à des défauts sur les câbles en moyenne tension (les câbles 30.000 volts) qui quittent Hann pour alimenter la zone de l’aéroport, des Almadies, Ouakam, etc. Nous avons aussi eu quelques problèmes dans la zone de Patte d’Oie. Mais tout cela est dû à des incidents sur les câbles qui sont saturés. Un programme d’urgence est en cours pour y remédier. Nous sommes en train de négocier directement avec les fournisseurs pour régler rapidement ce problème. Notre production arrive à satisfaire la demande (qui tourne autour de 700 MW), mais nous avons beaucoup d’incidents sur la distribution.
A propos de ces câbles de distribution, la Senelec a souvent évoqué leur vétusté pour justifier certains délestages ces derniers temps. Quel est aujourd’hui l’état de ce réseau ?
Il y a une différence qu’il faut d’abord faire. Le délestage est une coupure volontaire ou automatique due au fait de l’insuffisance de la production ou, si vous voulez, quand la demande est supérieure à l’offre. Dans ces conditions, si l’on ne déleste pas, le système s’écroule. On peut considérer la demande comme un frein d’un moteur qui tourne. Si la production est supérieure à la demande, il n’y a pas de problème, mais s’il y a une forte demande, elle freine la production. Dans le système électrique, il y a un paramètre important, c’est la fréquence. Cette fréquence, c’est une vitesse qui régule l’offre en temps réel pour qu’il y ait un équilibre entre la demande et l’offre énergétiques. Le délestage, c’est quand on coupe le courant parce qu’il n’y a pas suffisamment d’offre. Maintenant, ce que vivent les populations de ces zones affectées (Almadies, Ouakam, etc.) est dû, comme je l’ai dit tantôt, à un problème lié à la défectuosité des câbles.
Le problème est de deux natures : d’abord il y a eu beaucoup de retards d’investissements sur le réseau de distribution (pour l’entretien des câbles), ensuite il y a le développement de l’urbanisation, qui fait que les charges ont rapidement augmenté. Pour cette raison, ces câbles ne peuvent plus alimenter de façon continue l’énergie nécessaire pour tous ces clients. Et si l’on dépasse la capacité de transit de ces câbles, il y a rupture ; c’est ça qui provoque des incidents du genre de celui que nous avons connu récemment dans cette zone. Le Plan Takkal a pris en compte toutes ces préoccupations en prévoyant un programme global d’urgence pendant l’hivernage. Ce programme va nous permettre d’acquérir des pièces de rechange, de la logistique pour améliorer l’accueil (appels pour accéder aux services de la Senelec). Il y a aussi un autre programme intermédiaire, en cours de préparation, qui devrait permettre de soulager les câbles dont j’ai parlé. Nous allons doubler ces canalisations pour nous permettre d’avoir un câble de travail et un câble de secours – ce qui n’existe plus du fait de l’augmentation des charges. En effet, avec l’augmentation de la demande, nous sommes arrivé à un moment où l’ensemble des câbles sont chargés. Dans un réseau de distribution, le principe est d’avoir un câble qui alimente les clients et un autre câble de secours qui, en cas de problème sur le câble d’alimentation, permet de l’isoler et de réalimenter les clients par le câble de secours. Cette possibilité n’existe pas aujourd’hui, du fait de la saturation du réseau de câbles.
On a promis aux Sénégalais la fin des délestages en septembre. Serez-vous en mesure de respecter cette échéance ?
La fin des délestages en septembre, c’est une instruction très ferme fondée sur une volonté politique très ferme des autorités ; et nous travaillons pour aller vers cet objectif. Aujourd’hui, je vous l’ai dit, il n’y a pas de délestages par manque de combustible ; ce qui était la cause de 70 % des délestages. Nous sommes donc dans une dynamique d’amélioration de la qualité de service. Il y aura, certes, des coupures localisées, mais nous aurons suffisamment de capacités pour être en mesure de répondre techniquement à la demande, parce qu’il y aura 100 MW en plus des 50 MW qui sont déjà là, sans compter deux groupes (404 et 405) qui arriveront en octobre et vont nous donner 34 MW. Ce sont toutes ces capacités qui vont nous permettre d’avoir une production suffisante pour approvisionner correctement les usagers. Cependant, il y aura des coupures dues à des incidents sur les canalisations de distribution ou éventuellement sur des lignes de tensions. Septembre, c’est donc un objectif qui nous est fixé et nous travaillons pour l’atteindre.
Quel est l’apport chiffré du Plan Takkal dans vos capacités de production électrique actuelles et futures ?
Déjà, j’ai parlé des 150 MW de location qui n’existaient pas dans le package de Senelec. Il y aura 50 MW supplémentaires dans le Plan Takkal grâce à un financement de l’Agence française de développement (Afd) ; ce qui va permettre à Senelec de recouvrer l’ensemble de ses capacités de production. Au total, cela fera 200 MW qui vont rentrer dans le réseau. Le Plan Takkal prévoit aussi l’installation de groupes containerisés à Tobène et qui vont nous apporter 40 à 70 MW. Il y a aussi une première barge (d’une capacité de 70 MW) qui va arriver sur le site de Bel-Air. En plus de cela, il est prévu, dans le Plan Takkal, l’extension de la centrale de Bel-Air (C6) qui produit actuellement 60 MW. Nous venons de signer le contrat et l’attente à la commande a été effectuée cette semaine. Nous aurons donc 34 MW de plus à la centrale C6 de Bel-Air. A la centrale de Kahone (Kaolack) il est prévu de mettre deux moteurs pour étendre ses capacités de 34 MW également. Si vous faites la somme de toutes ces capacités, vous verrez qu’il y a d’abord un renforcement de la capacité, qui va nous permettre d’avoir suffisamment de production pour satisfaire la demande et même nous positionner par rapport à la sous-région, puisque nous n’avons pas encore parlé des centrales à charbon. Déjà, le financement de la première centrale à charbon (de 120 MW) est bouclé et la construction va démarrer au cours du mois de septembre sur le site de Saint-Louis. Parmi les projets, on peut citer la coopération coréenne, dont l’étude de faisabilité est terminée, elle devrait apporter 250 MW. En outre, nous sommes actuellement en phase préliminaire pour un projet de 500 MW avec la coopération chinoise. Si vous regardez sur le site de Saint-Louis qui sera transformé en une plateforme de centrales à charbon, nous aurons à peu près 875 MW. Avec ces capacités, le Sénégal pourrait non seulement satisfaire entièrement sa demande, mais aussi exporter de l’énergie moins chère vers des pays avec lesquels nous sommes déjà en interconnexion (les pays de l’Omvs et de l’Omvg). Le ministre d’Etat (Karim Wade) a récemment signé une convention de partenariat avec le West african power pool (Wapp), le système d’échange électrique ouest-africain, pour pouvoir exporter de l’énergie jusqu’au Nigeria et vice versa. Le Sénégal, dans son programme qui va se dérouler jusqu’à l’horizon 2014-2015, sera ainsi dans une position d’exporter de l’énergie. On dira que c’est très ambitieux, puisque dans la situation actuelle, nous sommes en équilibre précaire avec quelques difficultés. Mais dans le moyen terme, nous serons, avec tous les investissements prévus dans le cadre du Plan Takkal, dans une position de sécurité qui va nous permettre d’alimenter correctement nos clients sénégalais, mais aussi des pays de la sous-région à des coûts compétitifs, parce que c’est seulement avec le charbon que nous allons sortir de cette situation et faire de la Senelec une entreprise performante qui pourra faire face à toutes ses charges d’exploitation et à ses obligations.
La location de centrales, une solution d’urgence transitoire, devra durer combien de temps pour que la Senelec prenne le relais ?
La location doit avoir une durée réduite, parce que les coûts sont assez élevés, compte tenu du coût de production. Le fait de ne pas avoir de l’énergie cause beaucoup de dommages aux clients, mais constitue aussi un frein au développement du pays. Mais la location ne génère pratiquement pas de chiffre d’affaire pour la Senelec ; nous allons donc, dans la mesure du possible, essayer de raccourcir le délai de location en renforçant nos capacités de production avec des centrales utilisant du combustible moins cher. La location fonctionne avec du diesel-oil, les barges vont, elles, fonctionner avec du fuel-oil qui offre des coûts de production moins onéreux. Avec les extensions de Bel-Air et de Kahone, les groupes vont également fonctionner avec du fuel-oil, donc des coûts moindres que ceux de la location. La location se situe entre 120 et 130 francs Cfa le kilowatt/heure (kW/h) produit ; ce kW/h revient à un coût moyen de 70 francs Cfa pour les groupes fonctionnant avec du fuel-oil. Il faut donc sortir rapidement de cette situation de location pour aller vers des centrales plus performantes en termes de production et de coûts de revient. Il s’agit des groupes containerisés, des barges, de l’extension des centrales existantes. C’est aussi la réhabilitation des moteurs diesel-oil de Senelec qui sont plus performantes que la location. Dès que nous le ferons, nous nous libèrerons de la location. Quand les centrales au charbon seront là, ces centrales containerisées pourront, peut-être, être redéployées dans les autres régions. C’est pour cette raison que nous avons opté pour ces centrales qui, si elles arrivent rapidement, nous permettront de sortir de la location. C’est donc un choix technique.
Est-ce que la location est rentable pour la Senelec ? Quels sont les frais qu’elle engendre et qui les supporte ?
Il y a deux composantes dans la location : les coûts de mobilisation (charges fixes) et les coûts variables. Dans l’absolu, on peut dire que le coût de revient est de 120 à 130 francs Cfa le kW/h. Disons que dans ce contrat, le combustible et les charges fixes sont supportées par le fonds (Fonds de soutien à l’énergie) parce que Senelec a besoin d’être accompagnée pour retrouver ses deux pieds. La Senelec avait deux problèmes : un déséquilibre offre/demande et un déséquilibre financier. Nous avons donc besoin d’être accompagnés pour sortir de cette situation ; même si, pour sortir complètement, il faut l’arrivée des centrales à charbon qui ont des coûts de l’ordre de 50 francs Cfa le kW/h au cours actuel du charbon. Ces centrales vont nous permettre de baisser le coût de production de façon rapide. En dehors des centrales hydrauliques (à peu près 30 francs Cfa le kW/h), les centrales diesel (environ 60 francs Cfa le kW/h) sont les moins chers ; les turbines à gaz et autres se situent entre 100 et 120 francs Cfa le kW/h. Pour sortir de cette situation, nous devons prendre en charge les coûts de la location – qui sont des coûts d’opportunité – parce qu’il vaut mieux donner de l’énergie aux Sénégalais, surtout aux industriels, pour leur permettre de travailler, quel que soit le prix, car les délestages, c’est un désastre pour tout le pays. C’est pour cette raison que le Plan Takkal a été placé en amont et en priorité de tous les autres secteurs, parce que s’il y a des dysfonctionnements dans la fourniture de l’électricité, c’est un frein à l’économie. L’énergie doit être un levier de développement.
Hormis donc la satisfaction de la demande, la Senelec ne gagne rien dans la location de ces centrales…
On peut dire que c’est du cash-flow négatif, parce qu’en fait, le prix moyen de vente de Senelec est aux alentours de 118 francs Cfa le kW/h, alors que le coût de production (des centrales louées) revient à 120 ou 130 francs Cfa. Il y a donc quelque part des pertes. Mais disons que dans l’absolu, si l’on regarde les gains sur le plan macro [économique], il est important que Senelec produise pour permettre à l’activité économique de fonctionner normalement. Je pense que c’est un prix à payer. Les locations nous permettent surtout de pouvoir arrêter nos machines et de les entretenir.
A quand exactement l’arrivée des centrales à charbon ?
Pour la première d’entre elles (avec une production de 125 MW), le promoteur a pu faire son « closing » financier il y a à peu près un mois. Normalement, dans quinze jours, nous allons passer à la phase de construction, qui va durer 24 mois. Normalement, en 2013 ou début 2014, la première centrale à charbon devrait être livrée.
Des efforts ont été faits dans la réhabilitation et la rénovation des centrales de la Senelec grâce à l’appui de l’Afd. Quel est aujourd’hui l’impact de ces efforts ?
C’est un programme qui est en cours. Il y a à peu près douze actions à mener, suivant la nature du projet Afd. Nous n’avons pas encore commencé à avoir les retombées de ce programme, mais à son terme, nous aurons recouvré 50 MW sur le réseau. Il y a aussi la remise à niveau du personnel de la Senelec parce qu’il y a une subvention de 380 millions de francs Cfa destinés à la formation du personnel de Senelec.
Est-ce que le système d’effacement (consistant au retrait du réseau de la Senelec de certains abonnés disposant de capacités de production électrique, aux heures de pointe) rencontre l’adhésion des gros consommateurs et industriels que vous ciblez ?
Nous avons fait des enquêtes ; le rapport sera bientôt déposé. C’est d’abord des moyens de gestion, de modification du processus de production de l’industriel. C’est ensuite un moyen pour la Senelec de contrôler ce qui se passe réellement dans le réseau. L’idée de ces compteurs intelligents, c’est de nous permettre d’identifier des clients, de communiquer avec eux et de les couper à l’heure de pointe. C’est un dispositif qui est en cours et qui n’est pas encore totalement opérationnel. Nous avons identifié une trentaine de clients qui sont intéressés, mais nous n’avons pas encore commencé l’effacement. Cependant, ce qui est important en parlant de gestion de la demande, ce sont les économies d’énergie : les lampes à basse consommation (Lbc) et l’utilisation d’appareils efficients. Aujourd’hui, il y a beaucoup de frigos d’occasion qui rentrent dans le pays, beaucoup d’appareils ménagers qui ne respectent pas certaines normes ou, en tout cas, qui consomment beaucoup. Et cela participe au renchérissement de la facture d’électricité. L’un des volets importants du Plan Takkal, c’est donc la gestion de la demande et les économies d’énergie. Il est prévu, dans le cadre du Plan Takkal, d’introduire au niveau des ménages 3,5 millions de Lbc. Nous avons eu une première expérience de 550.000 lampes, et cela nous a permis de baisser la pointe de 12 MW. Si nous introduisons, les 3,5 millions de lampes, ce sont 70 MW qui seront économisés sous la pointe. Le client y gagne, Senelec y gagne, et sur le plan macro, il y a un gain important, parce que nous n’allons pas brûler du combustible importé. Mieux encore, c’est un raccourci en termes d’investissement : pour construire une centrale de 70 MW, il faut 12 à 14 mois, alors que pour introduire les Lbc, non seulement les délais sont divisés par dix, mais aussi l’impact sur notre courbe de charge, sur la pointe lumière, est baissé de 70 MW.
Quel est l’état des finances de la Senelec, une société confrontée à des difficultés de trésorerie ?
Nous avons, comme on le dit, reçu une béquille, c’est-à-dire une perfusion. La mise en place du Fse a permis à la Senelec de sortir d’un contrat et, par le biais d’un montage financier avec une banque de la place, de pouvoir enlever 34 milliards de francs Cfa qui ont permis à l’entreprise de payer le fournisseur de combustible et la Sar, mais aussi de se mettre dans une position d’avoir des sûretés de paiement qui lui permettront de faire des économies de près de 3 milliards de francs Cfa sur les trois mois à venir pour l’approvisionnement en combustible. La deuxième chose, c’est la révision tarifaire. Nous sommes sortis aujourd’hui du lissage. Dans l’ancienne formule, les revenus de Senelec étaient calculés en tenant compte d’investissements qui n’étaient pas sur place ; ce qui a fait que la Senelec a eu des déficits du fait d’un tarif inadapté et qui a entrainé, ensuite, des déficits cumulés. Premièrement, la nouvelle formule de révision est trimestrielle. Deuxièmement, nous avons abandonné le lissage au profit d’une formule qui permettra à la Senelec d’avoir un revenu maximal et de pouvoir faire face à ses coûts d’exploitation et à ses investissements. La situation est encore très tendue, très difficile, mais avec toutes les mesures prévues dans le cadre du Plan Takkal (notamment le fonds de soutien pour la sécurisation du combustible), nous avons vu de façon concrète les résultats : la diminution des délestages.
Le deuxième volet, c’est la restructuration financière de l’entreprise. Nous sommes en train de racheter toutes les dettes de la Senelec via des conseillers financiers, des banques qui vont nous accompagner et avec l’appui de la tutelle sur ces transactions que nous sommes en train de faire. Cela va nous permettre de reprofiler la dette de la Senelec, d’avoir du cash et de permettre à l’entreprise de fonctionner.
Qu’entendez-vous par « lissage » ?
Nous sommes en période de révision pour déterminer le revenu de la Senelec. Jusque-là, le revenu de l’entreprise est calculé par la Commission de régulation, qui joue le rôle d’arbitre et, dans la fixation des tarifs, essaie de tenir compte des intérêts des uns et des autres (Senelec, opérateurs privés, etc.) afin d’avoir un secteur équilibré. Dans l’ancienne formule, par exemple, dans les projections de coûts, la Senelec donnait l’ensemble de ses investissements en disant : « je vais mettre des centrales à charbon en 2012 et 2013, et, malgré le fait que ces centrales à charbon ne soient pas encore là, il n’empêche, dans le calcul de revenu, la commission ne tient pas compte des performances de Senelec, en tout cas des investissements dans le cadre de ces centrales ». Ce qui fait que la Senelec n’a pas de revenus au titre de ces investissements. Le revenu qui nous a été alloué n’a pas permis à la Senelec de faire face à ses charges d’exploitation. Aujourd’hui, cette formule (le lissage) a été abandonnée. Chaque trimestre nous recalculons le revenu de l’entreprise. C’est cela l’intérêt de la nouvelle formule.
A quand la Senelec pourra-t-elle retrouver un équilibre financier ?
Pour cela, il faut l’arrivée du charbon à partir de 2013. Aujourd’hui, les charges de combustible représentent 70 à 80 % du chiffre d’affaire de la Senelec. Il faut sortir de l’étau du pétrole et aller vers des combustibles beaucoup moins chers. La solution, ce sont les centrales à charbon. Le fait de ne pas avoir du charbon nous coûte 60 milliards de francs Cfa par an, d’autres parlent même de 100 milliards pour les pertes engendrées par le retard du charbon. Avec le Plan Takkal, le monitoring qui est organisé pour toutes les réunions présidées par le ministre d’Etat lui-même (Karim Wade), gère les délais de mise en œuvre des projets de centrales à charbon, parce que l’avenir, c’est de sortir du pétrole pour aller vers le charbon. La Senelec sortira définitivement de ces problèmes et deviendra une entreprise performante, capable de soutenir l’économie du pays seulement si nous arrivons à mettre en œuvre tous les programmes charbon, mais aussi tous les programmes hydrauliques au niveau de la sous-région. Même si, pour l’hydraulique, les délais de mise en œuvre sont longs, de même que le temps de capitalisation des coûts, cela fait partie de la solution. Il faut aussi tenir compte des énergies renouvelables comme le solaire. Mais dans la situation actuelle, le Plan Takkal vise le solaire dans le cadre de l’approche individuelle, puisque les coûts sont encore élevés et dépassent le prix moyen de cession de la Senelec. Ce qui veut dire que nous ne pouvons pas, aujourd’hui, aller vers ce type d’énergie, s’il n’y a pas de subvention. Par contre, nous pouvons faire des autoroutes avec des panneaux solaires ou des kits pour l’éclairage ou le chauffage pour les ménages. Cela nous permettrait d’éviter l’utilisation de machines très chères au moment de la pointe.
Quel est aujourd’hui le taux d’électrification au Sénégal et son évolution au cours des années ?
En milieu urbain, nous sommes à plus de 60 %, contre 25 % en milieu rural. L’objectif qui nous a été assigné, c’est d’avoir un taux de 50 % en milieu rural d’ici 2012 et d’arriver à un taux de 80-85 % en milieu urbain. Il reste beaucoup de choses à faire. Je sais qu’à Dakar, il y a un important programme d’investissement pour densifier le réseau dans les banlieues, notamment avec la deuxième phase du projet de la coopération chinoise. Nous sommes en train de réaliser la boucle 90 kV qui va améliorer la desserte dans la région de Dakar et contribuer à la résolution des problèmes dans le moyen terme. Cette deuxième phase nous permettra de toucher beaucoup de ménages au niveau de Dakar et de sa banlieue et de Rufisque.
Que va faire la Senelec pour ses agences cassées lors des manifestations de juin dernier ? Ces agences seront-elles ré-ouvertes ?
C’est un évènement douloureux. Ce que les agents ont subi a été un véritable électrochoc. Tout comme la destruction des biens publics est un dommage. Il suffit de voir, chaque matin, toutes les files d’attente ici à la rue Vincens (l’agence principale) pour payer les factures pour avoir une idée du préjudice. A Dakar, il y a eu des saccages à Ouakam, Bourguiba, Patte d’Oie, Yoff, Hann, Yeumbeul et, dans les régions, l’agence de Mbour. Ces saccages représentent, pratiquement, 1 milliard de francs Cfa de pertes en préjudice direct pour la Senelec. Mais c’est aussi plus de 240.000 clients qui sont directement impactés. La Senelec est en train de s’organiser pour trouver une solution. Mais je peux vous dire que cela prendra du temps pour revenir à une situation normale, parce que ces destructions freinent une politique de décentralisation découlant d’une volonté de se rapprocher de la clientèle et de lui faciliter l’accès aux services. Nous avons trouvé une solution transitoire qui consiste à ouvrir l’agence d’accès, mutualiser un certain nombre de services au niveau de la Patte d’Oie pour permettre à tous ces clients de Bourguiba, Yoff, des Parcelles Assainies, etc., d’aller là-bas pour certaines opérations. Maintenant, nous allons externaliser les paiements de factures à travers des sociétés telles que la Sonatel et d’autres prestataires – nous en aurons deux ou trois. Nous avons achevé les discussions et d’ici une ou deux semaines, nous allons signer des contrats pour permettre à ces sociétés de pouvoir encaisser et restituer cet argent à la Senelec dans le cadre d’une convention qui a été négociée. Mais, pour le moment, je voudrais lancer un appel aux populations en leur disant que la Senelec est une société nationale dont l’Etat est l’actionnaire unique ; et en détruisant un bien de l’entreprise, c’est un bien de tous les Sénégalais que l’on détruit. Il est déplorable de voir la situation qui a été créée par ces saccages que nous n’arrivons pas à comprendre. Nous appelons les populations à la sérénité et au calme. Nous voulons aussi adresser aux agents de la Senelec se trouvant dans les régions quelques mots d’encouragement, en leur disant que c’est très difficile, mais c’est une mission que nous devons assumer et réussir pour contribuer, à notre façon, au développement de notre pays. C’est une mission complexe, parce que nous avons un produit qui n’est pas visible (ou en tout cas que lorsqu’il est transformé en lumière, en chaleur, etc.) ni stockable, mai nous avons la chance d’être dans tous les ménages et d’être utile à tous les Sénégalais. En pensant à cette mission complexe (la fourniture d’électricité), qui fait partie des piliers de développement de notre pays, nous devons mobiliser toute notre énergie pour sortir de cette situation difficile et continuer à faire notre travail comme cela se doit. Aux associations de jeunes, de femmes, des responsables de quartiers, je veux dire que si demain, des situations pareilles (des saccages) devaient se poser, qu’ils défendent ces agences comme leur propre bien, parce que ce sont eux qui, aujourd’hui, sont en train de subir les conséquences de ces casses. Je vous assure, ce n’est pas de gaieté de cœur que je vois chaque matin les gens faire la queue, sous le soleil, ici à l’agence principale. Nous allons faire nos meilleurs efforts pour essayer de revenir à une situation normale mais il faudra beaucoup de moyens, puisqu’il y a eu beaucoup de véhicules cassés ou brûlés, de l’argent emporté, des ordinateurs détruits… Tout cela, il faut l’acquérir, ce qui retarde les échéances pour rétablir la situation.
Est-ce que la Senelec avait souscrit à une assurance pour ce genre de situations ?
Bien sûr. Le matériel est assuré. Nous avons saisi nos assureurs, mais en plus de cela, nous allons porter plainte contre X. Chaque chef d’agence va porter plainte au niveau du commissariat de son quartier ; et moi-même, en tant que directeur général, je vais porter plainte auprès du procureur de la République.
Vous vous constituerez donc partie civile en cas de poursuites pénales contre les personnes arrêtées dans le cadre de ces saccages ?
Bien sûr. C’est mon rôle en tant que directeur général de prendre toutes mes responsabilités quand il se passe des choses pareilles.
Propos recueillis par Malick CISS et Seydou Ka le soleil
Aujourd’hui, on peut noter une nette amélioration de la qualité de service. Ceci est dû au fait que nous commençons à voir concrètement les actions du Plan Takkal. Le problème de la Senelec était un problème de déséquilibre offre-demande, mais aussi d’un déséquilibre financier. Et dans le cadre du Plan Takkal, il a été prévu de renforcer la capacité de production de Senelec, mais aussi de sécuriser l’approvisionnement en combustible. Aujourd’hui, au moment où je vous parle (l’entretien a été réalisé le jeudi 18 août), dans toutes les centrales de la Senelec, nous avons une très bonne fourniture de combustible.
Il y avait un déficit structurel qui fait que la Senelec ne pouvait pas faire face à ses charges. Il y a eu beaucoup de délestages par manque de combustible, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas d’argent pour acheter ce combustible. C’est un problème qui est désormais derrière nous : il n’y a plus une seule machine arrêtée par manque de combustible. Cela, c’est une action qui peut être capitalisée au compte du Plan Takkal. Mieux, nous avons en moyenne dix jours d’autonomie dans toutes les centrales. Une situation que la Senelec n’a pas connue depuis très longtemps. Grâce à la mise en place du Fonds de soutien à l’énergie (Fse), l’approvisionnement en combustible est sécurisé. Cela veut dire que tous les délestages causés par une insuffisance de la production, elle-même due à un manque de combustible, sont derrière nous, parce que 70 % des délestages étaient dus au manque de combustible. Nous n’avons donc plus ce problème. Le Fse a d’abord permis à la Senelec de sortir du contrat de fourniture en combustible qui le liait avec son fournisseur. Ensuite, il y a eu la mise en place d’un certain nombre de facilités qui ont permis, avec le transfert des importations (en combustible) au niveau de la Sar (Société africaine de raffinage), d’acheter trois cargaisons sur la base d’un appel d’offre ; ce qui nous a permis de faire des économies. Cela nous a également permis d’arriver à un niveau de stock (tous les tanks remplis) très satisfaisant. Nous avons, maintenant, un réservoir de travail et un autre de stockage. Ces mesures ont fait que les délestages ont beaucoup diminués. En plus de la sécurisation du combustible, le Plan Takkal prévoit de mettre en place des capacités rapides : capacités de location, ainsi que la remise à niveau d’un certain nombre de centrales. Ainsi, au niveau de la centrale du Cap des Biches, nous avons 50 mégawatts (MW) supplémentaires qui viennent renforcer la capacité de production de Senelec. Avant la fin du mois de septembre, 100 MW supplémentaires seront dans le réseau ; ce qui fera 150 MW additionnels. Avec la sécurisation de l’approvisionnement en combustible, on peut dire qu’on aura suffisamment de capacités pour faire face à la demande. Maintenant, il se pose quelques problèmes dans la distribution : récemment, nous avons eu beaucoup de clients qui ont été gênés par des pannes dues à des défauts sur les câbles en moyenne tension (les câbles 30.000 volts) qui quittent Hann pour alimenter la zone de l’aéroport, des Almadies, Ouakam, etc. Nous avons aussi eu quelques problèmes dans la zone de Patte d’Oie. Mais tout cela est dû à des incidents sur les câbles qui sont saturés. Un programme d’urgence est en cours pour y remédier. Nous sommes en train de négocier directement avec les fournisseurs pour régler rapidement ce problème. Notre production arrive à satisfaire la demande (qui tourne autour de 700 MW), mais nous avons beaucoup d’incidents sur la distribution.
A propos de ces câbles de distribution, la Senelec a souvent évoqué leur vétusté pour justifier certains délestages ces derniers temps. Quel est aujourd’hui l’état de ce réseau ?
Il y a une différence qu’il faut d’abord faire. Le délestage est une coupure volontaire ou automatique due au fait de l’insuffisance de la production ou, si vous voulez, quand la demande est supérieure à l’offre. Dans ces conditions, si l’on ne déleste pas, le système s’écroule. On peut considérer la demande comme un frein d’un moteur qui tourne. Si la production est supérieure à la demande, il n’y a pas de problème, mais s’il y a une forte demande, elle freine la production. Dans le système électrique, il y a un paramètre important, c’est la fréquence. Cette fréquence, c’est une vitesse qui régule l’offre en temps réel pour qu’il y ait un équilibre entre la demande et l’offre énergétiques. Le délestage, c’est quand on coupe le courant parce qu’il n’y a pas suffisamment d’offre. Maintenant, ce que vivent les populations de ces zones affectées (Almadies, Ouakam, etc.) est dû, comme je l’ai dit tantôt, à un problème lié à la défectuosité des câbles.
Le problème est de deux natures : d’abord il y a eu beaucoup de retards d’investissements sur le réseau de distribution (pour l’entretien des câbles), ensuite il y a le développement de l’urbanisation, qui fait que les charges ont rapidement augmenté. Pour cette raison, ces câbles ne peuvent plus alimenter de façon continue l’énergie nécessaire pour tous ces clients. Et si l’on dépasse la capacité de transit de ces câbles, il y a rupture ; c’est ça qui provoque des incidents du genre de celui que nous avons connu récemment dans cette zone. Le Plan Takkal a pris en compte toutes ces préoccupations en prévoyant un programme global d’urgence pendant l’hivernage. Ce programme va nous permettre d’acquérir des pièces de rechange, de la logistique pour améliorer l’accueil (appels pour accéder aux services de la Senelec). Il y a aussi un autre programme intermédiaire, en cours de préparation, qui devrait permettre de soulager les câbles dont j’ai parlé. Nous allons doubler ces canalisations pour nous permettre d’avoir un câble de travail et un câble de secours – ce qui n’existe plus du fait de l’augmentation des charges. En effet, avec l’augmentation de la demande, nous sommes arrivé à un moment où l’ensemble des câbles sont chargés. Dans un réseau de distribution, le principe est d’avoir un câble qui alimente les clients et un autre câble de secours qui, en cas de problème sur le câble d’alimentation, permet de l’isoler et de réalimenter les clients par le câble de secours. Cette possibilité n’existe pas aujourd’hui, du fait de la saturation du réseau de câbles.
On a promis aux Sénégalais la fin des délestages en septembre. Serez-vous en mesure de respecter cette échéance ?
La fin des délestages en septembre, c’est une instruction très ferme fondée sur une volonté politique très ferme des autorités ; et nous travaillons pour aller vers cet objectif. Aujourd’hui, je vous l’ai dit, il n’y a pas de délestages par manque de combustible ; ce qui était la cause de 70 % des délestages. Nous sommes donc dans une dynamique d’amélioration de la qualité de service. Il y aura, certes, des coupures localisées, mais nous aurons suffisamment de capacités pour être en mesure de répondre techniquement à la demande, parce qu’il y aura 100 MW en plus des 50 MW qui sont déjà là, sans compter deux groupes (404 et 405) qui arriveront en octobre et vont nous donner 34 MW. Ce sont toutes ces capacités qui vont nous permettre d’avoir une production suffisante pour approvisionner correctement les usagers. Cependant, il y aura des coupures dues à des incidents sur les canalisations de distribution ou éventuellement sur des lignes de tensions. Septembre, c’est donc un objectif qui nous est fixé et nous travaillons pour l’atteindre.
Quel est l’apport chiffré du Plan Takkal dans vos capacités de production électrique actuelles et futures ?
Déjà, j’ai parlé des 150 MW de location qui n’existaient pas dans le package de Senelec. Il y aura 50 MW supplémentaires dans le Plan Takkal grâce à un financement de l’Agence française de développement (Afd) ; ce qui va permettre à Senelec de recouvrer l’ensemble de ses capacités de production. Au total, cela fera 200 MW qui vont rentrer dans le réseau. Le Plan Takkal prévoit aussi l’installation de groupes containerisés à Tobène et qui vont nous apporter 40 à 70 MW. Il y a aussi une première barge (d’une capacité de 70 MW) qui va arriver sur le site de Bel-Air. En plus de cela, il est prévu, dans le Plan Takkal, l’extension de la centrale de Bel-Air (C6) qui produit actuellement 60 MW. Nous venons de signer le contrat et l’attente à la commande a été effectuée cette semaine. Nous aurons donc 34 MW de plus à la centrale C6 de Bel-Air. A la centrale de Kahone (Kaolack) il est prévu de mettre deux moteurs pour étendre ses capacités de 34 MW également. Si vous faites la somme de toutes ces capacités, vous verrez qu’il y a d’abord un renforcement de la capacité, qui va nous permettre d’avoir suffisamment de production pour satisfaire la demande et même nous positionner par rapport à la sous-région, puisque nous n’avons pas encore parlé des centrales à charbon. Déjà, le financement de la première centrale à charbon (de 120 MW) est bouclé et la construction va démarrer au cours du mois de septembre sur le site de Saint-Louis. Parmi les projets, on peut citer la coopération coréenne, dont l’étude de faisabilité est terminée, elle devrait apporter 250 MW. En outre, nous sommes actuellement en phase préliminaire pour un projet de 500 MW avec la coopération chinoise. Si vous regardez sur le site de Saint-Louis qui sera transformé en une plateforme de centrales à charbon, nous aurons à peu près 875 MW. Avec ces capacités, le Sénégal pourrait non seulement satisfaire entièrement sa demande, mais aussi exporter de l’énergie moins chère vers des pays avec lesquels nous sommes déjà en interconnexion (les pays de l’Omvs et de l’Omvg). Le ministre d’Etat (Karim Wade) a récemment signé une convention de partenariat avec le West african power pool (Wapp), le système d’échange électrique ouest-africain, pour pouvoir exporter de l’énergie jusqu’au Nigeria et vice versa. Le Sénégal, dans son programme qui va se dérouler jusqu’à l’horizon 2014-2015, sera ainsi dans une position d’exporter de l’énergie. On dira que c’est très ambitieux, puisque dans la situation actuelle, nous sommes en équilibre précaire avec quelques difficultés. Mais dans le moyen terme, nous serons, avec tous les investissements prévus dans le cadre du Plan Takkal, dans une position de sécurité qui va nous permettre d’alimenter correctement nos clients sénégalais, mais aussi des pays de la sous-région à des coûts compétitifs, parce que c’est seulement avec le charbon que nous allons sortir de cette situation et faire de la Senelec une entreprise performante qui pourra faire face à toutes ses charges d’exploitation et à ses obligations.
La location de centrales, une solution d’urgence transitoire, devra durer combien de temps pour que la Senelec prenne le relais ?
La location doit avoir une durée réduite, parce que les coûts sont assez élevés, compte tenu du coût de production. Le fait de ne pas avoir de l’énergie cause beaucoup de dommages aux clients, mais constitue aussi un frein au développement du pays. Mais la location ne génère pratiquement pas de chiffre d’affaire pour la Senelec ; nous allons donc, dans la mesure du possible, essayer de raccourcir le délai de location en renforçant nos capacités de production avec des centrales utilisant du combustible moins cher. La location fonctionne avec du diesel-oil, les barges vont, elles, fonctionner avec du fuel-oil qui offre des coûts de production moins onéreux. Avec les extensions de Bel-Air et de Kahone, les groupes vont également fonctionner avec du fuel-oil, donc des coûts moindres que ceux de la location. La location se situe entre 120 et 130 francs Cfa le kilowatt/heure (kW/h) produit ; ce kW/h revient à un coût moyen de 70 francs Cfa pour les groupes fonctionnant avec du fuel-oil. Il faut donc sortir rapidement de cette situation de location pour aller vers des centrales plus performantes en termes de production et de coûts de revient. Il s’agit des groupes containerisés, des barges, de l’extension des centrales existantes. C’est aussi la réhabilitation des moteurs diesel-oil de Senelec qui sont plus performantes que la location. Dès que nous le ferons, nous nous libèrerons de la location. Quand les centrales au charbon seront là, ces centrales containerisées pourront, peut-être, être redéployées dans les autres régions. C’est pour cette raison que nous avons opté pour ces centrales qui, si elles arrivent rapidement, nous permettront de sortir de la location. C’est donc un choix technique.
Est-ce que la location est rentable pour la Senelec ? Quels sont les frais qu’elle engendre et qui les supporte ?
Il y a deux composantes dans la location : les coûts de mobilisation (charges fixes) et les coûts variables. Dans l’absolu, on peut dire que le coût de revient est de 120 à 130 francs Cfa le kW/h. Disons que dans ce contrat, le combustible et les charges fixes sont supportées par le fonds (Fonds de soutien à l’énergie) parce que Senelec a besoin d’être accompagnée pour retrouver ses deux pieds. La Senelec avait deux problèmes : un déséquilibre offre/demande et un déséquilibre financier. Nous avons donc besoin d’être accompagnés pour sortir de cette situation ; même si, pour sortir complètement, il faut l’arrivée des centrales à charbon qui ont des coûts de l’ordre de 50 francs Cfa le kW/h au cours actuel du charbon. Ces centrales vont nous permettre de baisser le coût de production de façon rapide. En dehors des centrales hydrauliques (à peu près 30 francs Cfa le kW/h), les centrales diesel (environ 60 francs Cfa le kW/h) sont les moins chers ; les turbines à gaz et autres se situent entre 100 et 120 francs Cfa le kW/h. Pour sortir de cette situation, nous devons prendre en charge les coûts de la location – qui sont des coûts d’opportunité – parce qu’il vaut mieux donner de l’énergie aux Sénégalais, surtout aux industriels, pour leur permettre de travailler, quel que soit le prix, car les délestages, c’est un désastre pour tout le pays. C’est pour cette raison que le Plan Takkal a été placé en amont et en priorité de tous les autres secteurs, parce que s’il y a des dysfonctionnements dans la fourniture de l’électricité, c’est un frein à l’économie. L’énergie doit être un levier de développement.
Hormis donc la satisfaction de la demande, la Senelec ne gagne rien dans la location de ces centrales…
On peut dire que c’est du cash-flow négatif, parce qu’en fait, le prix moyen de vente de Senelec est aux alentours de 118 francs Cfa le kW/h, alors que le coût de production (des centrales louées) revient à 120 ou 130 francs Cfa. Il y a donc quelque part des pertes. Mais disons que dans l’absolu, si l’on regarde les gains sur le plan macro [économique], il est important que Senelec produise pour permettre à l’activité économique de fonctionner normalement. Je pense que c’est un prix à payer. Les locations nous permettent surtout de pouvoir arrêter nos machines et de les entretenir.
A quand exactement l’arrivée des centrales à charbon ?
Pour la première d’entre elles (avec une production de 125 MW), le promoteur a pu faire son « closing » financier il y a à peu près un mois. Normalement, dans quinze jours, nous allons passer à la phase de construction, qui va durer 24 mois. Normalement, en 2013 ou début 2014, la première centrale à charbon devrait être livrée.
Des efforts ont été faits dans la réhabilitation et la rénovation des centrales de la Senelec grâce à l’appui de l’Afd. Quel est aujourd’hui l’impact de ces efforts ?
C’est un programme qui est en cours. Il y a à peu près douze actions à mener, suivant la nature du projet Afd. Nous n’avons pas encore commencé à avoir les retombées de ce programme, mais à son terme, nous aurons recouvré 50 MW sur le réseau. Il y a aussi la remise à niveau du personnel de la Senelec parce qu’il y a une subvention de 380 millions de francs Cfa destinés à la formation du personnel de Senelec.
Est-ce que le système d’effacement (consistant au retrait du réseau de la Senelec de certains abonnés disposant de capacités de production électrique, aux heures de pointe) rencontre l’adhésion des gros consommateurs et industriels que vous ciblez ?
Nous avons fait des enquêtes ; le rapport sera bientôt déposé. C’est d’abord des moyens de gestion, de modification du processus de production de l’industriel. C’est ensuite un moyen pour la Senelec de contrôler ce qui se passe réellement dans le réseau. L’idée de ces compteurs intelligents, c’est de nous permettre d’identifier des clients, de communiquer avec eux et de les couper à l’heure de pointe. C’est un dispositif qui est en cours et qui n’est pas encore totalement opérationnel. Nous avons identifié une trentaine de clients qui sont intéressés, mais nous n’avons pas encore commencé l’effacement. Cependant, ce qui est important en parlant de gestion de la demande, ce sont les économies d’énergie : les lampes à basse consommation (Lbc) et l’utilisation d’appareils efficients. Aujourd’hui, il y a beaucoup de frigos d’occasion qui rentrent dans le pays, beaucoup d’appareils ménagers qui ne respectent pas certaines normes ou, en tout cas, qui consomment beaucoup. Et cela participe au renchérissement de la facture d’électricité. L’un des volets importants du Plan Takkal, c’est donc la gestion de la demande et les économies d’énergie. Il est prévu, dans le cadre du Plan Takkal, d’introduire au niveau des ménages 3,5 millions de Lbc. Nous avons eu une première expérience de 550.000 lampes, et cela nous a permis de baisser la pointe de 12 MW. Si nous introduisons, les 3,5 millions de lampes, ce sont 70 MW qui seront économisés sous la pointe. Le client y gagne, Senelec y gagne, et sur le plan macro, il y a un gain important, parce que nous n’allons pas brûler du combustible importé. Mieux encore, c’est un raccourci en termes d’investissement : pour construire une centrale de 70 MW, il faut 12 à 14 mois, alors que pour introduire les Lbc, non seulement les délais sont divisés par dix, mais aussi l’impact sur notre courbe de charge, sur la pointe lumière, est baissé de 70 MW.
Quel est l’état des finances de la Senelec, une société confrontée à des difficultés de trésorerie ?
Nous avons, comme on le dit, reçu une béquille, c’est-à-dire une perfusion. La mise en place du Fse a permis à la Senelec de sortir d’un contrat et, par le biais d’un montage financier avec une banque de la place, de pouvoir enlever 34 milliards de francs Cfa qui ont permis à l’entreprise de payer le fournisseur de combustible et la Sar, mais aussi de se mettre dans une position d’avoir des sûretés de paiement qui lui permettront de faire des économies de près de 3 milliards de francs Cfa sur les trois mois à venir pour l’approvisionnement en combustible. La deuxième chose, c’est la révision tarifaire. Nous sommes sortis aujourd’hui du lissage. Dans l’ancienne formule, les revenus de Senelec étaient calculés en tenant compte d’investissements qui n’étaient pas sur place ; ce qui a fait que la Senelec a eu des déficits du fait d’un tarif inadapté et qui a entrainé, ensuite, des déficits cumulés. Premièrement, la nouvelle formule de révision est trimestrielle. Deuxièmement, nous avons abandonné le lissage au profit d’une formule qui permettra à la Senelec d’avoir un revenu maximal et de pouvoir faire face à ses coûts d’exploitation et à ses investissements. La situation est encore très tendue, très difficile, mais avec toutes les mesures prévues dans le cadre du Plan Takkal (notamment le fonds de soutien pour la sécurisation du combustible), nous avons vu de façon concrète les résultats : la diminution des délestages.
Le deuxième volet, c’est la restructuration financière de l’entreprise. Nous sommes en train de racheter toutes les dettes de la Senelec via des conseillers financiers, des banques qui vont nous accompagner et avec l’appui de la tutelle sur ces transactions que nous sommes en train de faire. Cela va nous permettre de reprofiler la dette de la Senelec, d’avoir du cash et de permettre à l’entreprise de fonctionner.
Qu’entendez-vous par « lissage » ?
Nous sommes en période de révision pour déterminer le revenu de la Senelec. Jusque-là, le revenu de l’entreprise est calculé par la Commission de régulation, qui joue le rôle d’arbitre et, dans la fixation des tarifs, essaie de tenir compte des intérêts des uns et des autres (Senelec, opérateurs privés, etc.) afin d’avoir un secteur équilibré. Dans l’ancienne formule, par exemple, dans les projections de coûts, la Senelec donnait l’ensemble de ses investissements en disant : « je vais mettre des centrales à charbon en 2012 et 2013, et, malgré le fait que ces centrales à charbon ne soient pas encore là, il n’empêche, dans le calcul de revenu, la commission ne tient pas compte des performances de Senelec, en tout cas des investissements dans le cadre de ces centrales ». Ce qui fait que la Senelec n’a pas de revenus au titre de ces investissements. Le revenu qui nous a été alloué n’a pas permis à la Senelec de faire face à ses charges d’exploitation. Aujourd’hui, cette formule (le lissage) a été abandonnée. Chaque trimestre nous recalculons le revenu de l’entreprise. C’est cela l’intérêt de la nouvelle formule.
A quand la Senelec pourra-t-elle retrouver un équilibre financier ?
Pour cela, il faut l’arrivée du charbon à partir de 2013. Aujourd’hui, les charges de combustible représentent 70 à 80 % du chiffre d’affaire de la Senelec. Il faut sortir de l’étau du pétrole et aller vers des combustibles beaucoup moins chers. La solution, ce sont les centrales à charbon. Le fait de ne pas avoir du charbon nous coûte 60 milliards de francs Cfa par an, d’autres parlent même de 100 milliards pour les pertes engendrées par le retard du charbon. Avec le Plan Takkal, le monitoring qui est organisé pour toutes les réunions présidées par le ministre d’Etat lui-même (Karim Wade), gère les délais de mise en œuvre des projets de centrales à charbon, parce que l’avenir, c’est de sortir du pétrole pour aller vers le charbon. La Senelec sortira définitivement de ces problèmes et deviendra une entreprise performante, capable de soutenir l’économie du pays seulement si nous arrivons à mettre en œuvre tous les programmes charbon, mais aussi tous les programmes hydrauliques au niveau de la sous-région. Même si, pour l’hydraulique, les délais de mise en œuvre sont longs, de même que le temps de capitalisation des coûts, cela fait partie de la solution. Il faut aussi tenir compte des énergies renouvelables comme le solaire. Mais dans la situation actuelle, le Plan Takkal vise le solaire dans le cadre de l’approche individuelle, puisque les coûts sont encore élevés et dépassent le prix moyen de cession de la Senelec. Ce qui veut dire que nous ne pouvons pas, aujourd’hui, aller vers ce type d’énergie, s’il n’y a pas de subvention. Par contre, nous pouvons faire des autoroutes avec des panneaux solaires ou des kits pour l’éclairage ou le chauffage pour les ménages. Cela nous permettrait d’éviter l’utilisation de machines très chères au moment de la pointe.
Quel est aujourd’hui le taux d’électrification au Sénégal et son évolution au cours des années ?
En milieu urbain, nous sommes à plus de 60 %, contre 25 % en milieu rural. L’objectif qui nous a été assigné, c’est d’avoir un taux de 50 % en milieu rural d’ici 2012 et d’arriver à un taux de 80-85 % en milieu urbain. Il reste beaucoup de choses à faire. Je sais qu’à Dakar, il y a un important programme d’investissement pour densifier le réseau dans les banlieues, notamment avec la deuxième phase du projet de la coopération chinoise. Nous sommes en train de réaliser la boucle 90 kV qui va améliorer la desserte dans la région de Dakar et contribuer à la résolution des problèmes dans le moyen terme. Cette deuxième phase nous permettra de toucher beaucoup de ménages au niveau de Dakar et de sa banlieue et de Rufisque.
Que va faire la Senelec pour ses agences cassées lors des manifestations de juin dernier ? Ces agences seront-elles ré-ouvertes ?
C’est un évènement douloureux. Ce que les agents ont subi a été un véritable électrochoc. Tout comme la destruction des biens publics est un dommage. Il suffit de voir, chaque matin, toutes les files d’attente ici à la rue Vincens (l’agence principale) pour payer les factures pour avoir une idée du préjudice. A Dakar, il y a eu des saccages à Ouakam, Bourguiba, Patte d’Oie, Yoff, Hann, Yeumbeul et, dans les régions, l’agence de Mbour. Ces saccages représentent, pratiquement, 1 milliard de francs Cfa de pertes en préjudice direct pour la Senelec. Mais c’est aussi plus de 240.000 clients qui sont directement impactés. La Senelec est en train de s’organiser pour trouver une solution. Mais je peux vous dire que cela prendra du temps pour revenir à une situation normale, parce que ces destructions freinent une politique de décentralisation découlant d’une volonté de se rapprocher de la clientèle et de lui faciliter l’accès aux services. Nous avons trouvé une solution transitoire qui consiste à ouvrir l’agence d’accès, mutualiser un certain nombre de services au niveau de la Patte d’Oie pour permettre à tous ces clients de Bourguiba, Yoff, des Parcelles Assainies, etc., d’aller là-bas pour certaines opérations. Maintenant, nous allons externaliser les paiements de factures à travers des sociétés telles que la Sonatel et d’autres prestataires – nous en aurons deux ou trois. Nous avons achevé les discussions et d’ici une ou deux semaines, nous allons signer des contrats pour permettre à ces sociétés de pouvoir encaisser et restituer cet argent à la Senelec dans le cadre d’une convention qui a été négociée. Mais, pour le moment, je voudrais lancer un appel aux populations en leur disant que la Senelec est une société nationale dont l’Etat est l’actionnaire unique ; et en détruisant un bien de l’entreprise, c’est un bien de tous les Sénégalais que l’on détruit. Il est déplorable de voir la situation qui a été créée par ces saccages que nous n’arrivons pas à comprendre. Nous appelons les populations à la sérénité et au calme. Nous voulons aussi adresser aux agents de la Senelec se trouvant dans les régions quelques mots d’encouragement, en leur disant que c’est très difficile, mais c’est une mission que nous devons assumer et réussir pour contribuer, à notre façon, au développement de notre pays. C’est une mission complexe, parce que nous avons un produit qui n’est pas visible (ou en tout cas que lorsqu’il est transformé en lumière, en chaleur, etc.) ni stockable, mai nous avons la chance d’être dans tous les ménages et d’être utile à tous les Sénégalais. En pensant à cette mission complexe (la fourniture d’électricité), qui fait partie des piliers de développement de notre pays, nous devons mobiliser toute notre énergie pour sortir de cette situation difficile et continuer à faire notre travail comme cela se doit. Aux associations de jeunes, de femmes, des responsables de quartiers, je veux dire que si demain, des situations pareilles (des saccages) devaient se poser, qu’ils défendent ces agences comme leur propre bien, parce que ce sont eux qui, aujourd’hui, sont en train de subir les conséquences de ces casses. Je vous assure, ce n’est pas de gaieté de cœur que je vois chaque matin les gens faire la queue, sous le soleil, ici à l’agence principale. Nous allons faire nos meilleurs efforts pour essayer de revenir à une situation normale mais il faudra beaucoup de moyens, puisqu’il y a eu beaucoup de véhicules cassés ou brûlés, de l’argent emporté, des ordinateurs détruits… Tout cela, il faut l’acquérir, ce qui retarde les échéances pour rétablir la situation.
Est-ce que la Senelec avait souscrit à une assurance pour ce genre de situations ?
Bien sûr. Le matériel est assuré. Nous avons saisi nos assureurs, mais en plus de cela, nous allons porter plainte contre X. Chaque chef d’agence va porter plainte au niveau du commissariat de son quartier ; et moi-même, en tant que directeur général, je vais porter plainte auprès du procureur de la République.
Vous vous constituerez donc partie civile en cas de poursuites pénales contre les personnes arrêtées dans le cadre de ces saccages ?
Bien sûr. C’est mon rôle en tant que directeur général de prendre toutes mes responsabilités quand il se passe des choses pareilles.
Propos recueillis par Malick CISS et Seydou Ka le soleil