Excepté vos fonctions de tambour major de Yékini, les sénégalais ne vous connaissent pas tellement. Qui est Seyni Gningue ?
Je vais commencer par vous remercier de cette marque de reconnaissance et de considération que vous me manifestez en quittant Dakar jusqu’ici pour échanger avec moi. Depuis le dernier combat de Yékini, j’ai été sollicité de toute part mais j’ai toujours refusé de sortir le moindre mot. Je peux dire que Seyni Gningue est le tambour de Joal. Je suis le tambour major de tout Joal.
Griot de souche et batteur de tam-tam par nature, comment et où avez-vous fait vos armes comme tambour major ?
Mon papa Sémou Gningue était un très grand tambour major, reconnu de tous, et qui a fait ses preuves un peu partout. Seulement, j’ai été éduqué par mon oncle Diégane Diagne dans la maison de qui j’ai passé beaucoup de temps. Et c’est lui qui m’a appris le métier. Il m’a appris le métier avec un bon coeur. Je ne le remercierai jamais assez car, ici à Joal et environ, il n’y a pas un seul tambour major qui ne soit pas passé par moi.
Vous avez donc hérité du métier ?
Du côté de mon père comme de celui de mon oncle, oui. Et, dès ma naissance, c’est au milieu des tamtams que j’ai fait mes premiers pas, en rampant.
Vos parents sont-ils de Joal ou sont-ils venus d’ailleurs ?
Mon papa est de Samba Dia mais c’est ici que je suis né et où j’ai grandi. J’ai été bien initié au métier de batteur et je remercie toute ma famille.
Quel est votre âge ?
Je suis né en 1963 (il a donc 50 ans).
Avec deux femmes, il me semble ?
En effet, j’ai deux femmes.
En attendant la troisième ?
(Rires). J’ai même eu trois femmes mais Dieu a fait que je n’en ai plus que deux seules.
Où et quand avez-vous animé, pour la première fois, un tournoi de lutte ?
Le premier grand gala de lutte que j’ai animé a eu lieu dans le quartier Ndoubab, ici à Joal. En ce moment, on faisait souvent venir des batteurs d’autres lieux. Mais, à Ndoubab, ils ont dit que personne d’autre que le fils de Sémou Gningue ne va animer ce gala. Que c’est mon père qui animait tous leurs galas. Et, maintenant qu’il n’est plus là mais qu’il a laissé derrière un tambour major, qu’il soit compétent, célèbre ou non, c’est lui qu’on va prendre. C’est de là que les portes m’ont été ouvertes.
Ceux qui vous connaissent aujourd’hui vous connaissent plutôt comme batteur de Yékini. Quand vous êtes-vous connus ?
J’ai connu Yékini depuis très longtemps. Il est mon jeune frère. Nous sommes tous de Joal et il est un frère pour moi.
Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre première rencontre avec l’homme ?
Nous habitions dans le même quartier, ici à Joal. Je commençais à animer des galas bien avant de le connaitre. Et quand Dieu a fait qu’il a fait ses preuves en lutte simple jusqu’à devoir entrer dans la lutte avec frappe, il a dit que c’est son grand frère, Seyni Gningue, qui allait l’accompagner au stade.
Depuis combien de temps êtes vous devenu son tambour major ?
Cela fait quinze ans que je suis son batteur. Tous ses combats qu’il a livrés en lutte avec frappe, c’est bien moi qui les ai animés.
Vous devez alors bien le connaitre ?
Je dirai plutôt qu’on se connait très bien.
Que représente pour vous la date du 22 avril 2012 ?
(Il réfléchit un peu). C’est une date qui me marquera à jamais. Elle me rappelle bien des souvenirs, les uns plus douloureux que les autres. C’est avec le coeur gros que j’en parle. Auparavant, en effet, je ne connaissais pas la défaite pour Yakhya. Ce que nous connaissions, c’était une bonne préparation, une grande mobilisation depuis Joal et une victoire à l’arrivée. Voilà pourquoi la date du 22 avril constitue un très mauvais souvenir pour moi. Cependant, je mets en avant ma croyance en Dieu. C’est Lui Qui décide de tout. C’est Dieu Qui nous donnait les victoires et Qui en a décidé autrement ce jour là. Moi qui suis son tambour major, j’ai pris cette défaite avec beaucoup de philosophie.
Les jours de combat de Yékini, vous quittez Joal le même jour ou la veille ?
Les combats de Yékini sont des combats pour lui, certes, mais également pour moi. Je menais mes combats de mon côté et à ma manière. Feue ma mère le soutenait mystiquement sans qu’il n’en soit au courant et je ne l’ai jamais déclaré. Ma mère le faisait pour Yékini mais aussi pour moi-même. Seule la victoire nous préoccupait, en effet, pendant ses combats.
C’est le jour du combat que vous quittez Joal alors ?
On nous envoie un car, mes batteurs et moi. Nous nous retrouvons à la gendarmerie pour faire un convoi avec les bus des supporters et rejoindre Dakar.
Vous partez donc en même temps que Yékini ?
Il part bien avant nous. Il quitte Joal le même jour pour aller à Dakar.
C’est donc ici qu’il noue son nguimb ?
Il fait une partie de sa préparation ici pour certainement terminer le reste à Dakar.
Pendant les quinze ans que vous avez accompagné Yékini au stade, avez-vous une fois senti être atteint mystiquement ?
C’est une question que j’attendais et à laquelle je suis très content de répondre. Je vais jurer afin que vous soyez plus convaincu de ce que je vais vous dire. Billahi, wallahi, tallahi, le batteur de Balla Gaye 2 ne m’a pas atteint mystiquement. Je le jure sur le saint coran et sur Serigne Touba. Il ne peut m’atteindre mystiquement. Ce qu’il y a eu, c’est qu’on devait perdre et on a perdu. Voilà. D’ailleurs, cela faisait très longtemps que je n’avais pas aussi bien animé que lors de ce combat. Je vais saisir cette occasion pour expliquer une chose. Nous avons été combattus par bien des composantes du stade et de l’arène. Ce jour là, j’étais le premier à avoir accédé dans le stade. Quand Balla Gaye 2 est arrivé, on m’a pris les quatre micros, avec ceux des batteurs de sabar et de la troupe de Mbaye Dièye Faye, pour les donner tous au tambour major de Balla Gaye. Quand celui-ci a terminé son tousse, on devait normalement nous rendre nos micros tout en demandant à son batteur d’arrêter de battre son tamtam. Non seulement on n’a pas pris les micros mais, en même temps, on l’a laissé continuer librement de battre ses tamtams. C’est d’ailleurs à ce niveau qu’il dit avoir saboté ma chorégraphie et il a certainement raison. Quand on fait entrer son lutteur, tous les autres batteurs doivent arrêter. C’est ce qu’on a toujours connu au stade. Mais, ce jour là, ce qui s’est passé est inédit. C’est la toute première fois. Si Yékini n’a pu entendre mon son, c’est que tout ce qui était matériel sonore était avec Balla Gaye 2 et son batteur. Pourtant, tous les autres batteurs ont arrêté quand Balla Gaye 2 faisait son tousse.
Plus tard, le batteur de Balla a révélé que ce sont des consignes qu’il avait reçues de grands connaisseurs de la lutte…
C’est encore la preuve que ce n’est pas parce que j’ai été mystiquement atteint ou autre. Ce n’est pas aujourd’hui que j’ai commencé à aller au stade. Quinze ans, ce n’est pas quinze mois, encore moins quinze jours. Ils ne sont pas nombreux à avoir fait quinze ans dans le métier. J’en appelle à tous les griots afin qu’ils fassent preuve de plus d’honnêteté et de dignité dans le boulot. Il ne sert à rien de nous jouer certains sales tours. Nous sommes tous des parents et rien ne vaut certains comportements, très malsains du reste.
Dans un récent entretien avec Sunu Lamb, Hypo Ngary a dit que…
(Il ne nous laisse pas terminer) Ce jour là, on a bousculé Hypo Ngary. Quand il est allé leur demander d’arrêter leurs tamtams afin que Yékini fasse son tousse normalement, on l’a tout simplement bousculé.
Il a dit que l’erreur que vous avez commise a été de ne pas amener au stade plusieurs tamtams au point de pouvoir face aux sons du batteur de Balla Gaye 2. Êtes-vous d’accord ?
S’il a dit ça, c’est qu’il s’est trompé ou n’a pas bien observé ce qui s’est passé ce jour là. Je suis venu avec 21 tamtams le jour du combat. Ce qui n’arrivait pas très souvent. Quand on m’a fait comprendre, à la porte, que je n’avais droit qu’à 15 batteurs, j’ai payé 5.000 FCFA à chacune des six personnes restantes, en guise de ticket d’entrée. Je l’ai fait pour ne pas accuser du retard dans l’enceinte.
Vous n’avez alors commis aucune erreur ?
Je n’ai commis aucune erreur ce jour là. Je vous ai dit tantôt que cela faisait très longtemps que je n’avais aussi explosé comme c’était le cas ce jour là. Comme un joueur, je m’échauffais tout en battant le tamtam. J’étais avec une forme extraordinaire le 22 avril 2012.
Avez-vous eu un pressentiment, à un moment ou à un autre du combat, que Yékini allait perdre ?
J’ai pleuré dans le stade.
Pourquoi ?
J’ai vu que Yékini ne parvenait pas à entendre mon son malgré les 21 tamtams que j’avais installés à l’occasion. Même en dehors du stade, c’est plutôt le son venant de mes tamtams que l’on entendait et la voix de feue Khady Diouf.
Et pourtant Yékini ne vous entendait point ?
Il ne m’entendait pas. Et quand je l’ai vu s’agenouiller, au beau milieu de l’enceinte, en parlant avec Robert, je n’en pouvais plus de voir mon frère dans une telle situation. Alors, j’ai versé des larmes. C’est en ce moment que j’ai eu un mauvais pressentiment. J’ai compris que c’était la volonté divine.
Vous saviez alors qu’il allait tomber ?
Pourtant, malgré tout, je ne croyais pas encore à la défaite. Mais, quand j’ai vu Yékini, comment il était et avec son comportement, je me suis fait des idées. Il avait l’habitude d’être beaucoup plus endiablé que ça.
Cela ne confirme-t-il pas ceux qui avancent qu’il était mystiquement atteint ?
Diékou amna ci. Oui, on peut dire qu’il était atteint. Qu’on le dise ou non, c’est cela la vérité.
D’où devait venir qu’il soit atteint mystiquement ?
Il y a des détails dans lesquels je ne voudrais pas entrer. Ce qui est sûr, c’est que moi, Seyni Gningue, tambour major de Yékini… Attention ! Jusqu’à présent, je reste le tambour major de Yékini. Celui-ci ne m’a encore rien dit de face. Pour avoir été avoir assisté à toutes ses victoires, ce ne sont pas des dires de la télé ou des rumeurs qui vont me convaincre qu’il y a rupture entre nous.
Vous êtes-vous parlé depuis le combat, par téléphone ou autre ?
Non, depuis lors, on ne s’est pas parlé. Il ne m’a pas appelé. Moi non plus.
Est-ce normale, une telle situation ?
Je ne sais pas. Mais je considère que c’est lui qui doit prendre l’initiative de m’appeler. Il est mon lutteur et mon jeune frère. S’il vient à Joal, il doit pouvoir me joindre pour qu’on se parle.
Rester pendant plus d’une année sans communiquer, n’est-ce pas la preuve qu’il y a mésentente entre vous ?
Non, pas du tout. S’il y a rupture, c’est peut-être de son côté. Je dis et je répète que je me considère toujours comme le tambour major de Yékini.
Pourtant, il a dit à la télé que c’est désormais l’autre tambour major, Ibou Sène de Fimela, qui va l’accompagner au stade. L’avez-vous suivi ?
Je l’ai suivi à la télé avec des amis. Cette nuit-là, les gens n’ont pas arrêté de me joindre. On m’ont appelé de partout : Dakar, Mbour, Fatick, Kaolack, Samba Dia. Tous me demandaient ce qui s’est passé. Je leur ai rétorqué que je ne dirai rien parce qu’il (Yékini) ne m’a encore rien dit. Je ne le croirai jamais tant que je n’aurai pas vu qu’il a effectivement un combat que je n’anime pas. Je ne peux pas croire à ça car je ne lui ai rien fait. Et je pense que, quand on est majeur, on ne doit pas pouvoir se fier sur des «on m’a dit» pour prendre certaines décisions. Si on m’avait dit quelque chose de Yékini, je l’aurais appelé en responsable pour lui en parler avant de prendre une quelconque décision. Dieu n’aime que la vérité. Je me préparais seul, de mon côté, lors de ses combats.
Mystiquement, vous voulez dire ?
Personne ne se fatiguait autant que moi pendant ses combats. Vous savez tous ce qu’est la lutte. Je ne peux pas accompagner Yékini sans être regardant sur certaines choses.
Après cette déclaration, Yékini a posé un autre acte en invitant Ibou Sène lors du gala de lutte simple qu’il a organisé le 16 juin à Demba Diop. Cela ne vous convainc toujours pas de la rupture consommée entre vous ?
Tout cela ne signifie rien pour moi. J’attends de voir. Je suis parent à Ibou Sène mais il est de Fimela et je suis de Joal. Aucun autre tambour ne fera plus ce que j’ai fait pour Yékini. Je l’ai accompagné pendant quinze ans. Il a organisé un gala et a invité Ibou Sène. Voilà.
Mais quelque chose d’incompréhensible s’est passé ce jour là car, en bon batteur reconnu de tous, Ibou Sène a eu du mal à composer le rythme fétiche de Yékini …
Je sais bien ce qui s’est passé ce jour là. Si Babou Ngom n’était pas là-bas ce jour là, ce serait la catastrophe. Il a amené Ibou Sène et tout le monde a vu ce qui s’est passé. Euh (il hésité). Si c’était moi qui l’avais accompagné, ça ne se passerait pas comme cela.
Mais il se dit que, entre tambours majors, il se passe des choses mystiques. Vous vous atteignez pour empêcher aux autres de briller. N’est-ce pas ?
Babou Ngom et Ibou Sène sont les mêmes. Même si c’est moi qui ai créé ce rythme de Yékini, un batteur ne doit pas avoir de problème à le composer pour lui. Ce jour là, j’ai eu mal car je veux que, partout où il est, Yékini ait le succès en toute chose. Il arrive qu’un tambour major soit affolé au point de se perdre complètement.
Comme d’autres, vous avez été accusé de faire partie de ceux qui auraient mystiquement sacrifié Yékini. Il se dit qu’on est passé par vous pour l’atteindre mystiquement. Qu’en répondez vous ?
Voilà une autre question qu’il me plaira d’évacuer définitivement. Je ne vois pas, dans ce monde, quelque chose qui peut me pousser à un acte aussi ignoble. Nous les griots, nous sommes honnêtes. Si ça ne dépendait que de moi, j’allais accompagner Yékini pendant toute sa carrière sans qu’il ait la plus petite défaite. Personne n’ose me faire face pour tenter de telles choses. Je ne l’ai jamais permis et je ne le permettrai jamais à personne. Il y a une chose : qu’il pleuve, qu’il neige, je n’ai que Yékini comme lutteur. S’il est devenu roi des arènes, je dois pouvoir être le roi du mbalakh. Seulement, je manque terriblement de soutien dans ce sens. Plusieurs des chorégraphies actuelles dans l’arène sont ma pure création. Je vous le jure.
Comme quel rythme, par exemple ?
En général, c’était le mbara bouki, ndiadiane djinné avant le tousse proprement dit sous forme de ral diakidia, ral diakidia… Mais, les présents rythmes, ce sont nous, les Sérères, qui les avons introduits dans l’arène. Et, quand je le créais pour Yékini, beaucoup de batteurs n’étaient pas encore au stade. C’est moi qui ai créé la plupart des rythmes de Papis Général. Le son que je faisais pour Papis Général, c’est pour Yékini que je l’ai d’abord créé au stade. Ensuite, Yékini a vu un rythme que je composais pour Thiampou (Alizé, ndlr) et m’a demandé de le lui faire. Ce sont deux sons différents. L’un était pour feu Malick Nguéniane et ce n’est pas moi qui l’avais créé. Il ressemble un peu à celui de Yékini.
C’est vrai que feu Malick Nguéniane a toujours réclamé ce son qu’il considérait toujours comme sa propriété…
Mais il y avait une différence entre les deux rythmes. Pour Malick Nguéniane, c’était le guidia foukh, guidia foukh, rawthiarathia guidiaguine, kiis kiis. Alors que celui de Yékini, ce sont des termes quelque peu impropres.
Pouvez-vous expliciter ce rythme de Yékini ?
C’est moi qui l’ai créé. Il y a une différence entre ces deux rythmes. Partout où on met ce rythme, tous ceux qui connaissent Yékini pensent automatiquement à moi. Je ne l’interdis à personne, cependant. Je donne le feu vert à tous les griots de le composer. J’en avais discuté avec un de mes parents qui me l’avait recommandé.
Pourtant, c’est actuellement le rythme de beaucoup de lutteurs. Pourquoi, selon vous, ils l’aiment tant ?
Mais c’est parce que c’est un très bon rythme et qui a du bayré. Il n’y a pas un seul gala où on ne l’entend pas.
Si la rupture avec Yékini, qui se dessine vraiment, est consommée, qu’allez-vous faire ?
S’il se sépare de moi et prend Ibou Sène, je considèrerai que ce n’est rien et je vais continuer de prier pour lui. Le compagnonnage, quel qu’il soit, a une durée de vie bien
précise.
Mais, il n’y aurait pas, pour vous, un goût d’inachevé si vous le quittiez sur une défaite, la première de sa carrière ?
Si je l’ai accompagné pendant quinze ans, avec tout le succès qu’il a eu, je ne peux être content qu’il me quitte sur une défaite pour un autre batteur. S’il me quitte, il m’aura trahi.
Et pourquoi parlez-vous de trahison ?
Au début, c’était trop dur. Et Dieu a fait qu’il a gravi des échelons au point de percevoir les cachets faramineux qu’on lui connait aujourd’hui. Et, si je vous dis qu’il m’aura trahi, c’est que je pensais que c’est quand il s’apprêtera à quitter l’arène qu’il va enfin faire quelque chose pour moi. Depuis que je suis avec lui, je ne suis allé chez lui pour demander quoi que ce soit. Et il ne m’a jamais rien donné.
Il n’a rien fait pour vous, vous avez dit ?
Rien. Je ne l’accompagnais pas par intérêt. C’était par devoir de reconnaissance et d’honnêteté. Ma mère est décédée à cinq jours de son dernier combat contre Baboye. On m’a tout dit pour me décourager à ne pas aller au stade. Je leur ai répondu que ce qui devait se passer s’est passé et ce n’est pas de la faute de Yékini. Et, comme Yékini n’avait d’autre batteur que moi, j’ai décidé de l’accompagner au stade. Après trois jours de funérailles, je suis allé, le lendemain, au stade avec Yékini. Depuis lors, jusqu’à présent, Yékini n’est jamais venu me présenter ses condoléances. Donc, si rupture il doit y avoir, elle doit venir de moi. Mais, aujourd’hui plus que jamais, j’aime Yékini et je suis son tambour major. Je ne suis pas un traitre. La lutte a ses réalités et il est possible qu’un marabout lui ait demandé de me laisser. Je peux donc le comprendre. Dans la lutte, il y a des victoires et des défaites. Ce qu’il y a à faire pour Yékini, c’est de revoir ses arrières et se refaire.
D’aucuns estiment que c’est une erreur pour un lutteur que de se séparer de son tambour major. Vous confirmez cela ?
Je ne peux avoir ce point de vue. S’il pense devoir me changer, c’est peut-être parce que je suis devenu source de malchance pour lui, après quinze ans de succès. Et s’il change de tambour major, je souhaite que celui-ci lui porte bonheur. Dans les périodes de bonheur comme de malheur, je resterai très honnête et digne. Si j’étais avec un autre lutteur, j’aurais dépassé ce stade où je suis depuis très longtemps.
Ah bon, comment ?
Sur le plan du son. Je lui ai créé du bon rythme. Il m’arrivait d’aller voir des gens pour qu’ils nous aident mystiquement, et c’est avec mon propre argent que je les rémunérais. Tout cela pour qu’il ait la victoire. Nous de Joal n’avons que Yékini qui est une fierté pour tous. Tant qu’il ne se sera pas adressé à moi, je considèrerai que je suis encore son tambour major.
Et, si vous vous sépariez aujourd’hui, comment alliez vous continuer dans l’arène. Est-il possible que vous accompagniez d’autres lutteurs ?
Bien sûr ! Voilà une autre question qui me fait beaucoup plaisir. Il y avait beaucoup de portes que j’avais fermées, à cause de Yékini, et que je suis prêt à rouvrir. J’en suis à un niveau où plus aucun lutteur ne me trahira. Tout lutteur qui voudra que nous travaillions va désormais me payer un très bon cachet, et entièrement. C’est à dire sans avance. Je veux que tous les lutteurs en soient informés.
Vous parlez de collaboration de quelle nature ?
Sur le plan purement mystique. Je suis prêt à soutenir tout lutteur qui viendra me voir à condition qu’il me paie grassement et entièrement.
Il vous arrivait donc de soutenir certains lutteurs ?
Jamais. Moi je n’ai eu qu’un seul lutteur. Et c’est Yékini. Et jusqu’à preuve du contraire, il reste mon lutteur.
Vous est-il une fois arrivé, lors de ses combats, de vous rendre compte que Yékini est mystiquement atteint ?
Non. Je n’ai jamais senti qu’il est atteint. Mais, lors de son combat contre Balla, j’ai vu en lui un comportement qu’il n’a jamais eu. J’ai eu trop pitié de lui. Et quand il est venu vers moi après son tousse, tous ses grigris sont tombés sur moi. Ce qui ne s’était jamais passé auparavant.
Il y avait alors des signes qu’il allait perdre ?
J’ai vu en lui, lors de son dernier combat, un comportement qu’il n’a jamais eu dans un combat. Yékini a toujours eu des victoires et c’était très pénible dans le camp de ses victimes. Maintenant qu’il a la défaite, il faut que nous sachions que c’est cela le sport.
Est-il facile d’atteindre mystiquement Yékini ?
On ne peut être fort au point d’être Dieu. Ce que je peux dire, c’est que nous avons eu des victoires et voilà que la défaite est arrivée. Il faut être grand dans la défaite.
Comment avez-vous vu Balla Gaye ce jour là ?
Rien de particulier à signaler. Seul Dieu est invincible. Les prophètes sont tombés, les plus grands marabouts aussi. N’importe qui tombera un jour.
Comment voyez-vous son avenir dans l’arène ?
S’il doit revenir, il doit d’abord bien se refaire.
Mansour Sakho a été accusé de l’avoir trahi. Si Yékini décide de changer et de se séparer de vous, n’est-ce pas une manière de vous accuser de quelque chose ?
Mansour Sakho et Yékini étaient de véritables amis. C’est comme s’ils étaient de même père et de même mère. D’ailleurs, Yékini a dit un jour, à la têlé, que Mansour était son frère de même père et de même mère. C’est vous dire comment les rapports étaient étroits entre ces deux hommes.
Croyez-vous que Mansour ait travaillé contre Yékini ?
Je ne le crois pas. Je ne peux pas l’imaginer, vu les rapports qu’ils ont eus. Il est arrivé des moments où je devais nécessairement passer par Mansour pour parler à Yékini ou le voir. Donc, s’il s’avère qu’il a trahi Yékini, ce serait une grosse surprise pour moi. Je ne crois pas à sa culpabilité.
Pensez-vous qu’ils puissent se retrouver ?
C’est possible. On ne sait jamais. En tout cas, je ne connais pas la trahison.
Qu’avez-vous ressenti au décès de Khady Diouf ?
C’est un ami qui m’a téléphoné pour me demander si j’avais l’information. Et je lui ai dit que non. Il m’a demandé de suivre la radio avant de me dire que c’est Khady Diouf qui est décédée. Je lui ai alors demandé de raccrocher avant de composer immédiatement le numéro de Khady Diouf. Au bout du fil, c’est Faya Mbodj qui me répond. Je lui demande ce qui s’est passé et elle m’a répondu que c’est Khady Diouf qui est partie. Par la suite, je ne sais plus ce que j’ai fait de mon téléphone. Elle soutenait des batteurs en les rectifiant alors qu’ils étaient sur le point de dévier.
Pourquoi vous n’avez pas la célébrité d’un Babou Ngom qui est très connu dans les arènes à Dakar et partout dans le monde ?
C’est très important, ce que vous me posez comme question. J’ai fait quinze ans dans l’arène avec frappe. Babou Ngom est mon frère et c’est moi qui l’ai amené pour la première fois ici à Joal. Je n’ai pas sa chance car il a des personnes qui le soutiennent afin qu’il soit visible. Mais, ceux avec qui je suis ne m’ont pas soutenu. Il ne faut pas que nous, les griots, nous acceptions que les lutteurs installent un malaise entre nous. Après leurs combats, pas un seul lutteur ne pense à remercier son batteur. Les lutteurs ne considèrent pas les griots. C’est cela la vérité. Nous devons en être conscients. Ils remercient tous, sauf nous les griots, qui sommes leurs tambours majors. Il faut qu’ils pensent un peu plus à leurs batteurs. Ils manquent de reconnaissance.
Votre dernier mot ?
Que Dieu nous donne la paix et que les lutteurs soient plus reconnaissants ! Les batteurs sont d’une importance capitale pour eux. Aucun lutteur ne peut payer son batteur. C’est difficile.
Que dire à Yékini ?
Qu’il sache que tant qu’il ne m’aura pas appelé pour me dire ceci ou cela, je me considèrerai comme son tambour major. Je suis et je resterai son grand frère. Quoi qu’il puisse arriver. Nous n’avons que lui et je le dirai toujours. S’il se sépare de moi, je continuerai de prier afin qu’il ait toujours le succès. Que Dieu fasse ce qui est meilleur pour moi ! Je ne me limite pas seulement à la lutte. J’anime des concerts et tout. Je prie pour lui mais également pour moi-même. Nous avons toujours eu la victoire. La défaite est arrivée pour la première fois. Nous devons pouvoir croire en Dieu. Il est mon jeune frère et le restera. Si nous nous séparons, c’est parce que notre compagnonnage est arrivé à termes.
Sunu Lamb
Je vais commencer par vous remercier de cette marque de reconnaissance et de considération que vous me manifestez en quittant Dakar jusqu’ici pour échanger avec moi. Depuis le dernier combat de Yékini, j’ai été sollicité de toute part mais j’ai toujours refusé de sortir le moindre mot. Je peux dire que Seyni Gningue est le tambour de Joal. Je suis le tambour major de tout Joal.
Griot de souche et batteur de tam-tam par nature, comment et où avez-vous fait vos armes comme tambour major ?
Mon papa Sémou Gningue était un très grand tambour major, reconnu de tous, et qui a fait ses preuves un peu partout. Seulement, j’ai été éduqué par mon oncle Diégane Diagne dans la maison de qui j’ai passé beaucoup de temps. Et c’est lui qui m’a appris le métier. Il m’a appris le métier avec un bon coeur. Je ne le remercierai jamais assez car, ici à Joal et environ, il n’y a pas un seul tambour major qui ne soit pas passé par moi.
Vous avez donc hérité du métier ?
Du côté de mon père comme de celui de mon oncle, oui. Et, dès ma naissance, c’est au milieu des tamtams que j’ai fait mes premiers pas, en rampant.
Vos parents sont-ils de Joal ou sont-ils venus d’ailleurs ?
Mon papa est de Samba Dia mais c’est ici que je suis né et où j’ai grandi. J’ai été bien initié au métier de batteur et je remercie toute ma famille.
Quel est votre âge ?
Je suis né en 1963 (il a donc 50 ans).
Avec deux femmes, il me semble ?
En effet, j’ai deux femmes.
En attendant la troisième ?
(Rires). J’ai même eu trois femmes mais Dieu a fait que je n’en ai plus que deux seules.
Où et quand avez-vous animé, pour la première fois, un tournoi de lutte ?
Le premier grand gala de lutte que j’ai animé a eu lieu dans le quartier Ndoubab, ici à Joal. En ce moment, on faisait souvent venir des batteurs d’autres lieux. Mais, à Ndoubab, ils ont dit que personne d’autre que le fils de Sémou Gningue ne va animer ce gala. Que c’est mon père qui animait tous leurs galas. Et, maintenant qu’il n’est plus là mais qu’il a laissé derrière un tambour major, qu’il soit compétent, célèbre ou non, c’est lui qu’on va prendre. C’est de là que les portes m’ont été ouvertes.
Ceux qui vous connaissent aujourd’hui vous connaissent plutôt comme batteur de Yékini. Quand vous êtes-vous connus ?
J’ai connu Yékini depuis très longtemps. Il est mon jeune frère. Nous sommes tous de Joal et il est un frère pour moi.
Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre première rencontre avec l’homme ?
Nous habitions dans le même quartier, ici à Joal. Je commençais à animer des galas bien avant de le connaitre. Et quand Dieu a fait qu’il a fait ses preuves en lutte simple jusqu’à devoir entrer dans la lutte avec frappe, il a dit que c’est son grand frère, Seyni Gningue, qui allait l’accompagner au stade.
Depuis combien de temps êtes vous devenu son tambour major ?
Cela fait quinze ans que je suis son batteur. Tous ses combats qu’il a livrés en lutte avec frappe, c’est bien moi qui les ai animés.
Vous devez alors bien le connaitre ?
Je dirai plutôt qu’on se connait très bien.
Que représente pour vous la date du 22 avril 2012 ?
(Il réfléchit un peu). C’est une date qui me marquera à jamais. Elle me rappelle bien des souvenirs, les uns plus douloureux que les autres. C’est avec le coeur gros que j’en parle. Auparavant, en effet, je ne connaissais pas la défaite pour Yakhya. Ce que nous connaissions, c’était une bonne préparation, une grande mobilisation depuis Joal et une victoire à l’arrivée. Voilà pourquoi la date du 22 avril constitue un très mauvais souvenir pour moi. Cependant, je mets en avant ma croyance en Dieu. C’est Lui Qui décide de tout. C’est Dieu Qui nous donnait les victoires et Qui en a décidé autrement ce jour là. Moi qui suis son tambour major, j’ai pris cette défaite avec beaucoup de philosophie.
Les jours de combat de Yékini, vous quittez Joal le même jour ou la veille ?
Les combats de Yékini sont des combats pour lui, certes, mais également pour moi. Je menais mes combats de mon côté et à ma manière. Feue ma mère le soutenait mystiquement sans qu’il n’en soit au courant et je ne l’ai jamais déclaré. Ma mère le faisait pour Yékini mais aussi pour moi-même. Seule la victoire nous préoccupait, en effet, pendant ses combats.
C’est le jour du combat que vous quittez Joal alors ?
On nous envoie un car, mes batteurs et moi. Nous nous retrouvons à la gendarmerie pour faire un convoi avec les bus des supporters et rejoindre Dakar.
Vous partez donc en même temps que Yékini ?
Il part bien avant nous. Il quitte Joal le même jour pour aller à Dakar.
C’est donc ici qu’il noue son nguimb ?
Il fait une partie de sa préparation ici pour certainement terminer le reste à Dakar.
Pendant les quinze ans que vous avez accompagné Yékini au stade, avez-vous une fois senti être atteint mystiquement ?
C’est une question que j’attendais et à laquelle je suis très content de répondre. Je vais jurer afin que vous soyez plus convaincu de ce que je vais vous dire. Billahi, wallahi, tallahi, le batteur de Balla Gaye 2 ne m’a pas atteint mystiquement. Je le jure sur le saint coran et sur Serigne Touba. Il ne peut m’atteindre mystiquement. Ce qu’il y a eu, c’est qu’on devait perdre et on a perdu. Voilà. D’ailleurs, cela faisait très longtemps que je n’avais pas aussi bien animé que lors de ce combat. Je vais saisir cette occasion pour expliquer une chose. Nous avons été combattus par bien des composantes du stade et de l’arène. Ce jour là, j’étais le premier à avoir accédé dans le stade. Quand Balla Gaye 2 est arrivé, on m’a pris les quatre micros, avec ceux des batteurs de sabar et de la troupe de Mbaye Dièye Faye, pour les donner tous au tambour major de Balla Gaye. Quand celui-ci a terminé son tousse, on devait normalement nous rendre nos micros tout en demandant à son batteur d’arrêter de battre son tamtam. Non seulement on n’a pas pris les micros mais, en même temps, on l’a laissé continuer librement de battre ses tamtams. C’est d’ailleurs à ce niveau qu’il dit avoir saboté ma chorégraphie et il a certainement raison. Quand on fait entrer son lutteur, tous les autres batteurs doivent arrêter. C’est ce qu’on a toujours connu au stade. Mais, ce jour là, ce qui s’est passé est inédit. C’est la toute première fois. Si Yékini n’a pu entendre mon son, c’est que tout ce qui était matériel sonore était avec Balla Gaye 2 et son batteur. Pourtant, tous les autres batteurs ont arrêté quand Balla Gaye 2 faisait son tousse.
Plus tard, le batteur de Balla a révélé que ce sont des consignes qu’il avait reçues de grands connaisseurs de la lutte…
C’est encore la preuve que ce n’est pas parce que j’ai été mystiquement atteint ou autre. Ce n’est pas aujourd’hui que j’ai commencé à aller au stade. Quinze ans, ce n’est pas quinze mois, encore moins quinze jours. Ils ne sont pas nombreux à avoir fait quinze ans dans le métier. J’en appelle à tous les griots afin qu’ils fassent preuve de plus d’honnêteté et de dignité dans le boulot. Il ne sert à rien de nous jouer certains sales tours. Nous sommes tous des parents et rien ne vaut certains comportements, très malsains du reste.
Dans un récent entretien avec Sunu Lamb, Hypo Ngary a dit que…
(Il ne nous laisse pas terminer) Ce jour là, on a bousculé Hypo Ngary. Quand il est allé leur demander d’arrêter leurs tamtams afin que Yékini fasse son tousse normalement, on l’a tout simplement bousculé.
Il a dit que l’erreur que vous avez commise a été de ne pas amener au stade plusieurs tamtams au point de pouvoir face aux sons du batteur de Balla Gaye 2. Êtes-vous d’accord ?
S’il a dit ça, c’est qu’il s’est trompé ou n’a pas bien observé ce qui s’est passé ce jour là. Je suis venu avec 21 tamtams le jour du combat. Ce qui n’arrivait pas très souvent. Quand on m’a fait comprendre, à la porte, que je n’avais droit qu’à 15 batteurs, j’ai payé 5.000 FCFA à chacune des six personnes restantes, en guise de ticket d’entrée. Je l’ai fait pour ne pas accuser du retard dans l’enceinte.
Vous n’avez alors commis aucune erreur ?
Je n’ai commis aucune erreur ce jour là. Je vous ai dit tantôt que cela faisait très longtemps que je n’avais aussi explosé comme c’était le cas ce jour là. Comme un joueur, je m’échauffais tout en battant le tamtam. J’étais avec une forme extraordinaire le 22 avril 2012.
Avez-vous eu un pressentiment, à un moment ou à un autre du combat, que Yékini allait perdre ?
J’ai pleuré dans le stade.
Pourquoi ?
J’ai vu que Yékini ne parvenait pas à entendre mon son malgré les 21 tamtams que j’avais installés à l’occasion. Même en dehors du stade, c’est plutôt le son venant de mes tamtams que l’on entendait et la voix de feue Khady Diouf.
Et pourtant Yékini ne vous entendait point ?
Il ne m’entendait pas. Et quand je l’ai vu s’agenouiller, au beau milieu de l’enceinte, en parlant avec Robert, je n’en pouvais plus de voir mon frère dans une telle situation. Alors, j’ai versé des larmes. C’est en ce moment que j’ai eu un mauvais pressentiment. J’ai compris que c’était la volonté divine.
Vous saviez alors qu’il allait tomber ?
Pourtant, malgré tout, je ne croyais pas encore à la défaite. Mais, quand j’ai vu Yékini, comment il était et avec son comportement, je me suis fait des idées. Il avait l’habitude d’être beaucoup plus endiablé que ça.
Cela ne confirme-t-il pas ceux qui avancent qu’il était mystiquement atteint ?
Diékou amna ci. Oui, on peut dire qu’il était atteint. Qu’on le dise ou non, c’est cela la vérité.
D’où devait venir qu’il soit atteint mystiquement ?
Il y a des détails dans lesquels je ne voudrais pas entrer. Ce qui est sûr, c’est que moi, Seyni Gningue, tambour major de Yékini… Attention ! Jusqu’à présent, je reste le tambour major de Yékini. Celui-ci ne m’a encore rien dit de face. Pour avoir été avoir assisté à toutes ses victoires, ce ne sont pas des dires de la télé ou des rumeurs qui vont me convaincre qu’il y a rupture entre nous.
Vous êtes-vous parlé depuis le combat, par téléphone ou autre ?
Non, depuis lors, on ne s’est pas parlé. Il ne m’a pas appelé. Moi non plus.
Est-ce normale, une telle situation ?
Je ne sais pas. Mais je considère que c’est lui qui doit prendre l’initiative de m’appeler. Il est mon lutteur et mon jeune frère. S’il vient à Joal, il doit pouvoir me joindre pour qu’on se parle.
Rester pendant plus d’une année sans communiquer, n’est-ce pas la preuve qu’il y a mésentente entre vous ?
Non, pas du tout. S’il y a rupture, c’est peut-être de son côté. Je dis et je répète que je me considère toujours comme le tambour major de Yékini.
Pourtant, il a dit à la télé que c’est désormais l’autre tambour major, Ibou Sène de Fimela, qui va l’accompagner au stade. L’avez-vous suivi ?
Je l’ai suivi à la télé avec des amis. Cette nuit-là, les gens n’ont pas arrêté de me joindre. On m’ont appelé de partout : Dakar, Mbour, Fatick, Kaolack, Samba Dia. Tous me demandaient ce qui s’est passé. Je leur ai rétorqué que je ne dirai rien parce qu’il (Yékini) ne m’a encore rien dit. Je ne le croirai jamais tant que je n’aurai pas vu qu’il a effectivement un combat que je n’anime pas. Je ne peux pas croire à ça car je ne lui ai rien fait. Et je pense que, quand on est majeur, on ne doit pas pouvoir se fier sur des «on m’a dit» pour prendre certaines décisions. Si on m’avait dit quelque chose de Yékini, je l’aurais appelé en responsable pour lui en parler avant de prendre une quelconque décision. Dieu n’aime que la vérité. Je me préparais seul, de mon côté, lors de ses combats.
Mystiquement, vous voulez dire ?
Personne ne se fatiguait autant que moi pendant ses combats. Vous savez tous ce qu’est la lutte. Je ne peux pas accompagner Yékini sans être regardant sur certaines choses.
Après cette déclaration, Yékini a posé un autre acte en invitant Ibou Sène lors du gala de lutte simple qu’il a organisé le 16 juin à Demba Diop. Cela ne vous convainc toujours pas de la rupture consommée entre vous ?
Tout cela ne signifie rien pour moi. J’attends de voir. Je suis parent à Ibou Sène mais il est de Fimela et je suis de Joal. Aucun autre tambour ne fera plus ce que j’ai fait pour Yékini. Je l’ai accompagné pendant quinze ans. Il a organisé un gala et a invité Ibou Sène. Voilà.
Mais quelque chose d’incompréhensible s’est passé ce jour là car, en bon batteur reconnu de tous, Ibou Sène a eu du mal à composer le rythme fétiche de Yékini …
Je sais bien ce qui s’est passé ce jour là. Si Babou Ngom n’était pas là-bas ce jour là, ce serait la catastrophe. Il a amené Ibou Sène et tout le monde a vu ce qui s’est passé. Euh (il hésité). Si c’était moi qui l’avais accompagné, ça ne se passerait pas comme cela.
Mais il se dit que, entre tambours majors, il se passe des choses mystiques. Vous vous atteignez pour empêcher aux autres de briller. N’est-ce pas ?
Babou Ngom et Ibou Sène sont les mêmes. Même si c’est moi qui ai créé ce rythme de Yékini, un batteur ne doit pas avoir de problème à le composer pour lui. Ce jour là, j’ai eu mal car je veux que, partout où il est, Yékini ait le succès en toute chose. Il arrive qu’un tambour major soit affolé au point de se perdre complètement.
Comme d’autres, vous avez été accusé de faire partie de ceux qui auraient mystiquement sacrifié Yékini. Il se dit qu’on est passé par vous pour l’atteindre mystiquement. Qu’en répondez vous ?
Voilà une autre question qu’il me plaira d’évacuer définitivement. Je ne vois pas, dans ce monde, quelque chose qui peut me pousser à un acte aussi ignoble. Nous les griots, nous sommes honnêtes. Si ça ne dépendait que de moi, j’allais accompagner Yékini pendant toute sa carrière sans qu’il ait la plus petite défaite. Personne n’ose me faire face pour tenter de telles choses. Je ne l’ai jamais permis et je ne le permettrai jamais à personne. Il y a une chose : qu’il pleuve, qu’il neige, je n’ai que Yékini comme lutteur. S’il est devenu roi des arènes, je dois pouvoir être le roi du mbalakh. Seulement, je manque terriblement de soutien dans ce sens. Plusieurs des chorégraphies actuelles dans l’arène sont ma pure création. Je vous le jure.
Comme quel rythme, par exemple ?
En général, c’était le mbara bouki, ndiadiane djinné avant le tousse proprement dit sous forme de ral diakidia, ral diakidia… Mais, les présents rythmes, ce sont nous, les Sérères, qui les avons introduits dans l’arène. Et, quand je le créais pour Yékini, beaucoup de batteurs n’étaient pas encore au stade. C’est moi qui ai créé la plupart des rythmes de Papis Général. Le son que je faisais pour Papis Général, c’est pour Yékini que je l’ai d’abord créé au stade. Ensuite, Yékini a vu un rythme que je composais pour Thiampou (Alizé, ndlr) et m’a demandé de le lui faire. Ce sont deux sons différents. L’un était pour feu Malick Nguéniane et ce n’est pas moi qui l’avais créé. Il ressemble un peu à celui de Yékini.
C’est vrai que feu Malick Nguéniane a toujours réclamé ce son qu’il considérait toujours comme sa propriété…
Mais il y avait une différence entre les deux rythmes. Pour Malick Nguéniane, c’était le guidia foukh, guidia foukh, rawthiarathia guidiaguine, kiis kiis. Alors que celui de Yékini, ce sont des termes quelque peu impropres.
Pouvez-vous expliciter ce rythme de Yékini ?
C’est moi qui l’ai créé. Il y a une différence entre ces deux rythmes. Partout où on met ce rythme, tous ceux qui connaissent Yékini pensent automatiquement à moi. Je ne l’interdis à personne, cependant. Je donne le feu vert à tous les griots de le composer. J’en avais discuté avec un de mes parents qui me l’avait recommandé.
Pourtant, c’est actuellement le rythme de beaucoup de lutteurs. Pourquoi, selon vous, ils l’aiment tant ?
Mais c’est parce que c’est un très bon rythme et qui a du bayré. Il n’y a pas un seul gala où on ne l’entend pas.
Si la rupture avec Yékini, qui se dessine vraiment, est consommée, qu’allez-vous faire ?
S’il se sépare de moi et prend Ibou Sène, je considèrerai que ce n’est rien et je vais continuer de prier pour lui. Le compagnonnage, quel qu’il soit, a une durée de vie bien
précise.
Mais, il n’y aurait pas, pour vous, un goût d’inachevé si vous le quittiez sur une défaite, la première de sa carrière ?
Si je l’ai accompagné pendant quinze ans, avec tout le succès qu’il a eu, je ne peux être content qu’il me quitte sur une défaite pour un autre batteur. S’il me quitte, il m’aura trahi.
Et pourquoi parlez-vous de trahison ?
Au début, c’était trop dur. Et Dieu a fait qu’il a gravi des échelons au point de percevoir les cachets faramineux qu’on lui connait aujourd’hui. Et, si je vous dis qu’il m’aura trahi, c’est que je pensais que c’est quand il s’apprêtera à quitter l’arène qu’il va enfin faire quelque chose pour moi. Depuis que je suis avec lui, je ne suis allé chez lui pour demander quoi que ce soit. Et il ne m’a jamais rien donné.
Il n’a rien fait pour vous, vous avez dit ?
Rien. Je ne l’accompagnais pas par intérêt. C’était par devoir de reconnaissance et d’honnêteté. Ma mère est décédée à cinq jours de son dernier combat contre Baboye. On m’a tout dit pour me décourager à ne pas aller au stade. Je leur ai répondu que ce qui devait se passer s’est passé et ce n’est pas de la faute de Yékini. Et, comme Yékini n’avait d’autre batteur que moi, j’ai décidé de l’accompagner au stade. Après trois jours de funérailles, je suis allé, le lendemain, au stade avec Yékini. Depuis lors, jusqu’à présent, Yékini n’est jamais venu me présenter ses condoléances. Donc, si rupture il doit y avoir, elle doit venir de moi. Mais, aujourd’hui plus que jamais, j’aime Yékini et je suis son tambour major. Je ne suis pas un traitre. La lutte a ses réalités et il est possible qu’un marabout lui ait demandé de me laisser. Je peux donc le comprendre. Dans la lutte, il y a des victoires et des défaites. Ce qu’il y a à faire pour Yékini, c’est de revoir ses arrières et se refaire.
D’aucuns estiment que c’est une erreur pour un lutteur que de se séparer de son tambour major. Vous confirmez cela ?
Je ne peux avoir ce point de vue. S’il pense devoir me changer, c’est peut-être parce que je suis devenu source de malchance pour lui, après quinze ans de succès. Et s’il change de tambour major, je souhaite que celui-ci lui porte bonheur. Dans les périodes de bonheur comme de malheur, je resterai très honnête et digne. Si j’étais avec un autre lutteur, j’aurais dépassé ce stade où je suis depuis très longtemps.
Ah bon, comment ?
Sur le plan du son. Je lui ai créé du bon rythme. Il m’arrivait d’aller voir des gens pour qu’ils nous aident mystiquement, et c’est avec mon propre argent que je les rémunérais. Tout cela pour qu’il ait la victoire. Nous de Joal n’avons que Yékini qui est une fierté pour tous. Tant qu’il ne se sera pas adressé à moi, je considèrerai que je suis encore son tambour major.
Et, si vous vous sépariez aujourd’hui, comment alliez vous continuer dans l’arène. Est-il possible que vous accompagniez d’autres lutteurs ?
Bien sûr ! Voilà une autre question qui me fait beaucoup plaisir. Il y avait beaucoup de portes que j’avais fermées, à cause de Yékini, et que je suis prêt à rouvrir. J’en suis à un niveau où plus aucun lutteur ne me trahira. Tout lutteur qui voudra que nous travaillions va désormais me payer un très bon cachet, et entièrement. C’est à dire sans avance. Je veux que tous les lutteurs en soient informés.
Vous parlez de collaboration de quelle nature ?
Sur le plan purement mystique. Je suis prêt à soutenir tout lutteur qui viendra me voir à condition qu’il me paie grassement et entièrement.
Il vous arrivait donc de soutenir certains lutteurs ?
Jamais. Moi je n’ai eu qu’un seul lutteur. Et c’est Yékini. Et jusqu’à preuve du contraire, il reste mon lutteur.
Vous est-il une fois arrivé, lors de ses combats, de vous rendre compte que Yékini est mystiquement atteint ?
Non. Je n’ai jamais senti qu’il est atteint. Mais, lors de son combat contre Balla, j’ai vu en lui un comportement qu’il n’a jamais eu. J’ai eu trop pitié de lui. Et quand il est venu vers moi après son tousse, tous ses grigris sont tombés sur moi. Ce qui ne s’était jamais passé auparavant.
Il y avait alors des signes qu’il allait perdre ?
J’ai vu en lui, lors de son dernier combat, un comportement qu’il n’a jamais eu dans un combat. Yékini a toujours eu des victoires et c’était très pénible dans le camp de ses victimes. Maintenant qu’il a la défaite, il faut que nous sachions que c’est cela le sport.
Est-il facile d’atteindre mystiquement Yékini ?
On ne peut être fort au point d’être Dieu. Ce que je peux dire, c’est que nous avons eu des victoires et voilà que la défaite est arrivée. Il faut être grand dans la défaite.
Comment avez-vous vu Balla Gaye ce jour là ?
Rien de particulier à signaler. Seul Dieu est invincible. Les prophètes sont tombés, les plus grands marabouts aussi. N’importe qui tombera un jour.
Comment voyez-vous son avenir dans l’arène ?
S’il doit revenir, il doit d’abord bien se refaire.
Mansour Sakho a été accusé de l’avoir trahi. Si Yékini décide de changer et de se séparer de vous, n’est-ce pas une manière de vous accuser de quelque chose ?
Mansour Sakho et Yékini étaient de véritables amis. C’est comme s’ils étaient de même père et de même mère. D’ailleurs, Yékini a dit un jour, à la têlé, que Mansour était son frère de même père et de même mère. C’est vous dire comment les rapports étaient étroits entre ces deux hommes.
Croyez-vous que Mansour ait travaillé contre Yékini ?
Je ne le crois pas. Je ne peux pas l’imaginer, vu les rapports qu’ils ont eus. Il est arrivé des moments où je devais nécessairement passer par Mansour pour parler à Yékini ou le voir. Donc, s’il s’avère qu’il a trahi Yékini, ce serait une grosse surprise pour moi. Je ne crois pas à sa culpabilité.
Pensez-vous qu’ils puissent se retrouver ?
C’est possible. On ne sait jamais. En tout cas, je ne connais pas la trahison.
Qu’avez-vous ressenti au décès de Khady Diouf ?
C’est un ami qui m’a téléphoné pour me demander si j’avais l’information. Et je lui ai dit que non. Il m’a demandé de suivre la radio avant de me dire que c’est Khady Diouf qui est décédée. Je lui ai alors demandé de raccrocher avant de composer immédiatement le numéro de Khady Diouf. Au bout du fil, c’est Faya Mbodj qui me répond. Je lui demande ce qui s’est passé et elle m’a répondu que c’est Khady Diouf qui est partie. Par la suite, je ne sais plus ce que j’ai fait de mon téléphone. Elle soutenait des batteurs en les rectifiant alors qu’ils étaient sur le point de dévier.
Pourquoi vous n’avez pas la célébrité d’un Babou Ngom qui est très connu dans les arènes à Dakar et partout dans le monde ?
C’est très important, ce que vous me posez comme question. J’ai fait quinze ans dans l’arène avec frappe. Babou Ngom est mon frère et c’est moi qui l’ai amené pour la première fois ici à Joal. Je n’ai pas sa chance car il a des personnes qui le soutiennent afin qu’il soit visible. Mais, ceux avec qui je suis ne m’ont pas soutenu. Il ne faut pas que nous, les griots, nous acceptions que les lutteurs installent un malaise entre nous. Après leurs combats, pas un seul lutteur ne pense à remercier son batteur. Les lutteurs ne considèrent pas les griots. C’est cela la vérité. Nous devons en être conscients. Ils remercient tous, sauf nous les griots, qui sommes leurs tambours majors. Il faut qu’ils pensent un peu plus à leurs batteurs. Ils manquent de reconnaissance.
Votre dernier mot ?
Que Dieu nous donne la paix et que les lutteurs soient plus reconnaissants ! Les batteurs sont d’une importance capitale pour eux. Aucun lutteur ne peut payer son batteur. C’est difficile.
Que dire à Yékini ?
Qu’il sache que tant qu’il ne m’aura pas appelé pour me dire ceci ou cela, je me considèrerai comme son tambour major. Je suis et je resterai son grand frère. Quoi qu’il puisse arriver. Nous n’avons que lui et je le dirai toujours. S’il se sépare de moi, je continuerai de prier afin qu’il ait toujours le succès. Que Dieu fasse ce qui est meilleur pour moi ! Je ne me limite pas seulement à la lutte. J’anime des concerts et tout. Je prie pour lui mais également pour moi-même. Nous avons toujours eu la victoire. La défaite est arrivée pour la première fois. Nous devons pouvoir croire en Dieu. Il est mon jeune frère et le restera. Si nous nous séparons, c’est parce que notre compagnonnage est arrivé à termes.
Sunu Lamb