Gouverneur à 25 ans. Premier ministre à 35. Président de la République à 45 ans. Né en 1935. Le chiffre 5 semble lui porter chance. Son porte-bonheur, diraient les astres. Devant une telle carrière, combien de fois n’a-t-on pas entendu, à propos du fils de Ndiaye Diouf et de Coumba Dème : «Il est né sous une bonne étoile» ; «les fées se sont penchées sur son berceau»… Réponse toute faite des humains, immanents et mortels, aux questions auxquelles ils n’ont pas de réponse. Qui disait que l’humanité ne se pose que des questions auxquelles elle peut répondre ? Le cas en question nous dépasse. Transcendance ! Destin ! Aux spécialistes de la numérologie de le déchiffrer ! Une bonne étoile qui n’a pas arrêté de luire sur l’homme même après son départ de la Présidence de la République sénégalaise au bout de quarante ans de carrière administrative et politique. Ligne d’arrivée ? Assurément non, car c’est à ce moment que s’ouvrent grand les portes de la Francophonie. Il a 67 ans.
L’homme, âgé de 79 ans depuis le 7 septembre dernier, est un marathonien de la politique. De ces athlètes qui, déjà dans les starting-blocks et lancés sur la piste, ne suscitent pas l’indifférence. Haut de ses 2 mètres, digne d’un basketteur, il est de la catégorie hors normes parmi les gouvernants passés, présents et, sans doute, futurs de notre planète. Dans le monde, il fait partie de la race des dirigeants politiques à être de cette taille et puisqu’on emprunte à l’athlétisme son langage, il partagerait le podium avec Charles de Gaulle. De cette France de la Francophonie que se prépare à recevoir le pays de l’Immortel Léopold Sédar Senghor.
Spécial, il l’a été tout au long de sa vie active. Spécial, il le demeure à l’heure de la retraite. A ceux qui ont voulu le retenir pour un quatrième mandat ou à la limite une petite prolongation face à la difficulté de lui trouver un successeur, le patron de l’OIF pour moins d’un mois encore est resté insensible. De marbre. «Je n’ai pas eu de jeunesse, j’ai quand même droit à la vieillesse», lance-t-il à ses interlocuteurs d’un soir sur un ton ferme, mais trempé de sa courtoisie légendaire.
Abdou Diouf a donc décidé de jouir d’un repos mérité, de faire valoir ses droits à une retraite définitive. «Wiiw Abdou !», est-on tenté de s’écrier en wolof, pour faire dans la diversité culturelle chère à la Francophonie. «Si je lui dois beaucoup, c’est parce qu’il m’a tout donné», disait-il alors à la tête de l’Etat sénégalais dans un hommage à son «illustre prédécesseur». Léopold Sédar Senghor était venu participer au troisième Sommet de la Francophonie, foulant ainsi, pour une des rares fois, le sol sénégalais depuis sa démission de la Présidence de la République. C’était une façon de tenir à témoin la communauté francophone réunie. De rendre à Sédar ce qui est à Senghor. Au moment où Dakar s’apprête à accueillir le XVe Sommet de la Francophonie dont il est le Secrétaire général, il a droit à un hommage pour bons et loyaux services rendus à la nation sénégalaise et au-delà, au monde. N’aurait-il pas été Secrétaire général de l’ONU dans les années 90 s’il avait accepté l’offre de certains grands du monde ? Comme réponse, il préféra se représenter pour un nouveau bail à la tête du Sénégal.
Président de l’OUA, ancêtre de l’Union Africaine, il avait, au milieu des années 80, fait montre d’un grand courage, surprenant à l’époque, au regard du risque sécuritaire lié au survol, par son avion, de la fameuse «ligne de front» pour aller défier le régime blanc de l’Apartheid de Pieter Willem Botha de sinistre mémoire. Avec toute l’Afrique, il manifestait ainsi de la plus belle manière son soutien déterminé (et déterminant ?) à la lutte contre l’Apartheid et pour la libération de Nelson Mandela que menait l’African National Congress, ANC. Le monde découvrait que l’homme longiligne aux apparences d’un long fleuve tranquille pouvait également avoir un tempérament de feu.
Madiba, libre et reconnaissant, lui rendît visite en terre sénégalaise, et à travers sa personne, à l’Afrique entière et sa jeunesse vaillante. Mais ce n’était que la partie visible de l’iceberg, en termes d’appui que le Sénégal de Diouf apportât à Mandela. Son ancien Premier ministre et ami, Habib Thiam, nous en a fait la confidence dans l’intimité de son salon, il y a quelques années. Quant à son conseiller à la Francophonie et non moins hériter spirituel du poète-président Léopold Sédar Senghor, mon grand frère et ami Hamidou Sall, il témoignerait mieux que moi sur l’histoire du soutien politique de notre pays à l’Afrique du Sud, du temps de l’Apartheid.
Il est cependant vrai, pour un témoignage honnête, qu’Abdou Diouf n’a pas été un grand bâtisseur d’infrastructures. A l’exception notable des forages qui lui ont valu la moquerie «Monsieur Forage» de son adversaire irréductible Abdoulaye Wade. Mais Diouf pouvait-il vraiment être un grand bâtisseur d’infrastructures, vu le contexte de l’époque ? Le Sénégal était dans le dur. Les chahuteurs du défunt régime socialiste n’hésitent pas à lui rappeler… sa très grande ambition (!) pour le Sénégal à travers la construction du «pont Sénégal 92». Que le Président Macky Sall, successeur de Wade, ait décidé de casser et de reprendre le fameux pont en dit long sur le peu de vision exprimée à travers l’ouvrage. Vrai aussi que «les Sénégalais (qui) sont fatigués», pour paraphraser le président de la Cour Suprême d’alors, Kéba Mbaye, installant Diouf dans sa charge de nouveau président de la République, ont beaucoup subi économiquement et socialement les contrecoups des Programmes d’ajustement structurel (Pas). C’est durant ces années que les fonctionnaires sénégalais ont découvert la dure réalité d’une baisse de salaire et les diplômés, le chômage.
Mais justement, ces «années Pas» imposées par la Banque Mondiale et le FMI (Réf. Le film «Bamako» du Mauritanien Abderrahmane Cissoko) exonèrent quelque peu le Président Diouf. Et ce n’est pas son successeur au «1er avril 2000» et grand pourfendeur qui dira qu’il a trouvé «les caisses de l’Etat vides» ou «les signaux au rouge». Bien au contraire ! Nouvellement élu, le Président Wade avait reconnu publiquement avoir hérité de «caisses pleines». Lui, Diouf, n’a pas été poursuivi par la clameur publique pour «enrichissement illicite» à son départ du pouvoir. Au-delà de leur coût exorbitant et, du coup, le lourd endettement qu’elles ont causé, les infrastructures certes utiles de Wade n’en ont pas moins posé un problème de gouvernance.
Si Abdou Diouf n’a pas été un grand bâtisseur au plan matériel, force est de reconnaître qu’il a été un grand architecte de l’infrastructure institutionnelle du Sénégal. Avec «l’héritier politique» du Président Senghor, la démocratie sénégalaise s’est approfondie et renforcée. On lui doit la libéralisation de la bande Fm, la création de l’Onel, la première alternance démocratique de 2000 avec ce message important : en Afrique, continent aux 90 coups d’Etat, on pouvait aussi perdre le pouvoir par la voie des urnes et non plus que par des armes et reconnaître sa défaite. Avec lui, certaines institutions se sont consolidées tant les «révisions consolidantes» prenaient le dessus sur les «révisions déconsolidantes» d’une Constitution dont l’élaboration n’est jamais terminée. Dans le domaine de la bonne gouvernance, sujet plus que d’actualité, on lui doit la loi sur l’enrichissement illicite, quoique sa trouvaille juridictionnelle de 1981 contre les «délinquants à col blanc», nommée Cour de répression de l’enrichissement, soit aujourd’hui encore contestée par beaucoup à la suite de sa réactivation par le Président Macky Sall.
Un pays a autant besoin du Matériel (infrastructures) pour son développement économique que de l’Immatériel (institutions) pour sa pérennité, surtout quand l’Immatériel tient lieu de solide fondation pour le Matériel. Et puis comme il est écrit dans les Ecritures Saintes, à chaque chose son temps.
Solide dans ses convictions d’homme d’Etat, «Ndiol» de son sobriquet pour faire allusion à sa grande taille, ne perd pas sa lucidité devant un parcours si élogieux et enviable. Droit dans ses bottes, lui qui a écrit enfin ses Mémoires se livre comme pour nous ouvrir les pages de son livre : «Il y a, sur ce continent, des dirigeants talentueux.» Et un tantinet provocateur, d’asséner ses quatre vérités à l’endroit de tous ces «hommes forts» : «Mais notre époque, se répète-t-il, ne se prête guère à l’émergence d’icônes ou d’hommes providentiels (…) A vrai dire, c’est mieux ainsi.» Leçons de vie politique de celui qui est la preuve vivante qu’il y a une vie après le pouvoir : «Eu égard aux impératifs de saine gouvernance, je préfère que l’Afrique soit pourvue d’hommes d’Etat capables de bien gérer leur pays plutôt que d’enflammer les foules.» Ces «hommes providentiels» et autres «enflammeurs de foules» se reconnaîtront. S’ils savaient seulement qu’en démocratie les hommes passent, les institutions demeurent.
Les dernières actualités africaines ne sont guère rassurantes. Des résistances s’y font jour, déviances et défiances face au monde démocratique, et aux idéaux prônés par la Francophonie. A ranger dans ce cadre, la vaine tentative de se présenter pour un nouveau mandat, hors des limites fixées par la Constitution du Burkina Faso, du Président Blaise Compaoré. Mal lui en a pris. Mais la question légitime qui se pose est de savoir si la prise de pouvoir par l’Armée est une juste récompense du combat du peuple burkinabè, malgré la promesse d’une «transition, la plus courte possible». Rien de précis à la fin ! La réponse est non. La place de l’Armée est dans les casernes. Que dire du Président Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo avec ses velléités de maintien au pouvoir à l’image d’un Compaoré déchu ? Garder le silence sur toutes ces tentatives de tripatouillage constitutionnel sur le continent signifierait compromettre gravement l’idéal démocratique qui ne va pas sans alternance. En dépit du retrait du projet de révision constitutionnelle, les risques d’instabilité pour le Burkina Faso sont grands dans une sous-région déjà fragilisée par le terrorisme et par la terreur Ebola. Pour les mêmes raisons, la situation en RDC, avec un Kabila désireux lui aussi de se représenter en violation de la Constitution congolaise, est à surveiller comme du lait sur le feu quand on sait que ce géant qualifié de «scandale géologique», tellement ses richesses minières sont immenses, court le risque d’une rechute dans le conflit armé, dans une région des «Grands Lacs» malade. Les derniers développements au Burkina Faso sont la preuve qu’il ne faut jamais jouer avec le feu. Qui règne par le feu, périt par le feu.
Mais Compaoré et Kabila ne sont pas les seuls dirigeants africains à être tentés par le diable. En homme de pouvoir expérimenté, le Secrétaire général de l’OIF confirme le risque encouru : «La plupart des conflits politiques résultent d’élections mal préparées.» Si l’Organisation Internationale de la Francophonie et la communauté internationale dans son ensemble ne réagissent pas à la hauteur de toutes ces dérives, on ne parlera plus de «vie après le pouvoir», mais bien de «pouvoir à vie». Autant s’autoproclamer Empereur comme Bokassa ! Autant également, pour une question de justice, rendre son pouvoir à Wade qui s’était mis à dos toute une communauté nationale et internationale déterminée à lui barrer la route quand il a voulu faire un passage en force pour un troisième mandat ! Ou à Laurent Gbagbo, théoricien du «Je gagne ou je gagne» !
En revenant à Dakar, 25 ans après le troisième Sommet qui s’y est tenu en mai 1989, la Francophonie signe, pour le symbole, un retour aux sources, notamment celle de la démocratie. Il s’agit avant tout de la terre natale d’un de ses grands chantres nommé Senghor. Celui-là même qui s’est volontairement retiré du pouvoir, réalisant ainsi une certaine alternance au sommet d’un Etat africain à une époque où, sur le continent, transmettre le pouvoir était assimilé à de la pure folie ; on raconte que certains de ses camarades du syndicat des chefs d’Etat lui en voulurent à mort pour ce comportement… suicidaire. Retour aux sources, puisque c’est aussi le pays d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade qui se sont démocratiquement transmis le pouvoir et ont comme dénominateur commun, d’avoir accepté chacun sa défaite.
La réussite du XVe Sommet de la Francophonie, le plus grand rendez-vous international dont le Président Sall est l’hôte depuis son accession au pouvoir, dépendra de sa capacité de synthèse des Sommets de la même dimension organisés par ses devanciers. Homme d’une «rupture» clamée, proclamée et réclamée, le quatrième président de la République du Sénégal (se) doit (d’)être la synthèse de ses trois prédécesseurs. Il n’est pas le premier Président né après l’indépendance pour rien. Homme de synthèse (c’est notre souhait) entre Senghor, Diouf et Wade, parce que de chacun des trois, il y a du bon à tirer pour le Président Macky Sall. Pour la fin, on se met à rêver d’une photo de famille ayant dans son cadre : le Président Macky Sall entouré de ses deux prédécesseurs, Diouf et Wade, sous «l’Immortalité» de Senghor. Quelle belle légende que cela serait ! Une image qui vaudrait mille mots.
MAMOUDOU IBRA KANE
*Vive Abdou en wolof
L’homme, âgé de 79 ans depuis le 7 septembre dernier, est un marathonien de la politique. De ces athlètes qui, déjà dans les starting-blocks et lancés sur la piste, ne suscitent pas l’indifférence. Haut de ses 2 mètres, digne d’un basketteur, il est de la catégorie hors normes parmi les gouvernants passés, présents et, sans doute, futurs de notre planète. Dans le monde, il fait partie de la race des dirigeants politiques à être de cette taille et puisqu’on emprunte à l’athlétisme son langage, il partagerait le podium avec Charles de Gaulle. De cette France de la Francophonie que se prépare à recevoir le pays de l’Immortel Léopold Sédar Senghor.
Spécial, il l’a été tout au long de sa vie active. Spécial, il le demeure à l’heure de la retraite. A ceux qui ont voulu le retenir pour un quatrième mandat ou à la limite une petite prolongation face à la difficulté de lui trouver un successeur, le patron de l’OIF pour moins d’un mois encore est resté insensible. De marbre. «Je n’ai pas eu de jeunesse, j’ai quand même droit à la vieillesse», lance-t-il à ses interlocuteurs d’un soir sur un ton ferme, mais trempé de sa courtoisie légendaire.
Abdou Diouf a donc décidé de jouir d’un repos mérité, de faire valoir ses droits à une retraite définitive. «Wiiw Abdou !», est-on tenté de s’écrier en wolof, pour faire dans la diversité culturelle chère à la Francophonie. «Si je lui dois beaucoup, c’est parce qu’il m’a tout donné», disait-il alors à la tête de l’Etat sénégalais dans un hommage à son «illustre prédécesseur». Léopold Sédar Senghor était venu participer au troisième Sommet de la Francophonie, foulant ainsi, pour une des rares fois, le sol sénégalais depuis sa démission de la Présidence de la République. C’était une façon de tenir à témoin la communauté francophone réunie. De rendre à Sédar ce qui est à Senghor. Au moment où Dakar s’apprête à accueillir le XVe Sommet de la Francophonie dont il est le Secrétaire général, il a droit à un hommage pour bons et loyaux services rendus à la nation sénégalaise et au-delà, au monde. N’aurait-il pas été Secrétaire général de l’ONU dans les années 90 s’il avait accepté l’offre de certains grands du monde ? Comme réponse, il préféra se représenter pour un nouveau bail à la tête du Sénégal.
Président de l’OUA, ancêtre de l’Union Africaine, il avait, au milieu des années 80, fait montre d’un grand courage, surprenant à l’époque, au regard du risque sécuritaire lié au survol, par son avion, de la fameuse «ligne de front» pour aller défier le régime blanc de l’Apartheid de Pieter Willem Botha de sinistre mémoire. Avec toute l’Afrique, il manifestait ainsi de la plus belle manière son soutien déterminé (et déterminant ?) à la lutte contre l’Apartheid et pour la libération de Nelson Mandela que menait l’African National Congress, ANC. Le monde découvrait que l’homme longiligne aux apparences d’un long fleuve tranquille pouvait également avoir un tempérament de feu.
Madiba, libre et reconnaissant, lui rendît visite en terre sénégalaise, et à travers sa personne, à l’Afrique entière et sa jeunesse vaillante. Mais ce n’était que la partie visible de l’iceberg, en termes d’appui que le Sénégal de Diouf apportât à Mandela. Son ancien Premier ministre et ami, Habib Thiam, nous en a fait la confidence dans l’intimité de son salon, il y a quelques années. Quant à son conseiller à la Francophonie et non moins hériter spirituel du poète-président Léopold Sédar Senghor, mon grand frère et ami Hamidou Sall, il témoignerait mieux que moi sur l’histoire du soutien politique de notre pays à l’Afrique du Sud, du temps de l’Apartheid.
Il est cependant vrai, pour un témoignage honnête, qu’Abdou Diouf n’a pas été un grand bâtisseur d’infrastructures. A l’exception notable des forages qui lui ont valu la moquerie «Monsieur Forage» de son adversaire irréductible Abdoulaye Wade. Mais Diouf pouvait-il vraiment être un grand bâtisseur d’infrastructures, vu le contexte de l’époque ? Le Sénégal était dans le dur. Les chahuteurs du défunt régime socialiste n’hésitent pas à lui rappeler… sa très grande ambition (!) pour le Sénégal à travers la construction du «pont Sénégal 92». Que le Président Macky Sall, successeur de Wade, ait décidé de casser et de reprendre le fameux pont en dit long sur le peu de vision exprimée à travers l’ouvrage. Vrai aussi que «les Sénégalais (qui) sont fatigués», pour paraphraser le président de la Cour Suprême d’alors, Kéba Mbaye, installant Diouf dans sa charge de nouveau président de la République, ont beaucoup subi économiquement et socialement les contrecoups des Programmes d’ajustement structurel (Pas). C’est durant ces années que les fonctionnaires sénégalais ont découvert la dure réalité d’une baisse de salaire et les diplômés, le chômage.
Mais justement, ces «années Pas» imposées par la Banque Mondiale et le FMI (Réf. Le film «Bamako» du Mauritanien Abderrahmane Cissoko) exonèrent quelque peu le Président Diouf. Et ce n’est pas son successeur au «1er avril 2000» et grand pourfendeur qui dira qu’il a trouvé «les caisses de l’Etat vides» ou «les signaux au rouge». Bien au contraire ! Nouvellement élu, le Président Wade avait reconnu publiquement avoir hérité de «caisses pleines». Lui, Diouf, n’a pas été poursuivi par la clameur publique pour «enrichissement illicite» à son départ du pouvoir. Au-delà de leur coût exorbitant et, du coup, le lourd endettement qu’elles ont causé, les infrastructures certes utiles de Wade n’en ont pas moins posé un problème de gouvernance.
Si Abdou Diouf n’a pas été un grand bâtisseur au plan matériel, force est de reconnaître qu’il a été un grand architecte de l’infrastructure institutionnelle du Sénégal. Avec «l’héritier politique» du Président Senghor, la démocratie sénégalaise s’est approfondie et renforcée. On lui doit la libéralisation de la bande Fm, la création de l’Onel, la première alternance démocratique de 2000 avec ce message important : en Afrique, continent aux 90 coups d’Etat, on pouvait aussi perdre le pouvoir par la voie des urnes et non plus que par des armes et reconnaître sa défaite. Avec lui, certaines institutions se sont consolidées tant les «révisions consolidantes» prenaient le dessus sur les «révisions déconsolidantes» d’une Constitution dont l’élaboration n’est jamais terminée. Dans le domaine de la bonne gouvernance, sujet plus que d’actualité, on lui doit la loi sur l’enrichissement illicite, quoique sa trouvaille juridictionnelle de 1981 contre les «délinquants à col blanc», nommée Cour de répression de l’enrichissement, soit aujourd’hui encore contestée par beaucoup à la suite de sa réactivation par le Président Macky Sall.
Un pays a autant besoin du Matériel (infrastructures) pour son développement économique que de l’Immatériel (institutions) pour sa pérennité, surtout quand l’Immatériel tient lieu de solide fondation pour le Matériel. Et puis comme il est écrit dans les Ecritures Saintes, à chaque chose son temps.
Solide dans ses convictions d’homme d’Etat, «Ndiol» de son sobriquet pour faire allusion à sa grande taille, ne perd pas sa lucidité devant un parcours si élogieux et enviable. Droit dans ses bottes, lui qui a écrit enfin ses Mémoires se livre comme pour nous ouvrir les pages de son livre : «Il y a, sur ce continent, des dirigeants talentueux.» Et un tantinet provocateur, d’asséner ses quatre vérités à l’endroit de tous ces «hommes forts» : «Mais notre époque, se répète-t-il, ne se prête guère à l’émergence d’icônes ou d’hommes providentiels (…) A vrai dire, c’est mieux ainsi.» Leçons de vie politique de celui qui est la preuve vivante qu’il y a une vie après le pouvoir : «Eu égard aux impératifs de saine gouvernance, je préfère que l’Afrique soit pourvue d’hommes d’Etat capables de bien gérer leur pays plutôt que d’enflammer les foules.» Ces «hommes providentiels» et autres «enflammeurs de foules» se reconnaîtront. S’ils savaient seulement qu’en démocratie les hommes passent, les institutions demeurent.
Les dernières actualités africaines ne sont guère rassurantes. Des résistances s’y font jour, déviances et défiances face au monde démocratique, et aux idéaux prônés par la Francophonie. A ranger dans ce cadre, la vaine tentative de se présenter pour un nouveau mandat, hors des limites fixées par la Constitution du Burkina Faso, du Président Blaise Compaoré. Mal lui en a pris. Mais la question légitime qui se pose est de savoir si la prise de pouvoir par l’Armée est une juste récompense du combat du peuple burkinabè, malgré la promesse d’une «transition, la plus courte possible». Rien de précis à la fin ! La réponse est non. La place de l’Armée est dans les casernes. Que dire du Président Joseph Kabila de la République Démocratique du Congo avec ses velléités de maintien au pouvoir à l’image d’un Compaoré déchu ? Garder le silence sur toutes ces tentatives de tripatouillage constitutionnel sur le continent signifierait compromettre gravement l’idéal démocratique qui ne va pas sans alternance. En dépit du retrait du projet de révision constitutionnelle, les risques d’instabilité pour le Burkina Faso sont grands dans une sous-région déjà fragilisée par le terrorisme et par la terreur Ebola. Pour les mêmes raisons, la situation en RDC, avec un Kabila désireux lui aussi de se représenter en violation de la Constitution congolaise, est à surveiller comme du lait sur le feu quand on sait que ce géant qualifié de «scandale géologique», tellement ses richesses minières sont immenses, court le risque d’une rechute dans le conflit armé, dans une région des «Grands Lacs» malade. Les derniers développements au Burkina Faso sont la preuve qu’il ne faut jamais jouer avec le feu. Qui règne par le feu, périt par le feu.
Mais Compaoré et Kabila ne sont pas les seuls dirigeants africains à être tentés par le diable. En homme de pouvoir expérimenté, le Secrétaire général de l’OIF confirme le risque encouru : «La plupart des conflits politiques résultent d’élections mal préparées.» Si l’Organisation Internationale de la Francophonie et la communauté internationale dans son ensemble ne réagissent pas à la hauteur de toutes ces dérives, on ne parlera plus de «vie après le pouvoir», mais bien de «pouvoir à vie». Autant s’autoproclamer Empereur comme Bokassa ! Autant également, pour une question de justice, rendre son pouvoir à Wade qui s’était mis à dos toute une communauté nationale et internationale déterminée à lui barrer la route quand il a voulu faire un passage en force pour un troisième mandat ! Ou à Laurent Gbagbo, théoricien du «Je gagne ou je gagne» !
En revenant à Dakar, 25 ans après le troisième Sommet qui s’y est tenu en mai 1989, la Francophonie signe, pour le symbole, un retour aux sources, notamment celle de la démocratie. Il s’agit avant tout de la terre natale d’un de ses grands chantres nommé Senghor. Celui-là même qui s’est volontairement retiré du pouvoir, réalisant ainsi une certaine alternance au sommet d’un Etat africain à une époque où, sur le continent, transmettre le pouvoir était assimilé à de la pure folie ; on raconte que certains de ses camarades du syndicat des chefs d’Etat lui en voulurent à mort pour ce comportement… suicidaire. Retour aux sources, puisque c’est aussi le pays d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade qui se sont démocratiquement transmis le pouvoir et ont comme dénominateur commun, d’avoir accepté chacun sa défaite.
La réussite du XVe Sommet de la Francophonie, le plus grand rendez-vous international dont le Président Sall est l’hôte depuis son accession au pouvoir, dépendra de sa capacité de synthèse des Sommets de la même dimension organisés par ses devanciers. Homme d’une «rupture» clamée, proclamée et réclamée, le quatrième président de la République du Sénégal (se) doit (d’)être la synthèse de ses trois prédécesseurs. Il n’est pas le premier Président né après l’indépendance pour rien. Homme de synthèse (c’est notre souhait) entre Senghor, Diouf et Wade, parce que de chacun des trois, il y a du bon à tirer pour le Président Macky Sall. Pour la fin, on se met à rêver d’une photo de famille ayant dans son cadre : le Président Macky Sall entouré de ses deux prédécesseurs, Diouf et Wade, sous «l’Immortalité» de Senghor. Quelle belle légende que cela serait ! Une image qui vaudrait mille mots.
MAMOUDOU IBRA KANE
*Vive Abdou en wolof