Vous m’avez interpellé sur l’absence de réaction de nos compatriotes suite à l’assassinat de deux des nôtres en Centrafrique. Vous trouvez les Sénégalais trop mous face à tous ces meurtres perpétués contre nos compatriotes expatriés.
Vous pensez que nous ne sommes pas capables de nous indigner et d’exprimer notre révolte à travers des actions d’éclat. Vous trouvez incompréhensible le calme quasi olympien avec lequel nous accueillons l’annonce de toutes ces tristes nouvelles concernant le sort de nos compatriotes disséminés un peu partout dans le monde.
Si je comprends votre indignation, je ne saurais cependant avoir la même lecture que vous sur la placide dignité du peuple sénégalais face à ces épreuves. Je tenterais plutôt de décrypter les messages que notre peuple envoie au monde entier et à nos dirigeants.
Le premier message est adressé à ces auteurs d’atrocités sur des hommes. En regardant ces images insoutenables d’un être humain ligoté et lynché en public, puis brûlé vif, j’ai compris que nos compatriotes ont raison de ne pas céder à la tentation de la cruauté. Les auteurs de tels crimes ont dû renoncer à leur propre humanité pour être en mesure de commettre de telles barbaries. Dénuder un homme, le ligoter et le brûler au milieu d’un public en furie, ce n’est proprement pas humain.
Un être humain ne peut pas infliger un tel traitement même à une bête sauvage. Entendre les gémissements d’un homme dépourvu de tout moyen de défense et qui n’a commis comme crime que le fait d’être humain, c’est-à-dire d’être différent, c’est avouer qu’on est soi-même exclu de la norme de l’humanité.
Vouloir venger la barbarie par la barbarie, c’est avouer soi-même sa propre barbarie : c’est parce qu’on est radicalement incapable de transcender sa colère par l’usage de la raison et du dialogue, qu’on sombre dans telles situations. En gémissant de cette façon et en tentant de protéger son visage des violents coups de fouet, le martyre cherchait plutôt à retirer son visage d’un monde aussi inhumain, à fuir l’inhumanité d’hommes comme lui !
J’étais bouleversé et indigné, mais j’ai perçu de la dignité dans sa souffrance et cela m’a conforté dans ma conviction que toute la méchanceté humaine et toute la violence aveugle des éléments de la nature, ne suffisent pas à enlever à un homme sa dignité lorsqu’il en a un tant soit peu.
Chère tante, ne voyez-vous pas que même des animaux sont capables de pardon et d’amour ? La mort pour venger la mort, c’est la pire mort : celle de notre humanité. C’est certes désespérant de voir que l’Africain du 21e siècle pouvait encore faire preuve d’une si grande cruauté envers un autre homme. Nous qui avons tellement subi de brimades, nous qui avons tout le temps été humiliés et torturés, nous qui sommes tout le temps victimes de racisme et d’ostracisme : n’avons-nous pas autre chose à offrir à l’humanité ?
Un musulman qui fait preuve de cruauté à l’endroit d’un chrétien n’est pas digne de Mohammed (paix et salut sur lui) ; un chrétien qui massacre un musulman (pour ce qu’il est) n’est pas digne de Jésus (paix et salut sur lui) ; un homme qui en veut à un autre homme de ne pas être comme lui, n’est pas digne d’être un homme. Ont-ils vu un mouton ou un chat musulman ou chrétien ? Ils sont donc restés aveugles à cette évidence : pour être musulman, chrétien, juif, etc., il faut d’abord être un homme.
La colère ne prouve pas qu’on est humain, car même un caméléon peut être en colère. La colère n’est rien d’autre qu’une abdication face à une situation qu’on a du mal à maitriser, que l’on est incapable d’humaniser. De toute façon, les auteurs de tels crimes devraient plutôt s’en prendre à Dieu lui-même, car c’est Lui qui a décidé de créer les hommes dans la diversité des communautés et des religions. Et même un athée devrait avoir une morale darwinienne : l’homme a consenti tellement d’effort pour sortir de la sélection naturelle qu’il mérite de la déférence et de l’admiration.
Ma tante, ces atrocités qu’on fait subir à nos compatriotes montre que les humanistes ont encore beaucoup de travail à abattre ; que notre humanité n’est pas acquise, qu’elle est à construire ; que la violence et la guerre civile font encore partie de notre humanité ; que les purger de cette humanité est une œuvre continue.
Bref l’humanité est un chantier, ce n’est pas un fruit mûr. Ce n’est proprement pas acceptable que les hommes fassent moins que la nature. Car, il y a une variété infinie de mangues, mais elles restent toutes des mangues ; une variété infinie de vaches et ça ne les empêche pas d’être toutes des vaches. Pourquoi vouloir alors que l’homme soit un, unicolore et uniforme ?
Le deuxième message que le calme des Sénégalais face à ces actes de xénophobie et de barbarie envoie, est à l’attention, je dirais même à l’intention, de nos autorités. Partout où les hommes politiques ont failli à leur mission, la communauté s’est désagrégée et l’État affaissé, tombe en ruines sur lesquelles germent la violence et la barbarie.
Les élites sont au début et à la fin de tout cauchemar de l’humanité : les masses ne sont que le combustible qui consume la malfaisance et l’irresponsabilité des élites. Le Rwanda a été le théâtre d’un des plus graves génocides du 20e siècle, mais quand ce peuple débout a eu le leader qu’il lui fallait, en l’espace de vingt petites années, il a accompli des prouesses qui font que ce pays est aujourd’hui partout cité en exemple. N’est-ce pas là une source de méditation ?
L’Allemagne a connu et a fait connaitre à l’humanité la plus grave aventure meurtrière de notre histoire, mais quand ce peuple a vu son génie être guidé et affiné par un leader visionnaire et humaniste, les Allemands ont non seulement connu la rédemption, mais ils ont aussi reconstruit l’Europe en tant que entité politique, culturelle et économique.
Ce message signifie aussi que les Sénégalais savent ruminer leur indignation et la sublimer en actes réfléchis. Ce n’est pas parce qu’on ne dit rien que l’on consent ; ce n’est pas parce qu’on est resté digne qu’on n’est pas indigné ; ce n’est pas parce qu’on est placide qu’on n’est pas un volcan éteint ou endormi. Il ne faut pas sous-estimer le génie du peuple sénégalais : il sait ce qu’il veut et quand est-ce qu’il a l’opportunité de réaliser sa volonté avec civisme et hauteur républicaine. Non ma tante, nous ne sommes pas un peuple inhibé ou castré ! Nous sommes justes civilisés, du moins, jusqu’ici : car des leaders sans leadership sont pires que la peste et le choléra réunis.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck
Président du Mouvement LABEL-Sénégal
Vous pensez que nous ne sommes pas capables de nous indigner et d’exprimer notre révolte à travers des actions d’éclat. Vous trouvez incompréhensible le calme quasi olympien avec lequel nous accueillons l’annonce de toutes ces tristes nouvelles concernant le sort de nos compatriotes disséminés un peu partout dans le monde.
Si je comprends votre indignation, je ne saurais cependant avoir la même lecture que vous sur la placide dignité du peuple sénégalais face à ces épreuves. Je tenterais plutôt de décrypter les messages que notre peuple envoie au monde entier et à nos dirigeants.
Le premier message est adressé à ces auteurs d’atrocités sur des hommes. En regardant ces images insoutenables d’un être humain ligoté et lynché en public, puis brûlé vif, j’ai compris que nos compatriotes ont raison de ne pas céder à la tentation de la cruauté. Les auteurs de tels crimes ont dû renoncer à leur propre humanité pour être en mesure de commettre de telles barbaries. Dénuder un homme, le ligoter et le brûler au milieu d’un public en furie, ce n’est proprement pas humain.
Un être humain ne peut pas infliger un tel traitement même à une bête sauvage. Entendre les gémissements d’un homme dépourvu de tout moyen de défense et qui n’a commis comme crime que le fait d’être humain, c’est-à-dire d’être différent, c’est avouer qu’on est soi-même exclu de la norme de l’humanité.
Vouloir venger la barbarie par la barbarie, c’est avouer soi-même sa propre barbarie : c’est parce qu’on est radicalement incapable de transcender sa colère par l’usage de la raison et du dialogue, qu’on sombre dans telles situations. En gémissant de cette façon et en tentant de protéger son visage des violents coups de fouet, le martyre cherchait plutôt à retirer son visage d’un monde aussi inhumain, à fuir l’inhumanité d’hommes comme lui !
J’étais bouleversé et indigné, mais j’ai perçu de la dignité dans sa souffrance et cela m’a conforté dans ma conviction que toute la méchanceté humaine et toute la violence aveugle des éléments de la nature, ne suffisent pas à enlever à un homme sa dignité lorsqu’il en a un tant soit peu.
Chère tante, ne voyez-vous pas que même des animaux sont capables de pardon et d’amour ? La mort pour venger la mort, c’est la pire mort : celle de notre humanité. C’est certes désespérant de voir que l’Africain du 21e siècle pouvait encore faire preuve d’une si grande cruauté envers un autre homme. Nous qui avons tellement subi de brimades, nous qui avons tout le temps été humiliés et torturés, nous qui sommes tout le temps victimes de racisme et d’ostracisme : n’avons-nous pas autre chose à offrir à l’humanité ?
Un musulman qui fait preuve de cruauté à l’endroit d’un chrétien n’est pas digne de Mohammed (paix et salut sur lui) ; un chrétien qui massacre un musulman (pour ce qu’il est) n’est pas digne de Jésus (paix et salut sur lui) ; un homme qui en veut à un autre homme de ne pas être comme lui, n’est pas digne d’être un homme. Ont-ils vu un mouton ou un chat musulman ou chrétien ? Ils sont donc restés aveugles à cette évidence : pour être musulman, chrétien, juif, etc., il faut d’abord être un homme.
La colère ne prouve pas qu’on est humain, car même un caméléon peut être en colère. La colère n’est rien d’autre qu’une abdication face à une situation qu’on a du mal à maitriser, que l’on est incapable d’humaniser. De toute façon, les auteurs de tels crimes devraient plutôt s’en prendre à Dieu lui-même, car c’est Lui qui a décidé de créer les hommes dans la diversité des communautés et des religions. Et même un athée devrait avoir une morale darwinienne : l’homme a consenti tellement d’effort pour sortir de la sélection naturelle qu’il mérite de la déférence et de l’admiration.
Ma tante, ces atrocités qu’on fait subir à nos compatriotes montre que les humanistes ont encore beaucoup de travail à abattre ; que notre humanité n’est pas acquise, qu’elle est à construire ; que la violence et la guerre civile font encore partie de notre humanité ; que les purger de cette humanité est une œuvre continue.
Bref l’humanité est un chantier, ce n’est pas un fruit mûr. Ce n’est proprement pas acceptable que les hommes fassent moins que la nature. Car, il y a une variété infinie de mangues, mais elles restent toutes des mangues ; une variété infinie de vaches et ça ne les empêche pas d’être toutes des vaches. Pourquoi vouloir alors que l’homme soit un, unicolore et uniforme ?
Le deuxième message que le calme des Sénégalais face à ces actes de xénophobie et de barbarie envoie, est à l’attention, je dirais même à l’intention, de nos autorités. Partout où les hommes politiques ont failli à leur mission, la communauté s’est désagrégée et l’État affaissé, tombe en ruines sur lesquelles germent la violence et la barbarie.
Les élites sont au début et à la fin de tout cauchemar de l’humanité : les masses ne sont que le combustible qui consume la malfaisance et l’irresponsabilité des élites. Le Rwanda a été le théâtre d’un des plus graves génocides du 20e siècle, mais quand ce peuple débout a eu le leader qu’il lui fallait, en l’espace de vingt petites années, il a accompli des prouesses qui font que ce pays est aujourd’hui partout cité en exemple. N’est-ce pas là une source de méditation ?
L’Allemagne a connu et a fait connaitre à l’humanité la plus grave aventure meurtrière de notre histoire, mais quand ce peuple a vu son génie être guidé et affiné par un leader visionnaire et humaniste, les Allemands ont non seulement connu la rédemption, mais ils ont aussi reconstruit l’Europe en tant que entité politique, culturelle et économique.
Ce message signifie aussi que les Sénégalais savent ruminer leur indignation et la sublimer en actes réfléchis. Ce n’est pas parce qu’on ne dit rien que l’on consent ; ce n’est pas parce qu’on est resté digne qu’on n’est pas indigné ; ce n’est pas parce qu’on est placide qu’on n’est pas un volcan éteint ou endormi. Il ne faut pas sous-estimer le génie du peuple sénégalais : il sait ce qu’il veut et quand est-ce qu’il a l’opportunité de réaliser sa volonté avec civisme et hauteur républicaine. Non ma tante, nous ne sommes pas un peuple inhibé ou castré ! Nous sommes justes civilisés, du moins, jusqu’ici : car des leaders sans leadership sont pires que la peste et le choléra réunis.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck
Président du Mouvement LABEL-Sénégal