Depuis le mois de juin 2023, à la suite des violentes manifestations ayant éclaté dans la région de Ziguinchor, aucun navire n’assure la liaison maritime entre Dakar et la capitale régionale du sud. « Aline Sitoé Diatta » est à quai depuis bientôt neuf mois. Un arrêt des rotations qui fragilise l’activité économique. Les pertes économiques sont estimées à, au moins, un milliard FCfa.
Dossier réalisé par Gaustin DIATTA (Correspondant)
ZIGUINCHOR- Jeudi 22 février 2024. En cette matinée, les allées qui mènent au port de Ziguinchor, sont complètement désertes. Même la « Place des naufragés », souvent très passante, n’échappe pas à cette atmosphère. À quelques mètres de là, se trouve le grand portail du port de Ziguinchor fermé. À l’intérieur, à part les gendarmes qui veillent sur la sécurité de la plateforme, aucun mouvement. De loin, on aperçoit, à l’embouchure, un fleuve trop tranquille, qui attend le mouvement d’un bateau. Un calme et un silence qui en disent long sur l’arrêt des activités commerciales. Autour du port, beaucoup de commerces ont dû baisser le rideau. Des vendeuses de fruits ont arrêté leurs activités. En revanche, des femmes, avec leurs étals de fruits de mer, notamment les crevettes décortiquées, le poisson séché et le citron, tentent de résister. Cela fait près de neuf mois que le port de Ziguinchor plonge dans ce triste décor. Depuis, les populations de toute la Casamance, à partir de Carabane, dans le département d’Oussouye, n’entendent pas le sifflement du bateau « Aline Sitoé Diatta ». Ce navire est à quai, engendrant, par la même occasion, de graves conséquences sur le plan économique.
Opérateur économique et Directeur général de Casa Industrie Sa, Xavier Diatta a eu à initier une pétition fustigeant la suspension des liaisons maritimes Dakar-Ziguinchor. Il acheminait ses marchandises via le bateau. Mais, à cause de l’arrêt du navire, il dit les avoir fait transporter par voie terrestre ; ce qui constitue un manque à gagner pour lui du fait des charges supplémentaires. Pour cette opération, M. Diatta affirme avoir dépensé, ce mardi 20 février, plus d’un million de FCfa pour amener ses produits à Dakar. « Avec le bateau, beaucoup de personnes, y compris les femmes, vivaient dignement. Pendant tous ces mois, rien ne bouge. Tout est à l’arrêt. Ceux-là à qui on a confié le transport maritime doivent dire la vérité aux populations de la Casamance. Ils doivent nous dire pourquoi le bateau a été arrêté pendant ce long moment », s’indigne-t-il, appelant à « rouvrir cette ligne afin de permettre aux gens de travailler en paix ».
Reconnaissant que le transport des produits est devenu plus coûteux et plus risqué, Xavier Diatta souligne l’impérieuse nécessité de reprendre les rotations au plus vite, en vue de permettre à l’économie de la Casamance de redécoller. Pour cela, dit-il, cela nécessite une planification économique très rigoureuse. « J’ai lu le communiqué du Cosama (voir ailleurs), mais je ne m’en réjouis pas. Ils n’ont pas donné de date exacte pour la reprise. Cela fait très longtemps que le bateau ne navigue pas. Donc, tout le balisage n’existe plus. Il faut tout recommencer. Le bateau, ce n’est pas simplement une histoire de voyages. C’est toute une planification », martèle le Directeur général de Casa Industrie Sa.
Une vendeuse : « Je n’arrive plus à ramener 1000 FCfa chez moi »
Avec la « mort » de l’unité locale de la Sonacos et l’absence d’un tissu industriel fort, c’est le bateau qui porte l’économie de la région de Ziguinchor. Avant, la capitale régionale du sud pouvait enregistrer deux bateaux par semaine. Mais, au fil du temps, les navires « Aguène » et « Diambogne » ont cessé de siffler et d’accoster au port de Ziguinchor. Seul « Aline Sitoé Diatta » assurait cette liaison maritime avant d’être accosté à Dakar. Un arrêt qui perdure avec son lot de conséquences sociales. Depuis bientôt neuf mois, cette dame qui vend des cacahuètes et des noix de cajou décortiquées en face du grand portail du port peine à trouver la meilleure formule. S’exprimant sous le couvert de l’anonymat, cette veuve soutient que son activité est à l’arrêt. « Le bateau est tout pour nous. Sans ce bateau, c’est l’économie de toute la Casamance qui est affaiblie. On survit grâce au bateau. Quand il devait arriver à Ziguinchor, on le sentait parce que la ville bougeait. Mais, aujourd’hui, nous sommes laissés à nous-mêmes. Je peux rester toute une journée sans avoir 1000 FCfa à rapporter à ma famille depuis la suspension de la liaison maritime », se désole-t-elle, précisant que les populations de la Casamance vont prier pour le retour du bateau. L’arrêt du navire « Aline Sitoé Diatta » peut être assimilé à un drame social. « Nous sommes trop fatigués. Il faut qu’on nous aide. Nous ne demandons rien à l’État. Nous voulons que le bateau puisse reprendre ses rotations. Si une personne dit qu’elle n’est pas fatiguée, c’est parce qu’elle raconte des contrevérités », crie Georgina Mendy, une autre vendeuse établie non loin du port. Grâce au bateau, elle et ses camarades pouvaient avoir un bon chiffre d’affaires à la fin de la journée. Cependant, depuis la suspension de la ligne maritime, elle assure qu’elle peine à obtenir 5000 FCfa par jour. Quelquefois, faute d’argent, renseigne-t-elle, elle marche du port à son domicile. « On reste ici. À part le cri et le mouvement des oiseaux, on ne voit personne passer. C’est comme ça depuis juin 2023. Les rues sont désertes. Le soir, on rentre chez nous les mains vides », révèle Georgina Mendy. Abondant dans le même sens, Sira Mané estime que seule la reprise des rotations du bateau peut les sortir de la situation actuelle. « Tant que je ne vois pas le bateau accoster au port de Ziguinchor, je ne pourrai me réjouir de quoi que ce soit. Nous sommes trop fatigués », se lamente Sira. « Jakartaman » qui gagnait bien sa vie autour du port du temps du bateau, François Coly a vu son chiffre d’affaires s’effriter petit à petit. Il estime que la suspension des rotations est « un blocage parce que rien ne marche à Ziguinchor et les opérateurs économiques ont des difficultés pour acheminer leurs produits à Dakar ». Aussi, il dit attendre avec impatience la reprise des rotations annoncée par le Consortium sénégalais d’activités maritimes. En attendant, il se contente du peu qu’il gagne et qu’il ramène à la maison.
Plus de 400 dockers au chômage
La Casamance est un territoire aux potentialités économiques incommensurables, surtout avec la filière anacarde qui, chaque année, ne cesse de faire des prouesses. Pour la campagne 2023-2024, ce sont 160 000 tonnes qui sont attendues. Tous les produits locaux passent par le port de Ziguinchor. Destination : le Vietnam ou l’Inde. Mais, avec la suspension des rotations maritimes, tout est l’arrêt. Selon le Secrétaire général de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Ziguinchor, cette situation est à l’origine du chômage de plus de 400 dockers qui travaillaient au quotidien au port maritime et commercial de Ziguinchor. « Il n’y a plus de fret et les sociétés de manutention sont dans le dur. Les gestionnaires d’entrepôts ne gagnent plus rien. De même que le Cosama dont le plus gros chiffre d’affaires vient du port de Ziguinchor. Cette situation est déplorable », s’offusque Jean-Bertrand Badiane, invitant les autorités étatiques à prendre toutes les dispositions pour la reprise du trafic maritime dans les meilleurs délais. Poursuivant, il rappelle que l’économie de la région souffre d’un manque à gagner qui peut être estimé à un milliard de FCfa.
Directeur général de Dma logistics, une entreprise spécialisée dans la manutention portuaire, Djibril Mbodj soutient qu’avec la reprise du trafic maritime, le port de Ziguinchor qui reste le moteur économique de la Casamance va retrouver son dynamisme d’antan. Deuxième adjoint au maire de la commune de Ziguinchor, Djibril Sonko salue le « grand rôle » que joue le bateau dans l’économie de la verte Casamance. En revanche, il regrette le « blocus injustifié qui a été imposé à cette partie du sud du pays ». Collaborateur de premier plan du maire Ousmane Sonko, cet inspecteur du Trésor indique que les « bateaux ont été arrêtés pour des raisons politiques, et c’est inadmissible ».
L’arrêt des rotations maritimes entre Dakar et Ziguinchor n’agrée pas la Présidente du Haut conseil du dialogue social (Hcds). Dans un entretien accordé à des journalistes de la région de Ziguinchor, dont le correspondant du quotidien national « Le Soleil », au mois de novembre 2023, Innocence Ntap Ndiaye se disait « attristée » par la situation de la région, surtout au niveau de l’enclavement. Elle ne cesse d’appeler à des « concertations et réflexions profondes » afin de trouver une solution consensuelle permettant la reprise des liaisons maritimes Dakar-Ziguinchor jusqu’ici attendue par les populations qui vivent au sud du pays.
En tournée économique dans la région de Ziguinchor, le 16 janvier dernier, le Premier ministre Amadou Ba, candidat de la majorité à l’élection présidentielle, avait instruit le Gouverneur de la région de Ziguinchor de réunir la commission de sécurité le plus rapidement possible. « Je veux que, dès la semaine prochaine (celle du 20 janvier), qu’il réunisse la commission de sécurité, pour qu’elle propose au Gouvernement un plan de redémarrage des rotations du bateau », avait-il soutenu. Depuis lors, les populations et les acteurs économiques de la Casamance attendent.
LIAISON MARITIME DAKAR-ZIGUINCHOR
La reprise prochaine de la rotation des navires annoncée
Le Consortium sénégalais d’activités maritimes (Cosama) a annoncé, jeudi 22 février, la reprise prochaine des rotations des navires assurant la liaison maritime Dakar-Ziguinchor interrompues depuis juin 2023. Sans donner de date précise, l’agence indique, dans sa note, que le Port autonome de Dakar a engagé des équipes d’experts divers pour effectuer des travaux de sondages bathymétriques sur le chenal de balisage de l’embouchure afin de permettre une reprise des rotations « dans les meilleures conditions de sûreté et de sécurité ». « La finalisation de l’ensemble des travaux est prévue, au plus tard, à la fin du mois de mars 2024, pour une reprise effective de la liaison maritime Dakar-Ziguinchor. La date exacte de la reprise des rotations sera communiquée au moment opportun », lit-on dans le communiqué.
Il convient de noter que l’arrêt des activités des navires sur l’axe Dakar-Ziguinchor n’a pas été sans conséquence sur l’économie de cette partie du Sénégal, car les bateaux Aguène et Diambogne transportaient chacun 200 passagers et 450 tonnes de fret pour chaque liaison. Dans un récent entretien accordé au « Soleil », le Secrétaire général de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Ziguinchor, Jean-Bertrand Badiane, a indiqué que même si la quantité de noix de cajou exportées à l’état brut a augmenté, passant de plus de 82 000 tonnes en 2021 à près de 150 000 tonnes en 2023, l’acheminement par la route pourrait représenter « un manque à gagner pour l’économie locale d’environ un milliard de FCfa comparé au transport par voie maritime ».
Mariama DIÉMÉ
Source : https://lesoleil.sn/suspension-de-la-liaison-marit...