Le père Paolo a dû quitter la Syrie et le monastère de Mar Moussa qu'il avait fondé. En juin dernier, il a reçu une mise en demeure des autorités syriennes et vu son permis de résidence révoqué. Pour ce père jésuite, qui a passé trente ans de sa vie en Syrie, c'est une page qui s'est tournée. Mais son expulsion n'a pas fait taire un homme qui a consacré sa vie au dialogue entre chrétiens et musulmans, et qui continue de croire possible une Syrie où vivraient côte à côte toutes les religions. Il continue aussi à déplorer l'indifférence internationale face à une répression qu'il dénonce publiquement depuis des mois, et qui lui a valu son expulsion. «Je trouve scandaleux que le monde reste au balcon, en spectateur, et que l'on demande la non-violence à un peuple qui a le droit de se défendre», dit-il.
Ce discours n'est pas très répandu chez les gens d'église, mais le père Paolo Dall'Oglio n'est pas un ecclésiastique ordinaire. Au physique, c'est un colosse ; le cheveu taillé en brosse, le regard déterminé, avec de grandes mains. Il parle avec précision, sans componction. Intellectuellement, il appartient à la tradition des grands orientalistes, celle du père de Foucauld ou de Louis Massignon. Parfait arabisant, versé dans l'étude de l'islam, le père Paolo a du monde musulman une compréhension profonde, qui lui a fait très tôt rechercher des passerelles avec le christianisme.
Les mensonges de l'État syrien
Le lieu où s'est cristallisé son projet a été le monastère de Mar Moussa. Jeune gauchiste italien devenu prêtre jésuite, le père Paolo découvre au début des années 1980 cet ancien monastère byzantin à moitié ruiné aux portes du désert, près de Damas, où il va faire se rencontrer deux religions qu'il voit comme des cousines en quête d'une même et unique spiritualité.
La révolution syrienne et sa brutale répression par un régime qui affirme protéger le pluralisme religieux face à des extrémistes musulmans ne pouvaient pas laisser le père Paolo indifférent, ni silencieux. Alors que le gros du clergé syrien, catholique comme orthodoxe, oscille entre un silence prudent et le soutien ouvert au régime baasiste, le père Paolo parle.
«Nous faisons face à un mensonge, selon lesquels il n'y a pas de révolution, mais la Syrie qui se défend contre un complot saoudien, sioniste ou occidental, et lutte contre le terrorisme islamique», dit le père Paolo. «Cette thèse est relayée en Europe par des gens comme Thierry Meyssan et son réseau Voltaire, cette usine à mensonges payée par je ne sais trop qui… C'est un négationniste qui vit dans un monde virtuel. La réalité est celle d'un peuple qui fait la révolution, de jeunes gens qui versent leur sang pour leurs droits. Et quand on entend des membres du clergé participer à ce mensonge, c'est triste», dit le père Paolo.
«L'islamophobie d'une partie de l'opinion européenne, qui adhère aux mensonges de l'État syrien, et l'indifférence des États occidentaux font que l'on n'écoute plus que ceux qui viennent confirmer nos attentes et nos préjugés. Certains pensent que l'humanité est faite pour être dirigée d'une main de fer et gouvernée pour faire de l'argent. Je veux descendre de ce train-là. L'État syrien n'est plus qu'une façade. Derrière, la seule réalité est celle des services de sécurité. Au centre, se trouve une “cupola”, comme dans la mafia, qui coule en entraînant le pays avec elle dans sa chute.»
Idéaliste, mais pas naïf
Cet idéaliste n'est cependant pas un naïf. «Il y a évidemment une dérive islamiste en Syrie, et la révolution est infiltrée par des extrémistes fondamentalistes, comme ceux que le régime syrien téléguidait, il n'y a pas si longtemps, en Irak et au Liban. Le marécage des extrémistes et des services secrets doit être asséché, avec l'aide de la communauté internationale.»
«Il existe une grande angoisse, pas seulement en Syrie, mais dans toute la région», continue le père Paolo. «Il se livre en ce moment une guerre à l'intérieur de l'Islam entre chiites et sunnites, en Irak, au Liban, au Bahreïn. Les responsabilités sont partagées, mais c'est une réalité. Et les chrétiens sont les premiers à partir, dès que l'insécurité devient trop grande. Or, je le dis aux musulmans, ils doivent construire une société plurielle, dans laquelle les chrétiens doivent avoir leur place. Le rôle spirituel de l'islam doit être de trouver un moyen de mettre fin à cette guerre.»
Mais le père Paolo veut garder espoir: «La société syrienne a toujours été pluraliste: ce n'est pas un cul-de-sac continental, mais un lieu de passage, d'échanges et de rencontre. Du coup, la Syrie a dans son ADN une harmonie plurielle entre ses communautés, qui est unique au monde. Le régime a d'abord joué de cette carte, mais il en a vite fait un instrument de pouvoir, et l'a vidée de sa substance.»
«En Syrie, il faut préserver à tout prix cette pluralité, y compris en protégeant les villages alaouites, voire même en leur laissant des armes, protéger aussi les chrétiens, jusqu'à ce que les armes rouillent, de l'Iran jusqu'au Sud-Liban.»
«La réconciliation est toujours possible, mais ne peut se faire que par la démocratie, le dialogue, et le respect des droits de l'homme. On aura besoin en Syrie d'une aide internationale, d'une aide aux victimes, mais aussi aux bourreaux. Il faut combattre le désir de violence et de vengeance.»
Mar Moussa, un monastère syrien pris dans la tourmente
Le monastère de Mar Moussa a été de nouveau la cible de pillards. Le 3 août dernier, une vingtaine d'hommes armés ont fait irruption à la nuit tombée à l'entour de ce monastère isolé dans les montagnes au nord de Damas.
Sous la menace de leurs fusils, ils ont volé des chèvres et du matériel de chantier. Ils ont relâché les bergers qu'ils avaient pris en otages, mais ont promis de revenir. En février, des inconnus armés avaient déjà investi le monastère, prétendument à la recherche d'armes, et avaient volé des équipements, menaçant les moines et les moniales.
L'identité des pillards reste inconnue. Dans la Syrie en plein chaos révolutionnaire, où l'autorité de l'État se désagrège avec celle du régime baasiste, un monastère isolé est particulièrement vulnérable aux hors-la-loi. Mais la raison d'être du monastère, qui se consacre depuis sa refondation dans les années 1990 au dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans, est aussi le symbole de ce que certains voudraient voir disparaître: une Syrie où cohabitent depuis des millénaires minorités religieuses et ethniques.
Aux portes du désert
L'occasion est parfaite pour des musulmans fondamentalistes, toujours prompts à s'en prendre aux chrétiens dès que la situation politique le permet, de s'attaquer à un monastère dont les valeurs de dialogue et de tolérance mutuelle les révulsent. Mais des agents du régime baasiste, rompus à toutes sortes de manipulations et prêts à tout pour que leur thèse d'un complot djihadiste visant à détruire la société multiconfessionnelle qu'ils prétendent défendre devienne une réalité, peuvent ne pas y être étrangers.
La petite communauté monastique de Mar Moussa a été fondée par le père Paolo Dall'Oglio dans les années 1990. La découverte aux portes du désert syrien d'un très ancien monastère byzantin abandonné avait été une révélation pour ce père jésuite italien. Frappé par la majesté et la charge spirituelle du lieu, qui correspondait exactement avec son intérêt pour les chrétiens d'Orient et le monde musulman, le père Paolo avait obtenu de l'Église syriaque catholique locale l'autorisation de s'y installer et du Vatican celle d'y fonder une communauté monastique.
Attirant des volontaires laïcs et religieux, syriens ou étrangers, la communauté de Mar Moussa s'est développée en une extraordinaire aventure intellectuelle et spirituelle, archéologique et religieuse, dont la figure hors normes du père Paolo est restée l'inspiration comme la force motrice.
Par Adrien Jaulmes
Ce discours n'est pas très répandu chez les gens d'église, mais le père Paolo Dall'Oglio n'est pas un ecclésiastique ordinaire. Au physique, c'est un colosse ; le cheveu taillé en brosse, le regard déterminé, avec de grandes mains. Il parle avec précision, sans componction. Intellectuellement, il appartient à la tradition des grands orientalistes, celle du père de Foucauld ou de Louis Massignon. Parfait arabisant, versé dans l'étude de l'islam, le père Paolo a du monde musulman une compréhension profonde, qui lui a fait très tôt rechercher des passerelles avec le christianisme.
Les mensonges de l'État syrien
Le lieu où s'est cristallisé son projet a été le monastère de Mar Moussa. Jeune gauchiste italien devenu prêtre jésuite, le père Paolo découvre au début des années 1980 cet ancien monastère byzantin à moitié ruiné aux portes du désert, près de Damas, où il va faire se rencontrer deux religions qu'il voit comme des cousines en quête d'une même et unique spiritualité.
La révolution syrienne et sa brutale répression par un régime qui affirme protéger le pluralisme religieux face à des extrémistes musulmans ne pouvaient pas laisser le père Paolo indifférent, ni silencieux. Alors que le gros du clergé syrien, catholique comme orthodoxe, oscille entre un silence prudent et le soutien ouvert au régime baasiste, le père Paolo parle.
«Nous faisons face à un mensonge, selon lesquels il n'y a pas de révolution, mais la Syrie qui se défend contre un complot saoudien, sioniste ou occidental, et lutte contre le terrorisme islamique», dit le père Paolo. «Cette thèse est relayée en Europe par des gens comme Thierry Meyssan et son réseau Voltaire, cette usine à mensonges payée par je ne sais trop qui… C'est un négationniste qui vit dans un monde virtuel. La réalité est celle d'un peuple qui fait la révolution, de jeunes gens qui versent leur sang pour leurs droits. Et quand on entend des membres du clergé participer à ce mensonge, c'est triste», dit le père Paolo.
«L'islamophobie d'une partie de l'opinion européenne, qui adhère aux mensonges de l'État syrien, et l'indifférence des États occidentaux font que l'on n'écoute plus que ceux qui viennent confirmer nos attentes et nos préjugés. Certains pensent que l'humanité est faite pour être dirigée d'une main de fer et gouvernée pour faire de l'argent. Je veux descendre de ce train-là. L'État syrien n'est plus qu'une façade. Derrière, la seule réalité est celle des services de sécurité. Au centre, se trouve une “cupola”, comme dans la mafia, qui coule en entraînant le pays avec elle dans sa chute.»
Idéaliste, mais pas naïf
Cet idéaliste n'est cependant pas un naïf. «Il y a évidemment une dérive islamiste en Syrie, et la révolution est infiltrée par des extrémistes fondamentalistes, comme ceux que le régime syrien téléguidait, il n'y a pas si longtemps, en Irak et au Liban. Le marécage des extrémistes et des services secrets doit être asséché, avec l'aide de la communauté internationale.»
«Il existe une grande angoisse, pas seulement en Syrie, mais dans toute la région», continue le père Paolo. «Il se livre en ce moment une guerre à l'intérieur de l'Islam entre chiites et sunnites, en Irak, au Liban, au Bahreïn. Les responsabilités sont partagées, mais c'est une réalité. Et les chrétiens sont les premiers à partir, dès que l'insécurité devient trop grande. Or, je le dis aux musulmans, ils doivent construire une société plurielle, dans laquelle les chrétiens doivent avoir leur place. Le rôle spirituel de l'islam doit être de trouver un moyen de mettre fin à cette guerre.»
Mais le père Paolo veut garder espoir: «La société syrienne a toujours été pluraliste: ce n'est pas un cul-de-sac continental, mais un lieu de passage, d'échanges et de rencontre. Du coup, la Syrie a dans son ADN une harmonie plurielle entre ses communautés, qui est unique au monde. Le régime a d'abord joué de cette carte, mais il en a vite fait un instrument de pouvoir, et l'a vidée de sa substance.»
«En Syrie, il faut préserver à tout prix cette pluralité, y compris en protégeant les villages alaouites, voire même en leur laissant des armes, protéger aussi les chrétiens, jusqu'à ce que les armes rouillent, de l'Iran jusqu'au Sud-Liban.»
«La réconciliation est toujours possible, mais ne peut se faire que par la démocratie, le dialogue, et le respect des droits de l'homme. On aura besoin en Syrie d'une aide internationale, d'une aide aux victimes, mais aussi aux bourreaux. Il faut combattre le désir de violence et de vengeance.»
Mar Moussa, un monastère syrien pris dans la tourmente
Le monastère de Mar Moussa a été de nouveau la cible de pillards. Le 3 août dernier, une vingtaine d'hommes armés ont fait irruption à la nuit tombée à l'entour de ce monastère isolé dans les montagnes au nord de Damas.
Sous la menace de leurs fusils, ils ont volé des chèvres et du matériel de chantier. Ils ont relâché les bergers qu'ils avaient pris en otages, mais ont promis de revenir. En février, des inconnus armés avaient déjà investi le monastère, prétendument à la recherche d'armes, et avaient volé des équipements, menaçant les moines et les moniales.
L'identité des pillards reste inconnue. Dans la Syrie en plein chaos révolutionnaire, où l'autorité de l'État se désagrège avec celle du régime baasiste, un monastère isolé est particulièrement vulnérable aux hors-la-loi. Mais la raison d'être du monastère, qui se consacre depuis sa refondation dans les années 1990 au dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans, est aussi le symbole de ce que certains voudraient voir disparaître: une Syrie où cohabitent depuis des millénaires minorités religieuses et ethniques.
Aux portes du désert
L'occasion est parfaite pour des musulmans fondamentalistes, toujours prompts à s'en prendre aux chrétiens dès que la situation politique le permet, de s'attaquer à un monastère dont les valeurs de dialogue et de tolérance mutuelle les révulsent. Mais des agents du régime baasiste, rompus à toutes sortes de manipulations et prêts à tout pour que leur thèse d'un complot djihadiste visant à détruire la société multiconfessionnelle qu'ils prétendent défendre devienne une réalité, peuvent ne pas y être étrangers.
La petite communauté monastique de Mar Moussa a été fondée par le père Paolo Dall'Oglio dans les années 1990. La découverte aux portes du désert syrien d'un très ancien monastère byzantin abandonné avait été une révélation pour ce père jésuite italien. Frappé par la majesté et la charge spirituelle du lieu, qui correspondait exactement avec son intérêt pour les chrétiens d'Orient et le monde musulman, le père Paolo avait obtenu de l'Église syriaque catholique locale l'autorisation de s'y installer et du Vatican celle d'y fonder une communauté monastique.
Attirant des volontaires laïcs et religieux, syriens ou étrangers, la communauté de Mar Moussa s'est développée en une extraordinaire aventure intellectuelle et spirituelle, archéologique et religieuse, dont la figure hors normes du père Paolo est restée l'inspiration comme la force motrice.
Par Adrien Jaulmes