TF1 avait un gros scoop mais la chaîne n'a pas fait monter la mayonnaise en annonçant dans ses promotions diverses et variées du week-end les enregistrements de Merah. Au contraire, la chaîne a été particulièrement discrète. Preuve en est d'ailleurs, les scores d'audience moyens réalisés par l'émission «Sept à huit» concoctée par Élephant et Cie , la maison de production d'Emmanuel Chain et le «JT de 20 heures», qui déclinait l'information par un petit sujet de contextualisation. Ce dernier a atteint 31,1% de part d'audience et touché plus de 6 millions de téléspectateurs, bien en dessous de la moyenne de la case horaire. Faute de promotion, il en a été de même de l'émission. Ce matin TF1 a mis du temps avant de sortir de son silence. Au point que l'on se demande si la chaîne avait anticipé le séisme qu'allait créer de telles révélations. Les enregistrements lors du siège de son appartement diffusés par TF1 contenaient des «informations très importantes», a déclaré aujourd'hui la directrice de l'information du groupe, Catherine Nayl, pour justifier leur diffusion. Et d'ajouter «Toutes ces informations, qui sont des informations nouvelles par rapport à l'affaire Merah, nous ont semblé importantes à diffuser. C'est pour cela que nous avons décidé de le faire».
De son côté, Harry Roselmack, le présentateur de «Sept à huit»,a affirmé sur Europe 1: «Il est de notre responsabilité d'épargner autant que possible les victimes. Mais notre métier est d'abord d'informer. Et nous pensons que ce document avait une forte valeur ajoutée informative. Après le 11 Septembre tous les médias ont diffusé la voix d'Oussama Ben Laden et personne n'y a trouvé à redire».
Reflet dangereux
Maître Fabrice Lorvo, avocat spécialiste du droit de la presse et de la communication, rappelle: «En droit de la presse et de la communication il y aura toujours deux plaques tectoniques qui ne cessent de s'entrechoquer, le droit d'informer et le secret des sources contre le secret de l'instruction et le respect de la vie privée. Seuls sont tenus au secret de l'instruction ceux qui y participent. Ce n'est pas le cas des journalistes», rappelle-t-il. Mais ceci étant posé, l'affaire pose selon lui d'autres questions: «En diffusant ces documents, la chaîne même si ce n'était pas son intention a permis à Merah d'atteindre 50% de son objectif qui était de se créer une aura médiatique. Jusque-là il y avait eu une union sacrée entre les diffuseurs pour ne pas diffuser les messages de ce type de personnalité. Même al- Jazeera qui a pourtant dans le passé diffusé les vidéos d'al-Qaida a refusé de diffuser les vidéos que Merah avait fait parvenir à la chaîne. Et tous les autres médias s'étaient alignés sur cette position. Aujourd'hui, ces révélations renseignent peut-être sur la lutte antiterroriste en France mais donnent à voir la personnalité déviante du messager, lui-même, et le remettent au premier plan. La presse ne doit pas spéculer sur ce type de personnalités et starifier ce type d'individu, c'est un reflet dangereux».
S'il s'agit là d'une première sur une chaîne de télévision française, en revanche, le monde d'Internet est plus coutumier du fait. «Nous sommes dans une spirale qui s'accélère», souligne Me Lorvo. «L'affaire du dépeceur de Montréal Luka Rocco Magnotta a été symptomatique de cette dérive qu'il serait bon que les médias évitent, car nous sommes loin du droit à l'information», conclut-il. Une position que n'est pas loin de partager le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a menacé de sanctions TF1 et s'est étonné que la chaîne n'ait pas averti l'organisme de régulation de cette exclusivité.
Par Paule Gonzales