Difficile de se départir d’une réputation. Lorsqu’elle vous colle à la peau, c’est souvent pour des lustres. Tanor l’aura compris à ses dépens. Depuis le 19 mars, le Premier secrétaire du PS vit sous le mode de la rédemption. Presque de l’expiation. Le psychologue Mamadou Mbodj ne s’y trompe pas en écrivant qu’il est toujours “ en conciliabule avec lui-même. Au plus profond de lui-même. Là où personne ne peut le toucher et encore moins lui faire du mal. ”[1] Et d’ajouter que “ ça doit faire fort longtemps qu’il a élu domicile dans ce monde intérieur dont il sort d’autant moins que les garanties de sécurité qu’il y trouve, il ne les trouve nulle part ailleurs, ni avec une autre personne que lui-même ”. Il est vrai que le monde extérieur a été impitoyable avec lui aussi bien avant qu’après la chute de son cicérone, Abdou Diouf. On lui impute la responsabilité de la scission qui a été fatale au régime socialiste avec les départs successifs de Djibo Kâ et de Moustapha Niasse, même si, dans le cas de ce dernier, c’est aussi et surtout une confrontation post-senghorienne qui a conduit à son départ. Cette réputation le poursuit depuis 2000. Et pour se débarrasser d’une réputation, il vaut mieux changer de peau. Tanor s’y emploie, la modestie en bandoulière. OTD s’efforce aujourd’hui à donner de lui-même une image plus propre, débarrassée des scories qui l’ont aveuglé pendant les années romantiques qui l’ont vu diriger le PS d’une main ferme. Une sorte de “ mea culpa ” qui incline à penser que, loin du pouvoir, l’homme s’est ressaisi.
Ce Tanor qu’on disait “ cassant ” et “ autoritaire ”, entouré d’une cour de courtisans qui ne se voulaient que du bien, au point de provoquer l’hémorragie qui a perdu le PS, a-t-il changé aujourd’hui ? Assistons-nous à la “ naissance ” d’un nouvel homme instruit des erreurs qui l’ont précipité dans le gouffre des destins contrariés ? La réponse servie à “ Jeune Afrique ” est d’une tonalité illustrative de sa volonté de rompre avec un passé très lourd : “ Peut-être ai-je été ce que vous dîtes, mais c’est du passé. J’ai pu faire des erreurs dans mon comportement et dans la gestion du parti, mais j’en ai tiré des enseignements pour essayer de me bonifier ”[2].
Le poids du passé
Intrinsèquement, il serait saugrenu de découpler la montée en puissance de l’enfant de Nguéniène au sein du PS de la chute du régime cinquantenaire. C’est après les élections de 1993, marquée par la perte traumatisante de Dakar par les socialistes que l’idée a germée pour la première fois de secouer l’organisation du parti pour lui donner plus de vigueur. Il fut alors constitué une commission d’orientation et de réforme des structures. Pour nombre de socialistes, Diouf devait prendre de la hauteur en confiant la gestion quotidienne du parti à un homme de confiance[3].
Le choix de Tanor sera entériné lors du fameux congrès sans débat du 30 mars 1996 au cours duquel il fut élu au poste de Premier secrétaire de la formation socialiste. Un congrès resté gravé dans les annales de ce parti puisque toutes les contestations antérieures en découleront. Voici ce qu’en dit l’intéressé lui-même, huit ans plus tard : “ Cette notion de congrès sans débat est un cliché. Elle a été décontextualisée pour être soumise à des critiques politiciennes. Tous les congrès du PS depuis sa naissance ont toujours été le produit du centralisme démocratique ”[4].
Quand on accède au sommet du pouvoir dans un parti aussi massif que le fut la formation socialiste, on pose difficilement les pieds sur terre. Une cour de courtisans se forme très vite autour de soi. Une cour avide de privilèges et qui se fait un devoir de verrouiller l’accès au nouveau “ prince ”. Et Tanor dans ses nouveaux habits était le nouveau prince du PS. Inaccessible tant aux journalistes qu’à la classe politique, il appliqua à son parti “ les règles d’une gestion strictement administrative et autoritaire ”[5]. A la fin de l’année 1999, la direction du PS, Tanor en tête, s’enferma à la Maison du parti socialiste où défilaient les coordinations qui rivalisaient d’ardeur dans l’annonce de leurs futurs scores électoraux. Une démarche pour le moins incompréhensible parce que ne reposant sur aucun outil de vérification, donc de validation, mais Tanor en sortit avec la conviction que Diouf gagnerait la présidentielle de 2000 avec “ au moins 60 % des voix ”. On connaît la suite.
Tanor a su, pourtant, tenir devant les bourrasques de la contestation. Et même s’il a beaucoup perdu de sa superbe du temps de Diouf, l’opposition lui permet aujourd’hui de réaliser ce que le pouvoir ne lui a pas assuré : fédérer le Parti socialiste autour de son nom. Car personne aujourd'hui ne réclame plus la tête de Tanor, redevenu, au moins aux yeux de l'opinion, le leader incontesté du parti. Est-ce à dire que ses adversaires ont renoncé au choc des ambitions annoncé par nombre d’observateurs ? Il est clair qu’ils sont nombreux à voir l’actuel maire de Dakar, Khalifa Sall, lui disputer le rang de premier des socialistes, mais la vague semble passée. En vérité, l’homme a acquis une stature de leader d’opposition, aidé par une bonne culture de l'État et par son expérience. Qui plus est, sa théorie d’opposition républicaine a servi à remodeler l’opinion que nombre de ses compatriotes se faisaient de lui.
Leadership affirmé
Aujourd’hui, OTD qui s’est longtemps refusé de se considérer comme un dauphin de Diouf, persuadé que “ le destin des dauphins est d’échouer sur la plage ”, se sent bien dans la peau d’un présidentiable. S’il consent à assumer l’avant 19 mars, c’est juste pour se projeter dans un avenir forcément meilleur : “ Quand on a été au cœur du pouvoir d’Etat comme moi et qu’on se retrouve aujourd’hui dans l’opposition, cela vous enrichit forcément. Ce mélange d’expériences aussi différents pèse naturellement sur votre vision de la vie, sur vos analyses et sur le regard que vous posez sur les hommes et sur les choses ”[6].
Mais la question reste de savoir si un chef qui perd une bataille doit continuer la guerre à la tête de son armée ? Invité de Jean-Marie Kassamba de la télévision 3A Telesud le jeudi 12 août 2005, Tanor que ses détracteurs présenteraient comme une “ machine à perdre ” (selon le mot de l’intervieweur), a trouvé ce terme “ inacceptable ”. “ Une machine à perdre, a-t-il dit, suppose que j’aie perdu au moins deux fois. Or nous n’avons perdu qu’en 2000 alors que nous gagnions tout le temps avant ”. Et de laisser entendre que son mérite, “ c’est d’avoir maintenu le PS debout après 2000. Et mon combat, c’est d’en faire un parti fort ”. Le hic, c’est que Tanor a perdu une deuxième fois en 2007. Garderait-il intact son leadership sur le Ps s’il lui arrivait encore de perdre en 2012 ?
lesenegalais.net
u[[1]. Le Quotidien du vendredi 19 septembre 2003
[2]. L’Intelligent du 19 décembre 2004
[3]. Lire à ce propos le livre d’A. Latif Coulibaly : Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie. Enquête sur 50 ans de lutte et de complots au sein de l’élite socialiste, L’Harmattan, 1999.
[4]. L’Actuel n° 846 du 28 – 29 août 2004.
[5]. Momar Coumba Diop, Mamadou Diouf et Aminata Diaw, Le baobab a été déraciné. L’alternance au Sénégal. Politique africaine.
[6]. L’Actuel du 28 – 29 août 2004.]u
Ce Tanor qu’on disait “ cassant ” et “ autoritaire ”, entouré d’une cour de courtisans qui ne se voulaient que du bien, au point de provoquer l’hémorragie qui a perdu le PS, a-t-il changé aujourd’hui ? Assistons-nous à la “ naissance ” d’un nouvel homme instruit des erreurs qui l’ont précipité dans le gouffre des destins contrariés ? La réponse servie à “ Jeune Afrique ” est d’une tonalité illustrative de sa volonté de rompre avec un passé très lourd : “ Peut-être ai-je été ce que vous dîtes, mais c’est du passé. J’ai pu faire des erreurs dans mon comportement et dans la gestion du parti, mais j’en ai tiré des enseignements pour essayer de me bonifier ”[2].
Le poids du passé
Intrinsèquement, il serait saugrenu de découpler la montée en puissance de l’enfant de Nguéniène au sein du PS de la chute du régime cinquantenaire. C’est après les élections de 1993, marquée par la perte traumatisante de Dakar par les socialistes que l’idée a germée pour la première fois de secouer l’organisation du parti pour lui donner plus de vigueur. Il fut alors constitué une commission d’orientation et de réforme des structures. Pour nombre de socialistes, Diouf devait prendre de la hauteur en confiant la gestion quotidienne du parti à un homme de confiance[3].
Le choix de Tanor sera entériné lors du fameux congrès sans débat du 30 mars 1996 au cours duquel il fut élu au poste de Premier secrétaire de la formation socialiste. Un congrès resté gravé dans les annales de ce parti puisque toutes les contestations antérieures en découleront. Voici ce qu’en dit l’intéressé lui-même, huit ans plus tard : “ Cette notion de congrès sans débat est un cliché. Elle a été décontextualisée pour être soumise à des critiques politiciennes. Tous les congrès du PS depuis sa naissance ont toujours été le produit du centralisme démocratique ”[4].
Quand on accède au sommet du pouvoir dans un parti aussi massif que le fut la formation socialiste, on pose difficilement les pieds sur terre. Une cour de courtisans se forme très vite autour de soi. Une cour avide de privilèges et qui se fait un devoir de verrouiller l’accès au nouveau “ prince ”. Et Tanor dans ses nouveaux habits était le nouveau prince du PS. Inaccessible tant aux journalistes qu’à la classe politique, il appliqua à son parti “ les règles d’une gestion strictement administrative et autoritaire ”[5]. A la fin de l’année 1999, la direction du PS, Tanor en tête, s’enferma à la Maison du parti socialiste où défilaient les coordinations qui rivalisaient d’ardeur dans l’annonce de leurs futurs scores électoraux. Une démarche pour le moins incompréhensible parce que ne reposant sur aucun outil de vérification, donc de validation, mais Tanor en sortit avec la conviction que Diouf gagnerait la présidentielle de 2000 avec “ au moins 60 % des voix ”. On connaît la suite.
Tanor a su, pourtant, tenir devant les bourrasques de la contestation. Et même s’il a beaucoup perdu de sa superbe du temps de Diouf, l’opposition lui permet aujourd’hui de réaliser ce que le pouvoir ne lui a pas assuré : fédérer le Parti socialiste autour de son nom. Car personne aujourd'hui ne réclame plus la tête de Tanor, redevenu, au moins aux yeux de l'opinion, le leader incontesté du parti. Est-ce à dire que ses adversaires ont renoncé au choc des ambitions annoncé par nombre d’observateurs ? Il est clair qu’ils sont nombreux à voir l’actuel maire de Dakar, Khalifa Sall, lui disputer le rang de premier des socialistes, mais la vague semble passée. En vérité, l’homme a acquis une stature de leader d’opposition, aidé par une bonne culture de l'État et par son expérience. Qui plus est, sa théorie d’opposition républicaine a servi à remodeler l’opinion que nombre de ses compatriotes se faisaient de lui.
Leadership affirmé
Aujourd’hui, OTD qui s’est longtemps refusé de se considérer comme un dauphin de Diouf, persuadé que “ le destin des dauphins est d’échouer sur la plage ”, se sent bien dans la peau d’un présidentiable. S’il consent à assumer l’avant 19 mars, c’est juste pour se projeter dans un avenir forcément meilleur : “ Quand on a été au cœur du pouvoir d’Etat comme moi et qu’on se retrouve aujourd’hui dans l’opposition, cela vous enrichit forcément. Ce mélange d’expériences aussi différents pèse naturellement sur votre vision de la vie, sur vos analyses et sur le regard que vous posez sur les hommes et sur les choses ”[6].
Mais la question reste de savoir si un chef qui perd une bataille doit continuer la guerre à la tête de son armée ? Invité de Jean-Marie Kassamba de la télévision 3A Telesud le jeudi 12 août 2005, Tanor que ses détracteurs présenteraient comme une “ machine à perdre ” (selon le mot de l’intervieweur), a trouvé ce terme “ inacceptable ”. “ Une machine à perdre, a-t-il dit, suppose que j’aie perdu au moins deux fois. Or nous n’avons perdu qu’en 2000 alors que nous gagnions tout le temps avant ”. Et de laisser entendre que son mérite, “ c’est d’avoir maintenu le PS debout après 2000. Et mon combat, c’est d’en faire un parti fort ”. Le hic, c’est que Tanor a perdu une deuxième fois en 2007. Garderait-il intact son leadership sur le Ps s’il lui arrivait encore de perdre en 2012 ?
lesenegalais.net
u[[1]. Le Quotidien du vendredi 19 septembre 2003
[2]. L’Intelligent du 19 décembre 2004
[3]. Lire à ce propos le livre d’A. Latif Coulibaly : Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie. Enquête sur 50 ans de lutte et de complots au sein de l’élite socialiste, L’Harmattan, 1999.
[4]. L’Actuel n° 846 du 28 – 29 août 2004.
[5]. Momar Coumba Diop, Mamadou Diouf et Aminata Diaw, Le baobab a été déraciné. L’alternance au Sénégal. Politique africaine.
[6]. L’Actuel du 28 – 29 août 2004.]u